B. DE CERTAINS ALÉAS
Le contexte économique international a connu en cours d'année des évolutions importantes. L'économie américaine semble ralentir, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. Mais sa capacité à " atterrir en douceur " reste à démontrer. On ne reviendra pas sur les enjeux d'une telle perspective, votre rapporteur général les ayant déjà présentés l'an dernier. L'évolution de l'euro et les inconnues liées à celle du prix du pétrole appellent quant à eux des développements particuliers
1. L'évolution de l'euro
La glissade de l'euro 3 ( * ) par rapport au dollar a débuté en 1996 , à l'époque où il était encore " innommé ", au moment où la croissance accélérait aux Etats-Unis, et commençait à déjouer systématiquement les prévisions d'un ralentissement de l'activité, de sorte que s'accréditait progressivement l'idée de l'entrée des Etats-Unis dans une " nouvelle économie ".
Variations de la valeur de l'euro - Au 1 er janvier 1996 " l'euro" valait 1,31 dollar (soit 1$ = 5 francs) ; - En octobre 1997, l'euro avait déjà baissé à 1,09 dollar (soit 1$ = 6 francs). Cette évolution s'est temporairement interrompue à la fin de 1997 et en 1998, en raison de la reprise en Europe, d'une part, et sans doute, du succès technique et politique de la mise en place de l'euro, d'autre part. L'euro est ainsi progressivement remonté et a atteint le 4 janvier 1999 un point haut à 1,18 dollar (soit 1$ = 5F56). Mais, suite à la crise du Kosovo et à la démission de la Commission européenne, l'euro a rapidement baissé, atteignant un point bas le 13 juillet 1999, à 1,01 dollar. L'euro a ensuite connu un rebond à l'automne 1999, remontant à 1,09 dollar le 15 octobre 1999. Depuis lors, la glissade de l'euro a été quasiment ininterrompue pendant un an, jusqu'à la fin de septembre 2000, où l'euro a atteint son point le plus bas à ce jour : 0,84 dollar (soit 1$ = 7,80 FF). Depuis l'intervention concertée de la Réserve fédérale américaine, de la BCE et de la Banque du Japon, l'euro est légèrement remonté, à 0,86 - 0,87 dollar (soit 1$ = 7,60 FF environ). |
Au total, depuis le 1 er janvier 1999, l'euro aura néanmoins perdu un quart de sa valeur par rapport au dollar.
Par ailleurs, la détérioration de la situation au Proche-Orient et l'évolution corollaire des cours du pétrole sont de nouveaux facteurs de vulnérabilité pour l'euro.
A cette dépréciation de l'euro, trois grandes séries d'explications sont apportées.
En premier lieu, le taux de croissance américain plus élevé qu'en Europe a engendré des taux d'intérêt plus élevés aux Etats-Unis qu'en Europe, ce qui aurait soutenu le dollar. Il est toutefois à noter que, si les taux d'intérêt à court terme sont aujourd'hui à 6,5 % aux Etats-Unis, contre 4,75 % dans la zone euro, cet écart de 2 points se maintient depuis deux ans, la Banque Centrale européenne et la Réserve fédérale américaine ayant à peu près parallèlement augmenté leurs taux d'intérêt directeurs. Les taux d'intérêt à long terme se sont d'ailleurs récemment détendus aux Etats-Unis, tandis qu'ils remontaient dans la zone euro, pour converger vers des niveaux proches (un peu moins de 6 %). Cette évolution, qui témoigne notamment d'une plus grande crédibilité de la politique monétaire américaine et qui est de nature à creuser l'écart de croissance entre l'Europe et les Etats-Unis, conduit à relativiser l'impact de l'écart de taux d'intérêt entre les Etats-Unis et l'Europe sur les évolutions de la valeur de leurs devises.
Il faut sans doute compléter cette explication et reconnaître que ce n'est pas le dollar qui est fort , mais plutôt l'euro qui est faible. Le dollar ne s'est pas apprécié par rapport aux autres devises, alors que l'euro s'est affaibli par rapport à presque toutes les autres monnaies de la planète.
