C. LES AXES DE CHANGEMENT SOUHAITABLES
Sans
proposer de faire table rase du passé, ni prétendre
détenir la vérité à aucun point de vue, votre
rapporteur juge indispensable de mener une réflexion avec tous les
acteurs concernés, sur les trois thèmes suivants :
- le statut des chercheurs ;
- la « gouvernance » de la recherche et la
répartition des tâches entre ses principales composantes ;
- son évolution.
1. Réexaminer le statut des chercheurs
a) L'échec de la loi de 1982
Le 4
novembre 1999, a eu lieu une conférence débat sur le bilan du
« modèle français » institué par la
loi d'orientation et de programmation du 15 juillet 1982 pour la recherche et
le développement technologique de la France (LOP).
Y participait notamment le directeur de l'OST, M. Rémi Barré,
récemment entendu par votre commission dans le cadre des travaux du
comité d'évaluation des politiques publiques sur la politique de
recrutement et la gestion des enseignants-chercheurs et des chercheurs.
Ont été rappelés à l'occasion de cette
réunion :
- les ambitions initiales de la LOP : priorité à la
recherche (
publique et privée
) pour sortir de la crise ;
- ses excellentes intentions, toujours actuelles : réponse à
la demande sociale, rajeunissement des équipes, mobilité (entre
les différents métiers de la recherche, les organismes, avec les
entreprises...) ;
- mais aussi ses lacunes et ses échecs : absence de prise en compte
de la recherche universitaire, d'implication des entreprises dans la formation
à et par la recherche, de progrès dans la mobilité, de
programmation budgétaire réelle, etc...
Imputant à une défaillance des acteurs et à un
problème de gouvernance les déceptions causées par
l'application de la loi, M. Barré :
- constatait son incapacité à permettre à la recherche
française de s'adapter de façon satisfaisante à
l'évolution de son environnement (marquée par l'avènement
d'une société de la connaissance plus exigeante vis-à-vis
des activités concernées et qui tend à les
contractualiser, à les banaliser, à promouvoir
l'interdisciplinarité) ;
- s'interrogeait sur le point de savoir s'il convient de refonder le
système français ou d'en bâtir un nouveau de type
anglo-saxon (tout mélange entre les deux étant à ses yeux
voué à l'échec).
Le statut des chercheurs de 1982 a offert la garantie à vie de l'emploi
en récompense aux chercheurs pour leur rôle social éminent
et a été rapproché, tout en tenant compte des
singularités de la recherche, de celui de la fonction publique, pour
favoriser la mobilité.
Or :
- l'immersion de la recherche dans une société de la connaissance
crée un nouveau contexte dans lequel cette activité s'apparente
moins à une sorte de sacerdoce faisant du chercheur « le
dépositaire d'une mission exigeant des conditions spécifiques de
travail et de statut » (cf. M. Barré).
- n'y a-t-il pas contradiction (M. Barré
ibid
) entre la place
limitée des contractuels dans la recherche publique et la
généralisation du contrat dans le monde (y compris dans les
programmes européens ou pour tout ce qui touche aux transferts ou
à la valorisation...) ?
b) Aller au-delà du défi du nombre
L'effort
d'anticipation dont témoignent les créations d'emplois depuis
2001 et le plan décennal de gestion prévisionnelle de l'emploi
scientifique présenté le 24 octobre, est louable.
Mais selon la très bonne expression de notre collègue Yves
Fréville
20(
*
)
, il est
nécessaire d'aller au-delà du défi du nombre.
Comment améliorer la mobilité des chercheurs ? Faut-il
placer tous les jeunes recrutés aujourd'hui par les organismes publics
sous le statut actuel de chercheur à vie et à temps complet ?
Le plan
décennal de l'emploi scientifique
prévoit un réexamen
dans trois ans de ses priorités scientifiques. Il se fixe, entre autres,
pour objectif de soutenir à long terme les disciplines émergentes
et de dégager une capacité de réaction suffisante face aux
évolutions de la science.
20 % des postes libérés par les départs à la
retraite seront dédiés aux redéploiements
interdisciplinaires de 2001 à 2010.
Mais les rigidités et les cloisonnements actuels, ne risquent-ils par de
réapparaître ensuite du fait du maintien du statut actuel de
chercheur « à vie » et de l'insuffisance des mesures
prévues pour accroître la mobilité des personnels de
recherche ?
Il est seulement question, en effet, dans ce plan d'augmenter les
capacités d'accueil réciproques concernant les échanges
entre universités et organismes de recherche. Mais ces
possibilités seront-elles pleinement utilisées ?
Il est à craindre que les mêmes causes produisent les mêmes
effets.
Est-il certain que les jeunes post-doctorants qui vont être
recrutés aspirent à une carrière de chercheur à vie
ou en soient nécessairement dignes ?
La quasi obligation de les titulariser ne freine-t-elle pas leur embauche ?
