CHAPITRE III

PRÊTS DES PERSONNES PHYSIQUES AUX ENTREPRISES INDIVIDUELLES EN CRÉATION

ARTICLE 10

Extension de " l'avantage Madelin " aux prêts des personnes physiques aux entreprises individuelles en création

La loi Madelin est un excellent outil de financement à la disposition des entreprises, sous réserve des améliorations que votre commission des finances vous propose (voir commentaire de l'article additionnel après l'article 2). Malheureusement, elle présente l'inconvénient de ne bénéficier qu'aux entreprises, non cotées certes, mais constituées sous forme de sociétés de capitaux et soumises à l'impôt sur les sociétés.

Comme l'écrit le député Eric Besson dans son rapport précité 8 ( * ) , " s'il a le mérite d'exister, ce dispositif souffre néanmoins de certaines limites dans la mesure où il ne bénéficie qu'aux sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés. L'avantage fiscal concerne donc exclusivement les personnes morales, essentiellement des projets connus de l'épargnant, et les augmentations de capital en numéraire de sociétés existantes ".

En conséquence, les entreprises individuelles 9 ( * ) , qui sont, par définition, sans capital social, et qui pâtissent le plus de la frilosité des banques, ne disposent d'aucune source subsidiaire de financement. Or, elles constituent le gros des entreprises puisqu'au 1 er janvier 1998, l'INSEE en recensait 1.325.212 sur un total de 2.265.723 entreprises, soit près de 60 %. De même, la plupart des entreprises nouvelles sont constituées sous forme d'entreprises individuelles. Ainsi, en 1997, sur 271.088 entreprises créées ou reprises, 171.530 étaient des entreprises individuelles (soit 63 %), créées ou reprises pour près de 40 % par des commerçants.

Le présent article vise précisément à atténuer les difficultés de financement des entrepreneurs individuels en leur permettant d'accéder à une source de financement non intermédiée : celle de leurs proches.

Il propose en effet d'accorder aux épargnants qui souhaiteraient accorder des prêts sur leur patrimoine propre aux entrepreneurs individuels le même avantage fiscal que celui dont disposent les épargnants qui entrent au capital de sociétés non cotées.

Ainsi, les personnes, physiques ou morales, qui consentiraient des prêts pour la création d'entreprises individuelles, pourraient bénéficier d'une réduction de leur impôt sur le revenu égale à 25 % du montant prêté, dans la limite de 37.500 F pour une personne seule et de 75.000 F pour un couple soumis à imposition commune.

Un tel avantage serait cependant subordonné à un certain nombre de conditions, afférentes soit à la nature du prêt, soit à la nature de l'entreprise individuelle emprunteuse :

S'agissant du prêt :

- il doit être consenti pour la création de l'entreprise individuelle et dans un délai de trois ans suivant le début de son activité ;

- il doit être consenti pour une durée minimum de cinq ans ;

- il doit être gratuit ou assorti d'un taux d'intérêt ne dépassant pas celui de l'intérêt légal 10 ( * ) ; l'évolution du taux de l'intérêt légal depuis 1997 est retracée dans le tableau ci-après :

- il ne doit faire l'objet d'aucune prise de garantie ;

- il est assorti d'une clause de créance de dernier rang en cas de procédure collective.

Toutes ces conditions sont très favorables à l'emprunteur. Leur sévérité pour le prêteur constitue à l'inverse, selon les auteurs de la proposition de loi, la contrepartie de l'avantage fiscal accordé. Il est ainsi implicitement admis que le prêteur, en tant que membre de l'entourage de l'entrepreneur, agit de façon désintéressée (si l'on exclut l'avantage fiscal qu'il peut retirer de sa contribution financière au développement de l'entreprise), dans l'intérêt de l'emprunteur.

Toutefois, compte tenu de la rémunération relativement symbolique d'un tel prêt (cf. tableau ci-dessus), votre rapporteur pour avis se demande si l'intéressement fiscal peut suffire à encourager des prêteurs potentiels à immobiliser leurs capitaux pendant cinq ans. On peut également craindre qu'une source aussi peu coûteuse de financement conduise l'emprunteur à ne pas être aussi vigilant dans la gestion de son entreprise que si le prêt était soumis aux conditions normales du marché. Enfin, dans une optique de strict parallélisme avec le dispositif de la loi Madelin, qui outre l'avantage fiscal, laisse envisager à l'investisseur un rémunération du capital qu'il a investi et une plus-value sur ses parts sociales lors de leur revente, il semble légitime à votre commission pour avis que le prêteur puisse envisager une rémunération convenable de son investissement.

