EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Dix mois après l'adoption par l'Assemblée nationale des projets de loi portant réforme des tribunaux de commerce, le 28 mars 2001, après déclaration d'urgence , le Gouvernement a décidé, après quelques hésitations, d'inscrire ces textes à l'ordre du jour du Sénat.
Cette réforme a été annoncée par le Gouvernement en octobre 1998 1 ( * ) à la suite de la publication en juillet 1998 de deux rapports respectivement élaborés par une commission d'enquête de l'Assemblée nationale 2 ( * ) et par les inspections générales des services judiciaires et des finances 3 ( * ) , qui ont porté une appréciation très sévère sur le fonctionnement de la justice commerciale, jugée « en faillite ».
Trois projets de loi ont donc été déposés simultanément au Parlement le 18 juillet 2000 afin de réformer la justice commerciale :
- un projet de loi portant réforme des tribunaux de commerce instituant la mixité , c'est-à-dire la collaboration de magistrats professionnels et de magistrats consulaires dans les formations de jugement des tribunaux de commerce appelées à statuer en matière de procédures collectives (dépôts de bilan, faillites, redressement et liquidation judiciaires) 4 ( * ) ;
- le présent projet de loi organique modifiant l'ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature et instituant le recrutement de conseillers de cour d'appel exerçant à titre temporaire 5 ( * ) , indissociable du projet de loi portant réforme des tribunaux de commerce en ce qu'il instaure la mixité au sein des cours d'appel , et permet ainsi aux anciens juges consulaires d'accéder aux fonctions de conseiller de cour d'appel à titre temporaire ;
- un projet de loi modifiant la loi n°85-99 du 25 janvier 1985 relative aux administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises et experts en diagnostic d'entreprise 6 ( * ) .
La participation des citoyens à l'exercice des fonctions juridictionnelles ne constitue pas une nouveauté. En effet, depuis 1970, ont été instituées plusieurs voies d'accès à la magistrature à titre temporaire. Ces nouveaux modes de recrutement ont toujours été justifiés par le souci de remédier au manque de moyens chronique dont souffrait la justice, et ont été destinés à remédier aux délais de jugement excessifs et à l'encombrement des juridictions. Tel n'est pas le cas aujourd'hui, bien que le constat d'une justice « débordée, paralysée, asphyxiée » dressé il y a cinq ans par la mission d'information de la commission des lois chargée d'évaluer les moyens de la justice 7 ( * ) demeure d'actualité.
En effet, la présence de conseillers exerçant à titre temporaire au sein des cours d'appel relève d'une logique différente, puisqu'elle est présentée par le Gouvernement comme « la réciprocité » de la mixité introduite dans les tribunaux de commerce .
Votre commission des Lois vous exposera sa position après avoir procédé à l'analyse du contexte juridique dans lequel s'inscrit l'examen de ce projet de loi organique et avoir rappelé les travaux de l'Assemblée nationale.
I. UNE RÉFORME MARGINALE ET PEU CONVAINCANTE
A la suite des récentes mises en cause des juridictions commerciales et des propositions du Gouvernement tendant à introduire la mixité dans les tribunaux de commerce, il a été décidé en contrepartie de permettre la participation d'anciens juges consulaires à l'activité des cours d'appel, qui occupent une place éminente au sein de la justice commerciale même si elles demeurent toutefois peu sollicitées.
A. UN PROJET DE LOI ORGANIQUE QUI S'INSCRIT DANS UN CONTEXTE DE MISE EN CAUSE DU FONCTIONNEMENT ACTUEL DE LA JUSTICE COMMERCIALE
1. Les critiques émises à l'encontre d'une justice jugée « défaillante et sans contrôle »8 ( * )
Le fonctionnement actuel des tribunaux de commerce a suscité de nombreuses critiques à la suite de deux rapports publiés en juillet 1998 par une commission d'enquête de l'Assemblée nationale « les tribunaux de commerce - une justice en faillite » et par les inspections générales des finances et des services judiciaires « rapport d'enquête sur l'organisation et le fonctionnement des tribunaux de commerce », ayant conclu à la nécessité de mener une réforme urgente 9 ( * ) .
Ces travaux ont fait ressortir qu'une « synergie » entre des magistrats professionnels dotés d'une meilleure qualification juridique et des juges consulaires ayant à la fois une solide connaissance et une expérience du monde économique s'avérait indispensable afin de remédier aux « défaillances » du fonctionnement de la justice commerciale constatées dans les deux rapports.
* 1 Annonce faite en Conseil des ministres le 14 octobre 1998.
* 2 Rapport A.N n°1038 - XI e législature - «Les tribunaux de commerce : une justice en faillite ? » Commission d'enquête sur l'activité et le fonctionnement des tribunaux de commerce (M. François Colcombet, président, M. Arnaud Montebourg, rapporteur).
* 3 A la suite de la publication du rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, le Garde des Sceaux, Mme Elisabeth Guigou, par une lettre de mission en date du 13 mai 1998, a chargé conjointement l'inspection générale des finances et l'inspection générale des services judiciaires de « diligenter » une enquête sur l'organisation et le fonctionnement des tribunaux de commerce.
* 4 Projet de loi A.N n°2545 - XI e législature.
* 5 Projet de loi organique A.N n°2546 - XI e législature.
* 6 Ce projet de loi (n°2544 A.N XI e législature) a été adopté par les députés le 29 mars 2001 et fait l'objet d'un rapport de notre excellent collègue Jean-Jacques Hyest.
* 7 Rapport Sénat n°49 (1996-1997)- « Quels moyens pour quelle justice ?» - Président M. Charles Jolibois, rapporteur M. Pierre Fauchon.
* 8 Rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'activité et le fonctionnement des tribunaux de commerce - « une justice en faillite » - publié le 3 juillet 1998 (A.N n°1038 - XI e législature - p. 94).
* 9 Voir II - B du rapport de M. Paul Girod sur le projet de loi portant réforme des tribunaux de commerce.