ANNEXE
AUDITIONS DE LA COMMISSION DES
LOIS
DU MERCREDI 30 MAI 2001
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AUDITION DE M. PIERRE
CATALA,
PROFESSEUR ÉMÉRITE DE L'UNIVERSITÉ DE
PARIS II
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M. Jacques Larché, président, a tout d'abord observé que ces auditions publiques marquaient l'intérêt de la commission pour cette question et permettraient de faire progresser la réflexion sur un problème difficile. Il a souligné que le Gouvernement avait depuis longtemps annoncé une réforme globale du droit de la famille, mais qu'aucun texte correspondant à cette définition n'avait jusqu'à présent été soumis au Parlement. Il a indiqué que la commission des lois du Sénat y avait pour sa part marqué son attachement renouvelé en organisant, en 1998 et en 2000, des auditions publiques, respectivement consacrées à la réforme du droit de la famille et à l'actualité de la loi de 1975 sur le divorce. Il a observé que le Sénat avait en outre pris des initiatives, afin de faire évoluer certains aspects du droit de la famille, rappelant que la réforme de la prestation compensatoire était issue de propositions de loi sénatoriales émanant notamment de M. Nicolas About.
M. Pierre Catala, se référant aux travaux du groupe de travail animé par M. Jean Carbonnier dont il a rappelé le regret de n'avoir pu se rendre à l'invitation de la commission des lois, a tout d'abord souligné que le droit patrimonial de la famille n'était pas un accessoire du droit de la famille. Il a estimé qu'il contribuait à en assurer la solidité et la permanence. Il a rappelé que le droit patrimonial de la famille comportait d'une part, les règles relatives aux couples, à savoir les régimes matrimoniaux, d'autre part, les règles relatives à la lignée, à savoir les successions. Il a observé que les libéralités constituaient, quant à elles, une matière plus complexe, étant susceptibles de profiter au couple et à la lignée, mais aussi de compromettre les droits du couple comme ceux de la lignée.
M. Pierre Catala a ensuite fait valoir que les régimes matrimoniaux avaient fait l'objet de deux réformes très importantes, en 1965 et 1985, réformes caractérisées par l'égalité de l'homme et de la femme et par la recherche de la souplesse de la charte matrimoniale, grâce notamment à la mutabilité des régimes matrimoniaux et au développement des contrats ordinaires entre époux. Il a estimé que ces réformes avaient été des succès et que les régimes matrimoniaux ne suscitaient que peu de conflits.
M. Pierre Catala a indiqué que le régime des successions n'avait fait l'objet, pour sa part, que d'ajustements depuis 1938 et que de nombreuses règles datant de 1804 demeuraient encore en vigueur. Il a fait valoir que ce régime comportait de multiples imperfections et lacunes souvent dénoncées, notamment par plusieurs Congrès des notaires. Il a rappelé que le régime des successions comportait trois volets, à savoir la dévolution, la transmission et le partage et s'est déclaré convaincu que chacun de ces volets appelait une rénovation, même si la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale était consacrée à la dévolution.
M. Pierre Catala a estimé que les règles relatives à la dévolution soulevaient deux problèmes essentiels : d'une part, les droits de l'enfant adultérin, d'autre part les droits du conjoint survivant. A propos des enfants adultérins, il a observé que la Cour européenne des droits de l'homme avait interdit toute discrimination à l'encontre de ces enfants et que des juridictions françaises écartaient désormais l'application de l'article 760 du code civil pour tenir compte de cette jurisprudence. Il a estimé que cette situation posait la question de la supériorité générale et absolue des décisions d'une juridiction supranationale sur les choix des législateurs nationaux. Il a toutefois constaté que le législateur français ne pouvait que s'incliner et a indiqué que l'Assemblée nationale proposait d'abroger les dispositions de la loi de 1972 qui prévoyaient des règles discriminatoires à l'égard des enfants adultérins.
