III. LES ANALYSES DU RAPPORTEUR
Votre rapporteur spécial reprend dans cette partie les observations présentées ci-dessus, pour en développer l'argumentation et démontrer, faits à l'appui, que le Gouvernement ne mène pas une politique de nature à garantir l'avenir à long terme du secteur public audiovisuel dans un contexte de concurrence intense.
1. Des règles du jeu audiovisuelles désormais sans frontières
A force de se prévaloir des exceptions, on n'en oublie qu'il y a des règles à respecter, sauf à s'isoler du reste du monde, ce qui n'est ni possible, ni souhaitable.
La tentation est forte en matière audiovisuelle d'exciper à la fois de l'exception culturelle et de l'exception française tout court .
La France est un pays de tradition de service public; il est légitime qu'elle cherche à préserver un secteur public audiovisuel fort. Le groupe de travail sur le financement de l'audiovisuel public que votre rapporteur spécial a eu l'honneur de présider, n'a pas manqué de manifester son attachement à l'idée d'une télévision publique forte.
Il incombe à l'Etat de ne pas rester inerte face au risque de voir quelques méga conglomérats internationaux déverser à jet continu des images mercantiles de nature à laminer la culture comme l'identité françaises.
Mais faut-il pour autant se comporter à l'image de ce héros de bande dessinée, symbole d'un esprit de résistance irréductible à l'envahisseur, et engager des combats, qui à supposer que l'on puisse les gagner, ne feront que retarder l'échéance ?
La conviction de votre rapporteur spécial est que si l'on ne veut pas être marginalisé dans un paysage audiovisuel devenu mondial, il ne faut pas croire que l'on pourra continuer à jouer avec nos propres règles sans tenir compte de celles pratiquées par les autres .
Le combat contre la mondialisation est mené d'abord en termes de droit à la différence de droit à l'image et donc de produits ; or c'est aussi en termes des structures qu'il faut poser la question de l'exception culturelle.
L'avènement des technologies numériques, mais aussi la réalisation d'un espace économique intégré dans l'Union Européenne suivant des principes fondamentalement libéraux, menacent clairement le modèle audiovisuel français fondé sur l'idée de service public.
Une série de dossiers témoignent du manque de lucidité de la politique actuelle, telle qu'elle résulte d'une loi audiovisuelle, qui, à peine adoptée, est déjà en retard sur le monde qui l'entoure.
a) Les règles de concentration obsolètes à l'heure des mégas-fusions
Il est de l'intérêt du pays de mettre en place un secteur audiovisuel fort quel que soit le statut public ou privé des acteurs.
Une bonne partie des interventions publiques doivent donc favoriser non le seul secteur public mais tous les opérateurs nationaux qui sont tous en concurrence sur le marché mondial.
Dans un marché mondialisé, éminemment mouvant, tant sur le plan technologique qu'économique, les opérateurs nationaux industriels et commerciaux ont besoin d'un horizon stable pour affronter la concurrence.
Le débat sur le contrôle des concentrations est emblématique à cet égard, de débats enflammés sans rapports avec les réalités des marchés.
Ainsi, à peine la dernière loi audiovisuelle adoptée, le président du CSA a confirmé que les « sages » de l'audiovisuel n'étaient pas en faveur du maintien pour l'industrie du numérique de la limite à 49 % de la participation qu'un opérateur peut détenir dans une chaîne de télévision. Sur ce point, «nous ne sommes pas d'accord avec la loi» a déclaré Hervé Bourges.
Cette disposition est particulièrement gênante pour les chaînes privées comme TF1, qui ont développé des chaînes thématiques telles LCI et dont ils devront céder la majorité, s'ils veulent les faire migrer sur le numérique. Il en va de même pour Canal + et sa chaîne d'information «i télévision».
On peut encore s'interroger sur la légitimité des contraintes multiples, qu'il s'agisse de celles figurant dans les cahiers des charges ou de celles résultant de la loi comme en matière de publicité, quand on voit les coûts de diffusion satellitaire baisser ou Internet offrir des services de plus en plus proches de ceux de la télévision sans être soumis aux mêmes règles.
La fusion Vivendi-Seagram témoigne du caractère plus formel que réel de la règle des 49% qui, en application de l'article 39 de la loi sur l'audiovisuel du 30 septembre 1986, interdit à un opérateur de détenir plus de 49 % du capital d'une chaîne hertzienne.
(1) Multimédias sans frontières
Le secteur des TMT (Technologies, Médias, Télécommunications) se restructure dans des conditions impressionnantes, qui témoignent de ce qu' une course à la taille est engagée : le nombre des fusions acquisitions dans ce secteur au niveau mondial depuis un an atteint 600 transactions pour un montant total de plus de 1.000 milliards de dollars.
Une série d'exemples sont révélateurs de cette tendance au gigantisme :
• la fusion Pro7-Sat 1 crée le premier groupe de TV commerciale en Allemagne avec une part d'audience cumulée de 24% et une part de marché de 47% ;
• la fusion de Pearson TV avec Audiofina permet à cette dernière de dépasser son statut -et sa décote - de holding financière pour devenir le premier et le seul véritable acteur paneuropéen de la TV commerciale en Europe avec 120 millions de téléspectateurs et 25 millions d'auditeurs potentiels quotidiens, répartis dans 11 pays ;
• Granada Media au Royaume uni a rapidement repris le processus d'intégration de la TV commerciale, en reprenant les actifs télévisuels de United News & Media après la tentative avortée de fusion United - Carlton ;
• l'entrée de BSkyB à hauteur de 24% dans le capital de Kirch Pay-TV permet à ce dernier de sortir d'un isolement mono-pays et de tenter de concurrencer Canal+, avec ses l4 millions d'abonnés dans 11 pays.
La logique de ces fusions est, comme le fait remarquer le rapport sur les médias de Crédit Lyonnais securities Europe, tout à fait semblable à celle qui caractérise les restructurations dans le secteur de la publicité : WPP-Y&R, Havas Advertising - Snyder, Publicis-Saatchi Cordiant-Lighthouse. Il s'agit à chaque fois de procéder à la constitution de plates-formes de services effectivement et multi-réseaux pour éviter les conflits d'intérêts entre clients d'une même industrie.
