Avis n° 79 (1995-1996) de M. Aubert GARCIA , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 24 novembre 1995

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N° 79

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 21 novembre 1995.

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) sur le projet de loi de finances pour 1996, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

TOME IV

INDUSTRIES AGRICOLES ET ALIMENTAIRES

Par M. Aubert GARCIA,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean François-Poncet, président ; Gérard Larcher, Henri Revol, Jean Huchon, Fernand Tardy, vice-présidents ; Gérard César, William Chervy, Jean-Paul Émin, Louis Minetti, Louis Moinard, secrétaires ; Louis Althapé, Alphonse Arzel, Mme Janine Bardou, MM. Bernard Barraux, Michel Bécot, Georges Berchet, Jean Besson, Claude Billard, Marcel Bony, Jean Boyer, Jacques Braconnier, Gérard Braun, Dominique Braye, Michel Charzat, Marcel-Pierre Cleach, Roland Courteau, Désiré Debavelaere, Gérard Delfau, Fernand Demilly, Marcel Deneux, Rodolphe Désiré, Jacques Dominati, Michel Doublet, Mme Josette Durrieu, MM. Bernard Dussaut, Jean-Paul Emorine, Léon Fatous, Philippe François, Aubert Garcia, François Gerbaud, Charles Ginésy, Jean Grandon, Francis Grignon, Georges Gruillot, Claude Haut, Mme Anne Heinis, MM. Pierre Hérisson, Rémi Herment, Bernard Hugo, Roger Husson, Bernard Joly, Edmond Lauret, Jean-François Le Grand, Félix Leyzour, Kléber Malécot, Jacques de Menou, Louis Mercier, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jean-Marc Pastor, Jean Pépin, Daniel Percheron, Jean Peyrafitte, Alain Pluchet, Jean Pourchet, Paul Raoult, Jean-Marie Rausch, Charles Revet, Roger Rigaudière, Roger Rinchet, Jean-Jacques Robert, Jacques Rocca Serra, Josselin de Rohan, René Rouquet, Raymond Soucaret, Michel Souplet, Jacques Sourdille, André Vallet.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (l0ème législ ) : 2222, 2270 à 2275 et T.A. 413.

Sénat : 76 et 77 (annexe n°3) (1995-1996).

Lois de finances

INTRODUCTION

Mesdames,

Messieurs,

L'examen des crédits du ministère de l'agriculture est, depuis maintenant presque 20 ans, l'occasion pour votre commission des affaires économiques de consacrer un avis spécifique aux industries agro-alimentaires. Cet avis permet ainsi, au-delà de l'appréciation portée sur l'évolution des dotations budgétaires, de dresser le bilan de l'année écoulée pour le premier secteur industriel français.

S'agissant des évolutions budgétaires, force est de constater qu'après deux années de relatif répit, les crédits d'investissement spécifiquement consacrés aux industries agro-alimentaires -les crédits de politique industrielle- recommencent à baisser. Les crédits de paiement passent ainsi sous la barre des 200 millions de francs (195 millions de francs, -10,5 %), les autorisations de programmes avec 210 millions de francs, diminuent de 7 %. Ces lignes ont, en outre, fait l'objet d'importantes annulations de crédits en juin dernier : 56 millions de francs en crédits de paiement, soit le quart des dotations initiales.

Le projet de budget poursuit donc la tendance, amorcée depuis une décennie, au désengagement de l'État du financement direct du secteur agroalimentaire.

Un examen plus précis des crédits permettrait cependant de noter qu'en autorisations de programme, à l'exception des crédits pour les abattoirs publics, les dotations sont reconduites et que les crédits de paiement qui font l'objet des contrats de plan État-région sont maintenus au niveau correspondant aux engagements de l'État.

Les arbitrages ont donc permis de maintenir la dotation de l'État au niveau indispensable pour bénéficier des aides du FEOGA-Orientation, lesquelles sont conditionnées par l'attribution d'une aide nationale préalable, de l'État ou d'une collectivité locale.

Ainsi, dans la mesure où les critères d'utilisation des crédits nationaux et des interventions des collectivités locales sont cohérents avec les critères communautaires, le maintien des crédits permettra d'apporter la contrepartie nationale nécessaire à la mobilisation des dotations communautaires prévues dans le cadre des plans sectoriels, soit pour la période 1994-1999, 1,7 milliard de francs pour un total d'investissements de 9,2 milliards de francs.

A contrario, il ne reste quasiment pas de marge de manoeuvre pour financer les projets qui ne s'intègrent ni dans le cadre des contrats de plan ni dans celui des plans sectoriels communautaires.

S'agissant de l'évolution du secteur au cours de l'année écoulée, les résultats pour 1994 confirment qu'après une période d'expansion continue au cours des années 80, les industries agro-alimentaires connaissent un dynamisme moindre depuis la crise économique de 1992-1993.

La production ne progresse que de 0,9 % ; la consommation est quasi stagnante ; l'évolution des prix reste très modérée.

Enfin, dans le fil de l'évolution des années précédentes, la situation de l'emploi continue à se détériorer, même si c'est sur un rythme nettement moins accentué que dans le reste de l'industrie : -1,1 % pour l'agro-alimentaire, -2,8 % pour les autres industries. Alors que, traditionnellement, l'agro-alimentaire maintenait plus ou moins ses effectifs (10.000 pertes d'emplois seulement de 1980 à 1990 ; dans le même temps, le reste de l'industrie en perdait 845.000), ce secteur connaît désormais lui aussi une dégradation de la situation de l'emploi : - 6 % depuis 1990.

Dernière évolution significative de l'année écoulée : celle du commerce extérieur.

Durablement excédentaire depuis 1979 -alors que la France était structurellement déficitaire au début des années soixante- la balance commerciale agro-alimentaire a connu, en 1994, un fléchissement significatif.

Avec un excédent de 46,7 milliards de francs, le solde commercial s'affiche en retrait de 18 % par rapport à l'excédent record enregistré en 1993 (57,1 milliards de francs).

Ce recul est imputable à l'effondrement du solde des produits agricoles (-70 %), tandis que le solde des produits des industries agroalimentaires continue de progresser (41,2 milliards de francs, soit +6 %).

L'excédent de 1994 correspond ainsi approximativement à celui dégagé en 1991, mais ses composantes sont radicalement différentes : le solde des produits agricoles qui représentait 30 % du solde global n'en représente désormais plus que 12 %.

Les résultats du premier semestre 1995 font apparaître une amélioration du solde commercial d'environ 15 %. Cette amélioration s'explique par la poursuite de l'accroissement rapide du solde des industries agro-alimentaires (+20 %) tandis que le solde des produits agricoles continue à se détériorer mais sur un rythme moindre qu'en 1994 (-9 %).

Dans ce contexte, l'avenir de ce secteur sera largement conditionné par la réponse apportée à trois grands enjeux.

Le premier est celui de l'adaptation aux contraintes du GATT (General agreement on tariffs and trade).

On peut, tout d'abord, relever que l'entrée en vigueur de ces accords, s'est faite dans une relative indifférence si l'on considère les passions qu'avaient suscitées leur négociation au cours des sept années écoulées.

En outre, leurs conséquences seront très contrastées selon les secteurs : un tiers seulement des produits exportés l'est hors Communauté européenne (47 milliards de francs), dont une partie d'ailleurs sans subvention.

Ainsi pour certains secteurs, comme les vins et spiritueux, la conclusion de ces accords ouvrent des perspectives de développement. D'autres seront peu touchés parce que l'essentiel de leur exportation se fait à l'intérieur de l'Union européenne. D'autres secteurs, enfin, sont particulièrement affectés notamment les industries situées en aval des céréales (malterie, semoulerie), l'industrie de la volaille et les industries laitières, surtout les fromages.

Il faut, sur ce point, regretter qu'aux diminutions mécaniques des quantités exportables avec des aides, se soit ajoutée la gestion contestable du système des restitutions par la Commission de Bruxelles.

Pour les opérateurs les plus menacés, différentes stratégies sont envisagées ou mises en place : privilégier l'exportation de produits plus transformés (exporter de la farine au lieu de céréales, par exemple) ; se fournir en matière première moins chère, ce qui peut passer soit par la délocalisation, soit par la possibilité de transformer, sur place, une matière première payée au cours mondial. À ce titre, deux pistes sont explorées : le mécanisme du « trafic de perfectionnement actif (TPA) » qui permet à un industriel d'importer la matière première au cours mondial (sans droits de douanes), à condition de réexpédier le produit fini (sans subvention) sur les pays tiers ; la mise en place d'un système de double prix de la matière première (un prix pour le marché européen, un prix pour l'export).

Ces évolutions rencontrent, cependant, de sérieuses difficultés. Difficultés pratiques tout d'abord : comment, par exemple, mettre en place un système de double prix du lait ? Mais aussi difficultés « politiques » : est-il concevable, pour les céréaliculteurs de la Communauté, que les volailles ou les porcins destinés à l'exportation puissent consommer des céréales des pays tiers ? De même, est-il acceptable pour les éleveurs laitiers, limités dans leur volume de production, qu'une partie de l'industrie fromagère européenne transforme du lait d'Europe centrale ?

L'autre défi à relever est celui du développement de la politique de qualité.

Ces produits, en progression constante, représentent désormais une part importante de la production agro-alimentaire et peuvent s'appuyer sur un système de certification et d'identification de la qualité des produits.

