N° 92
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001
Annexe au procès verbal de la séance du 23 novembre 2000. |
RAPPORT GÉNÉRAL
FAIT
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur le projet de loi de finances pour 2001 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,
Par M. Philippe MARINI,
Sénateur,
Rapporteur général.
TOME III
LES MOYENS DES SERVICES ET LES DISPOSITIONS SPÉCIALES (Deuxième partie de la loi de finances) ANNEXE N° 9 CULTURE ET COMMUNICATION : COMMUNICATION AUDIOVISUELLE Rapporteur spécial : M. Claude BELOT |
(1) Cette commission est composée de : MM. Alain Lambert, président ; Jacques Oudin, Claude Belot, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet, vice-présidents ; Jacques-Richard Delong, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Philippe Marini, rapporteur général ; Philippe Adnot, Denis Badré, René Ballayer, Jacques Baudot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Alain Joyandet, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Pelletier, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Henri Torre, René Trégouët.
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 2585 , 2624 à 2629 et T.A. 570 .
Sénat : 91 (2000-2001).
Lois de finances. |
I. OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR
La conviction profonde de votre rapporteur spécial est que le présent budget, en dépit de dotations apparemment flatteuses, ne donne pas aux sociétés nationales de programmes des moyens à la mesure des ambitions audiovisuelles, qu'il leur assigne.
Le gouvernement ne fait pas preuve de la lucidité nécessaire dans l'analyse de la situation. Il réduit les ressources propres du secteur public pour les remplacer par des subventions naturellement aléatoires, tout en lui demandant d'être présent sur tous les fronts. Bref, en prétendant renforcer le service public, on ne fait que le fragiliser, éludant ou différant des réformes inéluctables à un moment de mutations considérables , sauf à réduire le périmètre du secteur public.
(1) Les enjeux et les besoins ne sont pas proprement perçus
Le Gouvernement ne voit pas ou ne veut pas voir la vitesse des bouleversements dans l'audiovisuel et le caractère irrésistible de ces évolutions.
Loin de susciter les débats qui s'imposent, il encourage en fait certaines nostalgies en faisant adopter une nouvelle loi audiovisuelle déjà dépassée à peine adoptée.
(a) Les conséquences de l'internationalisation ne sont pas tirées
Le gouvernement ne perçoit pas les enjeux et ne peut faire prendre conscience aux Français, comme aux multiples acteurs du secteur, des nécessités de l'heure.
L'idée d'exception culturelle, qui viendrait permettre à la France de se tenir à l'écart de la révolution audiovisuelle mondiale, est une illusion dangereuse si elle accrédite l'idée que notre pays peut jouer selon ses propres règles et que l'on peut contrer les nouvelles multinationales à coups de déclarations de principes.
Peut-on un instant croire et surtout laisser croire que la diplomatie suffira à endiguer les forces du marché dans un secteur audiovisuel sans frontières, qu'il suffit d'adopter quelques règlements supplémentaires et de mettre un peu plus d'argent public, sans s'appuyer aussi sur des entreprises privées fortes ?
S'il est légitime et même impératif de distinguer les logiques privées et publiques dans l'audiovisuel , faut-il pour autant exacerber une opposition, alors que chacun des secteurs a son rôle à jouer dans la défense de l'identité française ? Confronter aujourd'hui encore systématiquement secteur public et secteur privé, stimuler une méfiance encore endémique dans certains milieux à l'égard de ces dernières en dépit de leurs succès populaires, est une attitude à courte vue.
La France a besoin d'entreprises privées fortes sur leur marché national. Elle doit leur offrir un cadre législatif stable et prévisible, pas trop éloigné de celui en vigueur à l'extérieur de nos frontières, si l'on veut leur donner les moyens de se développer et, surtout, de ne pas perdre, tôt ou tard, leur indépendance.
Défendre l'audiovisuel public est une cause nationale, qui mérite, au moment où l'on risque d'être noyé sous un flot d'images venues d'ailleurs, qu'on y mette le prix .
Chacun doit faire les efforts qui s'imposent qu'il s'agisse de l'Etat, des acteurs du secteur ou des Français eux-mêmes dont les mentalités doivent évoluer pour se mettre au diapason de celles de l'Europe et du monde.
