B. LES CRISES AGRICOLES
1. Le secteur des fruits et légumes
Deux événements ont marqué profondément cette filière durant le premier semestre de l'année 98. Il s'agit de la " crise du chou-fleur " et de la restructuration du secteur des fruits et légumes.
a) La restructuration du secteur
Face aux
difficultés de cette filière, un dispositif en trois
étapes a été mis en oeuvre par le Gouvernement :
- le 28 avril, des mesures d'urgence destinées aux entreprises
les plus menacées ont été adoptées ;
- le 15 mai, lors d'une table ronde, des mesures structurelles ont
été annoncées ;
- une stratégie globale associant l'ensemble de la filière a
été mise en oeuvre à moyen et à long terme.
Crise de la tomate en juillet 1997, surproduction de pommes
à l'automne, désordre interrégional sur l'endive et la
salade cet hiver, en avril dernier, problèmes de chou-fleur et gel
arboricole dans le sud-est... la filière fruits et légumes est
à nouveau en crise. Faisant suite aux mesures ponctuelles prises en
juillet et en novembre 1997, le 28 avril 1998, un dispositif
d'urgence a été mise en place. Ainsi, afin d'agir " au plus
près des situations de terrain ", une commission
départementale "Fruits et légumes " a été
installée, sous l'autorité du Préfet. Elle associe les
représentants professionnels, les partenaires financiers et sociaux
ainsi que les services de l'Etat. Sa première mission est d'expertiser
la situation des exploitations les plus en difficulté et
d'étudier les mesures de soutien les plus adaptées. L'attribution
de ces mesures d'urgence répond à des critères parmi
lesquels figurent en particulier, outre le taux de spécialisation, une
priorité et un effort accru en faveur des jeunes agriculteurs, le
maintien de l'effectif des salariés permanents dans l'exploitation et
l'adhésion active à des structures économiques et
commerciales. Parallèlement, une procédure nationale est mise en
place pour des départements moins touchés, mais où sont
constatées des situations individuelles difficiles. Une dotation
nationale devrait permettre de prendre en compte les exploitations en
très grande difficulté qui ne rentreraient pas dans les
critères arrêtés
10(
*
)
.
Selon l'expression de certains représentants des
producteurs, il convient de "
traiter le problème au fond, en
s'attaquant aux racines du mal
". Des mesures structurelles sont donc
indispensables à la survie de la filière comme l'ont maintes fois
souligné les membres du groupe de travail " fruits et
légumes " du Sénat.
Dans le cadre d'une réflexion globale sur les perspectives d'avenir de
ce secteur, une table ronde s'est tenue le 15 mai 1998,
présidée par le ministre de l'agriculture et de la pêche.
Il a été décidé d'accorder des aides dans le cadre
d'un engagement contractuel. Pour bénéficier des concours
publics, les exploitations devront respecter un cahier des charges. Celui-ci
prendra en compte les nouvelles ambitions de la filière qui visent
à une meilleure adéquation entre l'offre et la demande :
exigence qualitative, maîtrise des rendements et des techniques de
production, maintien de l'emploi salarié. L'adhésion à une
organisation économique et commerciale sera un critère
d'éligibilité.
A partir d'une expertise conduite au cas par cas dans chaque
département, des aides de redressement devraient être
accordées aux exploitations viables mais fragilisées par un
environnement défavorable depuis plusieurs années. Pour chacune
de ces entreprises, un plan de redressement sera établi. Il
précisera les moyens à mettre en oeuvre, notamment en
matière de gestion et de compétence technique. Il s'agit,
là encore, d'un engagement contractuel. Le bénéfice des
aides de redressement implique également le recours à des
techniques compatibles avec la préservation de l'environnement et la
qualité des produits, le maintien de l'emploi salarié et la
maîtrise de la production.
M. Louis Le Pensec s'est engagé à veiller "
à
ce qu'une grande équité soit respectée et qu'une
priorité soit accordée aux jeunes agriculteurs, à ceux qui
ont été sinistrés à plusieurs reprises et à
ce que les petites exploitations ne soient pas oubliées, car leur
rôle est essentiel dans cette filière
".
