CHAPITRE III :
UN BUDGET CONFRONTÉ À
DES DIFFICULTÉS
JURIDIQUES ET FINANCIÈRES
Le budget annexe de l'aviation civile s'est trouvé confronté à des difficultés juridiques profondes, diverses dans leur nature.
Des progrès ont été accomplis pour donner plus d'assise juridique aux redevances aéronautiques. Mais, il reste des difficultés substantielles de ce point de vue.
Cependant, même en supposant des redevances entièrement satisfaisantes sur le plan du droit, il est apparu impossible de réaliser une saine gestion du BAAC.
I. MALGRÉ DES AMÉLIORATIONS CERTAINES, LE SYSTÈME DES REDEVANCES RESTE FRAGILE
Les redevances aéronautiques représentent près de 70 % des ressources du BAAC. Elles ont fait l'objet de contestations récurrentes au terme desquelles plusieurs décisions de justice sont intervenues pour rappeler que ce type de financement devait être réservé à la couverture de prestations de services rendus aux usagers.
Le Parlement à l'initiative de la commission des finances du Sénat s'est également saisi de la question. Des progrès ont pu être accomplis. Mais, il reste des éléments de fragilité.
A. DES PROGRÈS ONT ÉTÉ ACCOMPLIS
1. L'intervention du Conseil d'Etat
L'intervention de la juridiction administrative, limitée pour des motifs juridiques quelque peu contestables à la RSTCA, a permis d'exercer un contrôle sur les taux de cette redevance et d'exclure le recours à cette formule pour le financement de missions d'intérêt général.
Rappel de certains contentieux Depuis 1995, cinquante deux requêtes ont été déposées par le syndicat des compagnies aériennes autonomes (SCARA) devant le tribunal administratif de Paris pour l'essentiel, et le SCARA a formé trois pourvois (dont une demande d'astreinte) devant le Conseil d'Etat. Pour l'heure, aucun arrêt n'a été rendu par le Conseil d'Etat. Les cinquante deux requêtes se composent d'abord de vingt deux demandes tendant à l'allocation d'une indemnité afin de réparer le préjudice résultant d'un trop perçu de la RSTCA résultant des titres de perception rectificatifs pris à la suite de l'arrêt du Conseil d'Etat de 1995, sur la base d'un arrêté du 21 février. La loi du 18 décembre 1998 a validé les titres de perception émis sur la base de cet arrêté. Mais dans une lettre du 28 mai 1999, le président de la Section du rapport et des études du Conseil d'Etat a indiqué que, s'agissant d'un litige relatif à l'obligation de rembourser une redevance pour service rendu à la suite d'une décision de justice passée en force de chose jugée, la loi de validation du 18 décembre 1998 n'apparaissait pas compatible avec les dispositions de l'article 6-I de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans leur réponse du 26 novembre 1999, les ministres intéressés ont indiqué avoir donné instruction à leurs services de faire droit aux demandes des compagnies aériennes dans le respect des prescriptions relatives aux voies et délais de recours contre les titres de perception, résultant en particulier des articles 7 à 9 du décret du 29 novembre 1992, dont le contenu était rappelé sur les titres attaqués. A l'occasion du débat parlementaire sur la loi de finances pour 2000, le ministre avait été amené à confirmer cette position. Cependant, après un examen de l'ensemble des demandes de remboursement, les services ont conclu que seule l'opposition formée par la compagnie Air Liberté était recevable, les autres compagnies aériennes n'ayant pas fait opposition dans les délais réglementaires et étant considérées comme forcloses à le faire. Le tribunal administratif de Paris dans une série de jugements en date du 27 avril 2000 a confirmé cette analyse. Ce litige est maintenant devant la Cour administrative d'appel de Paris. Votre rapporteur souligne le caractère formel de la position de l'administration. Dix neufs demandes tendent à l'annulation de décisions par lesquelles le ministre chargé de l'aviation civile a rejeté les oppositions