Enfin, il y a des opérations globales à la fois multi-contenus et multi-supports comme les fusions de CBS-Viacom (36 Milliards de dollars) et AOL-Time Warner (l 78 Milliards de dollars). Mais, alors que CBS-Viacom peut finalement être interprété comme une transaction répondant à la logique de « l'ancienne économie », aboutissant à la consolidation de deux acteurs sur leur marché domestique, le deal AOL-Time Warner témoigne de la volonté de deux géants à se rapprocher pour maximiser leurs parts de marché dans des métiers toujours plus nombreux.
Le rachat de Seagram par Vivendi n'est alors que la réaction à ce phénomène de concentration sans précédent.
Comme le souligne le rapport précité, « signe et facteur de la globalisation des marchés, cette course à la taille et à la domination des marchés détermine l'essentiel des bouleversements en cours dans l'industrie des médias. En effet, si les entreprises cherchent à s'imposer le plus rapidement et le plus largement possible sur leurs marchés, à coups de transactions toujours plus lourdes, c'est bien parce que les nouvelles technologies sont en train de faire sauter ou de rendre caduques toutes les barrières constitutives de l'industrie européenne des médi as. »
Aujourd'hui, le coût de production d'un programme de télévision en «narrowcasting» serait compris entre 5 et 20 000 FF (Canalweb).
Dans cette perspective, il s'agit pour les grands acteurs du marché de prendre des positions de marché et des avantages concurrentiels technologiques avant les nouveaux entrants, éventuellement au prix fort.
En dépit des barrières linguistiques et culturelles, on assiste des rapprochements pan-européens :
• Dans la TV commerciale, c'est le lancement de la joint-venture entre le groupe Kirch et Mediaset. Pour l'achat de droits et de programmes ;
• Dans la TV payante, l'opération BSkyB / Kirch Pay TV procède de la même logique de dépassement des frontières.
Par ailleurs, les frontières qui pouvaient exister entre les différents segments de l'industrie des médias ont tendance à s'effacer. Ainsi constate-t-on que des éditeurs de presse magazine (EMAP, Hachette) ou les diffuseurs radios (NRJ) se transforment en acteurs télévisuels , profitant du media Internet pour mettre en valeur leurs marques et contenus sous des formes visuelles et interactives.
S'il est bien connu que les opérateurs de télécommunication s'intéressent aux producteurs de contenus, on assiste actuellement au phénomène inverse avec NRJ qu'on voit se lancer dans la diffusion technique avec TowerCast..
(2) La fusion Vivendi Seagram
Un certain nombre d'observateurs, ont, après l'annonce de la création de Vivendi Universal, souligné les limites et donc le peu de portée de la règle limitant à 49% la participation d'un même actionnaire dans le capital d'une société titulaire d'une autorisation d'émettre.
Afin d'être en conformité avec la loi, Canal Plus France, rebaptisé Canal Plus Programmes, devait initialement être séparé de l'ensemble Vivendi Universal, ce dernier restant son actionnaire à 49 %. Titulaire de l'autorisation d'émettre, cette structure aurait été exclusivement chargée de concevoir et de diffuser les programme s. Les formes étaient donc respectées, les autorisations d'usage de fréquences étant délivrées « pour la diffusion d'un service de télévision «.
En fait, les compétences économiques de Canal Plus France, et notamment la gestion de son fichier d'abonnés, aurait été en effet transférée à Vivendi Universal via une filiale, Canal Plus Distribution qui, à son tour, devait reverser à Canal Plus Programmes une redevance annuelle égale à 3,2 % du chiffre d'affaires abonnés. Pour les uns, la chaîne serait devenue une « coquille vide », pour les autres, « Ce qui compte, c'est l'indépendance éditoriale ».
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel a annoncé fin juillet qu'il avait décidé de «ne pas s'opposer au projet» de fusion entre Vivendi, Seagram et Canal Plus. Il a constaté que l'identité éditoriale et la nature des programmes de Canal+ ne seraient pas affectés par ce projet en précisant qu'il « sera extrêmement attentif à ce que la réalisation effective de l'opération et en particulier les contrats entre la chaîne et sa société de distribution, respectent les principes au vu desquels il s'est prononcé ». Le CSA a donc exigé que soit assurée l'indépendance économique et financière de Canal+ SA, ce qui imposait qu'elle conserve notamment la pleine propriété de son fichier d'abonnés, la relation directe avec ceux-ci, l'encaissement des abonnements et la maîtrise de sa politique tarifaire et commerciale. «Canal+ SA contrôlera de manière pérenne l'évolution de son chiffre d'affaires (abonnement, publicité, parrainage) et pourra donc honorer ses engagements réglementaires et contractuels, dans la durée, à l'égard de la production cinématographique et audiovisuelle et des droits d'auteur.
b) Le secteur public sous haute surveillance
Le problème de la concurrence entre le secteur public et le secteur privé se trouve aujourd'hui relancé par les suites données par la commission de Bruxelles à une plainte déjà ancienne déposée par un certain nombre d'opérateurs privés européens.
Un certain nombre d'interlocuteurs de votre rapporteur semblent ainsi penser qu'il n'est pas impossible que les règles du jeu puissent changer au point d'interdire aux sociétés de l'audiovisuel public de financer des développements par trop commerciaux avec de l'argent de l'Etat.
La société TF1 avait déposé, en 1993, une plainte accusant les deux chaînes publiques, France 2 et France 3, de concurrence déloyale. C'est tout le dossier du droit des chaînes publiques à avoir recours à la publicité qui est ainsi mis en cause. Pour justifier sa plainte, TF1 fait valoir qu'il n'est pas possible que les chaînes publiques bénéficient à la fois de crédits publics et de recettes publicitaires.
Condamnée en carence en septembre 1998 à l'occasion d'un litige opposant la télévision publique espagnole à la société privée Telecinco, la Commission a relancé la procédure contentieuse et adressé une lettre en date du 28 février 1999 à la France, à l'Espagne et à l'Italie, demandant que lui soit démontré la compatibilité du financement public avec la prohibition des aides directes prévues aux articles 92 et suivants du Traité de Rome et notamment que soit définie la mission de service public impartie à France 2 et France 3..
Toute la question est de savoir dans quelle mesure le protocole d'Amsterdam du 17 juin 1997 consacré à l'audiovisuel, protège les secteurs audiovisuels publics des menaces que constitue une application rigoureuse des règles de la concurrence et notamment de celles relatives aux aides d'État et dans quelle mesure l'exercice de missions de service public peut-il bénéficier de l'exception de service public contenue de l'article 90.2. En effet, l'article 90.2 exempte, sous certaines conditions, les entreprises chargées d'un service d'intérêt économique général des règles de concurrence.
