EXAMENS EN COMMISSION
I. EXAMEN DES CRÉDITS DE LA SÉCURITÉ
Réunie le 22 novembre 2000, sous la présidence de M. Bernard Angels, vice-président, la commission a procédé, sur le rapport de M. André Vallet, rapporteur spécial, à l'examen des crédits de l'intérieur et de la décentralisation - sécurité.
M. André Vallet, rapporteur spécial, a tout d'abord rappelé que la sécurité avait été élevée au rang de seconde priorité du gouvernement, puisqu'il s'agit d'une préoccupation quotidienne et majeure de nos concitoyens, méritant l'attention particulière des responsables de la Nation.
Il a indiqué que les crédits du ministère de l'intérieur, en dehors des collectivités territoriales, devraient augmenter de 4,4 % en 2001, à 59,28 milliards de francs ; en ôtant les effets de structure, le budget passe à 56,05 milliards de francs, en hausse de 2,3 %, l'administration générale et territoriale en représentant 43 % et la sécurité (police et sécurité civile), 57 %.
Il a noté qu'il s'agissait essentiellement d'un budget de fonctionnement avec 96,7 % de dépenses ordinaires contre 3,3 % de dépenses en capital, et qu'à elles seules, les dépenses de personnel monopolisent les quatre cinquièmes des moyens. Il a expliqué que le ministère disposera de 164.517 emplois, soit 1.001 de moins qu'en 2000, les trois quarts du personnels étant employés par la police nationale, qui bénéficie de surcroît de 20.000 adjoints de sécurité.
Il a aussi rappelé que le ministère de l'intérieur avait insisté cette année sur la marge de manoeuvre de 910 millions de francs de moyens supplémentaires dégagée dans le projet de budget pour 2001, affectés à la police de proximité, à l'achat d'hélicoptères pour la sécurité civile, à des revalorisations indemnitaires et à un effort informatique.
M. André Vallet, rapporteur spécial, a souhaité présenter très rapidement les quatre agrégats :
- l'administration territoriale bénéficie de plus de 7 milliards de francs et de 580 millions de francs supplémentaires, dont la plupart sont des mesures de transfert de personnel et de cotisations sociales ; hors transferts, les préfectures bénéficieront seulement d'un effort d'amélioration de leur réseau informatique ; le mouvement de globalisation des crédits préfectoraux s'accentuera avec 14 préfectures globalisées en 2001 ;
- la sécurité civile présente une forte hausse apparente de ses crédits avec 1,6 milliard de francs, soit + 15,8 % ; mais quand on retranche les transferts de cotisations sociales, la professionnalisation des unités, les hélicoptères attendus depuis des années et la revalorisation indemnitaire des pilotes, la sécurité civile ne bénéficiera, en 2001, d'aucun crédit supplémentaire pour ses actions et son fonctionnement ;
- pour la police nationale, les effectifs budgétaires augmentent de plus de 700 emplois, mais les effectifs réels diminuent en fait de près de 1.300 en raison de la suppression des 2.000 policiers auxiliaires ; les crédits de fonctionnement augmentent mais ils vont tous à la police de proximité ; les dépenses informatiques augmentent mais le réseau Acropol prendra encore du retard ; plusieurs grosses opérations immobilières seront lancées, mais les crédits de paiement diminuent ;
- enfin, l'administration générale voit ses crédits augmenter de 1,6 milliard de francs en raison de la hausse de 1,2 milliard de francs des dépenses d'élections ; les 400 millions de francs restants sont justifiés par des mesures de transferts de cotisations sociales et de crédits de pensions ; parallèlement, les effectifs de l'administration diminuent pour la septième année consécutive, baisse accentuée par la mise à disposition de 10 % des effectifs au profit d'autres institutions.
Puis M. André Vallet, rapporteur spécial, a formulé huit observations.
Il a d'abord constaté que la politique de globalisation des crédits du ministère lui permet plus de souplesse et d'efficacité dans l'utilisation des sommes, mais se traduit aussi par une autorisation parlementaire biaisée : impossible de savoir l'évolution de tous les postes de fonctionnement et de dépenses informatiques, car le directeur de cabinet du ministre fait sa propre répartition, qui n'a rien à voir avec celle du bleu, en janvier 2001. Il a ainsi estimé " ridicule " de savoir que la préfecture du Finistère dépensera 646 francs pour certaines indemnités, et de ne pas savoir précisément ce que la police fera des 4 milliards de francs qui lui seront attribués pour son fonctionnement.
S'agissant de la politique immobilière, M. André Vallet, rapporteur spécial, a souligné qu'elle consistait d'abord en la réalisation de grosses opérations se chiffrant en plusieurs centaines de millions de francs, et ensuite à voir ce qu'il reste pour les petites opérations, alors que le parc immobilier des sous-préfectures et des commissariats se dégrade.
Il s'est inquiété, après une l'année 2000 marquée par les drames et l'accroissement des charges et des attentes en matière de sécurité civile, que le budget ne prévoie rien pour la sécurité civile en 2001 en dehors de mesures indemnitaires pour les pilotes de Canadair, de l'achat d'hélicoptères prévu de longue date et des crédits nécessaires à la professionnalisation des armées. Il a mis en lumière la diminution des moyens de fonctionnement alors même qu'il faut reconstituer les stocks, réorganiser les états-majors, etc. Il en a conclu que la sécurité civile n'est pas une priorité du Gouvernement, ce qui ne peut qu'étonner après les 14 pompiers morts dans les feux de forêts, les 92 victimes des tempêtes, celles des inondations, les côtes de l'Atlantique souillées par l'Erika, etc.