Selon la correspondante en France de la revue Nature
21(
*
)
il n'y a pas de politique
post-doctorale dans notre pays. L'absence d'étape intermédiaire
entre le doctorat et l'entrée dans la fonction publique décourage
l'emploi des jeunes diplômés et rigidifie notre système
(chaque organisme a tendance à fixer ses propres critères de
recrutement en perspective d'une intégration définitive, ce qui
entrave toute mobilité)
Ce manque de souplesse, selon la même personne, conduit certains
organismes a créer de facto leur propre programme post-doctoral qui
comporte une période d'essai préalable à l'embauche
(c.f ; Instituts Pasteur et Curie et programme Avenir de l'INSERM).
Ne convient-il pas dans ces conditions de réfléchir
à :
- des
critères de recrutement qui ne soient plus seulement académiques
mais fassent appel à des aptitudes qui peuvent être
appréciées dans le cadre d'activités autres que la
recherche (goût de la communication, esprit d'entreprise), en cas de
reconversion ultérieure vers d'autres métiers ?
- développer des passerelles vers l'enseignement et le privé en
concertation avec les universités et les entreprises, moyennant des
incitations fortes et spécifiques ?
- prévoir des contrats à durée déterminée
correspondant soit à des options de carrière courte soit à
une mise à l'essai des intéressés (en s'efforçant
de leur trouver un autre emploi s'ils ne sont pas titularisés) ?
- créer une obligation de mobilité (comme il en existe chez les
administrateurs civils) en cas d'intégration dans la fonction
publique ?
Ces éventuels changements n'affecteraient que les nouveaux chercheurs.
Rien ne serait changé au statut de ceux actuellement en fonction.
De même, il est envisagé actuellement au Japon, sans modifier le
statut des personnels fonctionnaires actuels, d'effectuer certaines nouvelles
embauches sur contrat à durée déterminée, dans le
cadre de projets précis. Plus de 30.000 chercheurs travaillent en
Grande-Bretagne sous ce régime.
2. Améliorer le pilotage de la recherche française et la répartition des tâches entre ses différentes composantes
a) La mise en oeuvre de la politique de la recherche au sein du gouvernement.
Il semble souhaitable à votre rapporteur :
- de
placer sous l'autorité d'un même ministre l'enseignement
supérieur et la recherche,
- éventuellement de créer auprès de lui , ou du Premier
ministre, une administration de mission, sur le modèle de la DATAR,
chargée de coordonner les différentes actions gouvernementales en
matière de recherche ;
- de séparer la fonction de conseil (aide à la décision)
de celles d'évaluation (suivi de son exécution), chacune
étant assurée par une seule structure ;
- d'envisager de regrouper le FNS et le FNRT au sein d'une agence
gouvernementale de moyens, transparente, dont l'efficacité des
interventions serait rigoureusement évaluée.
Par ailleurs, une synergie accrue avec les activités civiles, dans le
cadre des recherches dites « « duales », devrait
venir atténuer les effets de la baisse des crédits militaires,
qui paraît regrettable, notamment dans le domaine spatial.
Or le protocole de coopération signé en janvier dernier par les
ministères de la Défense et de la Recherche n'a donné,
pour le moment, aucun résultat
22(
*
)
.
- Enfin, l'amélioration de la gouvernance de la recherche
française passe, pour votre rapporteur, par une programmation des
très grands équipements (TGE) d'infrastructures qu'il a
réclamée, sans effet pour le moment, dans le rapport de
l'OPECST
23(
*
)
qu'il a
rédigé avec son collègue député Christian
Cuvilliez.
b) La répartition des tâches entre les différents acteurs
Il
importe de simplifier les structures de coordination et de valorisation de la
recherche.
La recherche de solutions tendant à simplifier notre système
pour en améliorer l'efficacité, oblige à s'interroger sur
la répartition des rôles entre le CNRS et, d'une part les
universités, d'autre part les organismes spécialisés.
Il paraît difficile de transformer le CNRS en agence de moyens, en le
cantonnant à la promotion de l'interdisciplinarité scientifique,
car on voit mal à qui transférer ses plus grosses unités
comme l'IN2P3 (physique nucléaire et corpusculaire) ou le
département des sciences physiques et mathématiques.
Faut-il, pour renforcer le potentiel de la recherche des universités,
placer certains de ses laboratoires, mixtes ou associés, sous
l'autorité de ces dernières ?
Cela supposerait de les doter par ailleurs d'une réelle autonomie et de
créer entre elles (notamment en matière de recrutements),
à la fois une émulation et des coopérations
24(
*
)
permettant l'émergence de
pôles d'excellence, de façon à éviter une dispersion
de moyens. Leur « standing » se rapprocherait ainsi celui
des grandes écoles.
Comment s'assurer par ailleurs que les activités, par exemple, des
départements des sciences de la vie ou des sciences de l'information et
de la communication du Centre national sont bien coordonnées avec celles
de l'INSERM et de l'INRIA et n'entraînent pas un gaspillage de deniers
publics ?
