AUDITION DE ME JACQUES COMBRET,
MEMBRE DU
CONSEIL SUPÉRIEUR DU NOTARIAT,
RAPPORTEUR DE LA COMMISSION
« DEMAIN LA FAMILLE »
DU 95E CONGRÈS DES
NOTAIRES DE FRANCE
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Me Jacques Combret a indiqué qu'il s'apprêtait à livrer, au nom des 7.800 notaires de France et de leurs 43.000 collaborateurs, le sentiment de juristes de proximité, dont la préoccupation était d'apporter aux familles la meilleure sécurité juridique dans la préparation ou le règlement de leur succession.
Évoquant les interventions précédentes, il s'est déclaré en accord avec le professeur Catala sur la nécessité d'une réforme globale des successions, avec Mme Hervé, présidente de la FAVEC, sur le fait qu'il fallait légiférer pour les « Français moyens », pour lesquels le patrimoine commun aux époux était de plus en plus important, avec Mme le professeur Dekeuwer-Défossez sur la complexité croissante des compositions familiales et des patrimoines et avec Mme Lebatard, au nom de l'UNAF, sur l'importance prioritaire devant être accordée au logement commun et sur l'impérieuse nécessité de développer l'information des Français dans le domaine du droit de la famille.
S'interrogeant en premier lieu sur la population pour laquelle il fallait légiférer, Me Jacques Combret a souligné qu'il importait de tenir compte des bouleversements intervenus dans le domaine de la famille :
- diminution du nombre des mariages (leur nombre étant revenu de 476.000 en 1972 à environ 280.000 au cours de la période 1996-1999 et étant passé à 300.000 en 2000, alors que la population avait augmenté de 9 millions d'habitants pendant la même période) ;
- augmentation du nombre de divorces (55.000 par an dans les années 70 pour 120.000 aujourd'hui, avec un taux de divorcialité passant de 12 divorces pour 100 mariages à environ 40 divorces pour 100 mariages) ;
- taux de divorcialité élevé dans les générations mariées après les années 70, accompagné d'une fréquence élevée des remariages (d'après l'INSEE, en 1996, sur 280.000 mariages, 70.083 concernaient un époux divorcé et 23.343, deux époux divorcés).
Me Jacques Combret a considéré qu'une réforme des droits du conjoint survivant devait être élaborée en pensant à la génération qui avait atteint la cinquantaine, plutôt qu'à la génération précédente, qui avait connu peu de divorces et peu de recompositions familiales, et avait attendu pendant 20 ans une réforme qui n'était jamais venue.
Il a souligné que la génération dont les successions étaient aujourd'hui réglées avait bénéficié du développement de l'information et avait majoritairement pris des dispositions testamentaires ou des donations entre époux (une étude réalisée par le notariat en 1999 avait fait apparaître que 79 déclarations de successions sur 100 contenaient une disposition en faveur du conjoint).
Indiquant que l'évolution rapide des compositions familiales avait pris le notariat de vitesse, ce dernier étant amené à conseiller des dispositions testamentaires de plus en plus complexes pour répondre aux situations les plus diverses, il a insisté sur le fait que toute réflexion sur une réforme des droits des conjoints survivants devait impérativement se projeter dans l'avenir.
Me Jacques Combret, évoquant ensuite les évolutions intervenues dans le patrimoine des familles, a souligné que ce patrimoine était de plus en plus commun et issu de ressources provenant des deux époux, la part des biens dits de famille devenant marginale et les femmes bénéficiant de leurs propres ressources financières.
S'agissant de la gestion du patrimoine, il a souligné que les Français avaient de plus en plus recours aux transmissions anticipées au travers des donations, des donations-partages et des placements en assurance-vie.
Il a enfin rappelé que le patrimoine moyen des Français avait une valeur inférieure à 1 million de francs et se composait dans la majorité des cas, pour l'essentiel, du logement et du mobilier.
Il a indiqué que la réforme devait être conçue en fonction de la situation familiale et patrimoniale de la majorité des Français.
Passant à l'analyse des propositions de loi en examen, Me Jacques Combret a tout d'abord récapitulé les points d'accord entre les deux propositions qui recueillaient également l'assentiment du notariat :
- la place du conjoint survivant face aux ascendants ordinaires et aux collatéraux privilégiés, le conjoint survivant héritant la totalité de la succession en l'absence de descendants ou de père et mère du défunt ;
- la place du conjoint survivant face aux ascendants privilégiés, le conjoint survivant héritant la moitié ou les trois quarts de la succession en toute propriété, suivant qu'il se trouverait face à deux ou un seul parent ;
- la jouissance du logement et du mobilier dans l'année suivant le décès en tant qu'effet direct du mariage ;
- le principe du droit au maintien dans le logement commun après cette période d'une année ;
- la suppression de l'inégalité de traitement des enfants adultérins.
Me Jacques Combret a ensuite listé les questions abordées spécifiquement dans chaque proposition de loi.
S'agissant de la proposition de loi de l'Assemblée nationale, il a jugé intéressants :
- la protection des ascendants ordinaires dans le besoin qui pourraient réclamer des aliments à la succession lorsque le conjoint hériterait de droits en toute propriété. Il a cependant jugé que la rédaction adoptée en la matière était contestable ;
- l'octroi au conjoint survivant d'un droit d'usage et d'habitation sur le logement et le mobilier évalué à 60 % de la valeur de l'usufruit, pouvant être convertie en rente viagère ou en capital par accord entre les parties ;
- la refonte de l'article 207-1 du code civil relatif aux aliments dus par la succession à l'époux survivant dans le besoin, sa rédaction étant cependant problématique.