formées par les compagnies requérantes contre les titres de perception émis par l'agent comptable de la direction générale de l'aviation civile pour le paiement de la redevance pour services terminaux de la circulation aérienne au titre des vols effectués par lesdites compagnies durant certains mois de l'année 1998. Onze requêtes tendent à la condamnation du ministre des transports à verser en référé aux compagnies requérantes une provision sur les demandes d'indemnité visant à la réparation du préjudice résultant d'un trop-perçu de la RSTCA résultant des titres de perception rectificatifs adressés aux compagnies requérantes en juin 1996, sur la base de l'arrêté du 21 février 1996. Enfin, deux pourvois formés devant le Conseil d'Etat tendent à l'annulation des arrêtés interministériels des 28 décembre 1998 et 23 juillet 1999 fixant les taux unitaires de la RSTCA, au motif que n'auraient pas été retirés de l'assiette de ladite redevance les coûts que le Conseil d'Etat avait estimé ne pas devoir être inclus dans l'assiette de la RSTCA, et la section du rapport et des études du Conseil d'Etat a été saisie afin qu'il soit enjoint au ministre chargé des transports, sous astreinte d'un million de francs par jour de retard, de rembourser aux compagnies aériennes qui l'ont demandé le trop perçu de la RSTCA de 1991 à 1996. L'arrêt du 10 février 1995 sur la RSCTA Rendu par la Section du Contentieux du Conseil d'Etat à la demande de la Chambre Syndicale du Transport Aérien, un arrêt du 10 février 1995 a annulé l'arrêté conjoint du ministre du budget et du ministre des transports daté du 21 décembre 1992 fixant les conditions d'établissement et de perception de la redevance pour services terminaux de la circulation aérienne. Les motifs retenus par le Conseil ont été les suivants : Le premier, technique, a consisté à reprocher aux auteurs de l'arrêté de n'avoir pas établi la liste des aérodromes où les services de circulation aérienne rendus donnaient lieu à rémunération en considération du seuil d'activité des bases aéroportuaires. En somme, l'administration se serait affranchie d'exercer son pouvoir d'appréciation qui est aussi, en droit public français, un devoir. Le second a consisté à estimer qu'en imputant de façon forfaitaire une partie de l'ensemble des coûts supportés par la DGAC comme des coûts générés par le contrôle d'approche, l'administration n'étant pas en mesure de justifier que la fraction des coûts ainsi imputée correspondait bien à des charges auxquelles l'expose ledit contrôle. |
Par cet arrêt dont votre commission avait rendu compte, le Conseil d'Etat rappelait que les redevances devaient trouver une contrepartie directe et proportionnelle dans un service rendu à ceux priés de les acquitter.
Le même jour, un autre arrêt du Conseil d'Etat sur la redevance de contrôle technique apportait la confirmation d'une jurisprudence constante.
L'arrêt du 10 février 1995 sur la redevance de contrôle technique Par un arrêt du 10 février 1995, le Conseil d'Etat a considéré que les dépenses de contrôle technique étaient des dépenses liées à une mission de service public d'intérêt général. Il en a conclu qu'elles ne pouvaient être financées par des redevances pour service rendu . |
Votre commission en avait également rendu compte en ces termes :
" Le sens de l'arrêt du Conseil d'Etat est dépourvu d'ambiguïté : les missions exercées par la DGAC au service de l'intérêt public ne sauraient être financées par redevances.
Sans préjuger des solutions juridictionnelles qui n'ont pas été sollicitées à ce jour, il est loisible de penser que cette règle trouve à s'appliquer dans d'autres domaines d'activité de la DGAC et, en particulier, dans l'un, dont le développement pourrait s'accélérer à l'avenir, la sûreté -v. infra- 5 ( * ) . "
Il apparaissait alors à votre commission comme un fait très probable que d'autres difficultés surgiraient à partir des mêmes causes.