L'explication de la baisse de l'euro est donc à trouver en Europe et une deuxième série d'explications voit dans la baisse de l'euro le reflet des faiblesses de l'Europe.
La reprise en Europe est récente et fragile et l'économie européenne semble aller de " trous d'air " en " secousses conjoncturelles ". De plus l'Europe est beaucoup plus affectée par la hausse du prix du pétrole que les Etats-Unis, et l'inflation a déjà accéléré dans la zone euro bien au-dessus du plafond de 2 % que s'est fixé la Banque centrale européenne. Enfin, l'impression prévaut que les pays de la zone euro ne profitent pas de la reprise pour s'attaquer vraiment à leurs problèmes structurels, alors même que le moment serait propice.
Enfin, un troisième faisceau d'explications souligne les liens entre la faiblesse de l'euro et la désorganisation de l'Europe.
L'une de ses facettes, soulignée par le dernier rapport du Conseil d'analyse économique, est le manque de coordination des politiques économiques en Europe. Le gouvernement français devrait d'ailleurs s'inspirer des conclusions du Conseil créé à son initiative. Plutôt que d'annoncer, dans l'urgence, pour répondre à la hausse du pétrole, des mesures non coordonnées avec les autres pays européens, il devrait essayer de mettre en place un peu d'harmonisation européenne en matière de prix de l'énergie. Enfin, il pourrait contribuer à lever les incertitudes autour des institutions européennes en défendant le principe de la convergence fiscale au sein de la zone euro, avec les conséquences qui s'y attachent quant au fonctionnement de l'Union et en particulier à ses règles de décision.
Les conséquences économiques de la baisse de l'euro sont pour l'heure plutôt favorables pour les pays de la zone euro.
D'un côté, la baisse de l'euro renchérit le prix des produits importés, en particulier du pétrole, ce qui accélère l'inflation et rogne le pouvoir d'achat dans la zone euro. Néanmoins, la baisse de l'euro stimule la compétitivité, donc les exportations et l'emploi des pays de la zone euro. Ce second effet l'emporte jusqu'à présent sur le premier, de sorte que la baisse de l'euro aurait accru la croissance des pays de la zone euro d'environ 1 point de PIB chaque année en 1999 et en 2000 (soit l'équivalent de 500.000 emplois supplémentaires en France).
Mais la baisse de l'euro pourrait, à terme, avoir des effets plus défavorables. Elle affecte la crédibilité de la construction européenne et, partant, pourrait réduire en même temps que la crédibilité extérieure de l'Union économique et monétaire, son attractivité pour les investisseurs internationaux. Par ailleurs, la baisse de l'euro a rendu plus difficile la conduite de la politique monétaire, et a modifié le comportement de la Banque centrale européenne (BCE). A l'avenir, la BCE pourrait être conduite à maintenir des taux d'intérêt plus élevés pour asseoir sa crédibilité. Enfin, l'impact inflationniste de la baisse de la valeur de l'euro pourrait atteindre un point sensible au-delà duquel une série d'effets négatifs se déclencherait.
Les enchaînements à redouter partent de la naissance d'une " spirale prix-salaires ".
Le choc lié à la dépréciation de l'euro qui survient dans le contexte d'un " choc pétrolier " à l'issue incertaine, pourrait se transmettre à l'économie si le supplément d'inflation qui en résulte devait conduire les agents à reconstituer leur revenu réel. Les entreprises augmenteraient leur prix de vente et les ménages réclameraient des hausses de salaire. Ces hausses de salaires amèneraient les entreprises à accroître leur prix, déclenchant de nouvelles hausses de salaires.
Le niveau de l'inflation en serait accru et obligerait sans doute la BCE à intervenir plus abruptement qu'elle ne l'a fait jusqu'à présent à la suite d'une hausse des prix jusqu'alors due principalement à des facteurs exogènes.
* 3 En fait, le panier synthétique des monnaies qui allaient se fondre dans l'euro.