Rapport n° 217 (2001-2002) de M. Jean-Paul DELEVOYE , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 7 février 2002
Disponible au format Acrobat (58 Koctets)
-
INTRODUCTION
-
CONCLUSION
-
EXAMEN EN COMMISSION
-
PROJET DE LOI
-
ANNEXE -
ETUDE D'IMPACT
N° 217
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002
Annexe au procès-verbal de la séance du 7 février 2002 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant la ratification du protocole additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir , réprimer et punir la traite des personnes , en particulier des femmes et des enfants ,
Par M. Jean-Paul DELEVOYE,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Xavier de Villepin, président ; MM. Michel Caldaguès, Guy Penne, André Dulait, Michel Pelchat, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. André Boyer, vice-présidents ; MM. Simon Loueckhote, Daniel Goulet, André Rouvière, Jean-Pierre Masseret, secrétaires ; MM. Jean-Yves Autexier, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Jacques Blanc, Didier Borotra, Didier Boulaud, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Robert Del Picchia, Jean-Paul Delevoye, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Philippe François, Philippe de Gaulle, Mme Jacqueline Gourault, MM. Emmanuel Hamel, Christian de La Malène, René-Georges Laurin, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc, MM. Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Louis Moinard, Xavier Pintat, Jean-Pierre Plancade, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Henri Torre, André Vallet, Serge Vinçon.
Voir le numéro :
Sénat : 118 (2001-2002)
Traités et conventions. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Le présent projet de loi a pour objet d'autoriser la ratification du protocole additionnel à la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants.
Adopté le 15 novembre 2000 par l'Assemblée générale des Nations Unies, tout comme la convention contre la criminalité organisée, dite « convention de Palerme », ce protocole répond au souci exprimé par de nombreux Etats de compléter cette dernière en adoptant des dispositions spécifiques à la traite des personnes, compte tenu de l'ampleur prise par ce phénomène et, surtout, du rôle croissant qu'y jouent les réseaux criminels organisés.
Ce protocole contre la traite des personnes n'est pas, loin s'en faut, le premier instrument international visant à lutter contre le trafic et l'exploitation des êtres humains. Il se distingue toutefois des textes existants par son approche globale de toutes les formes de traite des personnes, par sa vocation essentiellement pénale et répressive, et plus encore par la prise en compte des caractéristiques relativement nouvelles de ces activités criminelles désormais aux mains de groupes structurés et transnationaux.
Votre rapporteur donnera tout d'abord quelques indications sur l'ampleur du phénomène de la traite des personnes, face auquel les instruments internationaux existants demeurent insuffisants. Il analysera ensuite le contenu et l'apport du protocole contre la traite des personnes avant d'aborder son articulation avec les textes européens et ses incidences sur la législation française.
I. LE DROIT INTERNATIONAL ET LA TRAITE DES PERSONNES
De nombreuses conventions internationales ont abordé la question de la traite des êtres humains. Elles constituent un ensemble fourni et complexe de règles qui, pourtant, ne répondent que très imparfaitement aux exigences de la lutte contre des trafics qui ont totalement changé d'échelle. En effet, loin de se réduire, ce phénomène s'amplifie par le fait de réseaux très organisés et très puissants qui réalisent des profits considérables en exploitant les facilités des communications internationales et les failles des systèmes répressifs. Dans ce contexte, l'adoption d'un instrument international à vocation répressive axé sur la lutte contre ces réseaux ne saurait apparaître comme superfétatoire.
A. LE DEVELOPPEMENT DE L'ACTION DES RÉSEAUX CRIMINELS DANS LA TRAITE DES PERSONNES
La traite des personnes revêt des formes multiples et constitue un phénomène clandestin par nature, si bien qu'il est particulièrement difficile d'avancer, en la matière, des statistiques ou mêmes de simples évaluations.
On pense en premier lieu au proxénétisme, mais il faut également mentionner l'emploi d'étrangers sans titre dans les ateliers clandestins, ainsi que des situations plus récemment mises en lumière, comme l'exploitation de femmes et d'enfants réduits à la mendicité, aux rapines, ou au pillage des horodateurs.
Pour s'en tenir à la forme la plus répandue, à savoir la traite en vue de la prostitution , le rapport établi il y à un an par la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes 1 ( * ) , a fait le point sur l'accroissement de la part des étrangers dans la prostitution et le rôle des réseaux criminels dans son développement.