Mais, il faut rappeler que le protocole d'Amsterdam assortit cette reconnaissance d'une condition que « le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de la Communauté » . Cette règle interprétée strictement n'interdit pas aux autorités de Bruxelles de faire jouer le droit de la concurrence et, de ce point de vue, le secteur public n'est pas à l'abri d'une remise en cause de son mode de financement voire de son mode de fonctionnement. Le changement de titulaire des compétences en matière de concurrence au sein de la commission de Bruxelles peut toutefois laisser espérer une certaine souplesse dans la gestion de ce contentieux.
2. Un secteur public sous-financé et handicapé par rapport à ses concurrents du secteur privé
L'aventure du numérique est au coeur de la stratégie de redressement et de re-dynamisation de France télévision de son nouveau président. Pour la mettre en oeuvre, le secteur public a besoin d'investir et donc besoin d'argent.
a) Les besoins de financement issus du numérique
Prenant acte de ce que, faute de moyens, la télévision publique française n'a pas pu suivre les augmentations de capital de TPS pour s'y trouver progressivement marginalisé de facto et qu'elle a ce faisant, raté le premier train du numérique, laissant au secteur privé un rôle de locomotive en la matière, le président de France télévision ne veut pas manquer ce qu'il considère comme la dernière chance de France télévision.
Ainsi a été créée, France Télévision Interactive , qui doit développer tous les programmes interactifs du groupe ayant pour vocation d'être diffusés par tous les opérateurs, mais dont les moyens sont encore mal définis. Il a été indiqué à votre rapporteur spécial qu'en 2001, année de lancement des services, le coût pourrait être dans l'hypothèse d'une couverture de 50% de la population française et l'activation de certains canaux seulement compris entre 200 et 500 millions de francs, c'est à dire encore assez loin du montant total évoqué par France Télévision, soit 1,6 à 1,8 milliards de francs, dont 1,3 à 1,4 milliards de francs directement liés au coût de la grille des programmes numériques.
Quelle que soit la solution qu'on y apporte, la question du financement doit être posée d'autant plus que la rentabilité de l'opération n'est pas évidente alors que le paysage audiovisuel est déjà occupé par le câble et le satellite et leurs centaines de chaînes.
Un rapport de la direction des médias, dont la presse s'est fait l'écho fournit quelques réflexions intéressantes à cet égard.
La première condition du succès de cette technologie est l'achat par les 24 millions de foyers français de décodeurs ou, à terme, de nouveaux téléviseurs, ce qui suppose une action commerciale déterminée des opérateurs et/ou une aide de l'Etat. La vitesse de propagation dépendrait ainsi largement de canal + selon que la chaîne accélérera ou non la migration de ses décodeurs analogiques vers le numérique, dont le coût est évalué à 3 milliards d'euros.
Dans l'hypothèse - relativement haute - d'une croissance du marché publicitaire estimée à 7,5 milliards de francs sur dix ans, il est estimé qu'un bouquet payant dont l'abonnement serait inférieur à 100 francs, avec un décodeur offert pendant quatre ans, pourrait trouver son équilibre économique entre la sixième et la huitième année, étant avancé que les chaînes publiques, dopées par les dotations en capital, pourraient, d'après cette étude, disposer de moyens supérieurs aux chaînes privées au moment du lancement du numérique de terre.
En tout état de cause, il est clair que l'une des difficultés consistera à ne pas déstabiliser le paysage audiovisuel car, pour citer le rapport, « la présence d'un trop grand nombre de chaînes en clair sur la télévision numérique de terre serait un élément de déstabilisation des bouquets existants sur le câble et le satellite. »
En revanche, le rapport estime que le bénéficiaire de ce nouveau système de diffusion, serait la production audiovisuelle qui pourrait ainsi obtenir 2 milliards de francs de recettes supplémentaires sur 10 ans sur dix ans.
b) Le décrochage des moyens par rapport au secteur privé
Il est une sorte de quadrature du cercle budgétaire dans laquelle l'État actionnaire enferme l'audiovisuel public.
L'évolution du budget de l'audiovisuel public tend à être calquée sur celle du budget de l'État, alors que celui de ses concurrents privés augmente à la vitesse d'un marché en plein développement.
C'est en partant de ces considérations que votre rapporteur spécial avait tenté, dans le cadre du rapport d'information publié à l'issue des travaux du groupe de travail de la commission des finances qu'il a présidé sur le financement de l'audiovisuel public, de projeter à partir d'hypothèses naturellement simplificatrices mais significatives, l'effort public nécessaire pour permettre au secteur public de rester dans la course .
Le principe est de donner au secteur public des moyens qui croissent de façon non disproportionnée avec ceux de ses concurrents privés. On doit souligner qu'un même taux de croissance des moyens aboutit à renforcer le déséquilibre en valeur absolue : bien que cela soit une évidence, il est nécessaire de rappeler que les points de croissance ne pèsent pas le même poids selon que l'on part de 5 ou de dix milliards de francs de recettes publicitaires...
Sans même anticiper des taux de croissance de 7 à 9 % comme ceux évoqués par le nouveau président de France Télévision, devant le groupe de travail ou même d`évoquer des taux de croissance à deux chiffres comme en connaissent actuellement les chaînes privées, votre rapporteur spécial a simplement souhaité déterminer les besoins du secteur public par rapport à une hypothèse de 4 à 5 % des ressources de ses concurrents TF1 et M6.
Évitant de gérer des effets de phasage dans le temps de l'augmentation des ressources et en restreignant son raisonnement à France 2 et France 3, votre rapporteur spécial s'est contenté, avec les informations dont il dispose, de se poser une question simple : Quelles devraient être les ressources courantes de France télévision - dans sa configuration actuelle - en 2005 ?
A ce calcul de besoins courants, il faudra ajouter :
• les ressources qui doivent venir compenser la diminution des recettes de France 2 et France 3 consécutives à la réduction progressive de la durée maximale des écrans publicitaires (8 minutes contre 12 en heures glissantes) ;
• d'éventuelles recapitalisations dues à la nécessité de reconstituer les fonds de roulement des chaînes ;
• des dotations en capital justifiées par les investissements que doit effectuer France télévision, si le nouveau groupe veut présenter une offre numérique cohérente et crédible.