Abordant la question de la réforme des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), il a expliqué qu'elle attendra encore un an, le Gouvernement promettant un projet de loi à la fin de l'année 2001, faisant ainsi perdurer les problèmes bien connus des élus locaux : financement, cohabitation difficile entre volontaires et professionnels, inégalités entre communes.
Sur la police nationale, M. André Vallet, rapporteur spécial, a montré le paradoxe entre les emplois budgétaires qui augmentent de 700 et le nombre de policiers sur le terrain qui diminue en raison de la suppression de 2.000 postes de policier auxiliaire. Il s'est fait l'écho d'un malaise croissant chez les personnels : les tâches indues demeurent lourdes, les réformes passent mal, Acropol ne satisfait pas toujours les personnels, un choc de générations risque de se créer entre jeunes et anciens. Il a développé la question des rapports avec la justice : magistrats ne se déplaçant jamais dans les commissariats, notant des officiers de police judiciaire sans les connaître, ayant une conception assez distante de la notion de " permanence ", faisant preuve de légèreté dans le traitement quasi-automatique de certaines affaires sans se soucier des conséquences qu'il peut avoir pour les fonctionnaires de police confrontés, par exemple, à des victimes voyant partir leur agresseur avant même qu'elles aient fini leur déposition, etc.
Il s'est aussi interrogé sur le sentiment d'insécurité. Faute d'outil de mesure détaillé, puisque l'appareil statistique n'a pas évolué malgré les réformes profondes de la police nationale, il a dit qu'il était délicat de s'appuyer sur des preuves certaines. Il a exprimé sa conviction que l'impression d'un retournement notable de la tendance ne prévaut pas, les Français ne se sentant globalement pas plus en sécurité qu'il y a un an ou deux.
Il a énuméré quelques problèmes inquiétants qui persistent dans la police comme le renouvellement du parc automobile, les logements sociaux des policiers, la lenteur et problèmes techniques de mise en place d'Acropol, ou l'état de l'informatique de contrôle des aéroports et de la brigade des chemins de fer. Il a aussi indiqué que la modernité de certains hôtels de police, le brillant des vélos tout terrain, le clinquant des policiers en patins à roulettes, ne devaient pas cacher que la paupérisation existe dans de nombreux postes de police qui, n'ayant pas encore basculé dans la police de proximité, ont le sentiment désagréable de l'oubli et du délaissement.
Enfin, il s'est étonné du silence de ce projet de budget sur des points essentiels : les contrats locaux de sécurité, la Corse, la mise en place de la loi sur la présomption d'innocence dont le coût sera supérieur à 70 millions de francs, la coordination avec la gendarmerie et la question du découpage géographique des interventions de chacun.
En conclusion, M. André Vallet, rapporteur spécial, a estimé que ce budget n'était pas transparent, puisque le ministère reconnaît lui-même qu'il le reconstruira en janvier 2001 en interne, qu'il privilégie la police de proximité au détriment de toutes les autres réformes de la police nationale, qu'il se traduira par moins de policiers sur le terrain, qu'il ne propose rien pour la sécurité civile, rien pour les SDIS et que le sentiment d'insécurité de nos concitoyens ne recule pas.
Il a donc estimé que si l'on pouvait se satisfaire des sommes consacrées par la Nation globalement pour sa sécurité, ce n'était pas le cas de ce projet de budget pour 2001 et a proposé le rejet des crédits de la sécurité et de l'administration pour 2001.
Après un riche débat auquel ont participé MM. Philippe Marini, rapporteur général, Denis Badré, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Philippe Adnot et Jacques Oudin, le rapporteur spécial a répondu aux orateurs.
A M. Philippe Marini, il a indiqué que le rapport lui fournira la liste des villes concernées par le passage de la police de proximité. Il lui a expliqué que cette réforme s'était faite à moyens humains constants, les seuls personnels supplémentaires ayant été des adjoints de sécurité.
A M. Denis Badré, il a dit partager ses craintes devant l'absence de remplacement sur le terrain des policiers auxiliaires, et son constat d'une paupérisation croissante des services de police n'ayant pas adopté la police de proximité. Il a regretté que les communes soient trop souvent sollicitées pour pallier les défaillances du budget de l'Etat dans le fonctionnement courant de la police nationale.
A Mme Maryse Bergé-Lavigne, il a expliqué qu'alors que la moyenne européenne de personnels administratifs dans la police était de 20 %, la France ne se situait qu'à 12,5 %. Il a déploré le non-respect, par tous les gouvernements, de l'objectif de la création de 5.000 emplois administratifs fixé par la loi d'orientation et de programmation sur la sécurité de 1995 et a redit que, malgré la création d'emplois administratifs dans le budget 2001, il y aurait moins de personnel sur la voie publique qu'en 2000.
A M. Jacques Oudin, il a indiqué que l'ensemble de l'appareil statistique du ministère était à reconstruire, ce qui altérait grandement la fiabilité de tous les chiffres fournis sur la criminalité. Il a aussi estimé qu'avant de parler du passage au 35 heures dans la police, il conviendrait déjà de connaître le temps de travail hebdomadaire moyen des policiers, ce que même le ministre semblait ignorer. Il lui a enfin précisé que les crédits affectés à la mise en place du système d'information de Schengen diminuait de moitié dans le projet de loi de finances pour 2001.
A l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat de rejeter les crédits du ministère de l'intérieur et de la décentralisation pour 2001.