(b) L'importance des financements nécessaires n'est pas mesurée
La cristallisation du débat sur la question des ressources publicitaires masque les vrais enjeux. Au nom d'un idéal de pureté plus nostalgique qu'adapté à l'air du temps, le gouvernement prive les entreprises du secteur public de recettes publicitaires, alors qu'elles ont besoin de toutes les ressources disponibles pour faire face aux investissements qu'exigent le numérique et la situation financière précaire dans laquelle se trouvent un certain nombre de sociétés de radio et de télévision.
Le montant des investissements nécessaires est toujours méconnu par un Etat qui se comporte plus en contrôleur sourcilleux qu'en actionnaire. Celui-ci condamne du même coup les entreprises publiques à la léthargie voire à l'asphyxie, en les privant non seulement de perspectives de développement mais encore de la marge de manoeuvre dont elles ont besoin pour se réformer.
Pourtant, indépendamment même de ce qu'exige le lancement du numérique terrestre, il faut au secteur public, s'il ne veut pas être marginalisé, des moyens en croissance suffisamment forte pour ne pas être complètement décroché par rapport aux entreprises privées.
La mise en place du numérique terrestre exige des moyens substantiels évalués par le président de France télévision aux alentours de 1,5 milliards de francs sur cinq ans.
A l'heure actuelle, les projets des chaînes « Info » et de chaînes « sport » en particulier, créneau déjà occupé avec succès par le secteur privé, sont en panne de financement, alors que la loi a réservé au secteur public une douzaine de chaînes.
Or, le temps presse, sinon pour le déblocage des fonds, du moins pour la visibilité des projets d'investissement : tandis que le CSA doit procéder à ses appels à candidatures dès le premier semestre 2001, TDF - qui perd son monopole - prévoit d'investir 3 milliards de francs et se déclare prêt à garantir que 50% du territoire fin 2001 début 2002 et 75% 18 mois plus tard. On note que la date la plus couramment envisagée pour la fin de la diffusion simultanée des programmes en hertzien (le " switch off ") est 2012.
Certes, France télévision peut compter sur la réalisation de sa participation dans TPS évaluée aux alentours d'un milliard de francs, mais ce montant reste modeste.
Par ailleurs , parce que le secteur public est en compétition avec les chaînes privées , il doit bénéficier de ressources courantes - indépendamment de ses besoins d'investissements propres pour acheter des programmes mais aussi se placer sur le marché de l'interactivité -, dont la croissance reste du même ordre de grandeur que celle de ses concurrentes .
Telle est la logique qui a conduit votre rapporteur spécial à estimer à la suite des travaux du groupe de travail de la commission des finances qu'il a eu l'honneur de présider, le besoin de financement global de France télévision, à trouver à l'horizon de cinq ans, auxquels il faut ajouter entre 3 et 3,8 milliards de francs de ressources publiques courantes annuelles et entre 800 et 1800 millions de francs de dotation en capital.
Ce montant reste une estimation minimale, d'une part parce qu'il serait à porter à 4,6 milliards de francs si l'on se fixait un objectif de 5 % de croissance des ressources du secteur public audiovisuel et non de 3 ou 4% comme dans le tableau ci-dessus, d'autre part, parce qu'il ne prend pas en compte, ni le coût de 35 heures, ni la satisfaction des besoins des autres sociétés de l'audiovisuel, et notamment de celles qui ne seront pas intégrées dans la nouvelle société holding : Radio France mais également l'INA, RFI ou RFO doivent, elles aussi, disposer des moyens d'accomplir leurs missions et de s'adapter au numérique
(c) La convergence des technologies est méconnue notamment en matière de télévisions locales
Toutes les grandes démocraties ont développé un réseau dynamique de télévisions locales. La France fait figure d'exception à la règle. La baisse des coûts de diffusion et l'arrivée du numérique terrestre devraient changer les données d'un problème que la dernière loi audiovisuelle s'est efforcée d'éluder.