Une étude montre cependant que, si les quatre signes de reconnaissance officiels de la qualité (label, certification de conformité, agriculture biologique, appellation d'origine contrôlée) correspondent véritablement à des attentes du consommateur, l'identification de ces signes par ce dernier n'est pas toujours évidente.

La lisibilité de ces signes serait, en effet, souvent perturbée, non pas par leur multiplicité, mais par les démarches parallèles, telles que les médailles, les marques collectives régionales et les multiples allégations qui brouillent leur perception par le consommateur.

Des problèmes doivent également être résolus : en matière, par exemple, de prise en compte des exigences imposées par la qualité dans le cadre du droit de la concurrence. À cet égard, on doit souhaiter que le cadre juridique permettant aux producteurs de s'organiser pour promouvoir la qualité soit redéfini, afin d'éviter que les producteurs ne se retrouvent en porte à faux avec l'interdiction des ententes anticoncurrentielles prévue par l'ordonnance de 1986 sur la concurrence.

Mais surtout, des arbitrages délicats doivent être rendus, au sein même de la profession, entre les tenants d'une logique purement économique et ceux d'une politique de qualité étroitement liée à des préoccupations d'aménagement rural. Le débat au sein des appellations d'origine fromagères sur l'opportunité d'ancrer, plus profondément, les appellations au terroir et aux industries locales en resserrant les disciplines de production (limitation du rayon de collecte, limitation du litrage par vache, interdiction ou non des ateliers polyvalents...) est, à cet égard, significatif.

Enfin, le dernier enjeu est celui de la nécessaire réforme des relations avec la grande distribution. Aujourd'hui, les relations entre production et distribution sont dominées par la puissance d'achat de cette dernière alors même que l'ordonnance de 1986 privilégie le contrôle et la sanction des comportements du vendeur. Une réforme de ses dispositions, qui en l'état actuel ne prennent pas en compte la réalité des rapports de force existant, est indispensable. On ne peut que se féliciter que le Gouvernement l'envisage.

CHAPITRE PREMIER - LES INDUSTRIES AGRO-ALIMENTAIRES EN 1994

Alors qu'au cours de la période 1985-1992 les industries agroalimentaires avaient connu un fort développement marqué par l'amélioration de leur situation financière, un excédent croissant de leur balance commerciale, un développement des investissements étrangers en France et des investissements français à l'étranger, le dynamisme de ce secteur paraît affecté.

Pour les industries agro-alimentaires, l'année 1994 aura ainsi été caractérisée par :

- une reprise, modeste, de la production ;

- la poursuite du mouvement de baisse des emplois ;

- la dégradation de la situation des entreprises ;

- le rôle décisif des exportations dans la croissance du secteur.

La crise économique des années 1992-1993 aura ainsi eu un impact sensible et apparemment durable sur le secteur agro-alimentaire, même s'il a été moins marqué que dans le reste de l'industrie. En outre, la réforme de la politique agricole commune et la conclusion des négociations de l'Uruguay Round ont contribué au ralentissement actuel de ce secteur.

I. L'ÉVOLUTION GÉNÉRALE

A. UNE FAIBLE PROGRESSION DE LA PRODUCTION DANS UN CONTEXTE DE CONSOMMATION ATONE

1. La production

Selon les chiffres fournis par le ministère, la production aura progressé, en 1994, de 0,9 % alors que le reste de l'industrie a connu une augmentation de 4,9 % des volumes produits. Avec une production de plus de 630 milliards de francs, les industries agro-alimentaires conservent, cependant, leur rang de premier secteur industriel français.

Établies sur une base différente, les statistiques de l'ANIA (association nationale des industries agro-alimentaires) conduisent à la même analyse : les industries agro-alimentaires restent bien, et de loin, le premier grand secteur industriel de l'économie française, même si elles n'ont pas profité de la reprise au même titre que les autres industries. Alors que 1994 aura été pour l'ensemble de l'industrie l'année de la reprise, après deux années de crise profonde, la progression des industries agro-alimentaires est restée très modérée.

Cette évolution traduit bien le caractère contra cyclique de ce secteur d'activité, dont l'évolution, plus régulière, n'enregistre pas les fortes variations observées dans le reste de l'industrie.

TAUX DE CROISSANCE EN VOLUME DE LA PRODUCTION

Quoiqu'il en soit, les trois dernières années s'inscrivent en rupture avec la période d'expansion continue des années 1980 qu'avait connue l'agro-alimentaire, au cours de laquelle beaucoup d'entreprises avaient pu afficher, en permanence, des taux de croissance à deux chiffres.

Cette faible progression de la production s'explique, pour partie, par la réduction de certaines livraisons agricoles, pour partie par la stagnation de la consommation des ménages (+ 0,3 %). La bonne tenue des exportations n'a que partiellement compensé ces évolutions défavorables.

2. La consommation

La production des industries agro-alimentaires -pour le secteur de la première transformation- est, en effet, directement tributaire des livraisons agricoles, dont certaines ont été sensiblement affectées par la réforme de la PAC (par exemple les huiles et corps gras). Mais leur production est également tirée par la demande : l'exportation et la consommation des ménages.

Cette dernière a été stagnante en 1994 (+ 0,3 % pour le ministère ; + 1 % en valeur pour l'ANIA), ce qui confirme le net recul en volume observé depuis 1992 par rapport au rythme des années précédents (+1,7% en moyenne). Aussi, la croissance de ce secteur s'explique-t-elle très largement par les bonnes performances à l'exportation.

Dans un contexte où, globalement, la consommation en volume ne paraît pas devoir augmenter dans l'ensemble des pays développés, des évolutions sont néanmoins perceptibles. Après deux années caractérisées par une tendance au report de la consommation sur les produits bon marché, il semblerait que Ton assiste à « une remontée en gamme de la demande ».

Tout en restant attentif au prix, le consommateur serait demandeur de produits élaborés ou haut de gamme, lorsqu'ils correspondent à ses préoccupations en matière de santé, de facilité d'emploi, de service incorporé...

3. Les prix

De leur côté, les prix à la production progressent très faiblement : + 0,5 % en 1994, alors qu'ils avaient baissé de 1,6 % en 1993.

En excluant l'augmentation du prix du tabac et en ne retenant que les prix à la production sur le marché intérieur, les prix auraient baissé de 0,3 % au cours de l'année écoulée.

Cette tendance à la baisse s'explique à la fois par l'amont de l'industrie, les livraisons agricoles (dont le prix baisse de 0,3 %), et par l'aval : la pression exercée par la distribution.

De leur côté, les prix de détail, hors tabac, augmentent, eux-aussi, très faiblement (+ 0,2 %). Cette quasi-stagnation des prix à la consommation s'explique à la fois, par la baisse des prix de plusieurs produits agricoles (- 9,8 % pour les fruits), la pression exercée par la distribution sur l'industrie et par la concurrence entre produits de marque, produits sous marque de distributeurs et produits vendus par les « hard-discount ».

PRIX À LA PRODUCTION ET À LA CONSOMMATION DES PRODUITS DES INDUSTRIES AGRO-ALIMENTAIRES

On assiste donc à un double phénomène de transfert : de l'amont agricole à la transformation industrielle, puis de l'industrie au secteur de la distribution.

Cette situation explique, pour partie, l'amélioration tendancielle de la valeur ajoutée des industries agro-alimentaires (18 % en 1960, 31,5 % en 1995) : ces dernières bénéficient d'un rapport de prix favorable par rapport à leur amont. Désormais la part des produits agricoles est minoritaire dans les consommations intermédiaires : 62 % en 1970, 46 % en 1994.

B. LA POURSUITE DE LA DÉTÉRIORATION DE L'EMPLOI

Les industries agro-alimentaires se distinguent aussi du reste de l'industrie manufacturière par le recul moindre des effectifs salariés et non salariés. L'année 1994 confirme la poursuite d'une évolution négative, mais modérée.

D'après les comptes de la Nation, le nombre de personnes employées dans les industries agro-alimentaires est passé de 557.000, en 1993, à 551.000 en 1994, soit une diminution de 1,1 %. Pour les seuls salariés, la diminution s'élève à 2.000 personnes, soit - 0,4 %. La baisse de l'emploi dans les industries agro-alimentaires, en particulier salarié, est nettement moins accusée que pour les autres industries manufacturières (biens intermédiaires, biens d'équipement, biens de consommation) qui ont vu leurs effectifs diminuer de 2,8 % en moyenne annuelle.

Or, ce phénomène de baisse de l'emploi dans les industries agroalimentaires est récent.

De 1960 à 1990, le nombre d'emplois était resté quasiment stable : entre 585 et 600.000 personnes. Entre 1980 et 1990, les industries agro-alimentaires n'avaient perdu qu'environ 10.000 emplois, alors que l'industrie manufacturière en perdait 845.000. Depuis 1990, la perte d'emplois s'élève à 35.000, soit 6 % des effectifs de 1990, mais seulement à 15.000, soit 3 % du niveau de 1990 pour l'emploi salarié. Elle reste très en-deçà de la contraction des effectifs dans les autres activités industrielles : - 13 % sur la même période.