Dans ces conditions, votre commission pour avis vous proposera de substituer au taux de l'intérêt légal, comme plafond de rémunération du prêt, le taux effectif moyen pratiqué par les établissements de crédit pour des prêts à taux variables aux entreprises d'une durée initiale supérieure à deux ans (TMPv). Visé au 3° du 1 de l'article 39 du code général des impôts, ce taux est celui auquel la législation fiscale se réfère, depuis 1999, pour limiter la déductibilité des intérêts versés par une société à ceux de ses associés qui détiennent des comptes courants d'associés. Il est assez représentatif des conditions du marché pour les entreprises.

Le tableau ci-après retrace l'évolution d'un tel taux.

Le TMPv est calculé de façon trimestrielle par la Banque de France après enquête auprès de 3 000 guichets bancaires, et publié au journal officiel .

S'agissant de l'entreprise individuelle bénéficiaire du prêt :

- elle doit être réellement nouvelle, au sens de l'article 44 sexies du code général des impôts ; l'article 44 sexies du CGI concerne le régime fiscal des entreprises nouvelles : il prévoit une exonération puis un allégement d'impôt sur les sociétés pour les entreprises créées dans certaines zones du territoire 11 ( * ) , au cours des cinq premières années de leur activité.

Compte tenu des abus constatés à l'occasion de la mise en place d'un tel régime en 1988, le législateur a progressivement resserré le champ des entreprises visées pour ne retenir que les entreprises " réellement nouvelles ". En d'autres termes, l'entreprise créée ne doit pas être la " réincarnation " totale ou partielle d'une activité préexistante. L'entreprise nouvelle doit traduire une création originale et indépendante. L'article 44 sexies résume cette condition a contrario en précisant que les entreprises créées dans le cadre d'une concentration, d'une restructuration, d'une extension d'activités préexistantes ou qui reprennent de telles activités ne peuvent pas bénéficier du régime de faveur ;

- elle doit être soumise à l'impôt sur le revenu dans des conditions de droit commun ; une telle condition peut apparaître superfétatoire dans la mesure où les bénéfices réalisés par une entreprise individuelle sont nécessairement soumis à l'impôt sur le revenu, entre les mains de l'entrepreneur. Toutefois, elle présente l'intérêt de réserver le dispositif aux entreprises individuelles soumises à l'IRPP dans les conditions de droit commun, donc localisées sur le territoire national ;

- elle doit exercer une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Une telle condition est inspirée du dispositif de la loi Madelin. Elle exclut en pratique du champ du présent dispositif les activités de marchands de biens, de construction-vente d'immeubles, d'intermédiaire pour le négoce de biens et des lotisseurs. Elle exclut également les activités qui ne sont pas de nature industrielle, commerciale ou artisanale comme la gestion immobilière ou la gestion de portefeuille-titres.

Votre commission des finances approuve sans réserve le dispositif proposé dans la mesure où il comble un vide législatif et est de nature à renforcer les capacités de financement des petites entreprises individuelles, de loin les plus nombreuses.

Décision de la commission : votre commission vous propose de donner un avis favorable à l'adoption de cet article ainsi amendé.

ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS L'ARTICLE 10

Suppression progressive de la contribution de 10 % sur l'impôt sur les sociétés

La contribution de 10 % sur l'impôt sur les sociétés a été créée dans le cadre du plan de redressement des finances publiques et de soutien à l'emploi par l'article premier de la loi de finances rectificative n° 95-885 pour 1995 du 4 août 1995.

Elle a eu pour effet de porter le taux facial de l'impôt sur les sociétés à 36,66 % contre 33,33 % auparavant.

Le Gouvernement de M. Alain Juppé s'était engagé en créant cette surtaxe, à la supprimer " lorsque la réduction des dépenses et la reprise de l'emploi donneront l'assurance que le déficit public au sens du traité sur l'Union européenne sera inférieur à 3 % du produit intérieur brut. "

Depuis, le Gouvernement issu des élections législatives de juin 1997 n'a pas hésité à mettre de nouveau à contribution les entreprises pour rétablir l'équilibre des finances publiques puisqu'une nouvelle surtaxe - temporaire - de 15 % (ramenée à 10 % pour l'année 1999) sur l'impôt sur les sociétés a été créée par la loi n° 97-1026 portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier du 10 novembre 1997.

Cette surtaxe est, comme prévu, venue à échéance le 31 décembre dernier. Mais le Gouvernement l'a aussitôt remplacée par une nouvelle contribution sociale de 3,3 % sur l'impôt sur les bénéfices (CSB), acquittée par les sociétés qui réalisent plus de 50 millions de francs de chiffre d'affaires, dans le but de financer la réforme des 35 heures (article 6 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000).

