C. LA SÉCURITÉ DANS LES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES
Ouvert, voici à peu près deux ans, par deux rapports successifs -Vedel et Schléret- et de nombreux débats et polémiques, le dossier de la sécurité des bâtiments scolaires est une des priorités du septennat. Il bénéficie d'ores et déjà, avec l'Observatoire national de la sécurité des établissements scolaires, d'une structure permanente de suivi, mais des problèmes demeurent : celui du financement malgré les moyens importants à ce jour mobilisés, celui de la réglementation sur la sécurité qui est mal adaptée.
1. L'Observatoire national de la sécurité des établissements scolaires
L'Observatoire national de la sécurité des établissements scolaires, dont la création avait été recommandée en avril 1994 par le rapport Schléret et était prévue dans le « nouveau contrat pour l'école » (décision n° 113), a vu le jour avec le décret n° 95-591 du 6 mai 1995.
Il comprend quarante-huit membres nommés pour trois ans par le ministre chargé de l'éducation nationale -auprès duquel il est placé- répartis en trois collèges de seize membres :
- un « collège des élus et des gestionnaires de l'immobilier scolaire » (deux parlementaires, trois présidents ou vice-présidents de conseil général, trois présidents ou vice-présidents de conseil régional, sept maires, un représentant de la Fédération nationale des organismes de gestion de l'enseignement catholique) ;
- un « collège des représentants des personnels et des usagers » dont les membres sont nommés sur proposition des syndicats et organisations représentatives (deux des seize membres de ce collège représentent les établissements privés) ;
- un « collège des représentants de l'État, des chefs d'établissement et des personnalités qualifiées » (dix représentants des différents ministres concernés, deux représentants des chefs d'établissement nommés sur proposition des organisations représentatives, quatre personnalités qualifiées).
Lors de son installation le 12 juillet dernier, l'Observatoire s'est vu confier un certain nombre de missions d'enquête portant sur la sécurité-incendie dans la totalité (63.000) des écoles primaires et maternelles, y compris privées sous contrat, sur la sécurité des machines-outils des ateliers et des équipements sportifs, sur les quelque 1.000 établissements floqués à l'amiante construits avant 1978 (date d'interdiction de la méthode).
Précisons, à propos du dossier particulièrement préoccupant de l'amiante, que l'Observatoire national de la sécurité des établissements scolaires est en train d'établir une carte des établissements concernés et qu'un décret est en préparation pour obliger les propriétaires de bâtiments collectifs - donc les collectivités territoriales pour les écoles, collèges et lycées - à effectuer rapidement les enquêtes diagnostiques qui s'imposent.
L'Observatoire doit aussi contrôler les travaux entrepris dans 700 établissements de l'enseignement secondaire à la suite des travaux de la commission Schléret ; il entend, en outre, jouer un rôle de conseil et de recommandation auprès des collectivités locales qui peuvent le saisir directement ; enfin, l'extension de sa compétence à l'enseignement supérieur doit faire l'objet d'un tout prochain décret.
Le ministre chargé de l'éducation nationale a demandé à l'Observatoire d'achever son enquête sur la sécurité-incendie dans les écoles pour le printemps prochain. Le groupe de travail interne chargé de mener à bien cette enquête a démarré son activité le 8 septembre dernier. La méthode utilisée est identique à celle qui avait conduit la commission Schléret à établir une échelle des risques (mais de l'ensemble des risques) pour les lycées et collèges.
La tâche de l'Observatoire est cependant plus difficile pour les écoles que pour l'enseignement secondaire dont le parc est plus restreint (30.000 bâtiments pour 10.000 établissements) et pour lequel la commission Schléret a pu s'appuyer sur des documents préexistants. Pour mener son enquête sur les locaux de l'enseignement primaire, l'Observatoire se trouve au contraire face à un patrimoine dont la majeure partie n'a jamais été visitée par une commission de sécurité car il s'agit, pour 80 % du parc, d'établissements de petite taille qui comprennent moins de 200 élèves et qui, pour cette raison, ne sont pas soumis à l'obligation de contrôle des commissions de sécurité, qui n'interviennent qu'à la demande des maires.