ÉVOLUTION DE L'EMPLOI DANS LES INDUSTRIES AGRO-ALIMENTAIRES

C. LA DÉGRADATION DE LA SITUATION DES ENTREPRISES

Selon les résultats de l'enquête annuelle d'entreprises du Service central d'enquêtes et d'études statistiques (SCEES), la situation financière des entreprises des industries agro-alimentaires, globalement satisfaisante en comparaison avec les autres industries, s'était dégradée en 1993. De fortes disparités existent d'ailleurs entre les secteurs et entre les entreprises. Dans un contexte de consommation stagnante et de pression accentuée de la distribution, plusieurs secteurs ont affiché des résultats d'exploitation en baisse et rencontré des difficultés de trésorerie. Selon le ministère, « l'un des handicaps reste pour l'ensemble de la branche, les délais de paiement que lui imposent les grande surfaces, bien que les dispositions législatives limitant à 30 jours les délais de paiement applicables aux produits frais et aux alcools commencent à produire leurs effets. Cette limitation a un impact favorable pour le secteur des viandes ».

Cette dégradation se traduit notamment par un recul des investissements. Ces derniers, selon l'INSEE, auraient reculé de 8 % en 1994, après une baisse de 9% en 1992 et de 13,3% en 1993. Pour la troisième année consécutive, les investissements matériels sont en retrait. Il semble, cependant, que l'année 1995 pourrait connaître une reprise sensible (+ 9 %) des investissements (21,2 milliards de francs en 1994).

On constate, en revanche, l'augmentation des investissements immatériels : 9,1 milliards de francs en 1994 contre 8,5 milliards de francs en 1993 pour les dépenses publicitaires.

Cette situation est en partie compensée par le dynamisme des investissements étrangers en France : 90 opérations pour un volume de 12 milliards de francs, aux 4/5ème d'origine communautaire soit le meilleur résultat depuis le record de 18 milliards de francs enregistré en 1992. De leur côté, les investissements français à l'étranger se sont stabilisés à environ 5 milliards de francs.

II. L'ÉVOLUTION SECTORIELLE

Le tableau ci-après retrace l'évolution enregistrée dans chacune des branches du secteur agro-alimentaire en 1994.

III. LE COMMERCE EXTÉRIEUR : UN INFLÉCHISSEMENT SIGNIFICATIF

A. LE BILAN DE 1994

Durablement excédentaire depuis 1979 -alors que la France était structurellement déficitaire au début des années soixante- la balance commerciale agro-alimentaire a connu, en 1994, un fléchissement significatif.

Avec un excédent de 46,7 milliards de francs, le solde commercial s'affiche en retrait de 18 % par rapport à l'excédent record enregistré en 1993 (57,1 milliards de francs).

Comme illustre le tableau ci-après, ce recul est imputable à l'effondrement du solde des produits agricoles (- 70 %), tandis que le solde des produits des industries agro-alimentaires continue de progresser (+ 6 %).

COMMERCE EXTÉRIEUR AGRO-ALIMENTAIRE

L'excédent de 1994 correspond approximativement à celui dégagé en 1991, mais ses composantes sont radicalement différentes.

Le solde des produits agricoles qui représentait 30 % du solde global n'en représente désormais plus que 12 %. En 1994, le solde des industries agro-alimentaires entre pour 88 % dans l'excédent agro-alimentaire total.


• L'effondrement de l'excédent des produits agricoles
(-12,7 milliards de francs, - 70 %) est principalement du aux céréales, dont l'excédent régresse de 28% et de 8,4 milliards (21,5 milliards en 1994 contre 29,9 milliards en 1993).

Les oléagineux (colza et tournesol) voient leur solde positif continuer à se réduire (0,7 milliard contre 1,8 milliard).

À l'importation, enfin, la flambée des prix des matières premières tropicales a pesé lourdement sur le déficit imputable aux achats de café (4,6 milliards contre 2,7 milliards soit + 70 %).

ï De son côté, l'amélioration du solde des industries agroalimentaires s'explique par la poursuite des bons résultats de nos principaux points forts à l'exportation : les vins et spiritueux (29,7 milliards d'excédent en 1994 contre 27,5 milliards de francs en 1993), les produits laitiers (12,4 milliards de francs contre 11,1 milliards), le sucre (6,1 milliards contre 5,1 milliards) et les viandes de volaille (5,5 milliards contre 5,4 milliards).

ï Enfin, on constate au plan géographique, un fléchissement de l'excédent avec l'Union européenne qui s'établit à 37,4 milliards de francs en 1994 (régressant de 12% par rapport à 1993 : 42,7 milliards), essentiellement sous l'effet d'une hausse moins rapide (+ 4 %) de nos exportations (140 milliards soit 71 % du total de nos exportations) que de nos importations qui ont progressé de 11% pour s'établir à 102,6 milliards de francs.

La chute du solde positif avec les pays-tiers : 9,3 milliards contre 14,4 milliards (soit -35 %) est imputable, notamment, à l'effondrement des ventes vers la Russie (1,9 milliard contre 4 milliards).

On observe toutefois une nette reprise de notre excédent avec les États-Unis (2,2 milliards contre 1 milliard) et la poursuite des excellents résultats des exportateurs français en Asie (Hong Kong + 17 %, Taiwan + 18 %, Singapour + 33 %).

B. LES PERSPECTIVES POUR 1995

Les résultats du premier semestre 1995 font apparaître une amélioration du solde commercial : l'excédent cumulé s'élève à 24,2 milliards de francs soit une augmentation de 15 % et de 3 milliards de francs par rapport au premier semestre 1994.

Cette augmentation par rapport à 1994 s'explique par la poursuite de l'accroissement rapide du solde des industries agro-alimentaires tandis que le solde des produits agricoles continue à se détériorer, mais sur un rythme moindre.

On enregistre, en effet, un nouveau recul du solde bénéficiaire des produits agricoles qui s'établit à 3,4 milliards de francs soit 9 % de moins que l'an dernier (3,4 milliards de francs). On peut cependant noter que l'accroissement du solde positif des céréales (+ 13 % et 14,2 milliards de francs) semble marquer un retour à une situation plus normale, de même que celui dégagé par les oléagineux qui triple avec 1,3 milliard de francs. La poursuite de la détérioration du solde s'explique par l'accroissement du déficit sur le café qui avec 3 milliards de francs se creuse de près de 70 % par rapport à l'an dernier.

De son côté, l'excédent dégagé par les échanges extérieurs des produits des industries agro-alimentaires s'élève à 21,2 milliards de francs, soit près de 20 % de plus qu'en 1994, essentiellement sous l'effet de l'augmentation des excédents des produits laitiers (7 milliards de francs, soit une progression de 13 %) et du sucre (3,9 milliards de francs, + 70 %).

Il reste que ces résultats du premier semestre ne peuvent pas refléter les conséquences éventuelles du boycott à l'encontre des produits français décidé dans certains États.

CHAPITRE II - LA POLITIQUE CONDUITE PAR LES POUVOIRS PUBLICS

I. LES GRANDES ORIENTATIONS

Le rôle du ministère de l'agriculture en matière d'agro-alimentaire a été renforcé par l'extension de ses compétences au domaine de l'alimentation.

Le décret du 8 juin 1995 qui fixe les attributions du ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation, charge en effet ce dernier de déterminer la politique de l'alimentation et d'en assurer l'exécution. Cette précision ne figurait pas dans le précédent décret d'attribution du 8 avril 1993.

Ses compétences en ce domaine sont donc affirmées et renforcées. Il en résulte, en particulier, que la politique de l'alimentation et celle de la qualité qui sont intrinsèquement liées doivent constituer un axe majeur des actions du nouveau ministère.

La lettre de mission adressée par le Premier ministre charge d'ailleurs le ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation d'étudier et de présenter des projets de texte de portée législative et réglementaire visant à améliorer notre système de contrôle, pour assurer la garantie sanitaire des produits et la sécurité des processus de production et de transformation. Selon les informations dont dispose votre rapporteur « la préparation de ces textes, sous la responsabilité directe de ce ministère, est très avancée ».

D'autre part, les conditions dans lesquelles est assuré le secrétariat de divers organismes (par exemple le Conseil national de l'Alimentation ou le Codex alimentarius) ont été précisées.

De même, un protocole d'accord a été élaboré afin de renforcer et de mieux formaliser les modalités de coopération avec les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

Enfin, en ce qui concerne les services propres du ministère, la présence et l'action d'un pôle agro-alimentaire seront confortées aux niveaux régional et départemental. Il est envisagé de « formaliser la coopération, sur la chaîne agro-alimentaire, » des directions départementales de l'agriculture, de la concurrence et de la consommation, et des affaires sanitaires et sociales.

A. L'ANALYSE DU MINISTÈRE

Les avis budgétaires des années passées avaient longuement présenté les modifications de l'environnement immédiat ainsi que les problèmes structurels rencontrés par ce secteur depuis la réforme de la PAC 1 ( * ) .