Abordant la question des droits du conjoint survivant, M. Pierre Catala a rappelé que, dans cinq cas sur six, le conjoint survivant était une femme. Il a estimé qu'il existait pour l'essentiel trois catégories de veuves :
- les femmes devenant veuves entre 60 et 70 ans, ayant une espérance de vie d'environ dix années après le décès de leur époux et bénéficiant de leur retraite ou d'une pension de réversion ; ces veuves sont des « passants » dans la succession et leur attribuer des biens en pleine propriété a notamment pour effet d'entraîner une double taxation de ces biens à l'occasion du décès de chacun des conjoints ;
- les veuves très jeunes, ne bénéficiant pas de pension au décès de leur époux et ayant de jeunes enfants à charge ; ces femmes, souvent en grande difficulté, doivent se voir reconnaître un maximum de pouvoirs dans la gestion de la succession ;
- enfin, les veuves épousées en deuxième ou troisième noces, confrontées aux enfants d'un premier lit, parfois de même âge qu'elles ; dans un tel cas, l'attribution de biens en propriété paraît le seul moyen de régler définitivement les liens matériels entre ces femmes et les enfants du premier lit et d'éviter que les enfants ne se trouvent nus-propriétaires à perpétuité.
M. Pierre Catala a estimé que la première catégorie de veuves était numériquement la plus importante et que le législateur aurait bien travaillé s'il parvenait à dégager une solution pour cette catégorie. Il a indiqué qu'en tout état de cause aucun régime ab intestat ne serait parfait et que des actes de prévoyance étaient préférables. Il a souligné que les options retenues actuellement par les couples procédant à une donation au dernier vivant apportaient des informations intéressantes au législateur. Il a rappelé que la donation au dernier vivant permettrait l'attribution de la quotité disponible ordinaire ou celle d'une quotité disponible spéciale pouvant consister dans la totalité de l'usufruit ou dans le quart des biens en propriété et les trois quarts des biens en usufruit. Il a souligné que le recensement de ces actes de donation avait été accompli à plusieurs reprises et qu'il laissait apparaître une préférence massive pour la totalité de l'usufruit.
M. Pierre Catala, rappelant que la Grande-Bretagne avait rapproché la loi successorale du testament dominant, a indiqué que les informations tirées des donations au dernier vivant devaient conduire le législateur à maintenir une option entre des droits d'usufruit et des droits de propriété. Il a observé que les droits de propriété avaient le mérite de la simplicité, puisqu'ils rompaient les liens matériels entre les héritiers. Il a toutefois souligné que cette solution maintenait les héritiers en indivision, que chacun d'entre eux pouvait à tout moment sortir de l'indivision et que, si le bien n'était pas partageable, il fallait recourir à une licitation pouvant être très défavorable au conjoint survivant. Il a en outre observé que les biens accordés au conjoint en pleine propriété subissaient une seconde taxation au décès de celui-ci.
M. Pierre Catala a fait valoir que l'usufruit permettait à la famille par le sang de conserver la propriété, qu'il pouvait être plus étendu en assiette que les droits en propriété, qu'il permettait un paiement différé des droits de succession, ce qui pouvait être important pour une veuve encore jeune. Il a estimé qu'en présence d'enfants et de descendants, il était souhaitable de maintenir l'option entre droits de propriété et droits d'usufruit pour le conjoint survivant. Il a toutefois noté que l'Assemblée nationale avait prévu, quant à elle, que le survivant recueillerait le quart des biens en propriété. Il a noté qu'une erreur sérieuse entachait le texte de l'Assemblée nationale et qu'il convenait à tout le moins d'évoquer le quart des biens existants au décès et non le quart de la masse successorale.
M. Pierre Catala a regretté que l'Assemblée nationale n'ait pas prévu en tout état de cause un droit intangible pour le conjoint survivant à ne pas être expulsé de son logement, choisissant de laisser cette possibilité à la discrétion du conjoint prémourant. Il a estimé insolite et dangereuse la réserve introduite par l'Assemblée nationale dans le cas où un défunt ne laisse pas d'héritier proche, observant que l'Assemblée nationale prévoyait par ailleurs une protection moindre en présence d'héritiers proches.
M. Pierre Catala a alors souligné qu'il existait un écart important entre le nombre de décès et le nombre de déclarations de succession. Il en a déduit que la grande majorité des successions n'étaient ni déclarées au ministère de l'économie ni soumises à un notaire, mais qu'elles posaient parfois des problèmes très douloureux d'accès à la succession.
