II. LA SITUATION DE CHAQUE COLLECTIVITÉ
Compte tenu des compétences dévolues à votre commission des Lois, les développements qui suivent proposeront une analyse de la situation de chaque collectivité centrée sur les aspects institutionnels, policiers et judiciaires.
A. LA NOUVELLE-CALÉDONIE
Avec la réforme statutaire intervenue au printemps 1999 en application de la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 et traduisant en termes juridiques l'Accord de Nouméa du 5 mai 1998, la Nouvelle-Calédonie, devenue collectivité sui generis , prend un nouveau départ. L'année 1999 aura été l'année de mise en place des nouvelles institutions, le soutien financier de l'État devant l'accompagner et continuer à soutenir la politique de rééquilibrage entre les provinces. Outre ce panorama de l'évolution institutionnelle, votre commission des Lois vous présentera un bilan de l'évolution de la délinquance et de l'activité des juridictions en Nouvelle-Calédonie.
1. La mise en place du nouveau dispositif institutionnel
a) Les assemblées de province et le congrès
A la
suite de la promulgation de la loi organique et de la loi ordinaire relatives
à la Nouvelle-Calédonie du 19 mars 1999, la mise en place du
nouveau dispositif institutionnel a naturellement commencé par
l'élection des membres des assemblées délibérantes
locales, les trois assemblées de province et le congrès de la
Nouvelle-Calédonie, étant précisé que
désormais tous les membres des assemblées provinciales ne sont
pas membres du congrès
1(
*
)
.
Le taux de participation pour les élections du 9 mai 1999 s'est
élevé à près de 75 %, ce qui témoigne de
l'intérêt porté par les calédoniens à
l'évolution statutaire. Rappelons que le corps électoral admis
à participer à ces élections était un corps
électoral restreint, la condition de dix ans de résidence ayant
conduit à écarter 8.738 personnes sur un corps électoral
global de 117.183 électeurs.
Ces
élections
ont donné au RPCR une majorité
relative de 24 sièges sur 54 au
congrès
, les trente
autres sièges étant répartis entre le FLNKS (18), le Front
national (4), la FCCI (fédération des comités de
coordination indépendantistes, 4), l'Alliance (ancien UNCT, dissident du
RPCR, 3) et le LKS (1). M. Simon Loueckhote (RPCR), sénateur, a
été réélu président, la première
vice-présidence revenant à Mme Marie-Noëlle Thémereau
(RPCR) et la deuxième à M. Roch Wamytan (FLNKS). Notons que onze
femmes contre 3 précédemment siègent désormais au
congrès. Quatre des six autres vice-présidence reviennent au RPCR
et deux au FLNKS.
Concernant les
élections aux assemblées de province
, le
RPCR a emporté la majorité absolue des sièges en province
Sud (25 sur 40, 6 au FLNKS, 5 au Front national et 4 à l'Alliance), M.
Jacques Lafleur étant reconduit à sa présidence. A
l'assemblée de la province Nord, une majorité
indépendantiste s'est dégagée avec 8 sièges pour
l'Union pour l'indépendance (Palika - FLNKS) et 6 pour l'Union
calédonienne (FLNKS), soit 14 sièges sur les 22 composant
l'assemblée, 4 sièges revenant respectivement au RPCR et à
la FCCI. M. Paul Néaoutyine (Palika - FLNKS) a succédé
à M. Léopold Jorédié (FCCI) à la
présidence de cette assemblée. Enfin, à l'assemblée
de la province des Iles, les 14 sièges se sont répartis de la
façon suivante : 6 pour l'Union calédonienne (FLNKS) et
respectivement 2 pour le RPCR, le LKS, la FCCI et le Palika (FLNKS). M. Robert
Xowie (Union calédonienne) y a été élu
président en remplacement de M. Nidoish Naisseline (LKS).
b) Le gouvernement collégial
L'exécutif ayant été
transféré
par la loi organique du 19 mars 1999 du haut-commissaire à un
gouvernement collégial, ce gouvernement a été élu
à la représentation proportionnelle par le congrès le 28
mai 1999. Il comprend onze membres, nombre correspondant au plafond fixé
par l'article 109 de la loi précitée, dont 6 représentants
du RPCR, 1 de la FCCI et 4 du FLNKS. M. Jean Lèques (RPCR), maire
de Nouméa et élu de l'assemblée de la province Sud, a
été désigné président du gouvernement et M.