C'est ce qui s'est produit puisque par un arrêt du 20 mai 1998, le Conseil d'Etat a annulé divers arrêtés fixant le taux de la RSTCA au motif que les coûts de certaines missions d'intérêt général encore inclus dans l'assiette de la RSTCA (Services de sécurité d'incendie et de sauvetage -SSIS- et de gendarmerie du transport aérien) devaient être financés autrement que par redevances.
2. L'initiative du Parlement
a) L'article 99 de la loi de finances pour 1996
Mais, le Parlement a également beaucoup contribué à améliorer la situation.
Il était apparu à votre commission qu'une source importante de contentieux venait de ce que les comptes à partir desquels étaient fixés les tarifs des redevances de transport aérien manquaient de transparence. Cette situation nourrissait à l'évidence le soupçon que les coûts des missions d'intérêt général exercées par la direction générale de l'aviation civile (DGAC) étaient, au moins partiellement, financés par les redevances.
C'est la raison pour laquelle votre rapporteur avait pris l'initiative de proposer un amendement, devenu l'article 99 de la loi de finances pour 1996, qui prescrivait que soit remis chaque année au Parlement un état récapitulatif présentant la répartition des coûts complets de la DGAC avec un tableau de correspondance avec les crédits budgétaires, en distinguant ceux afférents aux prestations de services rendus aux usagers et ceux résultant des missions d'intérêt général public assumés par la DGAC.
Cette initiative, qui visait à l'établissement d'une véritable comptabilité analytique, avait évidemment d'abord pour objet de favoriser le contrôle parlementaire du budget annexe de l'aviation civile.
Mais, il s'agissait aussi, d'une part, de traduire l'exigence d'une meilleure transparence des opérations conduites par la DGAC et, d'autre part, un effort de pédagogie et d'ouverture ayant été réalisé à destination des redevables, de faciliter le dialogue entre ceux-ci et l'administration.
Dans l'ensemble, ces objectifs ont été atteints et d'ailleurs les conclusions du commissaire du gouvernement du Conseil d'Etat produites à l'occasion de l'examen du contentieux qui devait donner lieu à l'arrêt du 20 mai 1998 pouvaient indiquer :
" L'administration a, par ailleurs, accompli d'importants efforts de clarification et d'information, comme le lui impose d'ailleurs l'article 99 de la loi de finances pour 1996. Ainsi le rapport établi à ce titre à l'automne 1996 fournit d'utiles explications sur le mode de calcul actuel de la RSTCA. Et de manière générale, c'est à notre avis à juste titre que le rapport du sénateur Collin sur le budget annexe de l'aviation civile dans le projet de loi de finances pour 1997 salue (p. 28) les efforts réalisés dans le sens de la transparence. "
A l'heure où se profile une réforme de l'ordonnance organique de 1959 destinée, entre autres, à améliorer la lisibilité des budgets, votre rapporteur ne saurait trop insister sur les enjeux d'une meilleure connaissance des coûts des différentes politiques publiques. Sans sous-estimer les progrès encore à réaliser pour aboutir à une comptabilité analytique impeccable au sein de la DGAC, il veut mettre en évidence l'exemplarité des progrès de méthode réalisés en son sein.
b) Le rapport annuel
Grâce à la production de ce rapport les problèmes posés par les modes de fixation des tarifs des redevances sont désormais clairement exposés.
Ces problèmes sont doubles .
(1) L'identification des coûts de la navigation aérienne
Cette identification n'est pas simple. Elle suppose en premier lieu de disposer d'une comptabilité analytique fiable permettant d'isoler les coûts effectifs attachés à cette mission. Les difficultés les plus sensibles rencontrées dans cet exercice concernent l'identification des dépenses d'administration générale qu'il est possible de rattacher à l'exercice de la mission de contrôle aérien. A cet égard, l'on peut souligner que des variations sensibles sont intervenues. Alors qu'un peu moins de 58 % de ces charges étaient considérés comme relevant de cette mission en 1999, ce taux atteint désormais 59,4%.