Par ailleurs, il revient aux entreprises de ce secteur de mettre en place une
organisation collective, économique et commerciale, forte. Le
redressement et le développement de la filière, de même que
le succès d'une stratégie à moyen et à long terme
en dépendent. Un véritable dialogue interprofessionnel doit
s'instaurer afin de créer les conditions d'un meilleur équilibre
des marchés : L'interprofession ne règle pas tous les
problèmes, mais "
elle est, par construction, un lieu
incontournable du débat sur les questions d'organisation des
marchés
".
Autre priorité, dans le cadre d'une stratégie globale
pluriannuelle, la recherche de la performance technique qu'impliquent la
qualité et l'identification des produits. Si des aides publiques doivent
accompagner les investissements, ce paramètre sera à prendre en
compte, y compris dans les conditions de compétence et d'emploi des
personnels salariés.
Les coopératives qui prolongent directement l'activité des
exploitations seront associées à cette dynamique. Elle sont
très certainement, -et devront probablement être encore plus
à l'avenir-, un fer de lance commercial des exploitations
fruitières et légumières.
Un dispositif spécifique d'accompagnement à l'intention de celles
dont l'approvisionnement en fruits et légumes a été
perturbé par le gel d'avril sera mis en place, parallèlement aux
plans de redressement des entreprises en difficulté.
Au cours d'une prochaine rencontre avec le ministre du commerce et de
l'artisanat, devraient être abordées les relations avec la
distribution et le système de fixation des prix aux différents
stades de la filière.
Un bilan d'étape a eu lieu fin juillet sur les modalités
d'application de ce dispositif.
A la suite de la parution des circulaires d'application des mesures
annoncées lors de la table ronde du 15 mai dernier, la FNSEA et les
fédérations spécialisées ont exprimé leur
mécontentement face à un dispositif décevant et
inapplicable.
Par rapport aux orientations qui avaient été alors
définies, les producteurs regrettent qu'une série de conditions,
de contraintes et de plafonds aient été ajoutés, ce qui
contribue à exclure " un maximum de producteurs ". Ils
dénoncent notamment la mise en place de plafonds pour les prêts et
les aides " alors qu'au départ, aucune limite n'était
prévue ", ainsi que le durcissement des conditions d'accès
à ces mesures. Ils s'étonnent que les producteurs non
organisés ne bénéficient plus de certaines mesures. Le
CNJA estime qu'il ne faut " pas exclure des aides un certain nombre de
producteurs au seul motif qu'ils n'appartiennent pas à une
organisation ", mais " renforcer à l'avenir
l'efficacité des organisations de producteurs et éviter les
contournements de la réglementation ".
Enfin, l'augmentation du taux des différents prêts (aides en
trésorerie et prêts de consolidation) les rend beaucoup moins
attractifs.
Face à ces critiques, le ministère a détaillé au
mois d'août les aides accordées à ce secteur. Le Directeur
de l'Oniflor a chiffré à 470 millions de francs
d'équivalent subvention les sommes affectées au secteur des
fruits et légumes en 1998.
Rappelons, en outre, la création d'un observatoire
économique des prix des produits agricoles : en effet, les crises
conjoncturelles récentes qui ont touché plusieurs productions
agricoles ont mis en évidence le besoin de mettre à la
disposition de l'ensemble des partenaires des filières agro-alimentaires
des informations impartiales sur la formation des prix alimentaires.
Le Service des nouvelles des marchés (SNM) étend, par ailleurs,
désormais ses observations aux pris pratiqués à tous les
niveaux des filières, jusqu'au stade de la distribution. Pour celle-ci,
il dispose d'un échantillon représentatif des différents
points de vente au consommateur (détaillants, super et
hypermarchés...).
Il est donc en mesure de constater et de diffuser les prix pratiqués de
la production à la consommation de gros et de détail, y compris
ceux de l'expédition, des exportations et des importations.
Ces informations sont analysées dans un cadre collectif, associant les
pouvoirs publics et les partenaires des différentes filières,
afin d'en tirer les conséquences qui s'imposent.