L'Organisation internationale pour les migrations estime qu'elle concernerait de 200.000 à 300.000 femmes sur le seul territoire de l'Union européenne. Elle constate également que les chiffres vont en augmentant , sous l'effet d'un afflux de femmes en provenance d'Afrique et d'Europe centrale et orientale. Le phénomène a touché en priorité les pays dans lesquels le contrôle de la prostitution est faible, voire inexistant, comme les Pays-Bas ou l'Allemagne, puis il s'est étendu, atteignant notamment la France.
Selon Interpol, environ la moitié de la prostitution répertoriée en Europe de l'ouest serait liée à ces femmes venues de l'étranger qui se trouvent sous la coupe de bandes organisées. La caractéristique majeure de cette prostitution est qu'elle n'est pas reliée à des démarches individuelles, ou à de simples proxénètes isolés, mais qu'elle est entretenue et développée par des réseaux extrêmement organisés et puissants.
En effet, les structures criminelles se retrouvent à tous les stades de la traite :
- lors du recrutement dans le pays d'origine, tantôt forcé, comme en témoignent des exemples de ventes de femmes et d'enfants ou d'enlèvement, parfois obtenu contre la promesse fallacieuse d'un sort meilleur et d'un emploi dans nos pays occidentaux,
- lors du transfert à l'étranger , parfois organisé régulièrement, mais le plus souvent clandestin ou irrégulier,
- et enfin lors de l'arrivée dans le pays de destination , où ces personnes sont le plus souvent exploitées sous la contrainte, sans moyens d'échapper à l'emprise de leurs « employeurs ». Généralement, ces criminels imposent à leurs victimes un travail forcé, tel que la prostitution ou un travail domestique, censé rembourser leur « dette », c'est à dire les frais correspondant à l'achat de faux papiers ou à l'obtention de visas, au voyage et au logement.
Les constats opérés par les services de police montrent que les victimes de ce trafic sont de plus en plus jeunes, et que leurs exploiteurs n'hésitent pas à recourir à des formes très violentes d'intimidation - menaces ou agressions physiques, pressions psychologiques, pressions sur la famille restée dans le pays d'origine - pour les maintenir sous leur dépendance. La situation irrégulière de la plupart des victimes de la traite est aussi un moyen de pression très efficace.
Autre caractéristique, les victimes ne restent pas nécessairement exploitées par le même groupe, mais sont souvent transférées, c'est à dire en pratique « vendues », à d'autres réseaux, opérant dans d'autres villes, voire d'autres pays.
Ce trafic fonctionne comme une véritable activité économique visant à exploiter un « marché » dans un souci de forte rentabilité. Il s'agit d'ailleurs d'une activité très lucrative, eu égard aux faibles coûts de départ et à l'emploi de la contrainte, alors que les risques encourus sont relativement faibles.
En France, la Direction centrale de la police judiciaire, qui possède un office spécialisé en la matière - l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains - procède chaque année au démantèlement d'une vingtaine de réseaux . Ces derniers sont pour l'essentiel originaires d'Europe de l'est et des Balkans, notamment l'Albanie, la Bulgarie, la République tchèque et l'Ukraine, mais aussi d'Afrique, en particulier le Nigéria et le Cameroun.
Ces réseaux, en plein développement, disposent d'une puissance financière considérable 2 ( * ) leur assurant de multiples facilités dans les pays d'origine et parfois dans les pays de transit. L'étendue des complicités dont ils disposent dans les différents stades de la mise en place du trafic et leur caractère transnational rendent difficiles l'action des services de police, et surtout la répression et le démantèlement de ces réseaux.
De manière générale, cette criminalité semble le fait de petits groupes indépendants mais travaillant en réseaux , très mobiles, agissant selon les méthodes des organisations mafieuses : contrôle d'un territoire, recours à l'intimidation et à la violence contre les victimes, respect de la loi du silence, transfert massif des produits du trafic vers leurs familles, dans leurs pays d'origine.
B. DES INSTRUMENTS INTERNATIONAUX NOMBREUX MAIS INSUFFISAMMENT ADAPTÉS
La lutte contre la traite des êtres humains , considérée du point de vue de la défense de la dignité de la personne, figure sans doute parmi les préoccupations prises en compte le plus tôt par les instruments internationaux multilatéraux.
C'est au 19 ème siècle que furent adoptés les premiers textes concernant l'esclavage, alors que plusieurs conventions importantes voyaient le jour durant la première moitié du 20 ème siècle 3 ( * ) .