Selon le ministère, les faiblesses de ce secteur « dues à un développement économique encore récent et à une taille généralement insuffisante persistent :

- le manque de fonds propres, notamment des PME, constitue un handicap d'autant plus important que les délais de paiement pratiqués par la grande distribution entraînent un besoin accru en fonds de roulement ;

- des marges financières réduites provenant d'un rapport de force déséquilibré avec la grande distribution, qui a développé fortement ses marques de distributeurs et plus récemment des produits des premiers prix ;

- des difficultés de perception de la qualité par les consommateurs du fait de la multiplication des identifiants de la qualité (AOC, labels, agriculture biologique...) et une insuffisance de communication ;

- une présence sur les marchés étrangers encore faible, nécessitant la poursuite des implantations dans l'Union européenne et des efforts à cibler vers les pays d'Asie, ceux d'Europe centrale et orientale et d'Amérique latine ;

- des dépenses d'innovation et de recherche peu en rapport avec le poids économique du secteur 2 ( * ) et leur effet d'entraînement sur l'agriculture ».

C'est dans ce cadre que s'inscrit la politique du Gouvernement qui vise, principalement, à adapter les structures d'aval de l'agriculture aux nouvelles contraintes nées de la réforme de la politique agricole commune et des accords du GATT et d'autre part, à conforter un tissu régional de PME performantes.

Cette politique, d'après le ministère, tend donc à :

« - inciter à la restructuration des entreprises de collecte et de stockage des céréales et des oléagineux affectés par la baisse des volumes et des prix ;

- préparer les industries des viandes à faire face à une réduction des volumes exportés vers les pays tiers induite par les accords du GATT ;

- développer les débouchés industriels non alimentaires, notamment pour les amidons et les sucres ou des usages nouveaux tels les biocarburants ;

- privilégier le développement des PME en leur consacrant la majeure partie des aides publiques à l'investissement physique et en leur réservant les aides aux investissements immatériels ;

- conduire et développer une politique active de qualité. Il s'agit d'adapter l'offre agricole à la demande de l'aval, de valoriser les produits grâce au dispositif de signes de qualité, de promouvoir et contrôler l'hygiène alimentaire ;

- étudier les aménagements à apporter au titre IV de l'ordonnance de 1986, visant à rééquilibrer les rapports entre producteurs, transformateurs et distributeurs ;

- stimuler le transfert de technologies vers les entreprises en prenant appui sur les centres techniques et les centres de transfert ».

Selon les informations fournies à votre rapporteur, le ministère entend privilégier cinq orientations principales.

B. LES ORIENTATIONS PRIORITAIRES

1. La sélectivité des aides

Cette orientation principale en matière d'aide aux industries agroalimentaires résulte de l'addition de plusieurs sujétions.

L'analyse faite par le ministère est difficilement contestable : « les contraintes qui pèsent sur les industries agro-alimentaires du fait de la réforme de la PAC et surtout des nouvelles règles relatives au commerce mondial dont les répercussions seront sensibles sur les productions animales et la transformation des céréales vont conduire les entreprises à se restructurer plutôt que développer leurs capacités de production ».

Il est clair désormais que les pouvoirs publics seront conduits à accompagner les restructurations, parfois difficiles, plutôt que de financer l'accroissement des capacités de l'outil industriel.

De leur côté, les directives communautaires en matière d'hygiène des produits d'origine animale obligent les entreprises à faire des investissements coûteux de mise à niveau de leurs installations pour la réalisation desquelles il est logique que les aides publiques, nationales ou communautaires, soient prioritairement mobilisées.

Les onze plans sectoriels acceptés par la Commission en mars dernier reflètent bien ces contraintes : ils privilégient les restructurations, la réduction de capacités, la mise aux normes sanitaires européennes, le développement de la qualité, la recherche d'une meilleure valorisation, l'adaptation au marché... C'est en cohérence avec ces priorités que se font désormais les interventions publiques nationales.

En définitive, comme le note le ministère, « cette cohérence est d'autant plus importante que les interventions publiques (régions - État -FEOGA) représentent environ 600 millions de francs face à des investissements de l'ordre de 22 milliards. Ces interventions seraient, en effet, dérisoires si elles n'étaient pas centrées sur des secteurs bien ciblés reconnus prioritaires ».

2. La priorité donnée aux PME et à l'emploi

En dépit d'une tendance à la concentration 1 ( * ) , les PME constituent encore la très grande majorité des entreprises agro-alimentaires. Leur rôle dans l'animation économique du monde rural, en créant ou en maintenant des emplois, justifie qu'elles fassent l'objet d'une attention particulière. On peut, sur ce point, indiqué que le ministre de l'agriculture a évoqué la possibilité de doubler la création annuelle d'entreprises, à travers une opération « 100 PME ».


• Déjà, à ce titre, les aides aux investissements physiques attribuées au niveau régional, national ou communautaire bénéficient majoritairement aux PME. C'est particulièrement le cas pour les interventions entrant dans le cadre des contrats de plan État-régions. De leur côté, les fonds régionaux d'aide aux investissements immatériels (FRAI), adaptés à leurs besoins, leur sont intégralement réservés.

Pour votre commission, le soutien apporté au tissu des PME revêt, en effet, une importance particulière, compte tenu de l'apport des industries agro-alimentaires à l'emploi et à la vitalité de l'espace rural

L'agro-alimentaire est, en effet, l'industrie dans laquelle la part des emplois ruraux induits est la plus importante.

Selon le ministère, on constaterait, d'ailleurs, une « ruralisation » de l'agro-alimentaire.

Les entreprises auraient tendance à quitter les grands pôles de consommation (Paris, Lille, Lyon) et certains sites portuaires (Bordeaux, Marseille, Nantes...) pour s'installer dans les bassins de production.

Cette évolution profiterait à la fois aux régions dans lesquelles l'agriculture est la mieux structurée (Bretagne et Sud-ouest), mais aussi aux zones rurales fragiles dans lesquelles se développent des productions de qualité, comme la Dordogne, le Gers ou les Landes...

Ainsi entre 1975 et 1982, les communes rurales auraient enregistré, pour les industries agro-alimentaires, un gain d'emplois de 17%. De 1982 à 1990, le taux d'augmentation est resté de 5 %. Sur 100 actifs ruraux, 36 travaillaient dans l'agro-alimentaire en 1990, contre 31,5 en 1975.


• L'amélioration des relations avec la grande distribution
constitue le second volet de l'action déjà conduite en faveur des PME de l'agro-alimentaire.

La réduction des délais de paiement applicables aux produits frais ou périssables a, déjà, selon le ministère, permis d'alléger la trésorerie des entreprises et de réduire les risques de non paiement, ce qui est tout particulièrement profitable aux PME, particulièrement exposées aux pressions de la grande distribution. La réforme de l'ordonnance de 1986 relative à la concurrence, afin de prendre en compte la fragilité des producteurs et des transformateurs, qui résulte du déséquilibre dans les rapports de force entre la production et la distribution, constituerait une amélioration significative.

3. La nécessaire réforme des relations avec la grande distribution

a) Le poids pris par la grande distribution dans les ventes de produits alimentaires.

La part croissante prise par les grandes enseignes dans la distribution des produits de l'alimentaire est une caractéristique majeure de l'évolution de la filière agro-alimentaire au cours des dernières décennies.

Cette situation explique, pour partie, le partage défavorable de la valeur ajoutée entre agriculteurs et industriels, d'une part, et distributeurs, d'autre part.

RÉPARTITION DES ACHATS ALIMENTAIRES PAR TYPE DE COMMERCE

En 1993, comme l'illustre le tableau ci-après, pour de nombreux produits, les hyper et super marchés représentaient les deux tiers des ventes. Les commerces spécialisés, à l'exception des boulangeries-pâtisseries, et dans une moindre mesure, des poissonneries représentant moins du tiers des ventes.

b) L'inadéquation des dispositions actuelles

Comme l'a analysé le rapport Vilain, la législation actuelle apparaît en porte à faux par rapport au poids économique respectif des distributeurs et des producteurs.

L'ordonnance de 1986 privilégie le contrôle et la sanction des comportements du vendeur, alors même que les relations entre producteurs et distributeurs sont aujourd'hui dominées par la puissance d'achat acquise par la grande distribution.

Ce déséquilibre des rapports de force au profit de la distribution est particulièrement marqué. Les entreprises agro-alimentaires vendent les 2/3 de leur production aux hypermarchés et aux supermarchés. Un producteur réalise usuellement 20 à 30 % de son chiffre d'affaires avec un même distributeur, alors que celui-ci s'approvisionne auprès de lui pour au plus 2 à 3 % de ses achats. Ainsi, quasiment aucun fournisseur n'est indispensable pour un grand distributeur, alors qu'un fournisseur peut rarement se passer d'un de ses principaux distributeurs.

En outre, la puissance d'achat considérable de la grande distribution a privilégié la concurrence effrénée sur les prix. Cette pression permanente dépasse souvent les progrès de productivité obtenus et ne permet plus aux producteurs de financer, dans des conditions satisfaisantes, l'innovation, l'investissement et la qualité. À terme, c'est l'emploi même qui est menacé.

Or, l'ordonnance de 1986 est beaucoup plus contraignante pour le producteur que pour le distributeur.

Le droit en vigueur contribue donc à accentuer une situation économique défavorable aux producteurs, en multipliant leurs obligations (facturation, publicité des conditions de ristourne, conditions générales de vente, interdiction des prix minimums), ou les présomptions défavorables pesant sur leur activité (restrictions très sévères aux possibilités de discriminations ou de refus de vente). La puissance d'achat de la distribution fait que même l'interdiction de la revente à perte voit en pratique le fournisseur en supporter les conséquences financières, en devant dédommager le distributeur pouvant se trouver dans cette situation.