Il y a une certaine interdépendance entre les besoins courants calculés par rapport à ceux des concurrents et c'est pour cela que votre rapporteur spécial propose de projeter les besoins de France Télévision suivant deux cas de figure :
• un calcul assez large des besoins courants estimés par rapport à un taux de croissance de 4 % par an en moyenne jusqu'à 2005 , avec en contrepartie une évaluation au plus juste des besoins en capital à un niveau de l'ordre de 500 millions de francs ;
• une évaluation moins généreuse des besoins courants calculés sur la base d'une augmentation de 3 % par an en moyenne jusqu'à 2005 , mais assortie en revanche d'une estimation beaucoup plus large des besoins en capital portés dans cette hypothèse à 1,5 milliard de francs, chiffre évoqué par M. Marc Tessier et repris dans la presse.
L'évolution des dépenses publicitaires sur la période 2000-2005 prête à anticipations divergentes.
L'annexe jaune figurant du projet de loi de finances pour 2000 prévoyait une diminution de près de 550 millions de francs des recettes publicitaires entre 1999 et 2000. Le chiffre, de l'ordre du milliard de francs évoqué pour chiffrer les pertes de recettes consécutives, est sans doute quelque peu surestimé, compte tenu de la bonne conjoncture et donc de la raréfaction des écrans.
De fait, si l'on ajoute aux 550 millions de francs ci-dessus les quelque 250 millions de francs de diminution des ressources de publicité et de parrainage prévus dans l'annexe jaune du budget pour 2001, on aboutit à la perte de recettes figurant dans l'estimation tentée par votre rapporteur spécial.
Partant de la double hypothèse simplificatrice que, en tout état de cause, ces pertes de recettes publicitaires seront compensées et que l'évolution de l'audience ne devrait pas permettre, même si elle se redressait durablement, de faire progresser de façon significative les recettes publicitaires, votre rapporteur en déduit simplement que l'intégralité de l'augmentation des ressources de France 2 et France 3 devra provenir de la redevance ou de crédits budgétaires.
Considérant que les besoins de reconstitution des fonds de roulement peuvent être évalués au minimum à 300 millions de francs 1 ( * ) et ce en calculant les besoins au plus juste, il ressort de ce tableau qu'il faut trouver en francs constants soit :
• 3 milliards de francs de ressources publiques supplémentaires, à l'horizon 2005 , auxquelles il faut ajouter 500 millions de francs pour le financement des investissements vraiment exceptionnels en vue du lancement du numérique terrestre et 300 millions pour la remise à niveau des trésoreries des entreprises, à verser immédiatement ;
• 2,2 milliards de francs de ressources publiques supplémentaires à l'horizon 2005 , auxquelles il faut ajouter les trois cents millions de francs pour les trésoreries , à verser immédiatement, ainsi que 1,5 milliard de francs de dotation en capital au titre du numérique terrestre , dont la mise à disposition pourrait cependant être échelonnée sur la période.
En fait, il faut également y ajouter la compensation annuelle des pertes de recettes publicitaires - quel que soit l'habillage juridique qu'on donnera à cette compensation soit environ 800 millions de francs dans une hypothèse moyenne.
Bref, il résulte de cet exercice nécessairement sommaire qu'il faut trouver à l'horizon de cinq ans entre 3 et 3,8 2 ( * ) milliards de francs de ressources publiques courantes annuelles et entre 800 et 1800 millions de francs de dotation en capital. Et ce, sans compter, ni le coût de 35 heures, ni la satisfaction des besoins des autres sociétés de l'audiovisuel, et notamment de celles qui ne seront pas intégrées dans la nouvelle société holding : Radio France mais également l'INA, RFI ou RFO doivent, elles aussi, disposer des moyens d'accomplir leurs missions et de s'adapter au numérique.
Dans ces conditions, votre rapporteur débouche sur les deux conclusions suivantes :
• il ne semble guère réaliste de priver le secteur public des recettes courantes qui lui sont nécessaires pour rester sinon compétitif du moins attractif, au moment où le secteur privé tend à monopoliser les programmes « premium » ;
• il faut avoir le courage politique de dire aux Français qu'ils doivent payer le prix de l'indépendance et de la démocratie audiovisuelle en acceptant une augmentation de la redevance , ou, à défaut de dégager des ressources budgétaires.
c) Les handicaps de gestion
Pour survivre dans un processus de concurrence quasi darwinien, le secteur public devra, d'une part, se recentrer sur ses vraies missions et, d'autre part, se voir doter des structures administratives et financières sans lesquelles il ne résistera pas.
Pour s'adapter à l'évolution de son environnement, le secteur public a besoin de stabilité et d'indépendance. Or, toute l'histoire de ces 25 dernières années montre que l'on n'a pas donné aux chaînes publiques les moyens institutionnels et financiers de leur développement.
L'État actionnaire et tuteur non seulement n'a pas joué son rôle mais a multiplié des interventions déstabilisatrices. le vrai tuteur du secteur public audiovisuel n'est pas rue de Valois mais quai de Bercy.
(1) La convention collective au point mort
Le maintien en l'état de la convention collective actuelle, dépassée par l'évolution technologique, défavorise le secteur public dans sa compétition avec le secteur privé et aboutit à encourager une attitude de repli face à la concurrence.
(2) Le poids des 35 heures
Les entreprises du secteur de l'audiovisuel public sont exclues des aides publiques destinées aux entreprises anticipant le passage à 35 heures avant le 1 er janvier 2000. Elles doivent, en conséquence, financer la réduction du temps de travail sur leurs ressources propres. Ainsi que le prévoit la loi, les modalités d'accompagnement de la réduction du temps de travail seront déterminées dans le cadre des procédures régissant ses relations avec les tutelles.
On peut rappeler que les principes définis par les tutelles sont les suivants :
• prise en compte des situations réelles, des durées effectives sur la semaine, sur l'année. Réalisation d'un état des lieux préalable à l'ouverture des négociations,
• toute négociation devra être encadrée par un mandat, selon une procédure semblable à celle utilisée pour les accords salariaux, dont le calendrier doit être homogène pour tous les diffuseurs,
• les négociations sur la réduction du temps de travail devront être couplées avec celles sur les salaires, dans l'optique d'une modération salariale.
Il était précisé que la réduction du temps de travail devra s'accompagner d'une évolution de l'organisation du travail et d'une amélioration des performances économiques de l'entreprise, ainsi que de la qualité du service rendu au public. L'accord ne saurait reposer simplement sur la hausse des subventions accordées par l'État.
Il avait été prévu qu'un état des lieux serait établi pour préciser la durée du travail et sa rémunération par services, fonctions, catégories, mais aussi les règles et les pratiques en vigueur, notamment en matière de contrôle des horaires.
