N° 92
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001
Annexe au procès verbal de la séance du 23 novembre 2000. |
RAPPORT GÉNÉRAL
FAIT
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur le projet de loi de finances pour 2001 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,
Par M. Philippe MARINI,
Sénateur,
Rapporteur général.
TOME III
LES MOYENS DES SERVICES ET LES DISPOSITIONS SPÉCIALES (Deuxième partie de la loi de finances) ANNEXE N° 24 ÉQUIPEMENT, TRANSPORTS ET LOGEMENT : III . - TRANSPORTS ET SÉCURITÉ ROUTIÈRE : TRANSPORT AÉRIEN ET MÉTÉOROLOGIE ET AVIATION CIVILE Rapporteur spécial : M. Yvon COLLIN |
(1) Cette commission est composée de : MM. Alain Lambert, président ; Jacques Oudin, Claude Belot, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet, vice-présidents ; Jacques-Richard Delong, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Philippe Marini, rapporteur général ; Philippe Adnot, Denis Badré, René Ballayer, Jacques Baudot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Alain Joyandet, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Pelletier, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Henri Torre, René Trégouët.
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 2585 , 2624 à 2629 et T.A. 570 .
Sénat : 91 (2000-2001).
Lois de finances. |
PREMIÈRE PARTIE :
LE BUDGET ANNEXE DE
L'AVIATION CIVILE
INTRODUCTION
Au cours de ces dernières années, le trafic aérien a enregistré une très forte croissance.
Plusieurs indicateurs rendent compte de ce développement.
Indicateur de variation du trafic aérien
1 er semestre 2000/ 1 er semestre 1999 |
1 er semestres 2000/ 1 er semestre 1998 |
1 er semestre 2000/ 1 er semestre 1997 |
+ 5,0 % |
+ 14,5 % |
+ 23,7 % |
Comme c'est la règle, cette forte croissance moyenne du trafic s'accompagne de phénomènes de pointes qui en compliquent l'absorption.
Indicateurs des phénomènes de pointes dans le transport aérien
1 er semestre 2000 |
1 er semestres 1999 |
1 er semestre 1998 |
|
Nombre de journées >= 7500 vols |
38 |
18 |
1 |
Nombre de journées >= 8000 vols |
9 |
3 |
0 |
Journées de pointe absolue au cours des années récentes
Trafic contrôlé |
|
Vendredi 23 juin 2000 |
8 189 vols |
Vendredi 18 juin 1999 |
8 147 vols |
Vendredi 26 juin 1998 |
7 679 vols |
Vendredi 20 juin 1997 |
6 981 vols |
Cet essor, qui correspond à la phase haussière d'un cycle qui connaîtra une période d'inflexion, est évidemment un élément favorable pour l'économie du transport aérien. Globalement, les compagnies en tirent partie et il en va de même pour les constructeurs aéronautiques. Mais, pour les responsables des infrastructures du transport aérien, l'administration, les gestionnaires d'aéroports, le bilan semble plus nuancé.
D'un côté, l'augmentation du trafic accroît les ressources dont ils disposent. Mais, d'un autre côté, cette augmentation suscite des tensions en sollicitant beaucoup leurs capacités qu'il s'agisse de leurs capacités opérationnelles ou de leurs activités de régulateurs.
Un sentiment diffus de mécontentement s'est répandu dans l'opinion qui conduit à examiner les performances enregistrées par les gestionnaires d'infrastructures de transport.
Les critiques se sont concentrées sur les retards ainsi que sur certaines pratiques commerciales, et, en particulier, sur les surréservations.
Les retards, c'est à dire la différence entre l'heure de départ prévue (heure annoncée au passager sur son billet) et l'heure de départ réelle (heure à laquelle l'avion quitte son poste de stationnement) ont considérablement augmenté depuis 1997.
En France, les chiffres significatifs en matière de régularité du transport aérien, toutes causes de retards confondues, sont les suivants :
1997 |
1998 |
1999 |
1 er semestre 2000 |
|
Part des vols retardés > 15 , |
30,1 % |
32,8 % |
39,2 % |
33,5 % |
Retard moyen par vol réalisé (en minutes) |
15,2 |
16,2 |
19,4 |
16,1 |
Retard moyen par vol retardé (en minutes) |
18,8 |
19,6 |
23,2 |
19,4 |
Les causes des retards sont curieusement mal connues.
Les études actuelles en matière d'analyse des retards aériens montrent qu'en moyenne, 40 % des causes de retards sont identifiées sous le vocable " arrivée tardive de l'appareil liée aux enchaînements des rotations " ce qui rend difficile toute analyse objective.
Des études ponctuelles concernant les lignes Orly-Toulouse et Orly-Nice ont dégagé des résultats plus précis mais dont la significativité n'est évidemment que partielle.
Ces études donnent les résultats suivants pour les vols retardés de plus de 15 minutes au départ.