Le producteur se trouve donc devoir faire face aux demandes toujours plus pressantes des distributeurs, tout en respectant scrupuleusement, sous peine de lourdes sanctions pénales, civiles ou administratives, les nombreuses obligations qui lui sont imposées.

En revanche, la liberté d'action de l'acheteur est quasi-totale hormis l'existence de délais de paiement légaux pour les produits périssables. Les pratiques de déréférencement abusif ne sont même pas mentionnées par l'ordonnance et, faute de voie d'action appropriée, une saisie des tribunaux n'a guère de chances de succès, au simple plan juridique.

c) Les modifications préconisées

Selon le ministère, l'amélioration des relations production-distribution « passe nécessairement par une réforme de l'ordonnance de 1986. Les dispositions légales doivent tirer les conséquences du profond changement de l a situation économique intervenu depuis près de 10 ans ». Les règles actuelles apparaissent comme datées et il ne semble pas que la jurisprudence puisse permettre l'évolution nécessaire.

Il s'agirait donc de retrouver un équilibre dans les obligations respectives fixées par l'ordonnance aux producteurs et aux distributeurs, en modifiant les dispositions concernant les producteurs : actions concertées pour promouvoir la qualité, règles sur la facturation, les conditions de vente, la revente à perte, les discriminations, le refus de vente.

Le ministère estime, d'autre part, que la lutte contre les pratiques restrictives ou abusives devrait être largement confiée au juge commercial, au lieu de relever comme actuellement de contrôles administratifs assortis de sanctions pénales et qu'une action en justice visant spécialement les pratiques de déréférencement abusif devrait être créée.

L'ensemble des modifications préconisées devrait permettre aux producteurs et aux industriels de mieux se défendre face aux exigences de la grande distribution, en n'étant plus placés, dès l'ouverture des négociations commerciales, en position d'infériorité juridique vis-à-vis de l'acheteur.

Ces positions rejoignent, pour partie, celles des professionnels.

En la matière, l'ANIA estime que, sans bouleverser l'économie de l'ordonnance, des aménagements doivent être apportés.

La position de l'ANIA

1. Abus de dépendance économique et déréférencement abusif

Une application effective du droit français à l'ensemble des secteurs et des agents de l'économie apparaît comme indispensable. C'est l'objet de la proposition visant l'abus de dépendance économique sans atteinte au marché.

Le fait pour un client professionnel d'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un fournisseur, sous la menace d'un déréférencement :

- des conditions commerciales qui diffèrent sans justification des conditions générales de vente,

- des avantages, quelle qu'en soit la nature, sans contrepartie véritable, quantifiable et proportionnelle,

- ou l'achat de services subordonnés à la vente des produits du fournisseur est présumé constitutif d'une exploitation abusive de sa puissance d'achat.

Le distributeur est tenu au respect d'un délai de préavis minimum avant toute rupture ou modification substantielle des relations commerciales. La rupture doit être motivée.

2. Clarification des règles de facturation

Pour ce qui est de la facturation, l'expression « tout rabats, remise ou ristourne dont le principe est acquis et le montant chiffrable... quelle que soit leur date de règlement » qui figure à l'article 31 de l'ordonnance, doit être amendée. Ne doivent être mentionnées sur la facture que les « rabais, remises ou ristournes présentant un caractère inconditionnel ou bien conditionnel si les conditions sont réalisées au jour de la facturation ».

Les services vendus par le distributeur qui doivent faire l'objet d'un contrat et d'une facture ne peuvent en aucun cas être pris en compte dans le calcul du seuil de la revente à perte.

3. Revente à perte - Refus de vente

Il semble irréaliste en l'état actuel des rapports de force de considérer que la suppression de l'interdiction du refus de vente ou de la revente à perte conduirait à une meilleure mise en oeuvre du droit de la concurrence. La sanction effective des abus de dépendance économique et du déréférencement abusif apparaît comme une première étape indispensable avant toute modification en profondeur des équilibres internes de notre droit.

Il est indispensable en revanche de clarifier la définition du seuil de la revente à perte afin qu'elle puisse être effectivement sanctionnée et ce dans des délais qui ne rendent pas la sanction inopérante. Le seuil de la revente à perte doit correspondre au prix qui figure sur la facture (voir point 2 sur la clarification des règles de facturation) majoré des taxes afférentes à la revente et, le cas échéant, du prix du transport.

L'exception à l'interdiction de la revente à perte au nom d'un droit pour le distributeur d'alignement sur le prix d'un concurrent dans la même zone de chalandise doit être supprimée. Il s'agit d'une rémanence du droit des prix, qui contribue à la spirale de dévalorisation, qui revient à se faire justice à soi-même, et non d'une disposition visant à favoriser la concurrence loyale.

Dans un esprit d'équité, les dispositions relatives au refus de vente devraient comporter le respect d'un préavis minimum de la part du fournisseur ainsi que l'obligation de motiver la décision.

Source : Agra-Alimenlation n° 1449, 19 octobre 1995

De leur côté, les organisations professionnelles agricoles, estimant que l'aménagement ne peut porter que sur le seul titre IV, ont dégagé une « plate-forme » commune (FNSEA, Coopération agricole, APCA...) autour de trois axes principaux :

- permettre aux accords assurant l'adaptation quantitative et qualitative des produits agro-alimentaires aux marchés de pouvoir déroger au principe de l'interdiction des ententes,

- agir sur les prix anormalement bas,

- initier de nouveaux comportements dans les relations commerciales.

La position des organisations professionnelles agricoles

1. Reconnaître le bien-fondé de certaines ententes

L'objectif est d'obtenir que le droit de la concurrence autorise une meilleure organisation de la production pour permettre un ajustement, tant qualitatif que quantitatif, des produits aux marchés. Il s'agirait :

ï d'intégrer expressément la politique de qualité. En complétant l'article 10.2 du titre III de l'ordonnance de 1986 dans sa partie concernant les ententes, afin que les accords destinés à améliorer la qualité des produits agricoles et alimentaires et leur distribution bénéficient d'une des dérogations possibles à l'interdiction des ententes,

ï d'élargir les possibilités d'intervenir en cas de situation de crise, en permettant par exemple une réduction des capacités de production et en prévoyant, quand la situation l'exige, la possibilité de recourir au « cartel de crise ».

Il convient donc d'introduire explicitement dans l'article 10.12 de l'ordonnance de 1986 la possibilité pour l'État de mettre en place un cartel de crise temporaire, en étendant certains accords ou catégories d'accords définis par les organisations professionnelles ou interprofessionnelles.

2. Lutter contre les prix anormalement bas


• Il est ainsi proposé de réprimer les pratiques de prix déloyales et les promotions abusives
en introduisant un nouvel alinéa à l'article 32 de l'ordonnance pour réprimer les pratiques de prix déloyales et encadrer les promotions des produits à durée de vie limitée, notamment dans leur fréquence, leur durée et leur période.

Ce nouvel alinéa doit permettre de considérer comme déloyale la vente à un prix artificiellement bas d'un produit ou d'un service dans l'une des conditions suivantes :

- la vente est susceptible d'induire en erreur le consommateur sur le niveau des prix et services du même établissement ou de la même enseigne ;

- la vente a pour effet de porter atteinte à la marque ou à l'image d'un produit ou d'une entreprise ;

- la vente résulte d'une action destinée à éliminer d'un marché un concurrent ou l'un de ses produits ou services.

Ce nouvel alinéa à l'article 32 de l'ordonnance doit ouvrir également la possibilité d'encadrer, par voie réglementaire, les promotions de produits sensibles, notamment sur les périodes, fréquences et le prix servant de référence à la promotion.


Rendre efficace l'interdiction de la revente à perte, en supprimant les dérogations qui existent aujourd'hui, en particulier l'exception d'alignement sur les concurrents, instituée par la loi de finances de 1963, à laquelle se réfère l'ordonnance de 1986, en renvoyant la notion de seuil de revente à perte pour définir sans ambiguïté un seuil de revente à perte dont les sanctions soient réellement dissuasives.

ï Clarifier les règles de facturation afin, notamment, que les remises, les ristournes -ou tout autre avantage commercial- soient chiffrées au moment de la vente.

ï Maintenir le dispositif sur les délais de paiements

3. Introduire de nouveaux comportements dans les relations commerciales

À ce titre, il conviendrait de :


Mieux sanctionner les comportements abusifs dans les négociations commerciales.

L'interdiction de l'abus de dépendance économique prévue à l'article 8.2 de l'ordonnance est jugée inefficace. Il convient, en conséquence, de modifier l'article 36 de l'ordonnance qui régit les relations entre les fournisseurs et les acheteurs, en introduisant la notion d'interdiction d'abus de dépendance économique, afin de pouvoir sanctionner un déréférencement abusif analysé comme une menace ou une rupture partielle ou totale des relations commerciales régulières avec un fournisseur sans motif légitime.

Il pourrait être également envisagé pour les distributeurs que tout déréférencement fasse l'objet d'un préavis minimum.


• Supprimer l'interdiction du refus de vente

La suppression de l'interdiction du refus de vente permettrait, en cas de désaccord producteur-distributeur, d'inverser la charge de la preuve. Ce serait donc au distributeur de prouver que le refus de vente d'un producteur constitue une pratique discriminatoire, déloyale ou anticoncurrentielle, alors qu'actuellement c'est au producteur d'établir les preuves du caractère anormal de la demande du distributeur.