Mais d'autres conditions s'imposent pour que l'identification des coûts de la navigation aérienne puisse être jugée convenable. Il faut, en particulier, que le calcul des charges à incorporer dans ces coûts soit pertinent.
Deux questions sont à évoquer :
- celle des investissements ;
- celle du calcul des intérêts.
S'agissant des investissements , on ne peut en effet retenir l'ensemble des charges budgétaires exposées dans l'intérêt du contrôle aérien pour établir le montant des coûts du contrôle. En effet, les recommandations de l'Organisation de l'administration civile internationale -OACI- qui paraissent, sur ce point, conformes à notre droit public précisent que la valeur d'origine des immobilisations doit être amortie sur l'estimation de leur durée de vie utile et que les coûts d'amortissement ne doivent commencer à courir qu'une fois l'installation mise en service .
S'agissant du calcul des intérêts , on rappelle que l'OACI considère que les intérêts doivent être calculés sur la base de la valeur nette des immobilisations en service au cours de l'exercice.
Enfin, surgit l'écueil du calcul des coûts dénommés dans le rapport susmentionné " éléments supplétifs d'assiette " et dont l'essentiel consiste dans les coûts des prestations d'organismes extérieurs à la DGAC aux premiers rangs desquels, le ministère de l'équipement et celui de la défense. Leur prise en compte intégrale, alors même que la DGAC ne supporte pas de dépenses à due proportion au profit de ces deux ministères, est justifié par l'administration au nom du principe qui veut que l'ensemble des coûts d'un service soit pris en compte pour en asseoir le tarif.
(2) L'imputation des coûts de navigation aérienne.
A ce propos, plusieurs difficultés doivent être relevées.
La première concerne le " mécanisme correcteur" . Les taux des redevances de navigation aérienne sont établis de la façon suivante. Une fois déterminées les assiettes des redevances, leur tarif découle de prévisions portant sur le niveau des unités de service taxables 6 ( * ) . Si une erreur survient sur l'un ou l'autre nombre de ce rapport, il se peut que les produits appelés soient inférieurs ou supérieurs aux coûts effectivement engagés pour satisfaire la mission de contrôle aérien. Le déficit ou l'excédent de produit est alors ajouté ou déduit de l'assiette des redevances, avec un décalage de 2 ans. Par exemple, ce mécanisme aboutit cette année à un surcroît de produit de 316 millions de francs correspondant à un trop perçu équivalent en 1999.
Une deuxième difficulté déjà relevée l'an dernier concerne le sort des créances impayées . (30 millions de francs en 1999).
Avec les difficultés posées par les exemptions et exonérations , on aborde une troisième difficulté , de taille puisque les montants concernés atteindraient 766 millions de francs en 2001. Pour ces vols, la DGAC renonce à percevoir les redevances pour des prestations de contrôle aérien rendues par elle.
Les exemptions concernent la RSTCA qui n'est perçue que lorsque le trafic d'un aéroport dépasse le seuil de 5.000 unités de service par an en moyenne sur les trois dernières années.
Les exonérations s'appliquent à certains types de vol et, en particulier, aux vols militaires.
Des exonérations de fait concernent l'outremer où les redevances effectivement perçus ne couvrent pas plus de 28 % des coûts effectifs de la navigation aérienne.
S'il apparaît justifié de réduire les coûts associés à ces prestations pour calculer les coûts facturables par voie de redevances, il ne faut pas en déduire que ces coûts n'existent plus "ipso facto". En réalité, ils subsistent et doivent être couverts par d'autres ressources.
* 5 Rapport général 86 M. Alain Lambert, annexe n° 20 Aviation civile - M. Yvon Collin du 21 novembre 1996.
* 6 Qui correspondent grosso modo au volume du trafic.