Dans leur rapport de novembre 1998, MM. Michel FRANCAIX, député (PS) de l'Oise, et Jacques VISTEL, conseiller d'État, estiment qu'il est "nécessaire de donner aux télévisions locales les chances d'un nouveau départ... La télévision locale n'est pas une fausse bonne idée. Elle fait entrer dans le monde médiatique de nouveaux acteurs qui en sont souvent absents, animateurs, associatifs, décideurs, élus. Elles doivent être le lien d'autres modes de créativité, de participation, d'insolence de l'esprit qui, tout en se dégageant du modèle télévisuel dominant, apporte un sentiment d'appartenance locale".
D'un côté, les dépenses de fonctionnement restent lourdes : Le coût moyen d'une télévision locale se contentant de diffuser des programmes locaux, informations, débats et documentaires, serait de 20 à 25 millions de francs par an. De l'autre, les ressources restent insuffisantes, compte tenu des restrictions à la publicité télévisée applicables à certains secteurs.
Au-delà de la question du financement, MM. Francaix et Vistel soulèvent le problème du manque de fréquences hertziennes disponibles et se demandent dans quelle mesure il serait possible d'obtenir la cession par les armées de certaines fréquences qui leur sont attribuées.
La question de la redistribution par le Conseil a rebondi à la suite d'un arrêt du Conseil d'État. Dans son arrêt du 29 juillet 1998, Sarl JL Electronique, la haute juridiction a annulé la décision du CSA de refus du lancement d'un appel aux candidatures au motif que les raisons invoquées par le CSA ne figuraient pas au nombre des limitations prévues à l'article ler de la loi de 1986.
Il en est résulté un afflux de demandes et une reprise par le CSA de l'attribution des fréquences. La situation se présente de la façon suivante :
• En juin dernier, le CSA a procédé ainsi aux auditions publiques des candidats ayant répondu aux appels lancés le 17 novembre 1999 en vue de la création de télévisions d'expression locale à Clermont-Ferrand, à Luçon, aux Sables d'Olonne et à Tours ; fin juin 2000, on a appris que c'est Clermont 1 ère , chaîne privée hertzienne dont le quotidien La Montagne est l'opérateur principal qui a reçu l'autorisation d'émettre ;
• Le CSA a lancé deux nouveaux appels de candidatures en vue d'autoriser les chaînes de télévision à Remiremont et à Troyes ; par ailleurs, le CSA a retenu dans le cadre de l'appel lancé en février 1999 pour la région de Bordeaux le projet TV7 ;
• Le CSA a agréé la modification du capital de la société Télé Lyon Métropole marquant le désengagement de la société TVLD (groupe Vivendi) au profit du groupe Le Progrès et de la société 2 RBI. Nouvel actionnaire principal de la chaîne locale lyonnaise, Le Progrès en sera désormais l'opérateur ;
• Enfin, on note que CanalWeb, qui diffuse des programmes de télévision sur Internet, s'est associé à cinq partenaires de la presse régionale (Le Parisien, Sud-Ouest, le Télégramme de Brest, la Nouvelle République du Centre-Ouest et la Dépêche du Midi) pour lancer TVWebRégions, premier réseau de télévisions locales sur Internet.
Certes, la loi présente quelques avancées mais bien timides par rapport aux besoins. En fait, elle prévoit trois catégories de dispositions :
• S'agissant du problème général, il est, d'une part, prévu à l'article 59, que le Gouvernement s'engage à déposer dans un délai d'un an, devant le Parlement, un rapport « qui présentera les possibilités de développement de télévision citoyenne de proximité » et d'autre part réaffirmé la vocation régionale de France 3 à l'article 4 ;
• S'agissant du numérique terrestre, le texte dispose : « pour les services à vocation locale, les zones géographiques sont préalablement déterminées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel. Celui-ci fixe le délai dans lequel les candidatures doivent être déposées et publie la liste des fréquences pouvant être attribuées dans la zone considérée, accompagnée des indications concernant les zones dans lesquelles peuvent être implantées des stations d'émission et la puissance apparente rayonnée . » En outre, dans les déclarations de candidatures présentées par les éditeurs de services constitués sous forme de sociétés ou d'associations, il est prévu de faire mention, notamment, de la part de programmation réservée à l'expression locale. Par ailleurs, le texte prévoit de faciliter la reprise des chaînes câblées sur le numérique hertzien en disposant que « il veille en outre à favoriser les services à vocation locale, notamment ceux consistant en la reprise des services locaux conventionnés au titre de l'article 33-1. » ;
• Enfin, en ce qui concerne le câble, le texte permet d'officialiser son caractère de service public en prévoyant que « l'affectation d'un canal à temps complet ou partagé à la commune ou au groupement de communes intéressées, destiné aux informations sur la vie communale et, le cas échéant, intercommunale. L'exploitation du canal peut être confiée à une personne morale avec laquelle la commune ou le groupement de communes peuvent conclure un contrat d'objectifs et de moyens définissant des missions de service public et leurs conditions de mise en oeuvre, pour une durée comprise entre trois et cinq années civiles. Ce contrat est annexé à la convention prévue à l'article 33-1.».