Ces textes comportaient déjà des dispositions de droit pénal et de coopération internationale, mais appréhendaient la question de la traite des personnes sous l'angle exclusif de l'exploitation sexuelle. Ils ont été unifiés dans la convention des Nations Unies du 2 décembre 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui . Cette convention représente un instrument majeur pour la lutte contre la traite des êtres humains. Toutefois, si elle contient des prescriptions précises sur l'obligation d'incriminer l'exploitation de la prostitution d'une autre personne, même consentante, elle ne définit pas précisément la traite des êtres humains.
La convention de 1949 fonde largement la législation française en matière de répression du proxénétisme . Pour autant, cet instrument international n'a été ratifié que par 73 Etats . Plus de la moitié des pays de l'Union européenne n'y sont pas parties (Allemagne, Autriche, Grèce, Irlande, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède, ainsi que le Danemark, qui l'a signée mais pas ratifiée), pas plus que la Suisse, les Etats-Unis, le Canada, l'Australie ou encore la Chine.
Parallèlement étaient adoptées des conventions spécifiques visant à l'élimination de l'esclavage et du travail forcé 4 ( * ) .
D'autres textes, liant encore la traite des êtres humains et le concept d'exploitation sexuelle, sont intervenus dans la période plus récente, par exemple la convention des Nations Unies du 18 décembre 1979 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, qui rappelle l'engagement des Etats à « supprimer, sous toutes leurs formes, le trafic des femmes et l'exploitation de la prostitution des femmes », ou encore des instruments internationaux spécifiques à la protection de l'enfance (protocole facultatif du 25 mai 2000 à la convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfants, concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants ; convention de l'Organisation internationale du travail sur les pires formes de travail des enfants, adoptée le 17 juin 1999).
A ces instruments internationaux s'ajoutent ceux résultant d'initiatives régionales, particulièrement en Europe.
Le Conseil de l'Europe a adopté plusieurs recommandations : la recommandation 1325 (1997) relative à la traite des femmes et à la prostitution forcée, la recommandation R(2000)11 du 19 mai 2000 sur la lutte contre la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle et enfin la recommandation du 31 octobre 2001 sur la protection des enfants contre l'exploitation sexuelle, qui prévoit notamment l'incrimination de la traite des enfants, dont la définition est empruntée au protocole à la convention de Palerme.
L'attention portée par l' Union européenne à la lutte contre la traite des êtres humains, illustrée par une action commune en date du 24 février 1997 visant à mettre en place des mesures au plan national, notamment des incriminations, et à améliorer la coopération entre les Etats membres, a été renforcée après le Conseil européen de Tampere d'octobre 1999, qui a fixé pour objectif de parvenir à des définitions, des incriminations et des sanctions communes.
La Commission a présenté le 21 décembre 2000 au Conseil et au Parlement européen une proposition de décision cadre relative à la lutte contre la traite des êtres humains .
Au total, nous nous trouvons donc devant un véritable foisonnement de textes qui se complètent, et parfois se superposent, et forment, sur le plan juridique, un maquis assez complexe. Les uns ont une portée universelle, encore que beaucoup d'Etats ne les aient pas ratifiés, et d'autres ont simplement une portée régionale. Ils visent tous à protéger les victimes de la traite mais témoignent d'approches différentes.
Il apparaît en effet que certains textes ne visent qu'une forme particulière de la traite des personnes (l'esclavage, le travail forcé, l'exploitation sexuelle). Par ailleurs, dans certains cas, leur finalité est moins la répression d'activités criminelles que la promotion de principes visant à faire progresser les normes sociales (interdiction du travail forcé par exemple). Enfin, ils se limitent souvent à viser l'initiateur ou le bénéficiaire direct de la traite, laissant de côtés l'ensemble des intermédiaires qui en amont ou en aval permettent la mise en place d'un système organisé reposant sur l'exploitation des personnes.
C'est donc en vue de lutter plus efficacement contre les réseaux criminels transnationaux qu'a été envisagée l'élaboration d'un instrument pénal global couvrant toutes les formes de traite de personnes.
II. LE DISPOSITIF DU PROTOCOLE CONTRE LA TRAITE DES PERSONNES
A. L'ÉLABORATION DU PROTOCOLE CONTRE LA TRAITE DES PERSONNES
La lutte contre le trafic de femmes et d'enfants a été identifiée parmi les sujets susceptibles de faire l'objet d'un protocole additionnel spécifique dès le lancement du projet de convention contre la criminalité transnationale organisée, en décembre 1998.