La réduction du temps de travail a ainsi engagé un processus de concertation qui s'est déroulé sur la base de ces directives générales, suivant des modalités propres à chaque société.
Ainsi à France 3, ont été mis en place à partir de septembre 1999 des groupes de travail qui ont permis d'aboutir à un accord en février 2000, qui a rendu effective la loi sur les 35 heures avec effet rétroactif au 1 er février2000.
Cet accord qui prévoit dix modalités de réduction du temps de travail a abouti à la création d'un certain nombre d'emplois : 220 emplois, dont 60 "permanentisation », étalées sur 2000 et 2001.
A France 2 , l'accord qui a été signé aux mêmes dates, a prévu des créations d'emplois - 70 emplois en 2000, dont 70 postes de journalistes, 15 emplois en 2001 et 2002. Les informations dont dispose votre rapporteur spécial sont moins précises dans la mesure où il semble que dans cette entreprise il est prévu d'engager un certain nombre de négociations sur des questions particulières : personnels pigistes, astreintes, mise en place d'un compte épargne temps etc.
Le coût de l'accord estimé par la société lors de l'élaboration du projet économique et social de la société serait de 34 millions de francs par an pour un besoin de financement évalué à 23 millions de francs par an compte tenu des gains de productivité.
Aucun chiffrage n'a été communiqué à votre rapporteur spécial pour ce qui concerne La cinquième , dont l'accord, entré en vigueur aux mêmes dates que les précédents, prévoit de recruter dix personnes en contrat à durée indéterminée et d'intégrer huit salariés non permanents.
L'accord sur la réduction du temps de travail signé à Radio France à la fin janvier 2000 est également entré en vigueur le 1 er février suivant prévoit diverses modalités de diminution des horaires (par exemple + 16 jours pour les journalistes travaillant en 5/2) en contrepartie du maintien de la durée actuellement travaillée, ainsi que des créations d'emplois : 175 emplois, dont 55 emplois de journalistes, que la direction a choisi d'abord de proposer à la mobilité interne, mais qui ont donné lieu à 46 recrutements. Le coût des créations d'emplois serait de 46 millions par an. Radio France estime pouvoir les financer à hauteur de 14,5 millions de francs, grâce aux modérations salariales de 1998 et 1999, années qui n'ont pas connu d'augmentations générales, ainsi que par la réduction - en nombre et en tarif - des heures supplémentaires et par la diminution des contrats à durée indéterminée.
A RFO , l'accord signé le 28 janvier 2000 s'est traduit par la fixation de volume annuel de travail par grandes catégories, ainsi que par la création de 13 emplois. En marge de l'accord, un compte épargne temps a été négocié et est encours de signature; Il a été indiqué à votre rapporteur que « la marge de manoeuvre de l'entreprise est faible. Elle passe par une meilleure planification des absences et une modification de son organisation du travail pour accroître sensiblement sa productivité ou, au pis aller, réduire son activité. »
A RFI , l'accord signé le 2 février 2000 prévoit un horaire annuel de base de 1575 heures et une série d'options pour la réduction du temps de travail (dont notamment 18 jours supplémentaires pour les cadres) aboutissant à la création de 61 emplois équivalent temps plein. Aucune information n'a été fournie à votre rapporteur spécial sur le coût d ce dispositif.
A l'Institut national de l'audiovisuel , enfin, l'accord signé le 28 février 2000 s`est effectué dans un contexte difficile et a abouti à des réaménagements de l'organisation du travail permettant la consolidation de 37 emplois.
On note que l'accord revient sur le principe de la journée continue et est basé sur le temps de travail effectif pour ne réduire la durée de travail à 34 heures, par rapport aux 34 H 40 en vigueur. Le financement est assuré par une modération salariale sur les trois années 1999, 2000 et 2001 à un niveau égal à 1,4 % de la masse salariale, avec une atténuation du gel pour les bas salaires en 2001.
Votre rapporteur spécial observe que le processus de négociation s'est déroulé dans des conditions satisfaisantes, tout en s'interrogeant sur le fait qu'il intervient alors qu'on n'a toujours pas réussi à remettre à plat l'organisation du travail dans le cadre d'une renégociation de la convention collective.
3. L'aménagement nécessaire de l'assiette et du mode de perception de la redevance
Partant de l'hypothèse qu'il faut dégager des ressources supplémentaires pour l'audiovisuel public, votre rapporteur spécial estime qu'il faut augmenter la redevance, même si cette voie peut sembler difficile s'agissant d'une imposition déjà peu populaire.
La budgétisation des ressources de l'audiovisuel doit être écartée car elle place le secteur public en situation de vulnérabilité face aux risques toujours possibles de mesures de régulation.
Le financement par les taxes assises sur les jeux proposé par le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale n'est pas vraiment satisfaisant en ce que les ressources actuellement dégagées serait insuffisantes pour couvrir les besoins de l'audiovisuel public et surtout que comme un financement budgétaire, elle détruit le lien entre le citoyen et l'audiovisuel public.
Votre rapporteur s'appuiera assez largement sur les conclusions du rapport de l'inspection des finances de novembre 1999 pour démontrer qu'il est possible d'en réformer l'assiette et le mode de perception pour en faire un bon mode de financement de l'audiovisuel public, surtout si comme il le souhaite, on en augmente - progressivement - le montant.
a) La redevance dans son contexte
On a vu que la redevance était avec un produit attendu de presque 14 milliards de francs en 2001 une ressource dynamique.
Au 30 juin 2000, on dénombrait près de 22 millions de comptes, qui se répartissaient en 18,5 millions de comptes payants et 3,5 millions de comptes non payants.