Votre rapporteur se félicite, en outre, de la poursuite des
rencontres entre l'Espagne et la France au sein du Comité mixte
franco-espagnol. Ces réunions permettant non seulement de renforcer les
relations franco-espagnoles en matière de fruits et légumes, mais
aussi et surtout de prévenir, autant que faire se peut, les crises qui
provoquent, de part et d'autre, des réactions violentes chez certains
producteurs.
b) La crise du chou-fleur
Une
crise sans précédent a touché le secteur du chou-fleur au
début de l'année 1998. Les cours ont conservé depuis
mi-février des niveaux très bas, proches prix de retrait. L'offre
est constamment supérieure à la demande, d'où une forte
proposition d'invendus. Si les périodes difficiles sont monnaie courante
sur le marché du chou-fleur, la crise a été cependant
exceptionnelle par sa durée. Généralement, les
difficultés ne durent guère plus de deux à trois semaines,
une période délicate étant le plus souvent suivie par une
période plus favorable aux producteurs.
Cette crise a des raisons conjoncturelles, mais également structurelles.
Le chou-fleur est un légume dont la production varie
énormément avec les conditions
météorologiques : une vague de froid
généralement favorable à la consommation de chou-fleur
provoque une chute des apports et une envolée des cours tandis qu'un
radoucissement incite les consommateurs à se tourner vers d'autres
légumes alors que l'offre est maximale, ce qui entraîne une baisse
des cours.
Cette année, la production a été relativement faible
jusqu'à mi-janvier, ce qui a permis d'éviter les
difficultés rencontrées lors des automnes
précédents. Les difficultés ont commencé à
partir de mi-février, quand le retard accumulé depuis le
début de campagne a commencé à se résorber du fait
de la douceur persistante. Les apports ont constamment été
supérieurs à ceux des années antérieures alors que
la demande semblait peu active. Bien que la surgélation ait
absorbé des quantités importantes, les invendus se sont alors
multipliés. Le faible niveau des cours a provoqué une baisse du
chiffre d'affaires qui, en cumul depuis le début de la campagne, est
devenu fin avril inférieur à celui des années
antérieures. Si le recul est faible par rapport à la
dernière campagne, il est en revanche important par rapport à la
campagne 1995-1996 qui avait bénéficié de cours soutenus
durant la période de pleine production.
Aux conditions climatiques exceptionnelles de cette année se sont
ajoutées des raisons plus structurelles. La concurrence internationale
semble en effet s'intensifier sur le marché du chou-fleur et brocoli.
Ainsi, les exportations de chou-fleur (y compris le brocoli qui n'est pas
distingué par les douanes) espagnol sont passées de
18.000 tonnes en 1996 à 119.000 tonnes en 1997.
Désormais, la Grande-Bretagne s'approvisionne à 60 %
auprès des Espagnols et à 25 % en France alors qu'il y a
dix ans, 70 % du chou-fleur provenait de France. Il en est de
même pour l'Allemagne puisqu'en quatre ans, la part de la France est
passée de 75,4 % des importations à 68,1 % pour un
volume quasiment identique. Outre la concurrence espagnole, les producteurs
bretons doivent faire face au développement de la production britannique.
En plus d'une concurrence internationale accrue, le chou-fleur pourrait
souffrir d'un désintérêt de la part du consommateur :
la consommation totale mesurée par bilan montre une légère
tendance à la baisse : la consommation des ménages a quant
à elle fortement diminué depuis le début de la
décennie dans un contexte, il est vrai, d'augmentation
générale de la consommation hors foyer.
LES RECOLTES : DES VOLUMES STABLES
Source : Oniflhor
LA CHUTE PROGRESSIVE DE LA CONSOMMATION
Source : Oniflhor
DES EXPORTATIONS MASSIVES MAIS IRREGULIERES
Source : Oniflhor
DES IMPORTATIONS FAIBLES MAIS EN HAUSSE
Source : Oniflhor
LE PRIX D'UN CHOU-FLEUR
Sources : Ouest France
Face à cette crise, le Gouvernement a mis en place des aides pour
secourir les exploitations les plus touchées par l'effondrement des prix.
Les aides, octroyées au cas par cas, ont concerné entre 3.000 et
4.000 agriculteurs et ont été payées durant
l'été dernier.
2. La crise porcine
Après deux années favorables pour les éleveurs de porc
(1996 et 1997),
l'année 1998 a été marquée par
une grave crise de surproduction qui touche tous les pays européen
et notamment la France, troisième producteur européen
(après l'Allemagne et l'Espagne).