C'est sur la base de deux projets déposés respectivement par les Etats-Unis et l'Argentine, qu'a été élaboré en moins de deux ans le texte du protocole contre la traite des personnes. Initialement limité à la traite des femmes et des enfants, son champ a ensuite été élargi à la traite des personnes en général, tout en préservant l'accent particulier mis sur celle, la plus répandue, dont sont victimes les femmes et les enfants.
La négociation a été marquée par de sensibles différences d'approches entre pays face au phénomène de la prostitution et de l'exploitation sexuelle , y compris entre pays membres de l'Union européenne. Un clivage important subsiste en effet selon la tradition juridique propre à chaque Etat.
Dans le régime juridique dit « prohibitionniste » (Etats-Unis, Chine, Etats du Golfe persique...), la prostitution, son organisation et son exploitation sont interdites et considérées comme des délits: prostituées, proxénètes et clients sont théoriquement tous susceptibles de poursuites.
Dans le régime dit « réglementariste » (Allemagne et, dans une moindre mesure, Pays-Bas 5 ( * ) , Grèce, Turquie...), la prostitution est considérée comme un « mal nécessaire » et son exercice est soumis à une réglementation administrative (mise en carte des prostituées, surveillance médicale, reconnaissance des maisons closes ou institution de quartiers réservés). D'un point de vue juridique, l'exploitation de la prostitution d'autrui n'est pas en tant que telle poursuivie. Sont seuls considérés comme répréhensibles les faits liés à la prostitution de mineures ou de personnes majeures non consentantes.
Enfin, dans le régime dit « abolitionniste » (France, Suède), l'objectif n'est pas l'abolition de la prostitution mais celle du régime réglementariste. L'exploitation de la prostitution -le proxénétisme - est incriminée, mais ni les personnes qui s'y livrent, ni leurs clients ne sont passibles de poursuites.
Ces différences marquées quant à l'approche de la question ont provoqué certaines difficultés lors des négociations. Par exemple, les Etats "réglementaristes" (Pays-Bas, Allemagne, Australie) voulaient introduire une distinction entre "prostitution volontaire" et "prostitution forcée", récusée par les pays de tradition abolitionniste (France, Belgique, Finlande, Norvège) auxquels se sont joints d'autres Etats parties à la convention de 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui (Mexique, Philippines, pays africains francophones). C'est la conception abolitionniste qui a prévalu, avec l'introduction d'une clause affirmant le caractère inopérant du consentement de la victime à l'exploitation.
S'agissant des formes d'exploitation, un certain nombre d'Etats auraient souhaité les énumérer limitativement et les définir précisément. La formule retenue, à savoir une liste non limitative sans définition des termes, privilégie une conception large de la traite incluant, au minimum, les formes les plus répandues d'exploitation de la personne humaine.
En matière d'assistance et protection des victimes, les débats ont porté sur le caractère obligatoire ou facultatif des mesures préconisées. Si un consensus a finalement été obtenu sur l'approche optionnelle, certaines dispositions ont néanmoins été formulées de manière contraignante.
Enfin, le rapatriement des victimes de la traite a suscité un fort clivage, plus traditionnel, entre pays d'origine et pays de destination.
Le protocole contre la traite des personnes a été adopté par l'Assemblée générale des Nations Unies le 15 novembre 2000, en même temps que la convention contre la criminalité transnationale organisée et le protocole contre le trafic de migrants.
A ce jour, le protocole contre la traite des personnes compte 101 signataires , dont 5 Etats parties : Bulgarie, Monaco, Nigeria, Yougoslavie et Pérou. Quarante ratifications sont requises pour son entrée en vigueur .
B. LES DISPOSITIONS DU PROTOCOLE
Le protocole contre la traite des personnes est un instrument global combinant des mesures préventives et répressives, des dispositions en matière de coopération, d'échange d'informations et de formation, ainsi que des dispositions destinées à améliorer la protection des victimes de la traite des personnes.
Il oblige les Etats Parties à ériger en infraction pénale le trafic des personnes, dont il donne une définition précise .
Il faut rappeler que le principe de double incrimination , qui est à la base de toute coopération judiciaire internationale efficace, notamment en vue de l'extradition, suppose une harmonisation des incriminations pénales , c'est à dire des définitions uniformes dans les législations pénales des différents Etats.