Il a estimé regrettable que la réforme des trois volets du droit des successions, déjà examinée par deux fois en Conseil des ministres et appelée de ses voeux par le notariat, n'ait pu aboutir. Il a considéré que le Sénat disposait d'une belle occasion d'améliorer un texte important. Il a conclu en faisant valoir qu'une grande loi était possible.
M. Nicolas About, rapporteur, a interrogé M. Pierre Catala sur la situation du conjoint survivant en l'absence de descendants ou d'ascendants du défunt. Il s'est demandé s'il fallait, dans un tel cas, éliminer purement et simplement de la succession la famille par le sang. Il a en outre demandé s'il était opportun de réformer l'ensemble du droit des successions plutôt que de s'en tenir aux seuls droits du conjoint survivant.
M. Pierre Catala a rappelé que la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale, en cas d'absence de descendants, ne prévoyait un partage qu'entre le conjoint et les parents du défunt. Il a indiqué qu'un problème se posait en l'absence de descendants comme d'ascendants et a rappelé que le professeur Carbonnier et lui-même avaient proposé que le conjoint opte soit pour l'attribution de la totalité des biens en usufruit, soit pour l'attribution de la moitié des biens en pleine propriété. Il a fait valoir que cette solution avait été retenue dans le projet de loi présenté par M. Pierre Méhaignerie lorsqu'il était garde des sceaux, mais qu'elle avait été écartée par les travaux respectifs de Mme Irène Théry, de Mme Françoise Dekeuwer-Defossez et du Congrès des notaires de 1999, qui avaient préconisé tous trois d'écarter de la succession la famille par le sang.
M. Pierre Catala a ensuite souhaité que le cadre de la réforme soit élargi, afin que certains archaïsmes du droit des successions disparaissent. Il a cité la théorie des co-mourants, qu'il a qualifiée de fossile, ainsi que le privilège de double lien dans les successions collatérales. Il a en outre estimé que le notaire devrait se voir accorder un mandat légal, de manière à pouvoir gérer la succession, notamment en réglant les dettes sans entraîner d'acceptation tacite.
Il s'est prononcé pour la mise en place d'un mécanisme contraignant les héritiers taisants à se prononcer avec une clause de renonciation en cas de refus d'opter. Il a également souligné que le régime des successions non déclarées avait été élaboré sous le régime de Vichy à la suite des déportations et qu'il méritait d'être revu. Tout en observant qu'elle relevait du décret, il s'est prononcé pour une réforme du partage judiciaire renforçant le rôle du juge commissaire. Il a enfin souhaité que les rescisions en cas de lésion ne conduisent plus systématiquement à l'annulation du partage, mais plutôt à une juste indemnisation de la personne lésée.
M. Patrice Gélard a indiqué que, dans la région dont il était l'élu, la Normandie, les habitants étaient très attachés à la transmission du patrimoine dans la famille par le sang. Il a en outre observé que, dans les successions, il existait des biens à caractère sentimental dont on pouvait souhaiter qu'ils demeurent dans la famille de sang du défunt. Il a demandé quelle solution pourrait être trouvée à ce problème dans le cas de couples sans enfant.
M. Pierre Catala a indiqué que le pouvoir législatif disposait de moyens pour régler ces situations. Il a en outre observé qu'une fois la réforme des successions opérée, il conviendrait de réaliser la réforme la plus importante, celle des libéralités, qui pourrait elle aussi permettre de résoudre des situations telles que celle évoquée par M. Patrice Gélard. Il a estimé que la réforme des libéralités pourrait rendre inutile la fiducie en matière civile.
M. Jacques Larché, président, a souligné qu'il conviendrait, dans le cadre de la réforme des successions, de s'interroger sur la fiscalité. Il a observé que certains patrimoines, déjà taxés lors de leur constitution, l'étaient ensuite dans le cadre de l'impôt de solidarité sur la fortune et qu'une nouvelle taxation importante au moment du décès pouvait susciter certaines interrogations.
M. Patrice Gélard a fait remarquer que les seuils d'exonération pour l'application des droits de succession n'avaient pas été réactualisés depuis les années d'après-guerre.