III. LE PROJET DE LOI DE FINANCEMENT : LE VIDE ET LA GESTICULATION

En raison du nouveau report des décisions, la partie relative à l'assurance vieillesse du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 mélange le vide , au-delà de quelques « mesurettes » techniques, et la gesticulation , symbolisée par le Fonds de réserve pour les retraites.

A. LA REVALORISATION DES PENSIONS : LES LIMITES DE LA POLITIQUE DES « COUPS DE POUCE »

L'article 26 du projet de loi procure un « coup de pouce » aux retraités, sans pour autant satisfaire leurs revendications, comme en attestent les réactions de leurs représentants, que votre rapporteur a reçus.

Cette politique des « coups de pouce » nuit profondément à la lisibilité de l'action publique.

1. Une forme de vide juridique

Dans le régime général et les régimes alignés, depuis 1987, les pensions liquidées sont indexées sur les prix. Entre 1987 et 1993, les dispositions fixant l'indexation étaient annuelles.

La loi du 22 juillet 1993 relative aux pensions de retraite et à la sauvegarde de la protection sociale a modifié les modalités de revalorisation des pensions. Le dispositif institué par cette loi comportait trois éléments :

- une revalorisation annuelle fixée en rapport avec l'indice d'évolution prévisionnelle des prix hors tabac ;

- un ajustement permettant de corriger un éventuel écart entre le taux prévisionnel et le taux réel d'évolution annuelle des prix ;

- une compensation positive ou négative pour les assurés titulaires, à la date de la revalorisation, d'un avantage vieillesse ou d'invalidité correspondant à l'écart constaté au titre de l'année précédente.

Or ce mécanisme mis en place en 1993 était provisoire et ne prenait effet en 1994 que pour une durée de cinq ans.

En septembre 1998 (loi de financement pour 1999), le Gouvernement n'a pas tranché entre l'indexation en vigueur -c'est-à-dire essentiellement fondée sur les prix- et une indexation fondée sur l'évolution des salaires -solution à laquelle la majorité actuelle s'était déclarée favorable lors de la campagne électorale précédant les élections législatives de 1997.

Le Gouvernement s'est rangé en réalité à une politique des « coups de pouce » confirmant sa gestion « conjoncturelle » du dossier des retraites .

Dans le projet de loi de financement pour 1999, l'exposé des motifs justifiait une prolongation des mécanismes provisoires « dans l'attente du diagnostic que doit établir le Commissaire général au plan en concertation avec les partenaires sociaux et portant sur la situation de l'ensemble des régimes de retraite ».

Dans le projet de loi de financement pour 2000, le Gouvernement avait reconduit ce mécanisme au motif que « l'élaboration d'une règle pérenne de revalorisation des pensions pour les années suivantes sera examinée dans le cadre de la concertation pour les retraites ».

Comme l'année dernière (loi de financement pour 2001), la méthode discrétionnaire du Gouvernement est reconduite sans autre commentaire ni référence à la définition à venir d'une règle pérenne.

2. Une mesure discrétionnaire

Comme en 2001, la revalorisation des pensions retenue par l'article 26 du projet de loi de financement de la sécurité sociale est de 2,2 %.

L'évolution en moyenne annuelle des prix à la consommation des ménages (hors tabac) est en prévision de 1,5 % (rapport économique social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2002).

Le rattrapage au titre de la sous-évaluation des prix en 2000 est de 0,4 %. L'évolution « neutre » des pensions en 2001 était donc de 1,9 %.

Le Gouvernement a choisi de majorer cet indice de 0,3 % au titre de la participation des retraités aux fruits de la croissance. Le coût de cette mesure pour le régime général est estimé à 1,3 milliard de francs, dont 1,1 milliard de francs pour la seule branche vieillesse.

Revalorisation des pensions

(en %)

1999

2000

2001

2002

Prix hors tabac estimés pour l'année N de la revalorisation (PLF N)

(1)

1,2

0,9

1,2

1,5

Prix hors tabac estimés pour l'année N-1 de la revalorisation (PLF N)

(2)

0,8

0,5

1,4

1,6

Prix hors tabac estimés pour l'année N-1 de la revalorisation (PLF N-1)

(3)

1,3

1,2

0,9

1,2

Ecart dans les prévisions dans les prix hors tabac entre les PLF et N-1

(4) = (2) - (3)

- 0,5

- 0,7

0,5

0,4

Revalorisation par application de la règle de rattrapage

(5) = (1) - (4)

0,2

1,7

1,9

Coup de pouce

(6)

0,3

0,5

0,3

Revalorisation au 1 er janvier N

(7) = (6) - (5)

1,2

0,5

2,2

2,2

Source : d'après le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale de septembre 2001, p. 127, actualisation commission des Affaires sociales du Sénat.