UNE MEILLEURE BBC POUR L'ÈRE DU NUMÉRIQUE Le groupe d'évaluation est parvenu aux conclusions suivantes : • la BBC doit conserver un rôle central dans la fourniture du service public de radiodiffusion au cours des premières années de l'ère du numérique, au moins jusqu'à la révision de la charte en 2006 ; • en vue d'atteindre cet objectif, la BBC aura besoin d'améliorer son offre globale de service tant analogique que numérique de façon sensiblement plus rapide que pendant les années 1990 ; • l'option pour le statu quo consistant à augmenter la redevance au même rythme que l'inflation après 2001 ne peut, en conséquence, être retenue ; • la source principale de nouveaux financements pour des services supplémentaires doit être trouvée en « interne » (self-help) sous la forme de gains de productivité, de revenus commerciaux accrus et de ressources de privatisation ; • la source de financements subsidiaires qui s'élève à environ 150 à 200 millions de livres par an doit provenir d'une augmentation de la redevance ; • l'augmentation de la redevance principale constitue la voie la plus commode pour ses fonds supplémentaires, mais non la voie la meilleure, dans la mesure où il n'est pas juste de faire supporter aux foyers recevant les programmes analogiques le développement de programmes numériques qu'ils ne peuvent recevoir ; • la méthode la plus adaptée est de créer un supplément de redevance numérique venant s'ajouter à la redevance principale, supplément qui serait égal en moyenne à 1,57 Livre Sterling par mois pendant sept ans jusqu'en 2006, et qui tomberait à 0,99 Livre Sterling à la fin de la période ; • le supplément de redevance numérique a besoin d'être géré dans le temps afin de permettre d'anticiper la fin de la diffusion analogique ; • la BBC doit chercher à obtenir une injection significative de capitaux privés dans BBC Worldwide et doit vendre le plus gros de BBC Ressources ; • la BBC doit chercher à développer ses services commerciaux, ce qui ne doit pas entrer en conflit avec sa fonction de radiodiffuseur de service public, étant entendu que de nouvelles mesures doivent être mises en oeuvre pour assurer que les règles de la concurrence sont respectées de façon stricte en toute transparence ; • les règles relatives au régime de faveur en matière de redevance pour les personnes vivant en maison de retraite ou en asile doivent être conservées ; • un nouveau tarif de la redevance à moitié prix doit être créé pour les aveugles tandis que la BBC doit de façon urgente définir ses objectifs en matière de sous-titrage ; • le rôle et le mode de financement de la BBC doivent faire l'objet d'une remise à plat radicale au moment où doit être revue la charte, en 2004-2006, |
En 1999, on a enregistré plus de 480 000 nouveaux comptes soit une augmentation exceptionnelle due aux possibilités de contrôle offertes par le croisement avec le fichier de la taxe d'habitation permis par un article voté à l'initiative du Sénat dans la loi de finances rectificative pour 1996. Mais le service de la redevance prévoit avec le temps un tassement de cet effet, qui est à l'origine des importants dépassements des recettes par rapport aux prévisions en 1998 et en 1999.
Le montant annuel des pertes de recettes dues aux exonérations de redevance est estimé à 2.193 millions de francs en 1999. Quant à l'évasion, elle est estimée par le service de la redevance à 4 % du nombre de détenteurs d'appareils. L'enjeu des contrôles porte donc sur 3 à 4 % des ménages équipés, soit près de 800.000 comptes à ouvrir, correspondant à environ 500 millions de recettes supplémentaires.
Il est important de noter qu'une partie de l'importance des frais de recouvrement de la redevance tient à la complexité du régime des exonérations.
La France se distingue par un régime de redevance extrêmement favorable et un taux relativement modéré comme le montre le tableau ci-dessous.
b) Les observations de l'inspection des finances
Dans son rapport, l'inspection des finances s'est d'abord efforcée de calculer le coût complet du Service de la redevance, en y incluant une série de coûts non pris en compte dans les chiffres figurant dans les documents budgétaires.
Le budget du service, soit 488 millions de francs, représente 3,85% du produit récolté mais, outre qu'il n'a guère baissé en francs constants depuis 10 ans ( -8,8%), il méconnaît un certain nombre de coûts :
• Des charges ne sont pas budgétées, telles celles relatives aux locaux domaniaux ou à l'Etat employeur - mais n'en est-il pas de même pour d'autres services ?- : 98 millions de francs ;
• Certains frais sont supportés par le réseau de la comptabilité publique comme le recouvrement contentieux par les postes comptables pour un montant total de 310 millions de francs.
Ainsi recalculé, le coût de gestion de la redevance se monte à près de 7% de son produit , ce qui en fait une imposition chère à collecter nettement au dessus de la taxe d'habitation et fait du service de la redevance un des organismes européens les plus onéreux.
L'inspection de finances admet volontiers que le service de la redevance fait preuve dans les limites de ses missions d'une certaine efficacité, rejoignant l'impression de votre rapporteur spécial, lors de son déplacement à Rennes, où il avait pu y voir des agents publics organisés de façon efficace, accomplissant au mieux les tâches qui leur étaient assignées compte tenu des pouvoirs limités dont ils disposent.
Ainsi l'inspection a-t-elle notamment noté l'augmentation du nombre de compte géré par agent qui atteint 21 500 contre 36 600 en 1992, mais elle mis en avant un certain nombre de points faibles dans la gestion :
• Des recettes d'ordre très importantes - dégrèvement, remises et admissions en non-valeur - de l'ordre de 2 milliards de francs, soit 16% des encaissements ;
• L'importance de la fraude évaluée à 7,6% par le service mais que l'inspection des finances a estimé pour sa part à 16,7%, correspondant à une évasion de presque 11% pour les résidences principales et 66% pour les résidences secondaires ;
• L'inefficacité du système des recoupements à partir des déclarations des commerçants qui aboutit à ce que 60% des comptes ouverts doivent ensuit être résiliés ;
• Le coût élevé des relances par voie d'huissier par suite notamment de l'impossibilité d'utiliser la procédure d'avis à tiers détenteur ;
• Enfin, un stock de courrier important : 230 000 lettres étaient ainsi en instance fin 1998, soit une augmentation de 30% par rapport à l'année précédente.
Soulignant les limites à l'action de contrôle résultant du peu de prérogatives juridiques (impossibilité de pénétrer au domicile des redevables sans l'accord des intéressés et limitation du droit de communication auprès des professionnels), de l'impossibilité pratique de vérification des résidences secondaires, ainsi que de la mauvaise qualité des informations fournies par les commerçants, l'inspection des finances a fait une série de propositions écartant certaines solutions couramment avancées.
Ainsi, il n'est pas proposé :
• de renversement de la charge de la preuve dans la mesure où il lui paraît difficile d'apporter une preuve négative ;
• De faire collecter la taxe par un service comme EDF qui serait sans doute très réticent à servir d'agent de recouvrement, même si elle a admis devant votre rapporteur spécial que le système espagnol consistant à taxer forfaitairement les recettes du distributeur d'électricité pouvait sembler séduisant ;
• de budgétiser les ressources de l'audiovisuel public qui lui semble une mesure coûteuse - de 13 à 20 milliards de francs, selon que l'on pourra ou non continuer à financer l'audiovisuel public par des recettes publicitaires -, mal perçue par les acteurs de l'audiovisuel public et posant des problèmes de reclassement des agents du service de la redevance.
