Section 2
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Droit à l'information des représentants du personnel

Art. 32
(art. L. 431-5-1 nouveau du code du travail)
Information du comité d'entreprise à l'occasion
d'une annonce publique du chef d'entreprise
concernant la stratégie de l'entreprise et l'emploi

Objet : Cet article vise à étendre le droit d'information du comité d'entreprise aux annonces publiques du chef d'entreprise en distinguant selon qu'elles concernent la stratégie générale ou des mesures pouvant avoir plus particulièrement des conséquences sur l'emploi et les conditions de travail.

I - Le dispositif proposé

Comme le souligne M. Gérard Terrier, rapporteur de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale : " les dispositions actuellement en vigueur en matière de consultation et d'information du comité d'entreprise sont (...) loin d'être négligeables ; elles paraissent de nature à permettre au comité d'entreprise de jouer un véritable rôle (...) en amont de la prise de décision " 71 ( * ) .

On ne peut que souscrire à ce propos du rapporteur de l'Assemblée nationale que confirment les dispositions prévues par le code du travail.

Le rôle du comité d'entreprise est précisé par le premier alinéa de l'article L. 431-4 du code du travail.

Il " a pour objet d'assurer une expression collective des salariés, permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l'évolution économique et financière de l'entreprise, à l'organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production ".

Le droit d'information du comité d'entreprise concernant les décisions de restructuration de l'entreprise constitue donc déjà une réalité.

A cet égard, les deux premiers alinéas de l'article L. 432-1 du code du travail méritent d'être cités. Ils disposent que :

" Dans l'ordre économique, le comité d'entreprise est obligatoirement informé et consulté sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise et, notamment, sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail, les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelle du personnel.

" Le comité d'entreprise est obligatoirement saisi en temps utile des projets de compression des effectifs ; il émet un avis sur l'opération projetée et ses modalités d'application. Cet avis est transmis à l'autorité administrative compétente ".

Bien que le code du travail prévoie clairement le droit d'information du comité d'entreprise concernant l'ensemble des décisions ayant une incidence sur l'emploi, le Gouvernement a souhaité étendre cette compétence au cas particulier des annonces publiques du chef d'entreprise afin d'empêcher que les salariés apprennent par la presse l'existence de projets pouvant remettre en cause leur emploi ou leurs conditions de travail.

Le premier alinéa du texte proposé par le Gouvernement crée un nouvel article L. 431-5-1 dans le code du travail ayant pour objet d'étendre la compétence du comité d'entreprise aux annonces publiques réalisées par le chef d'entreprise.

Le deuxième alinéa de cet article prévoit ainsi que le comité d'entreprise pourra se réunir " de plein droit sur sa demande dans les quarante-huit heures suivant " une annonce publique du chef d'entreprise " de nature à affecter de façon importante les conditions de travail ou d'emploi des salariés ".

La dernière phrase du texte proposé pour le premier alinéa de cet article L. 431-5-1 nouveau dispose que l'employeur est tenu de fournir au comité toute information utile concernant cette annonce.

Alors que le deuxième alinéa de cet article instaurait une obligation d'information du comité d'entreprise a posteriori concernant les annonces publiques pouvant avoir des conséquences sur l'emploi et les conditions de travail, le troisième alinéa se veut plus contraignant puisqu'il prévoit une obligation d'information a priori dès lors que l'annonce publique évalue le nombre de suppressions d'emplois envisagées sur une période donnée.

Le quatrième alinéa dispose que, lorsque l'annonce publique affecte plusieurs entreprises, appartenant à un groupe au sein duquel a été créé un comité de groupe, les dispositions précédentes sont mises en oeuvre au niveau de ce comité.

Le dernier alinéa de cet article dispose que le chef d'entreprise qui méconnaît les dispositions précédentes est passible des peines prévues à l'article L. 483-1 relatif aux sanctions liées à la non-observation des dispositions sur l'entrave au fonctionnement normal du comité d'entreprise. Les peines prévues sont un an d'emprisonnement et une amende de 25.000 francs ou l'une ou l'autre de ces peines. Selon le dernier alinéa de l'article L. 483-1, en cas de récidive, l'emprisonnement peut être porté à deux ans et l'amende à 50.000 francs.

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a tout d'abord examiné deux amendements de suppression de cet article déposés, l'un par M. François Goulard et l'autre par M. Jean-Pierre Foucher.

M. François Goulard a justifié son amendement par le fait que " le droit positif actuel du travail (prévoyait déjà) l'information préalable du comité d'entreprise selon des modalités précises " 72 ( * ) . M. Jean-Pierre Foucher a estimé quant à lui que l'expression " annonce publique " était " assez floue " 73 ( * ) et pouvait constituer une source de contentieux.