2. Le problème du financement et celui de réglementation
Votre rapporteur souhaite insister sur les deux aspects principaux du problème posé par la sécurité des établissements scolaires.
• Le financement de la rénovation
* Il convient de distinguer les deux niveaux d'enseignement :
- les départements et les régions ont beaucoup dépensé pour les collèges et les lycées depuis qu'ils en ont reçu la charge, d'autant que le patrimoine transféré en 1983 était souvent dans un état de vétusté et de dégradation alarmant. Les collectivités territoriales ont dépensé quelque
20 milliards de francs par an dans le cadre des lois de décentralisation pour entretenir, améliorer et compléter le parc des établissements scolaires (les statistiques n'isolant généralement pas les rénovations des constructions). Elles ont ainsi multiplié par trois ou quatre l'effort consenti auparavant par l'État.
Au plan national, et à la suite des travaux de la commission Schléret, une enveloppe globale de 12 milliards de francs- financée par l'emprunt à 6 % lancé en 1993 et dont le produit a été en partie utilisé pour la sécurité des établissements scolaires du second degré- a permis à l'État d'accorder aux régions et départements des prêts bonifiés à 2,5 % (assortis d'une prime équivalant à une bonification de cinq points). L'enveloppe 1994, d'un montant de 4 milliards de francs (auxquels se sont ajoutés 340,4 millions de francs de primes d'État), a été réservée aux établissements à ossature métallique jugés les plus dangereux. L'enveloppe 1995, d'un montant de 8 milliards de francs, devait permettre de réaliser des projets non retenus en 1994 et ne se limitant pas aux seuls bâtiments à ossature métallique. Elle a fait l'objet d'une circulaire du 12 janvier 1995 demandant aux préfets de « veiller à ce que les aides apportées par l'État le soient en fonction de la hiérarchisation du risque et de son traitement » tels qu'ils ont été exposés par le rapport Schléret d'avril 1994. Outre les bâtiments à structure métallique, une autre priorité concerne les locaux d'internat.
Les collectivités locales ont largement répondu au souhait du Gouvernement de renforcer la sécurité dans les établissements scolaires puisque le volume des travaux proposés par les régions et les départements s'est élevé à 4,9 milliards de francs en 1994 et s'élèverait à 8,5 milliards de francs en 1995.
- Pour les écoles, une enveloppe de subventions de 2,5 milliards de francs sur cinq ans a été débloquée ; le dispositif qui, à l'origine, ne concernait que les écoles élémentaires du premier degré a été étendu aux maternelles.
* Beaucoup, cependant, reste à faire.
Rappelons que sur 26.000 établissements étudiés par le rapport Schléret, 1.800 étaient classés à risques - soit 7 % - et que, pour 347 d'entre eux, les risques étaient considérés comme majeurs.
S'agissant de l'enseignement primaire, les travaux dont l'enquête sécurité-incendie en cours démontrera l'urgence ne manqueront pas de se heurter à un problème financier. Pour les petites communes en effet, les travaux, même rudimentaires, risquent de représenter une charge difficilement supportable. Comment leur viendra-t-on en aide ? Il est évident que l'enveloppe de 2,5 milliards de francs sur cinq ans risque de ne pas suffire et qu'il faudra dégager de nouveaux moyens pour aider les communes à faire face à leurs responsabilités.
A tout le moins, il conviendrait de leur offrir, notamment à destination des plus modestes d'entre elles, des facilités réelles d'emprunt, des prêts à taux très bas, pour elles acceptables. Un problème, par ailleurs, demeure entier : celui des écoles privées qui ne peuvent recevoir aucune subvention communale (ou d'une autre collectivité publique), la loi qui les concerne - ou plutôt l'interprétation jurisprudentielle qui est faite de cette loi, la loi Goblet du 30 octobre 1886- étant plus restrictive encore que la loi Falloux du 15 mars 1850 pour l'enseignement secondaire privé qui autorise les subventions publiques dans la limite du dixième des dépenses annuelles des établissements. Certes les écoles privées pourront, comme les établissements secondaires privés, bénéficier de garanties d'emprunt de la part des collectivités locales, mais il faut bien constater qu'en raison de sa portée restreinte, cette formule n'est pas de nature à apporter une réponse efficace à la situation du patrimoine scolaire privé.