Léopold Jorédié (FCCI), membre de l'assemblée de la
province Nord, a été nommé vice-président,
chargé de l'enseignement. Cette dernière nomination a
suscité de vives réactions de la part du FLNKS qui a
estimé que le principe de collégialité gouvernementale
résultant de l'Accord de Nouméa n'était pas
respecté.
Les membres RPCR ont en charge les portefeuilles suivants : affaires
économiques et relations avec le conseil économique et
social ; finances et budget, recherche, politique monétaire et
crédit ; agriculture et élevage ; travail, formation
professionnelle et fonction publique ; communication audiovisuelle. Les
membres FLNKS détiennent les autres portefeuilles : affaires
coutumières et relations avec le congrès et le sénat
coutumier ; culture, jeunesse et sports ; équipement ;
protection sociale et santé.
Le gouvernement a décidé la création d'un cabinet et d'un
secrétariat général, ainsi que d'une direction des
affaires administratives et juridiques de la Nouvelle-Calédonie, dans la
perspective du transfert progressif des compétences à compter du
1
er
janvier 2000.
Après une période de rodage, le fonctionnement du gouvernement
semble sur la voie de la normalisation, les présidents du FLNKS, M. Roch
Wamytan, et du RPCR, M. Jacques Lafleur, ayant décidé lors d'une
entrevue à Paris à la mi-octobre de mettre en place " une
structure permanente de concertation " afin de faciliter la mise en oeuvre
de l'Accord de Nouméa.
c) Le sénat coutumier
Le
sénat coutumier a été officiellement installé
à la fin du mois d'août.
Composé de seize membres - deux pour chacune des huit aires
coutumières - nommés pour six ans, il aura à
délibérer sur tout projet ou proposition de loi du pays relatif
aux signes identitaires, au statut civil coutumier, au régime des terres
coutumières, à la définition des baux destinés
à régir les relations entre les propriétaires coutumiers
et exploitants sur ces terres et au régime des palabres coutumiers, aux
limites des aires coutumières ainsi qu'aux modalités
d'élection au sénat coutumier et aux conseils coutumiers. Le
sénat coutumier sera aussi consulté sur les projets ou
propositions de délibération intéressant l'identité
kanak, domaine dans lequel il est lui-même compétent pour formuler
des propositions.
Pour sa première année d'exercice, il est présidé
par M. André Thean-Hiouen, grand chef d'Arama, dans l'aire de Hoot Ma
Waap, la plus au Nord de la Grande Terre.
d) Les dispositifs novateurs du nouveau statut
Plusieurs dispositifs novateurs du récent statut ont par
ailleurs connu un début de mise en oeuvre :
- La
première loi du pays
(articles 99 à 107 de la loi
organique du 19 mars 1999) a été adoptée à
l'unanimité le 19 octobre 1999 par le congrès
2(
*
)
. Elle porte sur la reconduction, pour
une durée de deux ans, de la régulation du conventionnement des
médecins, des chirurgiens-dentistes, des
masseurs-kinésithérapeutes et des infirmiers libéraux avec
les organismes de protection sociale. Comme le prévoit l'article 155 de
la loi organique susvisée, le conseil économique et social de la
Nouvelle-Calédonie a été consulté.
Présenté par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, le
projet de loi du pays avait reçu le 7 octobre un avis favorable du
Conseil d'État.
Deux autres projets de loi du pays sont actuellement en préparation,
l'un concernant la réforme de la fiscalité douanière pour
supprimer, créer ou modifier l'assiette de certaines taxes, l'autre
relatif à la déduction fiscale du coût des travaux
effectués sur les immeubles d'habitation.