Cette revalorisation est sans nul doute économiquement possible aujourd'hui, dans un contexte caractérisé par une croissance forte des recettes et un rapport démographique favorable. D'aucuns trouveront d'ailleurs cette revalorisation insuffisante.

De fait, la branche vieillesse du régime général affiche un excédent tendanciel de plus de 9 milliards de francs pour 2002.

Mais le Gouvernement, en vertu de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, a choisi d'affecter les excédents de la CNAVTS au Fonds de réserve, fonds destiné selon lui à garantir l'avenir des retraites.

Votre rapporteur analyse longuement ci-après le mécanisme du Fonds de réserve.

Dans la logique même défendue par le Gouvernement, votre rapporteur observe qu'à ce stade tout « coup de pouce » aux retraites d'aujourd'hui, réduit d'autant les sommes mises en réserve pour « garantir l'avenir des retraites ».

Le coût cumulé des revalorisations de 2000, 2001 et 2002 sur les comptes du seul régime général serait de 41 milliards de francs en 2010 : en conséquence, l'effet des revalorisations, à cette même date, est bien de priver le Fonds de réserve de cette somme.

Effets des « coups de pouce » de 2000, 2001 et 2002
sur les comptes de la CNAV

(en millions de francs)

Coût

Coût cumulé

2000

958

958

2001

2.686

3.644

2002

3.739

7.383

2003

3.825

11.208

2004

3.918

15.126

2005

4.012

19.138

2006

4.151

23.289

2007

4.302

27.591

2008

4.457

32.049

2009

4.613

36.661

2010

4.772

41.433

Source : CNAV, réponse au questionnaire de votre rapporteur.

Cet arbitrage est-il fondé ? En l'absence de toute perspective de réforme, de toute indication sur l'ampleur de l'effort nécessaire et sur sa nature même, le Gouvernement ne peut répondre.

Aussi, cette revalorisation parfaitement acceptable, voire insuffisante, aujourd'hui, souffre pourtant d'un grief majeur : elle ne s'inscrit dans aucune politique permettant de garantir les pensions qui seront versées demain.

3. Une situation insatisfaisante

Votre rapporteur juge que cette situation n'est pas satisfaisante : elle n'assure aucune garantie aux retraités qui se voient chaque année soumis, pour leur revalorisation de pension, à l'arbitraire des décisions gouvernementales . Selon les années, le Gouvernement choisit d'appliquer un « coup de pouce » plus ou moins généreux.

La Cour des comptes, dans son rapport de septembre 2001, consacre à cette question un rapide développement : « L'impossibilité de prévoir exactement le taux de l'inflation un an à l'avance induit nécessairement que l'indexation des prestations sur le taux de l'inflation ne peut être, chaque année, qu'approximative. Plusieurs méthodes peuvent être mises en oeuvre pour réaliser ces approximations successives : l'important n'est pas toujours de perfectionner ces méthodes mais simplement de s'assurer que l'évolution à moyen terme des prestations ne dérive pas par rapport à l'inflation » 36 ( * ) .

Comme une note du secrétariat général du Conseil d'orientation des retraites, présentée lors de la réunion plénière du 4 septembre 2001, le précise : « les pensions liquidées évoluent en moyenne légèrement plus vite que les prix dans tous les régimes, mais sans que cette évolution puisse être formalisée et que la norme sociale intègre explicitement le principe d'une participation des retraités à la croissance » 37 ( * ) .

En outre, votre rapporteur rappelle que, si les pensions de retraite augmenteront de 2,2 %, les prestations familiales croîtront de 2,1 %. En gain de pouvoir d'achat, les retraites seront revalorisées de 0,3 % alors que les prestations familiales ne le seront pas. Il n'y a guère de raison pour que les familles soient désavantagées alors que leur branche génère des excédents considérables confisqués par le Gouvernement 38 ( * ) .

* 36 Rapport Cour des comptes sur la sécurité sociale, septembre 2001, p. 57.

* 37 Conseil d'orientation des retraites, réunion plénière du 4 septembre 2001, note introductive « Taux de remplacement et indexation des pensions ».

* 38 Cf. Rapport sur le Projet de loi de financement de la sécurité sociale 2002, Tome III, Famille.

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