La prudence du Gouvernement ne répond pas à l'attente de nos concitoyens qui voient dans les télévisons locales un moyen de cultiver leur identité et d'approfondir la démocratie .
Les projets se multiplient notamment autour de la presse quotidienne régionale, qui tiennent compte de l'évolution rapide des techniques du fait de la convergence qui rapproche les métiers des médias.
L'histoire s'accélère. Les barrières à l'entrée ont tendance à tomber avec les progrès de la miniaturisation des matériels, qui permettent une polyvalence accrue des personnels. Le coût d'un programme de télévision en « narrowcasting » serait compris entre 5 et 20 millions de francs.
Les possibilités nouvelles des techniques de « streaming », qui permettent à Internet d'offrir des services proches de ceux de la « Vidéo on demand », l'irruption prochaine des technologies à haut débit, tout converge pour faciliter l'apparition de nouveaux acteurs à des coûts maîtrisables , dès lors que ceux-ci ne cherchent pas à avoir accès à des programmes « premium », qui font l'objet de surenchères entres les géants du secteur.
(2) Les handicaps structurels sont négligés
Sauver l'audiovisuel public eût demandé plus de réalisme et surtout de courage politique pour prendre les mesures qui s'imposent, même si elles sont difficiles, à commencer par des réformes de structure et l'augmentation de la redevance au niveau de celles des pays comparables.
Productivité et responsabilité sont des impératifs catégoriques faute desquels l'argent public que l'on s'apprête à injecter, a toutes les chances de s'évaporer .
On note qu'en échange du renouvellement de la redevance et de son augmentation progressive, le gouvernement de M. Blair a demandé au nouveau directeur général de la BBC, M Greg Dycke, non seulement d'accroître les recettes commerciales mais aussi de supprimer un millier d'emploi dans les services administratifs, notoirement plus développés qu'en France. La formule de Greg Dycke pour la BBC, selon laquelle « il faut choisir entre le changement et la mort lente, » vaut également pour France Télévision.
(a) Les gains de productivité ne sont pas recherchés
La mise en place des 35 heures aurait dû être l'occasion de rechercher systématiquement des gains de productivité pour mettre le secteur public au niveau du secteur privé. En dépit des tentatives des uns ou des autres sur le terrain, force est de constater que ceux-ci ne sont pas assez soutenus par leur tuteur et actionnaire, l'Etat, pour remettre à plat une organisation désuète du fait de l'apparition de nouvelles technologies permettant la polyvalence.
Il est tout à fait significatif à cet égard que la renégociation d'une nouvelle convention collective semble abandonnée. Le dialogue social doit être intensifié pour amener les excellents professionnels que comporte le secteur public, à comprendre les impératifs d'une concurrence accrue.
(b) La définition d'un cadre comptable de droit commun n'est pas une priorité
Les chaînes et stations de l'audiovisuel public devraient être, du point de vue de leur gestion, des entreprises comme les autres. Or c'est loin d'être le cas. Une fois de plus, les contacts que votre rapporteur spécial a eus avec certains responsables du secteur, montrent que ceux-ci épuisent leur énergie à batailler avec la tutelle et, en particulier, avec la vraie tutelle de l'audiovisuel public, c'est-à-dire le ministère des finances, au lieu de la concentrer sur la gestion de leur entreprise.