L'article 3 définit la traite des personnes comme le recrutement , le transport , le transfert , l' hébergement ou l' accueil de personnes , aux fins d'exploitation , par la menace de recours ou le recours à la force ou à d'autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d'autorité ou d'une situation de vulnérabilité, ou par l'offre ou l'acceptation de paiements ou d'avantages pour obtenir le consentement d'une personne ayant autorité sur une autre.
L'exploitation est définie de manière non limitative . Elle comprend au minimum :
- l'exploitation de la prostitution d'autrui ou d'autres formes d'exploitation sexuelle,
- le travail ou les services forcés,
- l'esclavage ou les pratiques analogues à l'esclavage,
- la servitude,
- le prélèvement d'organes.
Autre élément très important de la définition retenue par le protocole, l'article 3 précise que le consentement de la victime de la traite à son exploitation est sans effet sur la qualification de l'acte . Il s'agit là d'une disposition particulièrement protectrice, qui facilitera considérablement la preuve de la traite.
Au total, la définition de la traite des personnes apparaît suffisamment large pour couvrir à la fois tous les intermédiaires qui, à un titre ou à un autre, y contribuent, mais aussi tous les moyens utilisés pour recruter les victimes, que ce soit la contrainte ou tout simplement la tromperie. Par ailleurs, la question du consentement éventuel de la victime est évacuée, puisqu'elle n'est pas prise en compte pour la qualification de l'acte.
L'article 5 impose aux Etats-parties de prévoir dans leur droit pénal l'incrimination de la traite des personnes ainsi définie. La tentative d'infraction, la complicité ou la participation à l'organisation de l'infraction doivent également être incriminées.
Le protocole comporte un deuxième volet , consacré à la protection des victimes de la traite des personnes.
Deux dispositions méritent d'être mentionnées : l'une oblige les Etats parties à protéger l'identité des victimes lors des procédures pénales et à leur fournir une assistance juridique appropriée , l'autre suggère de permettre à ces victimes, souvent entrées irrégulièrement, de résider à titre temporaire ou définitif sur leur territoire. Il s'agit là d'un difficile compromis élaboré entre pays de destination et pays d'origine. Ces derniers, par l'article 8, prennent l'engagement de reprendre leurs nationaux « sans retard injustifié ou déraisonnable », mais le pays qui renvoie la personne doit prendre certaines précautions, au regard notamment des conditions de sécurité de la personne dans son pays d'origine. Le principe selon lequel ce retour doit être « de préférence volontaire » figure également dans l'article 8.
Enfin, le protocole comporte un troisième volet relatif à la prévention et à la coopération internationale . Il s'agit essentiellement de dispositions incitatives concernant les programmes de prévention, les échanges d'information, les mesures aux frontières, la sécurité et le contrôle des documents
III. LE PROTOCOLE ET LES DROITS EUROPÉEN ET FRANÇAIS
A. LES PROJETS EN COURS AU SEIN DE L'UNION EUROPÉENNE
La grande similitude d'approche entre le protocole des Nations Unies et les actions menées par l'Union européenne mérite d'être relevée.
Une proposition de décision cadre relative à la lutte contre la traite des êtres humains est en cours d'examen au sein de l'Union européenne. Elle vise à prolonger les dispositions des instruments des Nations Unies en opérant de nouvelles avancées dans les domaines de l'harmonisation des sanctions et de la protection des victimes. Un accord politique sur la quasi-totalité des dispositions a été enregistré lors du Conseil des ministres de la justice et des affaires intérieures tenu à Bruxelles en mai 2001 mais le texte n'a pas encore été formellement adopté.
Ce projet d'instrument harmonise les législations des Etats membres en ce qui concerne la définition de la traite des personnes Il prévoit l'obligation de mettre en oeuvre certaines circonstances aggravantes 6 ( * ) entraînant obligatoirement une peine d'emprisonnement dont le maximum ne doit pas être inférieur à 8 ans, ainsi qu'une harmonisation des sanctions (obligation de prévoir des peines privatives de liberté dont le quantum maximum ne doit pas être inférieur à un certain seuil).
Ces dispositions vont donc plus loin que le présent protocole.
Par ailleurs, au-delà des instruments normatifs, l'Union européenne met en oeuvre des programmes permettant le financement de coopérations dans la lutte contre la traite des personnes , y compris au profit des pays candidats. Ainsi, le programme Stop (Sexual trafficking of persons), mis en place en 1996, permet de développer la formation et les programmes d'échange de personnes responsables de la lutte contre la traite des êtres humains, ainsi que les études et les recherches dans ce domaine.