En revanche, l'inspection des finances préconise une solution qui tout en conservant à la redevance son caractère de taxe parafiscale affectée contrepartie d'un service, l'adosserait sur la taxe d'habitation pour prévoir que :
• Le fait générateur de la taxe serait aligné sur celui de la taxe d'habitation - disposer de locaux meublés affectés à l'habitation - ce qui permettrait d'utiliser le même identifiant fiscal, avec pour conséquence de ne plus faire reposer le paiement sur la détention d'un appareil au moment où les évolutions technologiques vont rapprocher les ordinateurs des appareils de télévision ;
• La taxe resterait autonome vis a vis de la taxe d'habitation : elle ne figurerait pas sur le même avis d'imposition de façon à éviter une confusion des responsabilités - dénoncée à maintes reprises par votre rapporteur spécial - et conserverait un régime d'exonération autonome plus simple que celui de la taxe d'habitation, tandis que le service de la redevance ne s'occuperait plus que des fonctions de traitement des avis d'imposition et du contentieux - actuellement gérées par les trésoreries - à l'exclusion de toute fonction de contrôle sur place.
L'inspection estime à 1000 emplois les gains de productivité consécutifs à la réforme qu'elle préconise - 630 pour le service et de la redevance et 380 pour la Comptabilité publique - et évalue à 4,1 milliards de francs les encaissements supplémentaires qui en résulteraient à redevance et exonérations constantes.
A ce sujet, votre rapporteur spécial a noté les développements consacrés par l'inspection des finances à la question de l'exonération des bénéficiaires du revenu minimum d'insertion . La mesure, qui existe actuellement pour la taxe d'habitation, coûterait en théorie 300 millions de francs. Or, compte tenu de l'importance des remises actuellement consenties par le service - avec des disparités régionales non négligeables -, le coût de cette exonération ne devrait guère dépasser 150 millions de francs .
Sans faire siennes toutes les suggestions de l'inspection des finances, notamment en ce qui concerne le traitement des résidences secondaires pour lesquelles la présomption d'équipement lui parait difficilement soutenable 3 ( * ) , votre rapporteur spécial n'en estime pas moins qu'il s'agit de propositions sérieuses, de nature à apporter un supplément de financement substantiel au secteur public audiovisuel.
En tout état de cause, il estime qu'il faut également, surtout si les règles d'assiettes n'étaient pas changées, qu'il faut aussi revoir le niveau de la redevance, qui non seulement est sensiblement plus faible que celle des autres grands pays européens, mais encore prend du retard par rapport à l'inflation comme le montrent les développements suivants :
Le tableau ci-dessus montre également que la part que représente le produit de la redevance dans le PIB a tendance à se situer à un minimum historique ces trois dernières années, sensiblement inférieur aux maxima atteint au milieu des années 80.
En ce qui concerne l'évolution des taux, on constate si la redevance suit à peu près l'inflation d'une année sur l'autre, on note que le retard pris en 1987 n'a été rattrapé qu'en 1995-1996.
La référence au salaire minimum de croissance est également éclairante puisqu'elle montre qu' exprimée en nombre d'heures de travail payées au SMIC, la redevance a tendance à baisser de prix de façon très importante depuis le début des années 1980 : quand il fallait presque 24 heures de travail au salarié au SMIC pour payer sa redevance en 1980, il en faut à peine 18 aujourd'hui.
Une autre façon de présenter cette évolution est de considérer que, si l'on voulait maintenir la valeur de la redevance exprimée en taux horaire du SMIC et en prenant la valeur moyenne des cinq premières années de la décennie 1980, soit 22 heures, on doit fixer le montant de la redevance à près de 900 francs.
Les enseignements que l'on peut tirer de ce tableau sont que :
1°) le mode de fixation de la redevance tend à faire évoluer son montant comme son produit moins vite que le produit intérieur brut, ce qui marque une baisse du budget consacré à la télévision publique par les Français ; évolution que l'on ne peut pas ne pas rapprocher du développement rapide dans notre pays de la télévision payante dont on a vu qu'elle représentait désormais une dépense sans doute deux fois supérieure à celle de la redevance ;
2°) le cycle « stabilisation/rattrapage » que l'on constate quand on compare l'évolution de la redevance par rapport aux prix et à la croissance en valeur, est un facteur peu favorable au développement des chaînes publiques qui ont besoin de stabilité des ressources : de ce point de vue, une indexation aurait l'intérêt de garantir la stabilité des ressources de l'audiovisuel public dans le respect de l'ordonnance organique qui limite les prérogatives du Parlement s'agissant d'une taxe parafiscale et en interdit une fixation pluriannuelle compte tenu du principe de l'annualité budgétaire ;
3°) un paradoxe et non des moindres, est, de ce point de vue, qu'au moment où l'on parle de relancer l'audiovisuel public, on semble entré dans une phase de stabilisation, ce que la traduit la hausse de la redevance pour 2000, qui a été calquée sur celle du budget et donc des prix et non sur celle du marché de l'audiovisuel, dont le dynamisme est à la mesure de celui de la croissance générale, indépendamment de sa non augmentation pour 2001.
En conclusion de cette analyse, on peut dire qu'une remise à niveau de la redevance pour faire face aux besoins calculés précédemment, maintiendrait le niveau de la redevance largement en dessous de son niveau en termes de pouvoir d'achat par rapport au début des années 1980.
4. La télévision locale enjeu d'identité et de démocratie
Pour votre rapporteur, il est évident que les télévisions locales au sens le plus large ne connaissent pas en France le développement que permet la technologie .
Une des caractéristiques des évolutions technologiques en cours - satellite, câble numérique terrestre - est que celles-ci autorisent les initiatives les plus variées des acteurs qu'ils soient privés ou publics.
Pourquoi alors cette atrophie des télévisions d'initiative locale en France ?
Sans doute cela tient-il effectivement à des problèmes « d'économie », car il n'est pas facile de trouver les recettes publicitaires en un montant suffisant pour assurer la rentabilité de la station.
Mais, ainsi qu'en témoigne le projet de syndication publicitaire imaginé autour de la Presse quotidienne régionale, on peut trouver des solutions.
Si cela ne suffira sans doute pas à débloquer la situation et à offrir dans la plupart des communes le cadre permettant l'éclosion de télévisions communautaires comme on en connaît par exemple au Canada, cela tient à l'existence d'autres obstacles économiques ou juridiques.