La principale cause de cette surproduction est la
peste porcine
qui a
touché les Pays-Bas, entraînant une course à la production
dans les autres pays.
D'autres raisons doivent être évoquées comme :
- le
ralentissement des exportations
(crise asiatique puis russe
côté demande ; concurrence accrue d'autres pays producteurs comme
les Etats-Unis côté offre),
- la
stagnation de la demande intérieure
(avec 36 kg par
habitant et par an la viande de porc est la plus consommée en France,
mais elle subit une concurrence croissante des viandes blanches qui connaissent
également des problèmes de débouchés).
Attendue pour septembre, la crise s'est déclenchée
dès
avril
et a connu une
aggravation en septembre
(traditionnellement,
la demande se raffermit pendant l'été et diminue à la
rentrée ; en outre, la crise russe a conduit à la fermeture d'un
marché qui absorbait 1/3 des exportations européennes en 1997).
Les cours du porc ont chuté dans tous les pays européens
:
entre -10 et -20 % entre janvier et mai. En France, le cours du porc
s'établissait (sur le marché au cadran du Plérin qui sert
de référence) à 6,5 F/kg en avril et il est
passé en dessous de la barre symbolique des 6 F/kg le
10 septembre 1998 (5,84 F/kg ; plus bas niveau historique depuis
près de 30 ans).
Cet effondrement des cours met de nombreux éleveurs en
difficultés et nécessite, selon le ministère, une
intervention des pouvoirs publics pour éviter la disparition des petits
producteurs.
Cette crise est caractéristique des crises porcines, très
cycliques, aboutissant à des concentrations d'élevages par
disparition des petits éleveurs.
Un traitement " communautaire " a été
adopté face à cette crise européenne avec :
- en mai 1998 : les
restitutions sur les exportations
de viande de
porc ont été réactivées,
- en août 1998 : leur montant a été
augmenté
de 50
%.
Les mesures annoncées le 11 septembre 1998 ont
été les suivantes :
Des mesures communautaires face à une crise européenne
:
ouverture du stockage de la viande par des organismes
privés
(afin de soulager le marché et de donner le temps aux
opérateurs de chercher de nouveaux débouchés hors de
l'Union européenne),
augmentation du montant des restitutions
à l'exportation
sur certaines destinations,
organisation d'une opération
d'aide alimentaire
pour la
population russe,
mesures de
maîtrise de la production
dans les 6 mois
à venir (limitation du cheptel, avec peut-être l'abattage des
porcelets),
mise en place d'un groupe de travail sur la réforme de
l'organisation commune de marché du porc.
Des mesures nationales pour les producteurs les plus fragiles ont
été adoptées
déclenchement du dispositif
STABIPORC
qui permet aux
éleveurs de bénéficier
d'avances de
trésorerie
remboursables après la crise ; ces avances sont
consenties par les banques et cautionnées par les groupements.
L'enveloppe des prêts annoncée s'élève à
420 millions de francs
, versés aux producteurs aux taux de
marché les plus favorables. Afin de favoriser les élevages les
plus modestes et d'éviter la captation de cette aide par les plus gros
éleveurs, sont instaurés : le plafonnement du montant des
prêts, la dégressivité de l'avance de trésorerie,
l'étalement des versements, des procédures transparentes,
report de charges sociales
(dispositif traditionnel),
aides aux éleveurs les plus fragiles
: enveloppe de
70 millions de francs
pour la prise en charge d'une partie de leurs
annuités bancaires ; enveloppe de
30 millions de francs
pour
les élevages familiaux ayant récemment investi,
mise en place d'une cellule de crise pour surveiller l'évolution
de la situation du marché,
principe de la constitution d'une
caisse de solidarité
pour
les périodes difficiles,
en outre était déjà prévue la
constitution
d'un Observatoire économique des prix
des produits agricoles et
agroalimentaires pour une meilleure maîtrise du marché par
l'ensemble des partenaires (et en particulier pour étudier la
répercussion des baisses des prix jusqu'au stade de la consommation de
détail).
Le Gouvernement insiste beaucoup sur la " responsabilité " des
éleveurs dans la prévention et la gestion des crises de
surproduction.
Votre rapporteur pour avis considère qu'une réforme de l'OCM
s'impose. Il s'interroge sur l'idée de maîtrise durable de la
production dans ce secteur.