Part des vols retardés > 15 , |
Services de la navigation aérienne |
Compagnies |
Aéroport |
Météo |
Allongement du temps de vol * |
||
Juin 1999 |
Orly > Nice |
29 % |
55 % |
31 % |
9 % |
0 % |
5 % |
Nice > Orly |
32 % |
62 % |
24 % |
4 % |
0 % |
10 % |
|
Avril 2000 |
Orly > Toulouse |
14 % |
19 % |
63 % |
11 % |
1 % |
6 % |
Toulouse > Orly |
19 % |
32 % |
54 % |
4 % |
2 % |
9 % |
|
Juin 2000 |
Orly > Nice |
29 % |
40 % |
47 % |
9 % |
0 % |
4 % |
Nice > Orly |
28 % |
55 % |
32 % |
6 % |
2 % |
5 % |
Source : Comité des usagers du transport aérien.
Il paraît évident que les retards liés à la Météo sont sous-évalués. Mais, ces résultats montrent que les retards, dont une part de la responsabilité incombe aux compagnies et aux aéroports, sont principalement dépendants de la capacité du contrôle aérien à traiter le trafic.
Les variations du pourcentage des retards résultant d'autres causes apparaissent mécaniques ; elles résultent des variations des retards liés au contrôle aérien.
Celui-ci semble éprouver de réelles difficultés à absorber les pointes de trafic. Un défaut d'adaptation des capacités à la demande semble être en cause.
C'est d'ailleurs ce diagnostic qui inspire les tentatives réalisées par la direction générale de l'aviation civile pour adapter les conditions de travail des contrôleurs aériens (v. infra ). Il est plus que souhaitable que ces tentatives réussissent compte tenu des inconvénients de tous ordres (personnels, économiques, environnementaux...) que provoquent les retards.
Le développement des pratiques commerciales très critiquables est un deuxième aspect du malaise ressenti par les usagers.
Hormis les incertitudes quant à l'identité du transporteur effectif qui résultent des pratiques de " partage de code " entre compagnies ou encore de sous-traitance du trafic, ce sont les surréservations qui sont ressenties comme les plus pénalisantes.
Votre rapporteur s'en est inquiété depuis longtemps puisque, dès le 27 juin 1997, dans une question au Gouvernement adressée au premier ministre, il souhaitait être assuré que l'État ne s'exemptait pas de contrôler les pratiques commerciales abusives. Sur ce point, la réponse du ministre de l'équipement, des transports et du logement était restée plus qu'évasive.
Les réponses écrites au questionnaire particulier adressé par votre rapporteur dans le cadre de l'examen du budget 2001 sont à peine plus développées. Elles relèvent que " la surréservation est une pratique très fréquente qui consiste pour un transporteur aérien à commercialiser plus de sièges que le nombre effectivement disponible pour un vol donné, afin de compenser les annulations de dernière minute et les places restées vacantes du fait de la non-présentation de passagers disposant d'une réservation ".
Elles notent que la surréservation entraîne un risque de refus d'embarquement et est un des phénomènes les plus dommageables pour les passagers que l'on puisse observer aujourd'hui. Elle indique les pouvoirs publics, au plan national comme au plan communautaire, souhaitent en limiter les inconvénients et rappelle que le règlement européen (CEE) 295/91 du 4 février 1991 prescrit notamment le versement obligatoire d'une indemnité compensatrice minimale, dont le montant varie en fonction de la distance devant être parcourue et du retard pris dans le réacheminement, en faveur des passagers ayant réservé et ne pouvant pas embarquer du fait de la surréservation.
Votre rapporteur souhaite que ce problème soit réellement traité et résolu.
Cela suppose une solution internationale puisque, ces pratiques étant un élément important des performances des compagnies, des solutions partielles engendreraient des handicaps de compétitivité pour les entreprises qui les appliqueraient.
Mais, il ne faut pas s'abriter derrière la course à la performance et, en particulier, à la maximisation du taux de remplissage des appareils, pour s'abstenir d'agir.
Il faut sans doute prendre en considération les excessives facilités offertes aux clients, qui sont mis en mesure de réserver sans engagements financiers de leur part et sans même devoir acquitter de pénalités en cas d'annulation de leurs réservations. Mais il ne faut pas imaginer que ces facilités traduisent une quelconque victoire du " consumérisme ". Elles ne sont concédées par les compagnies que parce que celles-ci y trouvent un avantage. Votre rapporteur exhorte donc le gouvernement français qui assure actuellement la présidence de l'Union européenne, à mettre tout en oeuvre pour que le respect des droits des clients du transport aérien soit renforcé.
Enfin et surtout, votre rapporteur souhaite, en cette année de deuil pour le transport aérien, appeler tous les acteurs du transport aérien à la plus grande vigilance sur l'exigence essentielle que représente la sécurité du transport aérien.
En ce domaine, des évolutions préoccupantes sont en cours.
Le niveau de sécurité du transport aérien est traditionnellement évalué par les services de la circulation aérienne sur la base du nombre d'airprox enregistrés. Une procédure airprox est déclenchée par un commandant de bord lorsque celui-ci estime que la sécurité de son aéronef a été, ou aurait pu être compromise par un risque d'abordage entre aéronefs.