Au moment où se répandent des caméras numériques permettant à un minimum de personnes de réaliser des émissions au moindre coût, il est anormal que n'apparaissent pas plus de télévisions locales.
La conviction de votre rapporteur spécial est que, demain, le satellite comme le numérique terrestre, constituent l'occasion de développer des programmes locaux ; qu'il s'agisse du satellite pour lequel les coûts de diffusion bien qu'élevés, ne sont pas hors de portée - en partenariat - d'une collectivité territoriale, région département voire agglomération ; qu'il s'agisse du numérique terrestre qui apparaît encore plus sûrement offrir à des opérateurs locaux publics ou privés des moyens peu coûteux de toucher une population locale.
a) Le mariage de la presse et d'Internet, qui donne naissance à de la télévision
La presse quotidienne régionale (PQR) prend une nouvelle fois l'initiative pour mettre ne valeur son savoir-faire en matière d'information de proximité et faire face à la nouvelle concurrence du Web et affirmer une vocation multimédias.
Ainsi, fin août à Hourtin, a eu lieu le lancement officiel de TVWeb Régions, un réseau de télévision de proximité sur Internet. Cette initiative associe cinq quotidiens régionaux (Dépêche, La Nouvelle République du Centre-Ouest, Le Parisien, Sud-Ouest et Le Télégramme de Brest) à Canal Web. Cette structure au capital de 22,6 millions de francs, détenue à 80 % par les organes de presse, est avant tout une plate-forme technique permettant de « mutualiser » les coûts d'investissements, au demeurant beaucoup plus limités que ceux de la télévision classique. Elle devrait également servir de banque de production, d'échanges et d'archives d'images avec en perspective la création d'une régie publicitaire.
La structure est très décentralisée : chaque groupe doit créer sa propre télévision sur le Web dont il assurera le fonctionnement et le financement, évalué entre 2 et 3 millions. Certains groupes attendront avant de se lancer sur ce nouveau marché mais d'autres sont déjà prêts comme Sud-Ouest. Ce dernier a créé TV Web 33 qui, avec une équipe de cinq salariés, diffuse un journal quotidien local de deux minutes sur Bordeaux, un entretien d'une personnalité, ainsi que la météo et l'état de la circulation. Cette expérience devrait être suivie par l'ouverture, dès 2001, d'une chaîne par département dans la zone du quotidien.
Pour le groupe, ce projet sert de préfiguration à la future télévision hertzienne TV7, lancée au printemps prochain.
La plupart des participants à ce projet et notamment le Parisien, conçoivent leur action comme une sorte de tour de chauffe avant de se lancer dans la télévision.
b) Les initiatives hertziennes
Au titre des initiatives de regroupement de la PQR, il convient également de mentionner la création en 1995 du GIE «France Images Régions», réseau des sociétés de production de la PQR regroupant dix titres. Celui-ci collabore notamment avec TF1 et LCI ainsi que pour les décrochages locaux de M6.
Mais, l'essentiel du changement s'est concrétisé dans le domaine de la télévision où la presse, en l'occurrence la PQR, a manifesté clairement son intention de prendre l'initiative.
Ainsi, a-t-elle créé au premier semestre 1999 un GIE de réflexion, Télévision Presse Région (TPR). Celui-ci s'est exprimé à l'occasion de la consultation publique lancée par le gouvernement sur la télévision numérique terrestre. Cette consultation a été effectuée de juin à la fin septembre 1999 sur quatre thèmes: la place du secteur public audiovisuel dans la diffusion numérique terrestre ; l'impact de celle-ci sur l'industrie des programmes ; les conditions du meilleur équilibre possible entre câble, satellite et hertzien terrestre et la compatibilité de ce développement technologique avec la création de télévisions locales.
La Presse Quotidienne Régionale réclame un statut spécifique dans l'articulation télévision locale/numérique hertzien. La PQR estime indispensable pour son avenir à moyen terme de se situer dans ce développement technologique en accédant aux télévisions locales. Elle précisait que, dès aujourd'hui, un ensemble de télévisions locales en diffusion terrestre analogique est économiquement viable s'il constitue une offre cohérente.
En conséquence, le TPR indiquait qu'il est candidat sur des fréquences analogiques disponibles en s'engageant à terme à une double diffusion analogique et numérique et demandait que la numérisation du réseau fasse l'objet d'un projet de financement adapté.
On peut noter que, pour être économiquement viable avec un budget d'exploitation compris entre 12 et 20 millions de francs (les ressources publicitaires locales ne couvrant que 20 ou 30 % du budget annuel), il faut compter des investissements compris entre 7 et 12 millions de francs et un effectif de 25 à 50 permanents ;
Ces moyens permettraient à toute télévision locale de produire deux heures quotidiennes de production propre en première diffusion qui seraient multidiffusées.
La rentabilité de l'ensemble suppose selon le groupement qu'existe simultanément 15 à 20 télévisions de ce type exploitées « prioritairement » par la PQR.
La presse est déjà présente en tant qu'opérateur dans les télévisions locales :
• La société Clermontoise de Télévision (groupe La Montagne) à Clermont-Ferrand
Décision d'autorisation n°2000-247 du 6 juin 2000 (la SCT n'avait pas sollicité d'appel aux candidatures, elle s'était portée candidate en réponse à l'appel du 17 novembre 1998 sur l'agglomération de Clermont-Ferrand). Une convention en vue de son autorisation a été signée le 29 mai 2000 ;
• La société Tv7 Bordeaux (groupe Sud Ouest) à Bordeaux
Décision d'autorisation n°2000-529 du 26 juillet 2000 (la société Tv7 Bordeaux n'avait pas sollicité d'appel aux candidatures, elle s'est portée candidate en réponse à l'appel du 2 février 1999 sur l'agglomération de Bordeaux. La société a été entendue en audition publique le 26 octobre 1999. Une convention en vue de son autorisation a été signée le 26 juillet 2000.
* 1 Mais si l'on raisonnait sur l'ensemble secteur public ce chiffre devrait sans doute être porté à 500 millions de francs, compte tenu notamment de la situation de RFI et de RFP.
* 2 Montant qui serait à porter à 4,6 milliards de francs si l'on se fixait un objectif de 5 % de croissance des ressources du secteur public audiovisuel
* 3 Un abattement de 50% pour la redevance payée au titre des résidences secondaires été envisagé par l'inspection des finances pour s'efforcer de résoudre cette difficulté.