- En application de l'article 31 de la loi organique du 19 mars 1999, la
Nouvelle-Calédonie a obtenu le
statut d'observateur au sein du Forum
du Pacifique Sud
, à l'occasion de la trentième réunion
annuelle de cette organisation qui s'est tenue à Palau
(Micronésie) les 4 et 5 octobre 1999. Cette organisation de
coopération régionale et politique rassemble seize pays dont
l'Australie, la Nouvelle-Zélande et les îles Fidji.
2. Le soutien financier de l'État relatif à la mise en oeuvre du nouveau statut et à la poursuite du rééquilibrage économique entre les provinces
a) La compensation financière corrélative des transferts de compétences
En
application de l'article 77 de la Constitution, l'article 55 de la loi
organique du 19 mars 1999 dispose que "
L'État compense les
charges correspondant à l'exercice des compétences nouvelles que
la Nouvelle-Calédonie et les provinces tiennent de la présente
loi
" en précisant que "
Tout accroissement net de
charges résultant pour la Nouvelle-Calédonie ou pour les
provinces des compétences transférées est
accompagné du versement concomitant par l'État d'une compensation
financière permettant l'exercice normal de ces
compétences
". Sont également spécifiées
les modalités de l'évaluation et de l'évolution de cette
compensation financière.
A cet effet, le projet de loi de finances pour 2000 crée un nouveau
chapitre 41-56 (dotations globales pour la Nouvelle-Calédonie) avec un
article 10 (dotation globale de compensation) doté de plus de 11,7
millions de francs, et un article 20 (dotation globale de fonctionnement)
doté de près de 394 millions de francs.
La
dotation globale de compensation
regroupe des crédits
provenant de plusieurs ministères pour permettre à la
Nouvelle-Calédonie d'exercer ses compétences nouvelles en
matière de commerce extérieur (706.651 F), de droit du travail
(284.423 F), d'enseignement scolaire (9.189.877 F), de jeunesse et de sport
(1.325.217 F) et de mines et d'énergie (211.255 F). La
dotation
globale de fonctionnement
destinée aux provinces devant leur donner
les moyens nécessaires à leur action en matière sanitaire
et sociale et dans le domaine de l'enseignement se décompose de la
façon suivante : enseignement primaire public (253.639.262 F),
santé (42.452.153 F), aide aux personnes âgées
(23.774.379 F), aide aux personnes handicapées (4.023.901 F),
fonctionnement des collèges (9.533.924 F), indemnité
compensatrice en matière de santé et d'enseignement primaire
(58.550.573 F) et secours aux enfants (1.148.291 F). Ainsi, l'indemnité
compensatrice santé-enseignement et la dotation spécifique pour
les collèges, qui faisaient l'objet jusqu'à présent d'une
répartition sur le budget des provinces, sont désormais
intégrées à la dotation globale de fonctionnement.
b) La poursuite de la politique contractuelle en faveur du développement et du rééquilibrage
En
application de la loi référendaire du 9 novembre 1988, trois
types d'accords de développement avaient été conclu pour
la période 1993-1997, succédant à ceux couvrant la
période 1990-1992 : une convention entre l'État et le
territoire de la Nouvelle-Calédonie en date du 8 juin 1993, trois
contrats de développement entre l'État et chacune des trois
provinces signées le 4 février 1993 et un contrat de ville
du 18 février 1993. Ce dispositif a été
complété par des avenants correspondant chacun à une
année supplémentaire de financement en 1998 et 1999. Le montant
contractualisé pour 1993-1997 s'est élevé à 3,9
milliards de francs auquel s'est ajouté 1,152 milliard de francs au
titre du contrat de ville. Les avenants de 1998 et 1999 ont successivement
augmenté ce total de 322 puis 321 milliards de francs.
En vertu de l'article 210 de la loi organique du 19 mars 1999, les nouveaux
contrats de développement obéiront désormais à une
périodicité quinquennale. Pour la période 2000-2004, aucun
montant n'a encore été arrêté. Il conviendra de
veiller à ce que la répartition des sommes ainsi allouées
permettent de poursuivre le rééquilibrage entre les trois
provinces amorcé en application des Accords de Matignon.