Enfin, sur un plan plus opérationnel, la résolution relative à la création de centres et d'organismes nationaux de lutte contre la disparition et l'exploitation sexuelle des enfants, adoptée à l'initiative de la Belgique en septembre 2001, organise la participation du monde associatif à la recherche des enfants disparus ou exploités sexuellement, notamment par la mise en place de lignes téléphoniques d'urgence, la diffusion d'informations, l'organisation de recherches et le soutien des familles.
Ces initiatives, spécifiques à la traite des personnes, complètent les mesures adoptées dans le cadre plus général de la lutte contre la criminalité organisée.
B. LA LÉGISLATION FRANÇAISE ET LE PROTOCOLE
La définition de la traite des personnes donnée par le protocole repose sur l'accomplissement, en amont, de certains actes matériels dont la finalité est l'exploitation de la personne.
S'agissant de «l'exploitation» de la personne, le droit français contient déjà plusieurs incriminations susceptibles d'en réprimer les différentes formes énoncées par le protocole .
En ce qui concerne l'exploitation de la prostitution d'autrui ou de tout autre forme d'exploitation sexuelle, notre dispositif repose sur l'arsenal législatif de répression du proxénétisme simple (défini notamment comme étant le fait de tirer profit de la prostitution d'autrui, même lorsque cette personne est consentante - article 225-5 du code pénal), de faits matériels qui lui sont assimilés (article 225-6), du proxénétisme aggravé (telles que le proxénétisme commis à l'égard d'un mineur, d'une personne particulièrement vulnérable, d'une personne qui a été incitée à se livrer à la prostitution, soit hors du territoire de la République soit à son arrivée sur celui-ci - article 225-7 du code pénal) et du crime de proxénétisme (lorsque les faits sont commis en bande organisée ou en recourant à des actes de torture ou de barbarie - article 225-8 du code pénal).
De manière complémentaire, certaines formes d'exploitation sexuelle des mineurs de 15 ans peuvent également être appréhendées, sur le fondement des incriminations d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans contre rémunération et de corruption de mineurs (respectivement prévues par les articles 227-26 4° et 227-22 du code pénal). Ce dispositif devrait être complété par la disposition adoptée au Sénat lors de l'examen de la proposition de loi relative à l'autorité parentale, visant à réprimer le recours à la prostitution d'un mineur. Il s'agit d'incriminer le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir, en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération, des relations de nature sexuelle de la part d'un mineur qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle (infraction aggravée lorsqu'il s'agit d'un mineur de 15 ans, lorsque l'infraction est commise de façon habituelle ou à l'égard de plusieurs mineurs, lorsque le mineur a été mis en contact avec l'auteur des faits grâce à l'utilisation, pour la diffusion de messages à destination d'un public non déterminé, d'un réseau de communication, ou encore lorsque les faits sont commis par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions).
S'agissant des autres formes d'exploitation, notamment celles liées à l' esclavage , au travail forcé et à la servitude , les articles 225-13 et 225-14 du code pénal répriment l'obtention de services non rétribués ou en échange d'une rétribution manifestement sans rapport avec l'importance du travail accompli, ainsi que les conditions de travail et d'hébergement contraires à la dignité humaine (infractions aggravées lorsqu'elles sont commises à l'égard de plusieurs personnes). Ces infractions reposent notamment sur les notions d'abus de la vulnérabilité ou de dépendance de la personne.
Par ailleurs, certaines dispositions, telles que celles relatives à la complicité (articles 121-6 et 121-7 du code pénal), permettent de réprimer certains des actes commis en amont des diverses formes d'exploitation.
Toutefois, le code pénal ne connaissant pas actuellement d'infraction spécifique permettant d'appréhender l'ensemble des comportements visés par le protocole, l'Assemblée nationale a adopté le 24 janvier dernier à l'unanimité la proposition de loi renforçant la lutte contre les différentes formes de l'esclavage aujourd'hui, qui comporte notamment la création d'une infraction de traite des personnes .
Enfin, le protocole contient également des dispositions relatives à la protection des victimes de la traite des personnes, rédigées cependant en termes très généraux et peu contraignants.
Sur ce point, notre droit positif prévoit et organise déjà la protection de ces victimes, notamment par le recours possible à l'anonymat de leur témoignage et leur prise en charge médico-psychologique, sociale et juridique tout au long de la procédure pénale.