Concernant la valorisation, le système actuel, très foisonnant,
distingue des structures dites d'interface (qui ne jouent qu'un rôle
d'orientation et de conseil), de structures dites
« prestataires ».
Le rapport Guillaume précité de 1998 avait pourtant conclu que
« le dispositif de transfert et de diffusion de la technologie est
trop complexe » et prônait sa restructuration autour d'un
Centre national de la recherche technologique (inspiré du Fraunhoffer
allemand).
Mais rien n'a été simplifié, sous prétexte de
travailler « en réseau » et « près
du terrain ».
Dans le domaine des sciences de la vie, où les distinctions entre
recherche fondamentale, appliquée et technologique sont peu
marquées, les circuits de valorisation gagneraient à être
raccourcis. L'essentiel est pour les entreprises d'accéder directement
à des travaux de qualité.
Il s'agit d'un domaine où nos universités, ayant moins à
subir la concurrence des grandes écoles, sont susceptibles d'exceller
comme leurs consoeurs américaines.
Pour d'autres activités, il importe, au contraire de bien marquer la
transition entre la recherche amont et le développement, ce qui implique
de faire appel à des « technologues », qui manquent
à la France et dont l'importance n'est pas suffisamment reconnue.
3. Renforcer l'évaluation
Renforcer la capacité d'expertise et d'étude du ministère de la recherche pour éclairer ses décisions et en apprécier l'impact semble à votre rapporteur une priorité indiscutable.
a) Evaluation et conseil
Faut-il
confier à des instances différentes l'aide à la
décision et le suivi de son exécution ?
Cela semble garantir une plus grande objectivité de l'évaluation
ex pos
t mais cette distinction ne semble pas être toujours
nettement opérée à l'étranger (les conseils et les
agences de moyen font parfois les deux).
L'essentiel est que ces tâches soient effectuées par des personnes
indépendantes et compétentes.
En Grande-Bretagne, l'OST (Office of Science and Technology) conseille le
ministre responsable
25(
*
)
et
gère le budget de la recherche. Les activités de recherche sont
évaluées par les Research Councils spécialisés qui,
sauf le Medical Reseach Council
26(
*
)
, constituent des agences de moyens
distribuant des fonds publics.
Aux Etats-Unis, où il n'y a pas de ministère de la recherche,
l'Office For Science and Technology Policy (OSTP) conseille le Président
et la NSF,qui finance la recherche universitaire, accorde la plus grande
importance à l'évaluation
ex ante
et
ex post
des
programmes qu'elle soutient et à celle de ses propres activités
(il est fait appel à des experts extérieurs).
b) Contenu des évaluations
L'évaluation de l'ensemble de la politique de
recherche, aux
résultats de laquelle le Parlement doit naturellement pouvoir
accéder, doit reposer sur :
Des statistiques, suffisamment récentes, permettant des comparaisons
internationales (rassemblées en France par l'OST et le National Science
Board aux Etats-Unis) et constituant un « tableau de bord de la
recherche » (comme il en existe pour l'innovation) :
- des études interprétatives approfondies,
générales ou portant sur des domaines particuliers, à
caractère stratégique et critique.
L'analyse de l'environnement juridique et fiscal des activités de
recherche ne doit pas être négligée (problèmes de
propriété intellectuelle, d'application de la
réglementation des marchés publics, réforme du
crédit d'impôt recherche...).
Il faut parfois savoir dépenser plus pour dépenser mieux :
votre rapporteur estime que le développement de la capacité
gouvernementale d'évaluation de la recherche doit permettre d'optimiser
l'efficacité des dépenses dont elle fait l'objet.
Il souhaiterait, pour commencer, davantage de transparence budgétaire
(quel sera le coût de la résorption des emplois précaires
dans la recherche prévue par le plan décennal ? Quel est le
ratio ITA/chercheurs idéal pour les différentes
disciplines ?...).
*
* *
En
définitive, l'évolution, plutôt défavorable, du
montant des dépenses en faveur de la recherche française n'a pas
été compensée par un progrès de leur
efficacité.
Il n'y a pas eu d'amélioration des performances ni des structures de
notre recherche, si ce n'est en matière de création d'entreprises
innovantes, avec un décollage, tardif, du capital risque
français, et la loi de juillet 1999 qui, cependant, n'est toujours pas
intégralement applicable.
Par ailleurs, aucune réforme d'envergure n'a été
entreprise, malgré les recommandations des divers rapports sur la
recherche qui se sont succédé, à l'exception du plan
décennal de gestion prévisionnelle de l'emploi scientifique.
La perpétuation du statut de 1982 risque malheureusement d'en annuler,
à terme, une partie des effets en ce qui concerne la mobilité des
chercheurs.
Or, pendant ce temps, plusieurs des principaux pays de l'OCDE ont
accentué leur effort et réformé leurs structures (ou
prévu de le faire).