L'Assemblée nationale n'a pas adopté ces deux amendements ; elle leur a préféré un amendement présenté par M. Gérard Terrier, rapporteur et M. Maxime Gremetz, rerédigeant les trois premiers alinéas de cet article en durcissant le dispositif, le rapporteur ayant considéré que " l'ensemble des dispositions introduites par l'article 32 (représentait) certes une avancée par rapport au droit actuel mais qu'il (convenait) d'aller plus loin " 74 ( * ) .

La nouvelle rédaction adoptée par l'Assemblée nationale prévoit ainsi que le chef d'entreprise ne peut procéder à une annonce publique dont les mesures de mise en oeuvre seraient de nature à affecter de façon importante les conditions de travail ou d'emploi des salariés, qu'après avoir informé le comité d'entreprise .

On remarque que, dans la précédente rédaction, ce type d'annonce n'ouvrait droit qu'à une information a posteriori. Cette information a posteriori du comité d'entreprise subsiste mais elle sera réservée -autre apport des auteurs de l'amendement- aux annonces portant exclusivement sur la stratégie économique de l'entreprise dont les mesures de mise en oeuvre ne sont pas de nature à affecter de façon importante les conditions de travail ou d'emploi des salariés.

Enfin, cet amendement prévoit que lorsque l'annonce publique affecte plusieurs entreprises appartenant à un groupe, les comités d'entreprise de chaque entreprise ainsi que le comité de groupe et, le cas échéant, le comité d'entreprise européen, devront être informés.

Mme Elisabeth Guigou a donné un avis favorable à cet amendement de rerédaction des trois premiers alinéas de cet article en estimant qu'il enrichissait " le texte du Gouvernement tout en préservant son équilibre, c'est-à-dire en maintenant l'exigence de confidentialité " 75 ( * ) .

III - La position de votre commission

Votre rapporteur partage le sentiment d'indignation provoqué par les récentes décisions annoncées par plusieurs grandes entreprises, notamment une entreprise britannique, relatives à des fermetures de sites et à la mise en oeuvre de plans sociaux.

Il désapprouve en particulier le non-respect dans certains cas de la législation relative au droit d'information des institutions représentatives du personnel et rappelle qu'il incombe à l'autorité judiciaire de dire le droit, d'établir les responsabilités et, le cas échéant, de prononcer des sanctions.

Pour autant, votre commission s'interroge sur le sens et l'apport de cet article.

Comme l'a reconnu Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'Emploi et de la solidarité, lors de son audition par votre commission, les dispositions prévues par cet article n'auraient eu aucun impact sur les décisions des entreprises concernées puisqu'elles concernent les annonces publiques du chef d'entreprise qui interviennent en amont de la prise de décision.

A cet égard, le texte adopté par l'Assemblée nationale n'apparaît pas très clair. L'expression " annonce publique " reste peu précise. La référence au " chef d'entreprise " constitue également une source d'interrogations. Alors que le droit des sociétés reconnaît les termes de " dirigeant " et de " représentant légal ", le droit du travail fait couramment référence à la notion de " chef d'entreprise " pour désigner l'employeur. Dans le cas présent, cette notion semble trop floue puisque les " annonces au public ", terme couramment employé en droit des sociétés, peuvent très bien être réalisées par d'autres dirigeants que le chef d'entreprise (le directeur financier par exemple) sans que l'on sache exactement le droit applicable dans ce cas.

Une autre difficulté d'interprétation concerne le droit reconnu au comité d'entreprise de se réunir " de plein droit sur sa demande dans les quarante-huit heures suivant ladite annonce ".

Cette disposition peut être interprétée de deux façons fort différentes. Elle signifie, soit que le comité d'entreprise dispose d'un délai de quarante-huit heures à l'issue de l'" annonce publique " pour demander de plein droit sa convocation, soit que l'employeur dispose de quarante-huit heures pour le réunir lorsqu'il en fait la demande à l'issue de l'annonce publique.

Dans le premier cas, le texte ne préciserait pas le délai imparti à l'employeur pour organiser effectivement la réunion du comité d'entreprise alors que dans le second cas, c'est le syndicat qui ne se verrait pas imposer de délai pour demander la convocation du comité d'entreprise à l'issue de l'annonce publique.

Les débats à l'Assemblée nationale ne permettent pas d'éclairer l'intention des auteurs de l'amendement ni même l'interprétation qu'en a fait le Gouvernement. Tout au plus peut-on relever que l'explication apportée par le rapporteur en commission laisserait penser qu'il privilégie la première interprétation 76 ( * ) . En tout état de cause, des précisions rédactionnelles apparaissent indispensables.