Il s'est en revanche déclaré défavorable à la création par la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale d'une réserve héréditaire au profit du conjoint survivant.
S'agissant de la proposition de loi de M. Nicolas About, Me Jacques Combret a considéré que l'attribution préférentielle en usufruit du logement à côté de l'attribution préférentielle en propriété pourrait être une alternative envisageable. Il s'est déclaré favorable à la modification de l'article 1527 du code civil permettant d'étendre le bénéfice de l'action en retranchement à tous les enfants qui ne sont pas issus du mariage. Il s'est en revanche déclaré opposé à l'idée d'exiger qu'un époux informe l'autre en cas de révocation d'une donation. Il a souligné que la disposition prévoyant l'annulation des avantages matrimoniaux en cas de divorce et de séparation de corps devrait être harmonisée avec les textes relatifs au divorce figurant aux articles 267 et suivants du code civil.
Il a constaté que, sans surprise, les propositions de loi divergeaient totalement s'agissant des droits du conjoint survivant face aux descendants, soulignant que cette question était en tout état de cause très controversée et qu'il reviendrait en définitive au législateur de trancher.
Rappelant que, dans ce cas, la proposition de loi de M. Nicolas About optait pour l'attribution au conjoint survivant de l'usufruit universel en laissant la possibilité à chaque enfant d'exiger sa part réservataire en pleine propriété en échange de l'abandon de ses droits dans la quotité disponible, il a donné sa préférence à la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale faisant le choix, d'une manière simple et claire, de l'attribution au conjoint du quart des biens en propriété et d'un droit au logement et au mobilier le garnissant.
Il a en effet considéré que, dans cette dernière hypothèse, le conjoint survivant aurait le plus souvent de facto la jouissance totale de la succession, dans la mesure où le patrimoine ne se compose, dans la majorité des cas, que du logement et du mobilier. Il a en outre estimé que l'option laissée à chaque héritier réservataire par la proposition de M. Nicolas About semblait très compliquée à mettre en oeuvre, voire impossible en présence d'enfants mineurs.
Il a ensuite émis, sur chaque proposition de loi, quelques critiques sur le plan technique.
S'agissant de la proposition de loi de l'Assemblée nationale, il a rejoint le professeur Catala en regrettant :
- l'emploi du terme « la succession » au lieu de l'expression « les biens existants », considérant qu'il ne convenait pas que les conjoints puissent exercer les droits sur des biens déjà donnés aux enfants par le conjoint prédécédé ;
- la possibilité pour un époux de retirer à son conjoint le droit à son logement par testament authentique. Il a considéré que ce droit ne devrait être retiré à un époux que dans le cas où il aurait gravement manqué à ses devoirs envers son conjoint, et par décision judiciaire ;
- l'instauration d'une réserve héréditaire quand le conjoint ne concourt avec aucun ascendant ou descendant. Il a considéré que si le législateur devait malgré tout maintenir une telle position, il faudrait à tout le moins prévoir qu'un tel droit disparaisse dès lors qu'une action en séparation de corps ou en divorce serait intentée ;
- le délai trop bref pour réclamer les aliments à la succession, une prolongation de ce délai jusqu'à l'achèvement du partage étant préférable.
S'agissant de la proposition de loi de M. Nicolas About, il a considéré que la complexité de la solution proposée permettant à chaque enfant d'exiger sa part réservataire en pleine propriété avait pour avantage de démontrer que l'usufruit universel n'était pas satisfaisant. Il a souligné que la proposition de loi ne réglait pas le risque de conflit entre un enfant qui réclamerait sa part en toute propriété et un conjoint qui voudrait une attribution du logement en usufruit.
En conclusion, citant le rapport rédigé pour le Congrès national des notaires en 1999, Me Jacques Combret a plaidé pour que la réforme ne soit pas limitée aux seuls droits du conjoint survivant, mais qu'elle s'applique à l'ensemble du droit successoral. Il a rappelé qu'une réforme globale avait fait l'objet de deux projets de loi élaborés sous des majorités politiques différentes et qu'elle recueillait l'aval de toutes les parties concernées. Il a considéré que la modernisation du droit des successions était nécessaire pour limiter les contentieux et apaiser les conflits, même s'ils étaient moins nombreux qu'on ne le disait parfois, avant que puisse être abordée la réforme du droit des libéralités rendue indispensable par l'évolution des situations familiales.
En réponse à M. Nicolas About, rapporteur, il a confirmé que les propositions de réforme des successions effectuées par les notaires et par les universitaires étaient en tous points comparables, sauf sur la question des droits du conjoint survivant. Il a considéré que le droit au logement articulé avec un quart des biens en propriété devrait suffire pour régler la situation des Français moyens et il s'est prononcé en faveur de l'intangibilité de ce droit au logement. Il a enfin considéré qu'il ne convenait pas, dans les règles de la dévolution légale, d'établir des distinctions entre les différentes situations familiales, non plus qu'en raison de l'origine du patrimoine, selon que les biens sont propres ou communs aux époux. Il a plaidé pour l'adoption d'une règle générale simple laissant à la liberté testamentaire le soin de régler les situations particulières.