CHAPITRE III LA POSTE FACE AUX MUTATIONS DE SON ENVIRONNEMENT
Les changements des modes de communication des Français tout autant que les perspectives d'un nouveau cadre réglementaire européen contribuent à faire de l'environnement dans lequel évolue l'opérateur postal un paysage en mutation. Les résultats financiers de la Poste traduisent ces évolutions.
I. LES PRINCIPAUX RÉSULTATS DE L'EXPLOITANT PUBLIC
A. DES ACTIVITÉS AUX ÉVOLUTIONS CONTRASTÉES
1. Les prestations courrier : vers une modification de la place de l'écrit dans la société de l'information.
Les tendances au ralentissement de l'activité courrier se sont confirmées en 1995, encore accusées par la baisse de trafic consécutive aux mouvements sociaux de fin d'année et la morosité de la conjoncture économique.
La correspondance (lettres et écoplis confondus) enregistre pour la première fois une baisse en volume de 3,6 %. Le Postimpact publicité adressée) stagne sur un marché en croissance et le Postcontact (publicité non adressée) ne progresse que de 1,5 % contre 12.13 % l'année précédente. La messagerie chute également à 304,5 millions d'objets (hors colis postaux) contre 336,4 millions en 1994. Au total, la baisse en volume atteint 3,8 %.
Les techniques de substitution au courrier postal ont en effet continué de se développer : l'utilisation de la télécopie engendre un manque à gagner évalué à 3 milliards de francs, l'EDI (échange de données informatisées) progresse et devrait atteindre quelque 680 millions de francs de chiffre d'affaires en 1995 contre 576 millions de francs en 1994.
Le tableau ci-après retrace les évolutions du courrier postal :
ÉVOLUTION DU TRAFIC COURRIER EN 1994 ET 1995
(en millions d'objet)
1994 |
1995 |
|
Lettres Ecoplis Périodiques Messagerie Prospection commerciale Autres (1) |
6.323,4 3.884,3 2.085,4 336,4 9.758,7 343,8 |
5.099,8 3.825,2 2.057,6 305,7 10.062,4 326,9 |
TOTAL TRAFIC PAYANT (hors franchises) |
22.732,0 |
21.677,6 |
(1) Autres : lettres recommandées, lettres valeurs, distingo, catalogues/annuaires, postréponses.
L'année 1995 marque une véritable rupture qui entraîne à s'interroger sur la place de l'écrit dans la société de l'information. En effet, traditionnellement, l'activité courrier était étroitement corrélée à l'évolution du produit intérieur brut. On constate que, si sur la période 1990-1993 la croissance en volume de l'activité courrier de La Poste a été supérieure à l'activité économique générale, ce phénomène n'a été observé ni en 1994 ni en 1995.
Si le déclin de la correspondance traditionnelle -la lettre de 20 grammes- dans le trafic total était un fait avéré (- 3 % entre 1994 et 1993), la messagerie et le segment du marketing direct ont également connu un recul en 1995. Seule la publicité non adressée -activité totalement concurrentielle- a connu en 1996 une très légère croissance, néanmoins sans commune mesure avec les chiffres observés antérieurement (diminution du taux de croissance par trois).
On pourrait certes s'interroger sur les causes commerciales d'une telle situation -l'opérateur public a d'ailleurs entrepris une refonte de sa politique commerciale sur les segments les plus exposés de son activité-, mais cette explication ne serait en tout état de cause pas suffisante.
On constate, en effet, une mutation des marchés traditionnels de l'opérateur public qui se traduit par une maturation du marche de a correspondance et une modification des structures du marche de la messagerie.
La dématérialisation progressive des échanges explique, en partie cette évolution. La diffusion des nouvelles technologies de l'information accentue ce phénomène et s'accompagne, en effet souvent d'une rationalisation des procédures de courrier chez les grands clients de La Poste. Le taux d'équipement Minitel des ménages français permet le développement du télépaiement, supprimant des flux de courrier réguliers et importants émis par les particuliers. Enfin, le développement de l'EDI (Échange de données informatiques) -auquel participe d'ailleurs l'opérateur public en coopération avec d'autres postes européennes- devrait entraîner à terme la disparition de flux de courrier traditionnel.