CONCLUSION
En dépit des réserves que l'on peut émettre sur l'empilement, depuis une dizaine d'années, d'instruments internationaux à vocation pénale, le protocole contre la traite des personnes présente l'intérêt indiscutable de prendre en compte la nature désormais organisée et transnationale de ce trafic d'êtres humains, et d'ouvrir la voie à un renforcement et à une harmonisation des législations pénales, particulièrement dans les pays d'où agissent les réseaux criminels impliqués dans ces activités.
Il est donc nécessaire que la France, qui a activement participé à l'élaboration du protocole et l'a signé dès les premiers jours, tout comme ses partenaires européens, puisse rapidement procéder à la ratification de ce texte.
Indispensable, ce renforcement des moyens juridiques doit aussi, pour donner des résultats efficaces, se doubler d'un effort beaucoup plus vigoureux sur les moyens matériels de répression de la traite des personnes, en particulier en faveur des services de police spécialisés, et sur la coopération policière et judiciaire européenne.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, vous demande en conséquence d'adopter le présent projet de loi.
EXAMEN EN COMMISSION
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné le présent rapport lors de sa séance du jeudi 7 février 2002.
A l'issue de l'exposé du rapporteur, M. Robert Del Picchia s'est interrogé sur la force contraignante du protocole.
M. Philippe de Gaulle a souligné le risque de voir les réseaux criminels agir plus facilement du fait de la libre circulation dans l'espace Schengen.
Mme Hélène Luc a demandé des précisions sur la date limite de signature du protocole. S'appuyant sur l'exemple du Val-de-Marne, elle s'est inquiétée de l'implantation de plus en plus forte de réseaux criminels organisés axés sur l'exploitation des personnes. Elle a notamment évoqué le cas de filières roumaines spécialisées dans l'exploitation de la mendicité. Elle a également souligné la nécessité de prendre en compte ce type de phénomènes en vue de l'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale à l'Union européenne.
M. Xavier de Villepin, président, s'est interrogé sur les caractéristiques des réseaux criminels organisés spécialisés dans la traite des personnes. Il a souligné la nécessité d'une prise de conscience plus forte sur ces questions, au plan national comme à l'échelle européenne.
En réponse à ces différentes interventions, M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur, a illustré, au travers de plusieurs exemples, le haut degré d'organisation et la diversité des méthodes des réseaux criminels, ainsi que leur force financière et leur capacité d'implantation. Rappelant que, par la corruption, ces réseaux parviennent à exercer une influence déterminante sur le pouvoir politique dans certains pays, il a souligné le risque de les voir s'installer durablement sur notre sol et d'y développer leurs ramifications dans les zones où l'autorité de l'Etat est la plus fragile.
S'agissant du protocole contre la traite des personnes, il a rappelé qu'il imposait aux Etats parties d'harmoniser leurs législations pénales en y incluant l'incrimination de la traite des personnes, la mise en oeuvre de ces dispositions étant examinée périodiquement lors d'une conférence des Etats parties. Il a précisé que 101 Etats avaient, à ce jour, signé le protocole, ouvert à la signature jusqu'au 12 décembre 2002, aucune échéance limite n'étant en revanche fixée pour la ratification.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur, a estimé qu'au-delà du nécessaire renforcement des législations pénales, la lutte contre les réseaux criminels impliqués dans la traite des personnes exigerait la mise en place de moyens matériels et humains plus importants et une meilleure coordination internationale.
A la suite de ce débat, la commission a émis un avis favorable à l'adoption du projet de loi.
PROJET DE LOI
(Texte présenté par le Gouvernement)
Article unique
Est autorisée la ratification du protocole additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, adopté à New York le 15 novembre 2000 et signé par la France le 12 décembre 2000, et dont le texte est annexé à la présente loi 7 ( * ) .
ANNEXE -
ETUDE D'IMPACT8
(
*
)
Etat du droit et situation de fait et leurs insuffisances
Au cours des dernières années, la traite des êtres humains par les groupes criminels organisés a connu un développement inquiétant. Selon le programme des Nations unies contre la traite des êtres humains, plus d'un million de femmes et d'enfants seraient chaque année victimes de la traite. La Commission européenne estime à 500 000 personnes le nombre des victimes d'un trafic en vue de l'exploitation sexuelle au sein de l'Union européenne.
Le principal instrument multilatéral sur la traite est la convention de 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui, à laquelle la France est partie mais qui n'a pas été ratifiée par la plupart de nos partenaires européens.