Supprimer l'interdiction d'imposer un prix de revente minimum

L'article 34 de l'ordonnance de 1986 et la jurisprudence qui en découle fonctionnent aujourd'hui comme une arme qui se retourne contre les fournisseurs. En effet, la moindre réaction des producteurs pour lutter contre un prix bas est aujourd'hui considérée comme une tentative directe ou indirecte d'imposer un prix minimum de vente.


Rendre effectif le droit de la concurrence, en maintenant le contrôle de l'administration, et en augmentant les sanctions.

d) La voie contractuelle : les accords interprofessionnels

La recherche d'une amélioration des relations avec la grande distribution intéresse à la fois les agriculteurs et les industriels.

Pour les produits non transformés, notamment les fruits, les légumes, les fleurs et, à moindre degré, les volailles, le maintien ou le relèvement des prix de vente à la grande distribution, ainsi que la meilleure prise en compte de l'effort qualitatif de la production est un moyen d'obtenir un partage de la valeur ajoutée plus favorable.

À ce titre, après un premier accord de juillet 1994 sur les pratiques promotionnelles, l'accord sur la qualité de juin dernier entre les organisations professionnelles agricoles et la grande distribution présente l'intérêt d'instaurer un dialogue permanent entre les deux parties pour une meilleure connaissance des besoins réciproques. Il pose, d'autre part, les bases d'une véritable chaîne de la qualité allant du producteur au consommateur, ce qui demande aux distributeurs des efforts de formation de son personnel à l'achat et à la vente, et le respect de règles précises sur le transport, l'état sanitaire, l'identification et la présentation en magasin des produits.

L'efficacité réelle de cet accord national interprofessionnel est toutefois limitée par son contenu : une déclaration de principes d'action, acceptée par les producteurs et les distributeurs, non assortie d'un calendrier de réalisation.

Cet accord devrait être prolongé par l'adoption de cahiers des charges par produit, au niveau de chaque région ou filière, consignant les obligations de chaque « maillon », avec l'objectif d'améliorer les conditions de conservation et de présentation en linéaires ainsi que de permettre au consommateur de mieux identifier les produits. Mais il semblerait que ce cadre ne soit pas adapté, du fait de la faible organisation professionnelle de la distribution. La fédération (FCD), signataire pour les distributeurs, ne compte pas parmi ses membres Leclerc et Intermarché (soit 35 % des ventes de la grande distribution).

Par ailleurs, la concurrence acharnée sur les prix entre les enseignes conduit chaque distributeur à privilégier des accords bilatéraux avec les producteurs. Plusieurs distributeurs ont ainsi entrepris de conclure des « chartes de qualité » avec des regroupements locaux d'agriculteurs, par exemple pour certains fruits, les volailles ou la viande bovine.

De son côté, l'industrie agro-alimentaire avait également passé des accords en 1994 avec la distribution. Il ne semble pas jusqu'ici, qu'ils aient entraîné tous les effets positifs qui pouvaient en être attendus.

Il apparaît, par conséquent, que les négociations interprofessionnelles ne sont pas nécessairement suffisantes pour obtenir une meilleure valorisation des productions agricoles auprès des distributeurs. On peut même se demander si dans certains cas, la distribution ne s'en est pas servi pour tenter d'éviter une réforme de l'ordonnance de 1986 : l'affichage de la volonté de régler les problèmes, de façon partenariale, dans un cadre contractuel, devant rendre inutile l'intervention du législateur... Des voies d'action complémentaires doivent donc être recherchées dans la réforme de l'ordonnance de 1986.

4. La politique de qualité

Parce qu'elle permet d'accroître la valeur ajoutée, qu'elle répond à une attente croissante du consommateur et qu'à ce titre elle ouvre des perspectives nouvelles à l'agro-alimentaire dans un contexte de saturation de la plupart des marchés solvables, la politique de qualité doit constituer un des axes de la politique en faveur des industries agro-alimentaires.

La politique de qualité recouvre d'ailleurs plusieurs acceptions.

Il peut s'agir de rechercher une plus grande adéquation entre les produits agricoles fournis et les besoins des transformateurs, qui reflètent les attentes du consommateur. Elle passe, dans ce cas, par le développement de la politique contractuelle ou interprofessionnelle, qui permet notamment d'appliquer des barèmes qualitatifs et de mener des actions et des recherches en vue d'adapter les produits agricoles aux besoins de leur aval.

La qualité peut également être considérée sous son aspect sanitaire et nécessiter une réglementation et des contrôles de plus en plus précis et stricts, afin de garantir que les produits vendus au consommateur seront conformes aux normes édictées.

Enfin, la qualité peut également être considérée à travers le développement de signes distinctifs garantissant soit une spécificité, soit une conformité à des normes préétablies.

Dans ce dernier cas, plusieurs objectifs sont recherchés :

- faciliter la reconnaissance du produit par le consommateur, ce qui présente un intérêt pour les PME qui, le plus souvent, n'ont pas de marques connues ;

- sécuriser les rapports entre les producteurs et les acheteurs, à travers les certifications de conformité et les certifications d'entreprise ;

- enfin, mieux valoriser les produits lorsqu'ils répondent à des spécifications tenant à la zone et aux modes de production (appellation d'origine protégée (AOP) et indication géographique protégée (IGP) ou à des critères précis et vérifiés de qualité (labels - produits biologiques).

Les produits bénéficiant d'un signe distinctif sont en progression constante et représentent désormais une part importante de la production agroalimentaire. Par exemple, la part des vins sous appellation d'origine contrôlée atteint ainsi 46% ; pour les fromages, cette part est de 17%. Au total, l'ensemble des AOC représenterait un chiffre d'affaires de 80 milliards de francs.

De leur côté, les produits sous labels ont généré un chiffre d'affaires de 4,6 milliards de francs en 1994, (dont près de la moitié réalisée par les volailles) et ceux issus du mode de production biologique un chiffre d'affaires de 3,2 milliards de francs (poursuivant une croissance supérieure à 10 % par an). Enfin, de nombreux cahiers des charges de certification de conformité ont été déposés en 1994, tous secteurs confondus. Enfin, la marque NF agroalimentaire a été lancée : elle ne concerne encore que le jambon cuit supérieur et le tonyu (lait de soja).

La politique de promotion de la qualité menée par les pouvoirs publics peut donc s'appuyer sur un système cohérent de certification et

d'identification, sous forme des divers instruments que sont l'appellation d'origine contrôlée, les labels, la certification de conformité, l'agriculture biologique et la loi montagne.

Ce système a été largement rénové au cours des années 1994 et 1995, à travers notamment la loi du 3 janvier 1994 qui a permis « d'articuler » le dispositif français avec les règlements européens relatifs aux appellations d'origine et aux indications géographiques et aux attestations de spécificité : seul un produit faisant l'objet d'une reconnaissance au plan français pourra bénéficier d'une protection au niveau communautaire.

C'est dans ce cadre que la France a transmis, en janvier 1994, à la Commission européenne dans le cadre de la procédure simplifiée, 44 appellations d'origine contrôlée, 54 labels et 8 appellations d'origine judiciaire.

Au total, la Commission européenne a reçu plus de 1.300 demandes de reconnaissance de la part des États membres. Après avoir examiné la totalité de ces dossiers et demandé des compléments d'information, elle devrait proposer une première liste de dénominations à reconnaître d'ici la fin de l'année 1995.

Au plan national, une étude commanditée par le ministère a montré que, si les quatre signes officiels de reconnaissance de la qualité (label, certification de conformité, agriculture biologique, appellation d'origine contrôlée) correspondent véritablement à des attentes du consommateur, l'identification de ces signes par ce dernier n'est pas toujours évidente.

La lisibilité de ces signes serait, en effet, souvent perturbée, non pas par leur multiplicité, mais par les démarches parallèles, telles que les médailles, les marques collectives régionales et les multiples allégations qui brouillent leur perception par le consommateur.

À la suite de cette étude, le ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation, a décidé de lancer une campagne de communication en direction du consommateur pour mieux lui expliquer l'existence de signes de reconnaissance officiels de la qualité et leur signification.

Des problèmes doivent également être résolus, en matière de prise en compte par le droit de la concurrence des exigences imposées par la qualité : le cadre juridique permettant aux producteurs de s'organiser pour promouvoir la qualité doit être redéfini, afin d'éviter que les producteurs ne se retrouvent en porte à faux avec l'interdiction des ententes anticoncurrentielles prévue par l'article 7 de l'ordonnance de 1986 sur la concurrence.

Enfin, au sein même de la profession, des arbitrages doivent être rendus entre les tenants d'une logique purement économique et ceux d'une politique de qualité étroitement liée à des préoccupations d'aménagement rural. Le débat au sein des appellations d'origine fromagères qui porte sur l'opportunité d'ancrer, plus profondément, les appellations au terroir et aux industries locales en resserrant les disciplines de production (limitation du rayon de collecte, limitation du litrage par vache, interdiction ou non des ateliers polyvalents...) est, à cet égard, significatif.