Il est grand temps que l'on accorde, en toute transparence, une autonomie normale aux entreprises publiques de communication audiovisuelle . Celles-ci doivent pouvoir investir et donc emprunter comme le font leurs concurrentes du secteur privé .
De ce point de vue également, le renforcement du contrôle d'Etat, consécutif à la malheureuse affaire dite des animateurs - producteurs, aboutit en fait à des lourdeurs dans la gestion, notamment des rémunérations, ce qui ne facilite pas le travail des responsables. Il y a là une réflexion à entreprendre pour remplacer les contrôles a priori par des contrôles a posteriori et surtout redonner au conseil d'administration sa vraie place comme dans toute entreprise.
(3) Les moyens financiers ne sont pas mis à niveau
Votre rapporteur spécial est convaincu que le secteur public ne résistera à la concurrence des chaînes privées que s'il fait les efforts de productivité indispensables et si l'Etat lui donne les moyens d'investir.
Les besoins d'investissements résultent certes de la mise en place du numérique terrestre qui constitue une des dernières chances du secteur public de conserver une part de marché suffisante pour accomplir les missions qui lui sont assignées.
Mais ces besoins sont aussi indépendants de l'ouverture de ce nouveau marché et tiennent à la nécessité pour le secteur public de disposer des moyens suffisants pour investir dans des contenus suffisamment attractifs qu'il s'agisse de payer les droits de plus en plus lourds exigés pour les retransmissions sportives ou de conserver leurs animateurs vedettes - ce qui est un problème pas seulement pour la télévision mais également pour la radio - ou de faire réaliser des émissions de fiction de prestige.
Pour sauver le modèle audiovisuel français, il faut y mettre les moyens financiers. Le rapporteur spécial considère à cet égard que non seulement il faut conserver la redevance mais encore avoir le courage de l'augmenter pour la mettre au niveau de celle des grands pays européens.
Ainsi, les britanniques devront-ils s'acquitter d'une redevance de 109 livres soit environ 1100 francs à partir d'avril prochain, tandis qu'il est prévu que son montant augmente de 1,5% par an afin de financer les investissements liés au numérique de terre.
(a) Une promesse d'un milliard de dotation en capital manifestement insuffisante
Le milliard de francs promis par la ministre de la culture et de la communication pour le développement des chaînes numériques hertziennes de France télévision fera l'objet d'une dotation spécifique, qui n'est pas prévue au titre de la loi de finances pour 2001. Celle-ci a indiqué que cette somme doit être prélevée sur le compte spécial de privatisation , précisant que la dotation sera assise sur les choix qui seront faits pour mettre en oeuvre tel ou tel projet inscrit dans les contrats d'objectifs et de moyens des chaînes.
1 milliard de francs, c'est beaucoup si cette dotation en capital est donnée à des organismes qui ne font pas les efforts pour porter leur compétitivité au niveau des chaînes privées ; mais c'est peu si l'on veut donner à France télévision les moyens de soutenir la concurrence.
On doit poser le problème en ces termes : TF1 voit ses dépenses d'exploitation et d'investissement croître de plus de 10 % par an, tandis que le budget de France Télévision, lui, ne progresse que de 3 % environ.
L'évolution du budget de l'audiovisuel public tend à suivre celle du budget de l'État, alors que ceux de ses concurrents privés augmentent à la vitesse d'un marché en plein développement.
Votre rapporteur spécial propose de reprendre, en raison de leur caractère démonstratif, les projections, certes schématiques, qu'il a effectuées dans le cadre du groupe de travail déjà cité, des besoins de France Télévision suivant deux cas de figure :
• un calcul assez large des besoins courants estimés par rapport à un taux de croissance de 4 % par an en moyenne jusqu'à 2005, avec en contrepartie une évaluation au plus juste des besoins en capital à un niveau de l'ordre de 500 millions de francs ;
• Une évaluation moins généreuse des besoins courants calculés sur la base d'une augmentation de 3 % par an en moyenne jusqu'à 2005, mais assortie en revanche d'une estimation beaucoup plus large des besoins en capital portés dans cette hypothèse à 1,5 milliard de francs.