•
L'adaptation nécessaire de la
réglementation
L'autre problème est celui des textes applicables en matière de sécurité. Ces textes, en effet, sont mal adaptés, notamment en ce qui concerne les pouvoirs des chefs d'établissement. Les compétences reconnues aux proviseurs et principaux pour gérer les lycées et les collèges découlent, pour l'essentiel, du décret n° 85-924 du 30 août 1985 relatif aux établissements publics locaux d'enseignement et de circulaires d'application. Ces textes sont intervenus pour régler l'organisation administrative et financière des établissements scolaires après les lois de décentralisation.
A l'expérience, le problème principal qui, sur le terrain, se pose dans l'application des textes est celui des relations avec les collectivités locales, régions et départements, qui sont les propriétaires des établissements scolaires dont elles votent les budgets à partir des projets élaborés par les conseils d'administration.
Si des travaux de sécurité leur semblent s'imposer d'urgence, les chefs d'établissement s'adressent au service des affaires scolaires -de la région ou du département selon qu'il s'agit d'un lycée ou d'un collège- mais celui-ci, faute de disposer des crédits d'intervention nécessaires, doit se contenter d'enregistrer la demande jusqu'à la prochaine délibération de la collectivité territoriale.
Les travaux doivent ainsi attendre, sauf s'il s'agit d'opérations mineures auxquelles les provisions pour imprévus inscrites au budget de l'établissement permettent de faire face.
Cette situation est très mal vécue par les chefs d'établissement scolaire qui mettent en parallèle la faible marge de manoeuvre dont ils disposent et les risques qu'ils encourent de voir leur responsabilité engagée en cas d'accident, d'autant que la jurisprudence admet celle-ci beaucoup plus souvent que par le passé.
Ils reprochent aux textes de leur donner la responsabilité pénale, mais pas les moyens d'assurer la sécurité des établissements. Deux affaires relativement récentes, jugées l'une à Bobigny, l'autre à Grenoble 1 ( * ) , ont servi de catalyseur à leur mécontentement et à leurs revendications -qui étaient aussi, statutaires.
Un certain nombre de mesures annoncées le 31 janvier 1995 ont mis fin à une grève administrative entamée fin novembre 1994, après le jugement de Bobigny.
Ces mesures ont fait l'objet d'un protocole d'accord entre le ministre chargé de l'éducation nationale et les organisations syndicales des chefs d'établissement. Selon les informations données par le ministère, elles concernent :
- la préparation d'un texte-cadre sur l'évolution des missions des chefs d'établissement ; la situation des chefs d'établissement, votre rapporteur veut insister sur ce point, mérite toute l'attention des pouvoirs publics :certains, qui ont à faire face à des effectifs de trois ou quatre mille élèves, sont de véritables patrons de PME ; beaucoup ont le sentiment, dans le contexte social et financier que nous connaissons, qu'on leur demande trop pour trop peu ; la fonction connaît une désaffection préoccupante.
Votre rapporteur se félicite qu'il soit, à l'initiative du Gouvernement, envisagé d'étendre le dispositif prévu par la proposition de loi sur la responsabilité pénale des élus locaux -dont la discussion est en cours- aux fonctionnaires. Selon ce dispositif, les chefs d'établissement scolaire ne pourraient être condamnés pénalement pour des faits d'imprudence ou de négligence commis dans l'exercice de leurs fonctions que s'il est établi qu'ils n'ont pas accompli toutes diligences normales compte tenu de leurs compétences, des moyens et du pouvoir dont ils disposaient et des difficultés propres aux missions que la loi leur confie ;
- la création par les régions et les départements qui le souhaitent d'une commission consultative du patrimoine scolaire chargée de recevoir les demandes des chefs d'établissement relatives aux opérations de sécurité et de maintenance indispensables, de les instruire, de les hiérarchiser en fonction de leur degré d'urgence et d'en proposer le financement à la collectivité locale de rattachement.