À l'occasion notamment d'une conférence de presse, tenue le 31 août dernier, sur les signes de qualité, M. Philippe Vasseur a réaffirmé l'importance qu'accordait le ministère à cette politique, soulignant son intérêt économique mais aussi son impact très favorable sur l'emploi : les modes de production de ces produits sont, en effet, souvent peu intensifs et leur « contenu en emploi » important. Ainsi, pour le ministre de l'agriculture, un agriculteur sur deux pourrait produire des produits bénéficiant d'un signe de qualité, dont la part pourrait atteindre 10 à 15 % par filière.

5. Le développement des usages non alimentaires

La compétence du ministère de l'agriculture, et spécifiquement de sa direction générale de l'alimentation, en matière de productions agroindustrielles, justifie que, dans le cadre de son avis sur les industries agro-alimentaires, votre commission consacre traditionnellement des développements aux utilisations non alimentaires.

L'institution de la jachère, qui a porté sur 1,5 million d'hectares en France en 1993-1994, accompagnée de la possibilité de pratiquer des cultures destinées à des usages non alimentaires sur les superficies gelées a donné une nouvelle impulsion à la recherche de nouveaux débouchés non alimentaires. En outre, en 1994, au sein de l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), un groupement d'intérêt scientifique « Agriculture pour la chimie et l'énergie » (AGRICE) a été créé, qui regroupe les établissements publics de recherche, les organisations agricoles et les ministères de la recherche, de l'industrie et de l'agriculture.

Ce groupement a pour objet l'évaluation, la coordination et le financement des programmes de recherche portant sur les valorisations non alimentaires des produits agricoles, notamment dans le secteur de l'énergie et les produits pouvant être substitués à ceux d'origine pétrolière.

Cet effort est soutenu, d'autre part, par des subventions publiques et l'exonération de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP), dont bénéficient les biocarburants, (pour un coût fiscal, en 1994, de 153 millions de francs pour 728.000 hectolitres d'ester de colza et de 160 millions de francs pour 485.000 hectolitres d'éthanol).

Les résultats obtenus sont appréciables. Au titre des dispositions adoptées en 1986, pour permettre de fournir à l'industrie des amidons et des sucres à des prix proches des cours mondiaux, 340.000 hectares de blé, maïs et pomme de terre sont consacrés à des usages non alimentaires, essentiellement sous forme d'amidon et fécule destinés à la papeterie. De son côté, pour la campagne 1994-1995, la jachère non alimentaire concerne 411.000 hectares, dont 289.900 hectares destinés à la production de biocarburants (265.000 hectares pour le colza ; 17.000 hectares pour le blé ou la betterave éthanol), 115.600 hectares destinés à des cultures non énergétiques et 5.400 hectares pour la production de plantes à parfum, aromatiques et médicinales.

Les perspectives globales de développement des surfaces de jachère non alimentaire pour la France sont favorables. En effet, les surfaces consacrées à ces débouchés pour les semis 1995-1996 devraient concerner plus de 450.000 hectares en France, dont 307.000 hectares en colza ester, 10 à 15.000 hectares en betterave éthanol et environ 100.000 hectares pour la chimie.

Il faut cependant indiquer que le développement des utilisations non alimentaires, compte tenu du succès rencontré par les esters de colza ou de tournesol, risque, à terme, de se heurter au contingentement imposé par l'accord oléoprotéagineux du GATT (limitation à 1 million de tonnes équivalent tourteaux de soja des utilisations non alimentaires sur les terres gelés au titre de la réforme de la PAC).

Ce développement a nécessité la mise en place des unités industrielles nécessaires.

Pour la production des esters destinés à la carburation ou à la combustion, le développement a été réalisé dans un premier temps à partir d'établissements spécialisés (Compiègne) ou d'outils de l'industrie chimique devenus disponibles (Peronne, Verdun et Boussens) avec des investissements complémentaires modestes (de l'ordre de la dizaine de millions de francs à Verdun). La première unité industrielle, d'une capacité de 150.000 tonnes d'esters construite à Rouen pour un coût estimé à 155 millions de francs a été inaugurée par le Premier ministre le 2 octobre dernier. Le site de Nogent-sur-Seine a été retenu pour la construction d'une seconde unité de grande taille, d'une capacité de 100.000 tonnes d'ester pour un investissement de 150 millions de francs auquel il est prévu d'adjoindre une unité de trituration pour environ 210 millions de francs. Ce site intégré (trituration-estéréfication) devrait entrer en service en 1997, sous réserve de l'adoption par la Communauté d'un dispositif d'exonération fiscale des biocarburants.

L'éthanol produit est principalement destiné à la fabrication d'ETBE dont la production est actuellement assurée par l'unité ELF de Feyzin. Cette société a par ailleurs en projet deux autres usines d'ETBE à Carling (Moselle) et à Donges (Loire Atlantique) qui utiliseraient, ensemble, un million d'hectolitres d'éthanol par an pour un investissement de 215 millions de francs par unité et dont le démarrage pourrait intervenir en 1997.

En application des dispositions prévues par l'article 30 de la loi de finances rectificative pour 1993, deux accords de partenariat ont été signés le 9 mars 1994 entre l'État d'une part et les professionnels de la filière éthanol et la Société Total d'autre part. Aux termes de ces accords, deux unités d'ETBE (Gonfreville en Seine Maritime et Dunkerque), devant utiliser au total 600.000 hectolitres d'éthanol par an, seront mises en service en 1996, l'investissement à prévoir s'élevant à environ 170 millions de francs par unité.

Mais, le développement du marché des biocarburants (et des unités de production) passe impérativement par des dispositions fiscales favorables au plan communautaire. À cet égard, la France soutient le projet de directive Scrivener sur la fiscalité des carburants d'origine agricole. La présidence française a ainsi obtenu, lors du Conseil des ministres de l'Économie et des Finances, du 19 juin 1995, que la Commission poursuive les travaux déjà entrepris et propose un nouveau texte conforme aux règles communautaires et internationales.

Il faut cependant, indiquer que la légalité des mesures d'aides et d'exonérations françaises a été contestée par la Commission, en contradiction, d'ailleurs, avec les orientations définies par la Communauté en faveur du développement des énergies renouvelables...

Votre commission est convaincue que la recherche de nouveaux débouchés non alimentaires peut, en outre, rejoindre les préoccupations actuelles en matière de réduction de la pollution. Elle veillera, sur ce point, à ce que le futur projet de loi sur l'air prenne en compte le rôle positif que peut jouer l'incorporation de composants oxygénés dans les carburants automobiles.

6. L'adaptation aux contraintes du GATT

L'entrée en vigueur des accords du GATT, en juillet dernier, s'est faite dans une relative indifférence si l'on considère les passions qu'avait suscitées leur négociation au cours des sept années écoulées.

Rappelons que ces accords programment sur cinq ans, d'une part, la baisse de 21 % des exportations européennes subventionnées et de 36 % des aides à l'exportation (les fameuses restitutions) ; d'autre part, une plus large ouverture du marché européen, via une baisse progressive de 36 % de droits d'entrée fixes, et la clause de « l'accès minimum ». Celle-ci prévoit l'ouverture en Europe de contingents d'importation (3 % à 5 % de la consommation intérieure d'ici 2001) à droits réduits.

Les conséquences de ces accords seront très contrastées selon les secteurs.

Certains secteurs seront peu touchés parce que l'essentiel de leur exportation se fait à l'intérieur de l'Union européenne (le tiers, seulement, de nos exportations est vendu hors Communauté européenne, 47 milliards de francs, dont une partie d'ailleurs sans subvention) ou parce qu'ils ne perçoivent quasiment aucune subvention. Pour certains secteurs même, comme les vins et spiritueux, la conclusion de ces accords ouvrent des perspectives de développement.

D'autres, cependant, sont particulièrement menacés : les industries céréalières d'aval (malterie, semoulerie), l'industrie de la volaille et les industries laitières, surtout fromagères... On estime ainsi pour ces dernières, que la « contrainte » à l'horizon 2000 représente 3 millions de tonnes d'équivalent lait, soit 3 % de la production communautaire.

Votre commission déplore, sur ce point, qu'aux diminutions mécaniques des quantités exportables avec subventions, se soit ajoutée la gestion contestable du système des restitutions par la Commission de Bruxelles, en matière par exemple d'exportations de céréales ou de viandes porcine et avicole.

Pour ces secteurs menacés, différentes stratégies sont envisagées ou mises en place : privilégier l'exportation de produits plus transformés (de la farine au lieu de céréales, par exemple) ; la recherche d'une matière première moins chère, ce qui peut passer soit par la délocalisation, soit par la possibilité de transformer sur place une matière première au cours mondial. Deux pistes sont explorées.

Le mécanisme du « trafic de perfectionnement actif (TPA) » permet à un industriel d'importer la matière première au cours mondial (sans droits de douanes), à condition de réexpédier le produit fini (sans subvention) sur les pays tiers.

L'autre solution est recherchée dans le cadre d'un système de double prix de la matière première (un pour le marché européen, un pour l'export).

Un groupe de travail a ainsi été créé à l'ONILAIT au début de 1995 pour examiner la faisabilité technique d'un système de double prix du lait. II s'agirait, pour les 2 ou 3 % de la production communautaire devant être exportés sans restitution à l'horizon 2000, de distinguer :

- le lait produit dans le cadre du quota communautaire, vendu au prix communautaire,

- le lait produit hors de ce quota, vendu au cours mondial et destiné exclusivement à la fabrication de produits exportés sans restitution vers les pays tiers.