3. L'évolution de la délinquance et l'activité des juridictions
a) L'évolution de la délinquance
Les
crimes et délits
constatés par les services de police (4593
en 1998) et de gendarmerie (2130 en 1998) en Nouvelle-Calédonie ont
régulièrement progressé depuis 1993, la hausse moyenne
avoisinant 36 %. Sur les dix dernières années, la progression
moyenne s'établit à 40 %. Plus de 68 % des crimes et
délits sont constatés à Nouméa.
En particulier, augmentent régulièrement le nombre des
infractions constatées liées aux moeurs (viols et agressions
sexuelles sur mineurs ou majeurs : 35 procédures en 1989, 72 en
1997 et 108 en 1998) et celui des infractions contre la famille et l'enfant
(problèmes de garde, versement de pensions alimentaires, mauvais
traitements) : 64 procédures en 1997, 124 en 1998). L'absorption
d'alcool en quantité importante, en particulier en fin de semaine,
facilite le passage à l'acte (rixes, dégradations de biens,
agressions sexuelles, cambriolages pour dérober de l'alcool). La
délinquance de voie publique, qui représente 29,4 % de la
délinquance générale pour 1998, connaît une faible
progression (+ 7,4 % depuis 1989) grâce à une cartographie des
infractions établie chaque quinzaine, permettant à une cellule de
coordination de l'activité judiciaire de déterminer les tendances
et un plan d'occupation du terrain par les unités. La part de la
délinquance des mineurs dans la délinquance
générale a quasiment doublé en dix ans (essentiellement
vols simples et à l'étalage, vols à la roulotte et
cambriolages) de même que les interpellations pour trafic ou usage de
stupéfiants.
En fin de compte, si la hausse de la délinquance est réelle, elle
ne concerne pas principalement les domaines susceptibles de créer un
sentiment d'insécurité car la population calédonienne est
prompte à signaler la moindre incivilité, ce qui se traduit par
de nombreuses plaintes concernant des infractions oubliées en
métropole.
Concernant
la population carcérale
, elle s'élevait au
1
er
octobre 1999 au centre pénitentiaire de Nouméa,
seul établissement de la Nouvelle-Calédonie, à 378
personnes pour une capacité opérationnelle de 230 places, soit un
taux d'occupation supérieur à 164 % (contre 118 % pour la moyenne
de l'ensemble des établissements de métropole au 1
er
juillet 1999). Cette population carcérale est répartie entre
trois quartiers : 205 détenus pour la maison d'arrêt, 106
condamnés pour le centre de détention et 67 condamnés pour
la maison centrale. Cet établissement dispose d'un effectif de 104
agents, dont 83 agents de surveillance. Des travaux de construction d'un
quartier réservé aux femmes sont sur le point d'être
entrepris (coût prévisionnel : 4 millions de francs).
b) L'activité des juridictions
La
Nouvelle-Calédonie est dotée pour
l'ordre judiciaire
d'un
tribunal de première instance et d'une cour d'appel, disposant d'un
effectif de 26 magistrats et de 69 fonctionnaires (57 postes seulement
étant actuellement pourvus).
Selon les informations délivrées à votre rapporteur en
réponse au questionnaire budgétaire, la dernière
année statistique disponible à la Chancellerie concernait
l'exercice 1995. Des éléments complémentaires ont
cependant pu être obtenus depuis. Le contentieux civil paraît ainsi
en forte hausse puisque le nombre d'affaires nouvelles dont le tribunal de
première instance (y compris les sections détachées de
Lifou et de Koné) a été saisi est passé de 1810 en
1995 à 2428 en 1998, soit une progression de 34 % sur trois ans. Le
contentieux pénal est sur la même période en augmentation
de 28 %, le tribunal correctionnel ayant rendu 3003 jugements en 1995 et 3853
en 1998.
Le
tribunal administratif
de Nouméa est doté, outre le
président, de 3 conseillers et de 4 agents de greffe. Selon les
données fournies à votre rapporteur, le nombre d'affaires
nouvelles depuis 1994 oscille d'une année sur l'autre entre 347 et 482
et le nombre d'affaires traitées entre 322 et 428. En 1998, le stock
s'élevait à 126, seulement 7 dossiers attendant depuis plus de
deux ans.