Une telle mesure, qui vise à répondre au souhait des chefs d'établissement de disposer d'un véritable interlocuteur pour affronter les problèmes de sécurité urgents sans attendre les plans de rénovation ou de mise aux normes décidées par les collectivités locales, appelle les remarques suivantes :
* L'un des principaux reproches qui sont faits à la réglementation actuelle est de ne pas distinguer l'essentiel de l'accessoire : il faut au contraire admettre que tout ne peut être entrepris en même temps et qu'il est nécessaire de donner la priorité, le cas échéant, aux travaux urgents sur les mises en conformité qui peuvent se faire plus progressivement.
* La mise sur pied d'une instance chargée de recueillir les demandes des chefs d'établissement est délicate : pour que le système soit réellement efficace, il est souhaitable que cette instance ait une capacité d'appréciation et de jugement relativement indépendante des collectivités locales de rattachement. Dans le même temps, il serait choquant de voir une simple commission imposer des décisions aux collectivités qui sont les propriétaires et les bailleurs de fonds ;
- la participation, à titre consultatif, des inspecteurs d'académie aux commissions consultatives départementales de sécurité et d'accessibilité, en vertu de l'article 36 du décret n° 95-260 du 8 mars 1995 qui a redéfini le rôle et la composition desdites commissions ; des instructions en ce sens ont été a dressées aux inspecteurs d'académie le 27 juillet 1995. Il convient de rappeler que ces commissions consultatives départementales ont un rôle technique à la fois d'étude, de contrôle et d'information du préfet et des maires (autorités investies du pouvoir de police), qu'elles sont notamment chargées d'examiner les projets de construction, extension, aménagement ou transformation des établissements, qu'elles procèdent aux visites de réception des travaux et donnent leur avis sur la délivrance des certificats de conformité, enfin, qu'à la demande du préfet ou des maires, ou de leur propre chef, elles opèrent des contrôles périodiques ou inopinés du respect des dispositions réglementaires.
L'extension de la compétence de ces commissions, actuellement limitée aux risques d'incendie et de panique, à l'ensemble des risques afférents aux locaux, installations et matériels, est à l'étude ;
- l'incitation à mieux utiliser les moyens de contrôle des locaux, installations et matériels ;
- l'élaboration d'un état des lieux ou livre de bord de la sécurité pour chaque établissement. Une circulaire prévoit la mise en place dans chaque établissement d'un projet de sécurité et d'un correspondant sécurité ;
- la préparation d'une circulaire précisant aux chefs d'établissement les conditions dans lesquelles il peut être décidé de fermer tout ou partie d'un établissement ou d'interdire le fonctionnement de machines non conformes aux normes en vigueur ;
- la diffusion auprès des chefs d'établissement d'indications claires sur leurs possibilités ou limites d'intervention en matière de travaux ;
- la clarification des règles relatives à la surveillance des élèves (mise à jour et regroupement en un texte unique des dispositions existantes) ;
- la rénovation des textes (circulaires) relatifs à la vie scolaire ;
- l'extension des liaisons entre établissements scolaires, Parquet et services de police (préparation d'une circulaire) ;
- l'élaboration d'un guide juridique destiné notamment à préciser aux chefs d'établissement les conditions dans lesquelles leur responsabilité peut être engagée ;
- la diffusion aux recteurs, à l'intention des chefs d'établissement, du guide « les clefs de la sécurité », recueil méthodique de fiches sur la maintenance des équipements scolaires ;
- l'amélioration de la formation initiale et continue sur les questions juridiques de sécurité, notamment dans le domaine de la responsabilité civile et pénale ;
- la préparation d'une circulaire invitant les recteurs à mettre en place, sous leur autorité, des cellules de consultation juridique pour répondre efficacement aux demandes des chefs d'établissement.
* 1 où des proviseurs ont été condamnés à des peines d'amende et même, dans le cas jugé à Bobigny où l'effondrement d'un panneau de basket rouillé avait entraîné la mort accidentelle d'un lycéen, de prison avec sursis. Le jugement de Grenoble-, concernait un élève d'un lycée d'enseignement professionnel qui s'était blessé au bras sur une fraiseuse.