2. Les services financiers de La Poste lui confèrent un rôle majeur qu'il convient de réaffirmer
a) Des bonnes performances de la Poste pour les prestations financières
En matière de produits financiers, La Poste est le premier réseau en nombre de points de vente, le deuxième réseau en nombre de client et le troisième réseau en montant d'encours gérés.
ÉVOLUTION DES PRESTATIONS FINANCIÈRES
(en millions d'opérations ou de comptes)
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
|
Chèques postaux - nombre de comptes au 31 décembre - nombre total d'opérations |
9,12 2.987, |
9,39 3.058,0 |
9,64 3.147,6 |
9,81 3.117, |
9,91 2.736, |
Caisse nationale d'Epargne : - nombre de livrets au 31 décembre - nombre total d'opérations |
22,76 152,40 |
22,93 161,50 |
23,29 167,20 |
23,76 162,8 |
24,2 187,2 |
Mandats émis |
75,80 |
72,80 |
66,5 |
59,9 |
(*) |
(*) donnée non disponible
(Source : DGPT)
Avec 25 millions de clients. La Poste se place au deuxième rang des institutions financières. On dénombre 10 millions de détenteurs de comptes chèques postaux, 27 millions de détenteurs de livrets d'épargne, 2,2 millions de contrats d'assurance, près de 3 millions de possesseurs de SICAV, FCP et autres titres financiers. Les services financiers de La Poste affirment leur position dans toutes les catégories de la population, des revenus les plus modestes aux catégories plus aisées, sur une gamme diversifiée qui répond à tous les besoins.
Avec 909.5 milliards d'encours en 1995 (en progression de 9,1 %). La Poste consolide sa part de marché globale à hauteur de 9,75 %, en troisième position, après des années de décroissance régulière. Les services financiers de La Poste ont franchi, en 1995, le seuil historique des 20 milliards de chiffre d'affaires.
Le magazine Capital, en septembre 1996, a publié les résultats de son enquête sur les services financiers de La Poste. Sous le titre : « La Poste est-elle un bon banquier ? », on peut lire : « La Poste multiplie, aujourd'hui, services bancaires et produits financiers. Nous les avons testés pour vous. Surprise : le bilan est positif ».
RÉSULTATS DE L'ENQUÊTE DU MAGAZINE « CAPITAL » SUR LES SERVICES FINANCIERS DE LA POSTE
AVANTAGES DE LA POSTE |
INCONVÉNIENTS DE LA POSTE |
Densité du réseau : 14.000 bureaux
ouverts
Services bancaires comparables à ceux de
la
Prêts immobiliers très compétitifs Possibilité d'ouvrir un livret A |
Files d'attente dans certaines agences en
Pas de crédits à la consommation
Prêt immobilier subordonné à la
détention
Pas d'ordre de bourse par minitel ni de
|
b) L'activité financière, une priorité à réaffirmer pour l'avenir de l'opérateur postal
L'association française des Banques (AFB) a lancé cette année une offensive pour que soient examinées les conditions dans lesquelles la Poste offre ses services financiers. L'AFB juge, en effet, qu'il y a distorsion de concurrence au détriment du réseau bancaire, notamment parce que ce dernier n'est pas autorisé à distribuer le livret A. D'autre part, la Poste est accusée de bénéficier du soutien (en matériel et personnel) de son activité de service public postal pour ses prestations financières. L'AFB a sollicité, dans une lettre du 20 octobre 1995. l'avis du Conseil de la Concurrence sur la compatibilité du fonctionnement des services financiers de la Poste avec le droit de la concurrence.
Ces principales conclusions de cet avis 16 ( * ) , qui ne reconnaît pas de privilège particulier à la Poste, sont résumées ci-après :
Le Conseil de la Concurrence ne se prononce pas sur l'existence d'un éventuel comportement déloyal ou abus de position dominante.