Considérant que les besoins de reconstitution des fonds de roulement peuvent être évalués au minimum à 300 millions de francs et ce en calculant les besoins au plus juste, il ressort de ce tableau - commenté et justifié dans le corps du rapport écrit pour distinguer les flux des stocks- qu'il faut trouver aux alentours de 4 milliards de francs à l'horizon 2005.
(b) L'aménagement du régime de la redevance et surtout son augmentation sont éludés
Au moment où le Royaume-Uni augmente et annonce un plan de revalorisation à moyen terme de sa redevance - complété par un plan d'économies drastiques - votre rapporteur spécial estime qu'il faut non seulement se poser la question du mode de perception de la redevance mais encore de son niveau. On peut souscrire assez largement aux analyses et aux propositions contenues dans le rapport de l'inspection générale des finances de novembre 1999, intitulé « rapport d'enquête sur le coût, l'efficacité et les perspectives d'évolution du service de la redevance audiovisuelle », dont on trouvera les principales conclusions dans le corps du rapport.
Défavorable comme l'inspection des finances à une budgétisation des ressources de l'audiovisuel public ainsi qu'à son financement par le produit des jeux , dans la mesure où il est essentiel de conserver au travers de la redevance un lien citoyen entre les Français et leur télévision, votre rapporteur spécial, estime que l'on pourrait effectivement adosser la redevance sur la taxe d'habitation mais sans les confondre : il s'agirait d'envisager une identité du fait générateur - disposer d'un local à usage d'habitation - et donc de l'identifiant informatique du contribuable/redevable, tout en distinguant les avis d'imposition et les modalités de perception de façon à ne pas créer de confusion des responsabilités entre l'Etat et les collectivités territoriales .
Quelques problèmes restent encore à résoudre comme celui des résidences secondaires mais une telle réforme, qui passe aussi par un renforcement des pouvoirs juridiques des services compétents - droit de communication amélioré, utilisation de l'avis à tiers détenteur -, permettrait à la fois d'augmenter substantiellement les ressources de l'audiovisuel public. Elle aurait aussi l'avantage de régler le problème des exonérations et, notamment, celle des titulaires du revenu minimum d'insertion dans une perspective de clarification, à l'opposé du « bricolage » proposé par l'Assemblée nationale à l'article 19 bis en première partie de loi de finances avec l'exonération des personnes non imposables âgées de 70 ans et plus.
Dans cette optique le service de la redevance, dont votre rapporteur a pu apprécier l'efficacité, ne serait pas supprimé mais simplement restructuré pour ne plus avoir à traiter que l'émission des avis d'imposition et du contentieux, déchargeant en ce qui concerne cette dernière tâche les services de la comptabilité publique, ce qui devrait limiter les réaffectations et donc le coût social de la réforme.
Quant au niveau de la redevance, dont on a vu qu'il était nettement inférieur à celui des autres grands pays européens, votre rapporteur estime que, surtout à défaut d'une réforme d'envergure de la redevance en augmentant sensiblement le produit, il faudrait en augmenter le montant, non seulement pour rattraper le retard pris sur l'évolution des prix et du SMIC, mais encore pour permettre le financement de toutes les activités qui vont aller de pair à l'expansion des marchés de l'Internet et du numérique de terre.
Une augmentation planifiée sur plusieurs années à l'instar des britanniques paraît une piste intéressante, même si votre rapporteur conçoit qu'elle puisse être difficile à faire admettre par une opinion publique facilement hostile à la redevance.
Sans moyens adaptés aux objectifs multiples qu'on lui assigne, sans véritable doctrine, l'audiovisuel public est en danger. L'insuffisance de financement public pourrait conduire à remettre en cause le périmètre du secteur public audiovisuel.
Des mutations technologiques, économiques et sociales sont en cours. La lucidité doit nous faire admettre qu'à bien des égards ces évolutions nous dépassent et qu'il serait vain, voire dangereux, de croire qu'on pourrait y échapper. Il incombe au Parlement et au gouvernement de l'expliquer aux Français.
Maintenant, accepter une évolution ne veut pas dire la subir. On peut préserver une démocratie à la française, mais à condition de faire preuve de réalisme et de s'en donner les moyens. Force est de constater qu'on n'en voit guère les signes dans le présent budget.