L'évolution des airprox durant les 10 dernières années est la suivante :
Airprox |
CAG (CRNA) |
CAG (hors CRNA) |
Total CAG |
CAG/CAM |
Total |
Par million de vols IFR |
1989 |
25 |
63 |
88 |
22 |
110 |
74 |
1990 |
17 |
49 |
66 |
25 |
91 |
58 |
1991 |
14 |
62 |
76 |
11 |
87 |
54 |
1992 |
14 |
44 |
58 |
17 |
75 |
44 |
1993 |
12 |
57 |
69 |
26 |
95 |
57 |
1994 |
14 |
52 |
66 |
22 |
88 |
50 |
1995 |
12 |
42 |
54 |
18 |
72 |
39 |
1996 |
21 |
64 |
85 |
18 |
103 |
53 |
1997 |
20 |
75 |
95 |
24 |
119 |
58 |
1998 |
23 |
82 |
105 |
31 |
136 |
62 |
1999 |
36 |
94 |
130 |
37 |
167 |
70 |
CAG : Circulation aérienne Générale
CAM : Circulation Aérienne Militaire
CRNA : Centre en Route de la Navigation Aérienne
IFR : Régime de Vol aux Instruments
Une forte augmentation du nombre d'airprox doit être déplorée ces dernières années.
Les services administratifs avancent que ce phénomène trouve un facteur d'explication dans l'équipement progressif des flottes par le système anti-collision embarqué (TCAS) au cours des dernières années.
Ils relèvent le TCAS, ne connaissant pas les instructions du contrôle peut générer de fausses alarmes.
Mais, à l'évidence, d'autres facteurs jouent. L'augmentation permanente de la complexité du trafic, la mise en place des " hubs " sur les grandes plates-formes avec la plus grande concentration d'atterrissages et de décollages dans des plages de temps réduites qui en découle, les difficultés de contrôle de l'activité d'aviation générale sont naturellement en cause. De même, l'augmentation sensible des incidents concernant aviation civile et militaire semble traduire une mauvaise coordination des contrôles.
En toute hypothèse, la répartition des airprox entre les centres en route de navigation aérienne (CRNA) et autour des dix premiers aéroports métropolitains paraît bien représentative de la densité et de la complexité du trafic dans les organismes correspondants.
Des mesures s'imposent.
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
|
CRNA/E |
7 |
4 |
3 |
9 |
CRNA/N |
10 |
10 |
7 |
16 |
CRNA/O |
1 |
2 |
2 |
4 |
CRNA/SE |
3 |
4 |
9 |
14 |
CRNA/SO |
1 |
0 |
2 |
3 |
Bâle |
2 |
2 |
6 |
8 |
Bordeaux |
0 |
0 |
0 |
1 |
Lyon-Satolas |
4 |
5 |
5 |
5 |
Marseille |
1 |
0 |
1 |
1 |
Nantes |
0 |
0 |
2 |
0 |
Nice |
1 |
9 |
11 |
4 |
Paris CDG |
10 |
15 |
19 |
24 |
Paris Orly |
4 |
6 |
3 |
5 |
Strasbourg |
1 |
2 |
1 |
0 |
Toulouse |
4 |
2 |
1 |
1 |
Il convient, certes, de généraliser la mise en oeuvre du " filet de sauvegarde ". Celui-ci, qui est une aide automatisée destinée à avertir le contrôle lorsqu'un croisement va s'effectuer en-dessous des normes, n'est installé que dans les CRNA. Il faut en étendre rapidement l'utilisation sur les principaux aéroports.
Mais, il faut également veiller à assurer une coordination beaucoup plus satisfaisante qu'aujourd'hui des contrôles aériens civil et militaire, coordination qui, sous réserve d'inventaire, pourrait prendre la forme d'une intégration.
Il faut aussi mettre en oeuvre les capacités nécessaires à la gestion du trafic, qui sont un élément clef, aux données complexes, de la question de la sécurité du transport aérien.
Enfin, l'intégration internationale du transport aérien appelle une intégration des systèmes d'évaluation de la sécurité de ce mode de transport. Votre rapporteur le réclame depuis longtemps, constatant que les indicateurs équivalents aux indicateurs français ne sont pas publiés par les pays voisins (Royaume-Uni, Allemagne, Espagne et Italie) et qu'il n'existe aucun document établissant le niveau de sécurité de la navigation aérienne dans ces pays.
Il faut veiller à ce que l'initiative prise au sein d'Eurocontrol pour permettre à l'avenir d'harmoniser les procédures relatives aux traitements des incidents, et donc ouvrir la possibilité de définir des indicateurs européens de sécurité, de formuler un règlement de sécurité (ESARR2) portant sur le recueil et l'analyse des incidents dans le contrôle aérien, soit suivie de pleins effets.
Il serait également souhaitable que l'International Air Transport Association (IATA), qui représente les compagnies aériennes régulières au niveau mondial, publie ses propres données.