Compte tenu des très fortes rentrées fiscales en matière d'impôt sur les sociétés constatées en 1999, votre commission des finances estime qu'il est temps de rapporter progressivement la surtaxe instituée par le Gouvernement de M. Alain Juppé en août 1995. Les deux conditions qui subordonnaient à l'époque sa suppression future sont en effet réunies :

- les déficits publics sont passés sous la barre des 3 % puisqu'il s'établissent à 2,1 % en 1999 et qu'ils sont prévus à 1,7 % pour 2000 ;

- l'assise de la croissance est confirmée par un grand nombre de statistiques convergentes, à commencer par le reflux du chômage et la reprise des créations d'entreprise.

Mais surtout, après qu'elles ont largement contribué à l'excédent de recettes fiscales sur les prévisions, aujourd'hui reconnu par le Gouvernement, les entreprises méritent qu'on leur rende une partie des fruits de la croissance. Selon les estimations du Gouvernement fournies à l'occasion de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 1999, l'excédent de recettes fiscales issues de l'impôt sur les sociétés sur les prévisions était de 19,6 milliards de francs à la mi-décembre. Il convient en outre de majorer ce chiffre de 10 milliards de francs pour tenir compte de la revalorisation des recettes réalisée par voie d'amendement du ministre de l'économie et des finances lors de la discussion de ce texte au Sénat. Ce ne seraient ainsi pas moins de 30 milliards de francs que le dynamisme des entreprises aurait rapporté à l'Etat en 1999.

En conséquence, le présent article additionnel propose de supprimer la surtaxe de 10 % sur l'impôt sur les sociétés créée en 1995. Toutefois, afin de ne pas engendrer de ressaut trop important pour les finances publiques, la suppression de cette contribution serait étalée sur deux ans. Le présent article additionnel prévoit ainsi de ramener à 5 % le taux de la contribution pour les exercices clos entre le 1 er janvier 2000 et le 31 décembre 2000, puis de la supprimer pour les exercices clos à compter du 1 er janvier 2001.

Si votre commission des finances vous propose de supprimer la surtaxe dite " Juppé " plutôt que la surtaxe " Aubry ", c'est pour deux raisons :

- en premier lieu, la surtaxe " Juppé " de 10 % est plus lourde pour les entreprises que la surtaxe " Aubry " de 3,3 % qui s'applique après abattement de 5 millions de francs ;

- par ailleurs, la contribution de 10 % touche toutes les entreprises sans distinction de taille alors que la contribution de 3,3 % ne vise - comme les contributions temporaires de 15 puis de 10 % - que les entreprises qui réalisent plus de 50 millions de francs de chiffre d'affaires, ce qui préserve les petites entreprises dont la présente proposition de loi propose d'encourager la création.

La suppression de la contribution de 10 % aurait donc pour effet de soulager toutes les entreprises, et notamment les petites.

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter le présent article additionnel.

ARTICLE 23

Compensation financière de la proposition de loi

Le présent article prévoit de compenser les pertes de recettes pour l'Etat résultant des dispositions de la proposition de loi par une augmentation à due concurrence des droits sur les tabacs.

Toutefois, la rédaction d'un tel gage ne prend pas à compte le fait que 94 % du produit des droits sur le tabac abonde aujourd'hui les caisses de la Sécurité sociale.

Votre commission des finances vous proposera en conséquence un amendement tendant à créer une taxe additionnelle aux droits sur les tabacs pour permettre de compenser les pertes de recettes engendrées par les dispositions de la proposition de loi, sauf à augmenter démesurément le prix du paquet de cigarettes.

Décision de la commission : votre commission vous propose de donner un avis favorable à l'adoption de cet article ainsi amendé.

* 8 " Pour un plan d'urgence d'aide à la création de très petites entreprises ", rapport d'information n° 1804 déposé par la Commission des finances, de l'économie générale et du plan le 14 septembre 1999, page 85.

* 9 Comme le précise Maurice Cozian dans son traité sur la fiscalité des entreprises, " L'entreprise individuelle est une réalité économique et sociale ; elle n'a pas, en revanche, la personnalité juridique et n'a donc pas de patrimoine qui lui soit propre ; seul l'exploitant a la personnalité juridique ; lui seul est titulaire d'un patrimoine dont l'entreprise n'est que l'un des éléments ; telle est la conséquence de la théorie de l'unité et de l'indivisibilité du patrimoine en droit civil. "

* 10 Aux termes de la loi n° 75-619 du 11 juillet 1975 modifiée par la loi du 23 juillet 1989, le taux de l'intérêt légal est fixé pour la durée de l'année civile. Il est égal à la moyenne arithmétique des douze dernières moyennes mensuelles des taux de rendement actuariel des adjudications de bons du Trésor à 13 semaines.

* 11 Zones d'aménagement du territoire, territoires ruraux de développement prioritaire et zones de redynamisation urbaine.

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