Outre les problèmes d'interprétation, il convient de souligner que cet article pose également des questions plus générales tenant en particulier à son application matérielle.

Concernant le droit d'information a posteriori suite à une annonce publique relative à la stratégie de l'entreprise, votre commission remarque que toute annonce du chef d'entreprise ayant, par nature, une dimension stratégique, cette disposition aurait pour conséquence d'instaurer un droit permanent d'information pour le comité d'entreprise à moins que les dirigeants d'entreprises renoncent à évoquer la situation de leur entreprise en public, ce qui est peu envisageable compte tenu des impératifs du droit boursier.

Le texte proposé pour le deuxième alinéa de ce nouvel article L. 431-5-1 pose quant à lui des problèmes d'une autre nature.

En reconnaissant un droit d'information préalable à toute annonce publique dont la mise en oeuvre est " de nature à affecter de façon importante les conditions de travail ou d'emploi des salariés ", il oblige l'entreprise à évoquer, et donc à préciser, des projets qui pourraient tout à fait ne jamais voir le jour.

Cette disposition pose en particulier un problème de confidentialité. Soit les représentants du personnel au comité d'entreprise sont astreints à un devoir absolu de confidentialité, ce qui réduit sensiblement l'intérêt de la disposition compte tenu du fait que le rôle des représentants du personnel consiste à informer leurs mandants, soit ils communiquent les informations dont ils viennent d'avoir connaissance, ce qui peut avoir des conséquences dommageables pour l'entreprise au regard des conditions de fonctionnement des marchés financiers.

L'ensemble de ces remarques a amené votre commission à adopter des amendements à cet article qui répondent à la fois à la nécessité de mieux informer les représentants du personnel des projets de l'entreprise et aux contraintes qui s'imposent au fonctionnement des entreprises.

Le premier amendement propose une nouvelle rédaction du texte proposé pour le premier alinéa de l'article L. 431-5-1 nouveau du code du travail.

Outre des précisions rédactionnelles indispensables, il substitue une procédure systématique de communication aux membres du comité d'entreprise des informations relatives à ladite annonce à la faculté reconnue au comité d'entreprise par le texte de l'Assemblée nationale de se réunir de plein droit dans les 48 heure. Ce dernier dispositif apparaît en fait particulièrement difficile à appliquer alors même qu'il ne présente pas le caractère d'automaticité de l'information que prévoit par contre l'amendement qui vous est proposé.

Le deuxième amendement substitue une procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise à l'issue d'une annonce au public concernant l'emploi à la procédure préalable d'information prévue par le texte adopté par l'Assemblée nationale. Cette dernière procédure ne présentait pas toutes les garanties notamment au regard des règles de confidentialité concernant les annonces au public (risque de délit d'initiés).

La rédaction que vous propose d'adopter votre commission à travers cet amendement constitue une réelle avancée de nature à " moraliser " les pratiques de certaines entreprises qui manquent manifestement de considération envers leurs salariés.

Enfin, plutôt qu'une succession de procédures d'information des différents comités d'entreprise (comité d'entreprise, comité de groupe, comité d'entreprise européen), telle que le prévoit le texte adopté par l'Assemblée nationale, un troisième amendement vous propose de revenir à la rédaction du projet de loi initial qui prévoyait que l'information du comité de groupe, lorsque celui-ci existait, se substituait à celle des différents comités d'entreprise.

Le comité de groupe n'étant pas compétent en matière de consultation, cet amendement limite le recours au comité de groupe à la procédure d'information concernant les annonces relatives à la modification substantielle de la stratégie.

Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi amendé.

* 71 Rapport n° 2809 de l'Assemblée nationale fait au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur le projet de loi de modernisation sociale, titre II " travail, emploi et formation professionnelle ", M. Gérard Terrier, rapport, p. 23

* 72 Rapport n° 2809 de l'Assemblée nationale fait au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur le projet de loi de modernisation sociale, titre II " travail, emploi et formation professionnelle ", M. Gérard Terrier, rapport p. 26.

* 73 Idem.

* 74 JO Débats Assemblée nationale - 2 ème séance du 11 janvier 2001, p. 275.

* 75 JO Débats AN - 2 ème séance du 11 janvier 2001, p. 276.

* 76 M. Gérard Terrier a déclaré (cf. p. 27 du rapport précité) que : " dans le premier cas, il est nécessaire d'organiser une réunion du comité d'entreprise dans les quarante-huit heures suivant l'annonce publique. "

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