Le protocole contre la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, s'inscrit dans le prolongement de la convention de 1949 en la complétant utilement. Bien que plus spécifique dans son champ d'application, limité à la traite des personnes par les groupes criminels organisés, cet instrument est plus complet en ce qu'il comprend une définition universelle de la traite, des mesures de prévention, d'incrimination et de protection des victimes.
Bénéfices escomptés en matière :
d'emploi :
L'impact de ce protocole sur l'emploi est difficilement quantifiable.
financière :
Ce protocole pourrait avoir des incidences financières en cas d'application des dispositions facultatives d'assistance aux victimes contenues dans l'article 6 (fourniture aux victimes d'un logement convenable, d'une assistance médicale, psychologique et matérielle, de possibilités d'emploi, d'éducation et de formation).
En outre, la mise en oeuvre de certaines dispositions de la convention contre la criminalité transnationale organisée applicables à ce protocole pourrait avoir un impact financier. Il s'agit en particulier des articles 12 à 14 de la convention de Palerme relatifs à la saisie et à la confiscation des avoirs criminels, de ses articles 24 et 25 sur la protection des témoins et des victimes ou de son article 30 sur l'assistance technique.
d'intérêt général :
Ce protocole vise à améliorer la prévention et la répression de la traite des personnes par les groupes criminels organisés. A ce titre, il contribue au maintien de l'ordre et de la sécurité publics. De plus, en visant à faire disparaître les situations de violence et d'exclusion subies par les victimes de la traite, le plus souvent des femmes et des enfants, il permet de promouvoir le respect de la dignité de la personne humaine.
en matière de simplification des formalités administratives :
Néant.
en matière de complexité de l'ordonnancement juridique :
Ce texte oblige les Etats parties à prévoir dans leur droit pénal l'infraction de traite des personnes sur la base de différents éléments constitutifs.
Le code pénal français ne connaît pas d'infraction spécifique de « traite des personnes », bien que certaines incriminations comme le proxénétisme permettent de répondre partiellement à la définition donnée par le protocole. Une adaptation du droit pénal sera donc nécessaire.
Le protocole pourrait également conduire à l'adoption de dispositions en matière d'assistance et de protection des victimes.
* 1 Rapport de Mme Dinah DERICKE déposé le 31 janvier 2001- document Sénat n°209 (2000-2001).
* 2 Selon le rapport précité de la délégation du Sénat aux droits des femmes, ce trafic représenterait 15 à 20 milliards de francs, uniquement pour la France, dont 70% reviendrait aux proxénètes.
* 3 On peut notamment citer l'arrangement international de 1904 et la convention internationale de 1910 relatifs à la répression de la traite des blanches, amendés par le protocole approuvé des Nations Unies, le 13 décembre 1948, et les conventions internationales de 1921 pour la répression de la traite des femmes et des enfants et de 1933 pour la répression de la traite des femmes majeures, amendées par le protocole des Nations Unies, le 20 octobre 1947.
* 4 Convention de 1926 relative à l'esclavage, convention supplémentaire de 1956 relative à l'abolition de l'esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l'esclavage, conventions de l'Organisation internationale du travail de 1930 sur le travail forcé et de 1957 sur l'abolition du travail forcé
* 5 Aux Pays-Bas, une loi du 28 octobre 1999, dite " loi portant suppression de l'interdiction générale des établissements de prostitution " a supprimé l'infraction générale de proxénétisme (mais le proxénétisme par coercition et l'exploitation sexuelle des mineurs font l'objet d'une répression aggravée) et confié aux communes le contrôle de la prostitution. Dans ce système, les proxénètes, à condition de rester dans le cadre de la loi, sont considérés comme des " hommes d'affaires " comme les autres et les prostituées comme des " travailleuses du sexe " auxquelles des droits sociaux sont reconnus. Toutefois, le système ne s'applique qu'aux prostituées en règle au regard de la législation sur l'immigration.
* 6 Lorsque l'infraction a délibérément ou par négligence grave mis la vie de la victime en danger, lorsqu'elle a été commise par recours à des violences graves ou a causé un préjudice particulièrement grave à la victime, lorsqu'elle a été commise à l'encontre d'une personne particulièrement vulnérable (notamment les victimes n'ayant pas atteint l'âge de la majorité sexuelle) ou lorsqu'elle a été commise dans le cadre d'une organisation criminelle.
* 7 voir le texte annexé au document Sénat n° 118 (2001-2002).
* 8 Texte transmis par le Gouvernement pour l'information des parlementaires.