L'examen comparatif des conditions de concurrence est difficile car « La Poste et les banques exploitent leurs activités dans des conditions très différentes » , notamment pour les horaires d'ouverture, le statut des personnels, les missions de service public, les contraintes prudentielles.
« La mise en place d'un système de comptabilité analytique fiable et transparent et de comptes généraux séparés est donc pour la Poste une impérieuse nécessité ».
La filialisation des activités financières de la Poste faciliterait le contrôle du respect des règles de concurrence.
Votre rapporteur pour avis, sans entrer dans le débat qui oppose la Poste aux banques traditionnelles, souhaiterait attirer l'attention de votre commission sur plusieurs points :
- une plus grande transparence comptable de la Poste, par la mise en place d'une comptabilité analytique appropriée, est en voie d'achèvement ;
- le coût des contraintes imposées à la Poste (rôle social, missions de service public et d'aménagement du territoire) doit être évalué et justement compensé.
À ces conditions, la Poste pourra offrir ses services financiers dans la transparence et sans distorsion de concurrence, vis-à-vis du secteur bancaire.
L'activité financière de la Poste, pleinement légitime, est en effet, de l'avis de votre rapporteur, une nécessité pour la viabilité financière de l'opérateur et une priorité qui doit être réaffirmée.
B. UNE SITUATION FINANCIÈRE FRAGILISÉE
L'exercice 1995 n'a pas été bon pour la Poste. Il se solde par un déficit de 1,1 milliard de francs. La progression (+ 6,9 %) de l'activité des services financiers n'a pas réussi à combler la baisse sensible du chiffre d'affaires courrier (- 3,2 %) . Malgré la difficulté de l'exercice, La Poste a poursuivi son désendettement à hauteur de 2,1 milliards de francs.
La perte enregistrée en 1995 est due essentiellement au retournement des marchés du courrier, dont les effets ont été amplifiés par l'impact des mouvements sociaux de fin d'année dans l'ensemble du secteur public. Le chiffre d'affaires du courrier est, pour la première fois, depuis très longtemps en recul de 2 milliards de francs environ par rapport à 1994.
Sur les correspondances. La Poste doit faire face à la fois à un effort très net de contraction des dépenses courrier engagé par les entreprises et au développement de technologies concurrentes. Sur le marché du marketing direct, du fait du ralentissement de l'activité économique en fin d'année et de l'atonie du secteur de la vente par correspondance, La Poste n'a pas réalisé les niveaux de progression connus au cours des années précédentes. Le marché le plus affecté est celui de la messagerie. La Poste y est le premier pour les colis jusqu'à 2 kg, mais la concurrence est exacerbée. La maison mère a perdu 500 millions de francs compensés, il est vrai, par un surcroît d'activité de ses filiales Chronopost et Tat Express.
Une bonne gestion des charges a permis d'absorber une partie de la baisse du chiffre d'affaires. Les consommations intermédiaires (14 milliards de francs en 1995) ont été stabilisées en francs constants avec une augmentation de 2,4 % sur l'année. Les charges de personnel ont progressé de 2,9 %, notamment du fait de la hausse du point fonction publique qui intervient pour 2,5 %, et une augmentation de 7,7 % des charges de retraite. La Poste a acquitté en 1995 la taxe sur les salaires de droit commun, soit un surcoût de 1,3 milliards de francs par rapport à 1994.
•
La politique de
désendettement,
engagée en 1993, a été
poursuivie, ce qui a permis en 1995 une réduction de 2,1 milliards de
francs de la dette, qui s'élevait fin 1995 à 31,2 milliards de
francs.
•
Pour 1996,
les ministres de tutelle ont demandé à l'entreprise de
prendre des mesures de redressement, dans le cadre d'un État
prévisionnel des recettes et des dépenses révisé,
qui comprend des mesures d'urgence commerciales (reconfiguration de la gamme
des produits) et de maîtrise des charges (consommations
extérieures et investissements).
* 16 Avis n° 96-A-10 du Conseil de la Concurrence du 25 juin 1996. publié au Bulletin officiel de la Concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du 3 septembre 1996