Selon le ministère, les mécanismes qui ont été envisagés sont complexes et très difficiles à contrôler. En outre, le nombre de producteurs capables de vendre du lait au prix mondial (environ 70 centimes le litre, soit 30 % du prix communautaire actuel) n'est pas considérable. Il n'est d'ailleurs pas assuré que la filière laitière française soit nécessairement la mieux placée pour bénéficier du double prix en raison de la taille de ses exploitations et de la dispersion des plus grosses unités dont le coût de production marginal est le plus faible.

Il apparaît ainsi que les solutions envisagées se heurtent à des difficultés pratiques (comment, par exemple, mettre en place un système de double prix du lait) ou d'économie agricole : est-il concevable, pour les céréaliculteurs de la Communauté, que les volailles ou les porcins destinés à l'exportation consomment des céréales des pays tiers ou pour les éleveurs laitiers, limités dans leur volume de production, qu'une partie de l'industrie fromagère transforme du lait d'Europe centrale.... ?

II. LES CRÉDITS

A. LES CRÉDITS DE POLITIQUE INDUSTRIELLE

Les crédits du chapitre 61.61, dit « crédits de politique industrielle », enregistrent, en autorisations de programme (210 millions de francs), une baisse de 7 % par rapport à la dotation de 1995.

Après deux années de stabilisation des crédits, dans une décennie de décrue, le mouvement à la baisse des crédits de politique industrielle reprend donc :

En crédits de paiement, la baisse est de 10,5 % : les crédits demandés pour 1996 s'élèvent à 195 millions de francs alors que les dotations pour 1995, représentaient 217,8 millions de francs.

Le tableau ci-après met en évidence les arbitrages rendus par le ministère dans ce contexte de diminution sensible des dotations.

On constate qu'en autorisations de programme, les dotations du ministère sont préservées, à l'exception de la seule ligne des abattoirs publics.


• Les dotations des articles 20 et 80, qui font l'objet des contrats de plan État-région ont ainsi pu être maintenues au niveau contractualisé dans la dernière génération de ces contrats.

Il faut rappeler que dans les nouveaux contrats de plan, les engagements de l'État représentent 645 millions de francs : 390 millions de francs au titre de la POA déconcentrée, 176 millions de francs au titre des fonds régionaux d'aide aux investissements immatériels.

Le maintien de cette dotation de l'État est indispensable pour bénéficier des aides du FEOGA-Orientation en faveur des entreprises agro-alimentaires, conditionnées par l'attribution d'une aide nationale préalable, de l'État ou d'une collectivité locale.

Ainsi, dans la mesure où les critères d'utilisation des crédits nationaux et des interventions des collectivités locales sont cohérents avec les critères communautaires, le maintien des crédits permettra d'apporter la contrepartie nationale nécessaire à la mobilisation des dotations communautaires.


• Enfin, le maintien des 5 millions de francs de l'article 90 permettra de financer les actes de restructurations nécessaires dans les secteurs les plus touchés par les conséquences de l'accord du GATT, particulièrement la filière volailles.


• On notera, en revanche, la réduction très sensible des crédits consacrés aux abattoirs publics (article 30), qui passent de 26 à 16,5 millions de francs. Selon les informations fournies à votre rapporteur, cette diminution serait justifiée par l'effort important consenti au cours des trois derniers exercices pour aider les abattoirs publics à entreprendre, avant le 31 décembre 1995, les travaux de mise aux normes communautaires. On serait, selon le ministère, « en droit de penser que l'essentiel des travaux a pu être engagé et que, de ce fait, l'aide prévue à ce titre peut être réduite. »

B. LES AUTRES CRÉDITS

1. Les crédits du ministère

Il faut ajouter aux crédits de politique industrielle d'autres dotations du ministère qui concernent également l'agro-alimentaire :

- la dotation prévue au chapitre 44-45 pour financer les subventions pour fermeture d'abattoirs communaux qui passe de 56 à 10 millions de francs (- 82 %) ;

- la suppression des crédits destinés à financer les mesures d'accompagnement des opérations de restructuration des coopératives céréalières (article 75 du chapitre 44-54), soit 5 millions de francs en 1993 ;

- les crédits de recherche appliquée au secteur agro-alimentaire (article 61 du chapitre 61-21) qui passent de 24,6 à 28 ,5 millions de francs en crédits de paiement (+16%) et de 25,4 à 24,9 millions de francs en autorisations de programme (- 2 %).

On peut également ajouter à ces dotations, celles qui financent des actions de développement de la qualité ou de promotion ;

- les crédits destinés à la promotion de la qualité alimentaire (chapitre 44-70 article 30) qui sont reconduits à 15 millions de francs ;

- les dotations de l'INAO (chapitre 37-11 article 83) qui sont quasiment reconduits à 67,5 millions de francs ;

- les dotations de fonctionnement versées au CNEVA (chapitre 36-21articles 71 et 72) qui passent à 156,5 millions de francs.

Mention particulière doit être faite des crédits destinés à la promotion des exportations. Les crédits du chapitre 44-54 article 14 ont principalement pour objet :

- d'inciter à la réalisation des actions de promotion collective, tant sur le marché national que sur les marchés étrangers, par le biais de la SOPEXA (85 % des crédits en 1995) ;

- de faciliter les efforts de prospection et d'implantation commerciale des entreprises à l'étranger, en particulier les PME/PMI, par l'action de la direction des produits agro-alimentaires du centre français du commerce extérieur (CFCE) ;

- de permettre l'organisation du concours général agricole dans le cadre du salon international de l'agriculture ;

- d'assurer également la promotion des technologies et savoir-faire français dans le domaine de l'agro-fourniture et de l'agro-industrie.

Les crédits (200 millions de francs) sont en baisse de 6,5 % par rapport à la dotation initiale pour 1995. Ils ont en diminution constante depuis une dizaine d'années, ce qui nécessite un recours accru au budget des offices.

2. Les crédits en provenance des autres ministères

Des crédits d'autres ministères bénéficient également aux industries agro-alimentaires.

Au titre du ministère de la recherche, par exemple, 17 millions de francs ont bénéficié directement aux industries agro-alimentaires en 1994.

Les crédits d'aménagement du territoire concernent également, pour partie, les industries agro-alimentaires. L'apport du FIDAR a été estimé pour 1993 à 15 millions de francs, celui de la prime à l'aménagement du territoire était de 40 millions de francs en 1994.

Enfin, des mesures générales peuvent bénéficier tout particulièrement aux industries agro-alimentaires. C'est le cas du système du crédit d'impôt pour dépenses de recherche. Environ 200 entreprises du secteur agro-alimentaire seraient concernées pour un montant de crédit d'impôt de l'ordre de 50 millions de francs.

3. Les aides communautaires

Compte tenu de la modicité des crédits nationaux, le FEOGA-Orientation se trouve être devenu, depuis les dernières années, le principal contributeur au financement des industries agro-alimentaires.

Au titre des plans sectoriels agro-alimentaires 1991-1993, les aides communautaires ont représenté 742 millions de francs et concerné plus de 500 projets d'investissement pour un montant de 5,3 milliards de francs.

Il apparaît ainsi qu'en réalité ce sont environ 1 milliard de francs par an qui ont été consacré aux industries agro-alimentaires, au cours des cinq dernières années.

DÉPENSES CONSTATÉES

Les plans agréés pour la période 1994-1999 devraient mobiliser 1,7 milliards de francs et contribuer à 9,2 milliards de francs d'investissement. Ils supposent la mobilisation d'environ 900 millions de francs d'aides nationales, soit 150 millions de francs par an, dont les 2/3 proviendraient de crédits d'État.

DEMANDE DE CONCOURS FEOGA 1994-1995

Les principaux secteurs bénéficiaires seront la viande (28 % des crédits du FEOGA demandés), les fruits et légumes (26,1 %), le lait et produits laitiers (12,4 %), les vins et alcools (11,1 %).

Contrairement aux conclusions de son rapporteur qui proposait de s'en remettre à la sagesse du Sénat, la commission des affaires économiques et du plan a donné un avis favorable à l'adoption des crédits des industries agro-alimentaires, inscrits au budget du ministère de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation pour 1996.

* 1 Cette dernière, finalement, a eu un impact direct limité sur l'activité des entreprises, à l'exception du travail du grain et de la fabrication des huiles. La diminution du prix des céréales a élargi leurs débouchés, notamment dans l'alimentation animale et réduit le coût des produits transformés (farine, pâtes). De même, la réforme a généré des difficultés d'approvisionnement et des réductions de marges pour les triturateurs de graines oléagineuses. Confrontés à des problèmes de surcapacité, ceux-ci ont accéléré la rationalisation des unités industrielles en France et en Europe.

* 2 Comme votre commission l'avait, en effet, constaté dans les avis budgétaires des années passées, en dépit d'une progression sensible depuis 1985, la dépense des entreprises agroalimentaires en faveur de la recherche reste inférieure à celle du reste des entreprises (2 milliards de francs, soit 0,9 % de la valeur ajoutée en 1992, contre 4,5 % dans l'ensemble des secteurs industriels).

* 1 Aujourd'hui, 125 entreprises réalisent les 3/4 des ventes du secteur. Les dix premiers groupes français représentent les 2/5 du chiffre d'affaires et le premier groupe 11 % à lui seul.

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