DEUXIÈME PARTIE : LE THÉÂTRE DRAMATIQUE
Dans le domaine de l'art dramatique, l'intervention de l'État poursuit deux objectifs complémentaires : entretenir un réseau de scènes publiques, encourager la création et favoriser l'émergence de nouveaux talents.
Des subventions sont directement accordées aux scènes publiques. Parmi celles-ci, on distingue un premier cercle, celui des six théâtres nationaux qui ont le statut d'établissement public à caractère industriel et commercial : la Comédie Française, le théâtre national de Chaillot, le théâtre national de la Colline, et le théâtre national de Strasbourg, le seul dans cette catégorie qui soit implanté en province.
Le réseau de la décentralisation dramatique comprend d'une part les centres dramatiques nationaux (33 établissements publics) et les centres dramatiques régionaux (10 établissements), et d'autre part les « scènes nationales » qui rassemblent sous une appellation générique une soixantaine d'établissements de droit privé aux statuts divers : maisons de la culture, centres d'action culturelle, etc.
L'encouragement à la création passe par le soutien accordé aux compagnies dramatiques indépendantes, au théâtre privé ainsi qu'aux auteurs.
Au total, l'ensemble des crédits consacrés au théâtre et à l'action culturelle s'élèvera à 1.487 millions de francs en dépenses ordinaires et autorisations de programme en 1996, en progression de 4,5 % par rapport aux crédits votés en 1995.
Les subventions de fonctionnement allouées aux théâtres nationaux seront consolidées en 1996, après avoir connu une forte augmentation en 1995. En revanche, un effort de rattrapage important devrait pouvoir être consenti en faveur de la décentralisation dramatique, des compagnies indépendantes et du théâtre privé, si les promesses inscrites dans le projet de loi de finances pour 1996 ne devaient pas être remises en cause par le Parlement ou en cours de gestion.
I. UNE PROGRESSION DES CRÉDITS AFFECTÉS AU SECTEUR PUBLIC DRAMATIQUE BÉNÉFICIANT PRIORITAIREMENT AUX ÉTABLISSEMENTS DE LA DÉCENTRALISATION
A. LA CONSOLIDATION DES MOYENS ACCORDÉS AUX THÉÂTRES NATIONAUX
1. Évolution des crédits
Les subventions d'exploitation accordées aux théâtres nationaux s'élèveront à 336,48 millions de francs en 1996, en progression de 1,96% par rapport à 1995.
Le tableau ci-après retrace l'évolution des dotations correspondantes et leur ventilation entre les six théâtres nationaux depuis 1993.
SUBVENTION D'EXPLOITATION
DES THÉÂTRES
DRAMATIQUES NATIONAUX
(en millions de francs)
Les théâtres nationaux bénéficieront par ailleurs de 88 millions de francs de crédits d'équipement en 1996, Sur ce total, 60 millions de francs seront consacrés à l'achèvement des travaux de rénovation du théâtre national de Strasbourg ; 25 millions de francs permettront d'entreprendre la restauration du théâtre de l'Odéon affecté au théâtre de l'Europe, afin de réaliser des travaux de sécurité indispensables et de « refondre la scène et la salle » ; enfin 3 millions de francs sont prévus pour la réalisation de travaux au théâtre de Chaillot.
BILAN D'EXPLOITATION DES THÉÂTRES NATIONAUX DRAMATIQUES
(en milliers de francs)
2. La Comédie Française rénovée est dotée d'un nouveau statut et devrait bénéficier d'une troisième salle
La Comédie Française a rouvert ses portes en janvier dernier après d'importants travaux de modernisation des installations scéniques et des conditions d'accueil du public dans la salle Richelieu.
a) Un nouveau statut
Le décret n° 95-356 du 1er avril 1995 la dote d'un nouveau statut et lui confère celui d'établissement public national à caractère industriel et commercial.
• Ce faisant, il met un terme à l'incertitude
juridique qui entourait le statut du Théâtre français.
Fondée par lettre de cachet de Louis XIV en date du 21 octobre 1680, la Comédie Française a été longtemps régie par deux textes anciens. Le premier, datant de 1804 est toujours en vigueur : il s'agit de l'acte constitutif de la troupe. Le second, un décret de 1812, dit « décret de Moscou », pris par Napoléon, fixait les règles de fonctionnement du théâtre. Une refonte de l'organisation et du régime financier de la Comédie Française a été opérée par un décret du 27 février 1946. Ce décret, qui n'abrogeait pas tous les textes antérieurs applicables au Théâtre français, ayant par la suite subi de nombreuses modifications, les statuts de ce théâtre national étaient devenus pour le moins confus.
De plus, société privée constituée d'acteurs, la Comédie Française était gérée comme un établissement public par un administrateur nommé par décret. Sur le plan de la doctrine juridique, elle était considérée comme « un service public de l'État dépourvu de personnalité morale mais doté de l'autonomie financière ». Une clarification paraissait donc s'imposer.
• Le statut d'établissement public à
caractère industriel et commercial répond aux exigences d'une
gestion modernisée des activités de la Comédie
Française.
En particulier, il abolit l'interdiction qui lui était faite de prendre des participations dans des sociétés privées, de participer à des groupements d'intérêt économique (GIE), à des groupements d'intérêt public (GIP) ou à des associations, et qui constituait un handicap lourdement ressenti ces dernières années.
Sous l'empire de ce nouveau statut, la Comédie Française va pouvoir réaliser ou entreprendre des projets que prohibaient l'ancien, parmi lesquels la prise de l'intégralité des participations en actions de la société anonyme du Vieux Colombier (dont les parts étaient jusqu'alors détenues par la Caisse des dépôts et consignations et le théâtre de l'Odéon bien que cette salle ait été placée sous l'autorité du Théâtre français), la constitution d'une société de location de costumes avec l'Opéra national de Paris et la société française de production (SFP), ou encore la captation et l'exploitation audiovisuelle des spectacles de la troupe.
Pour autant, le nouveau statut préserve les particularités de l'institution. Il respecte en particulier la part prise par la société des comédiens français dans l'organisation et le fonctionnement de la troupe. Les principales décisions seront par ailleurs soumises aux délibérations d'un comité d'administration composé de sociétaires.
• Parmi les autres modifications, qui relèvent
pour la plupart du « toilettage » des textes anciens, on
relève
l'allongement de la durée du mandat de
l'administrateur général,
qui est portée de trois
à cinq ans, puis renouvelable de trois en trois ans.
Cette extension répond au souci exprimé depuis plusieurs années par une recommandation de votre commission des affaires culturelles, qui invitait les Gouvernements successifs à porter à cinq ans la durée du mandat de l'ensemble des administrateurs ou directeurs de théâtres publics. Elle faisait en effet observer que les règles propres au fonctionnement des institutions culturelles, et plus particulièrement à celles du secteur lyrique ou dramatique, s'accommodaient mal de la brièveté du mandat confié à leur responsable, dans la mesure où celui-ci commence par hériter de la programmation de son prédécesseur avant de pouvoir définir la sienne propre. Dès lors, avec un mandat de trois ans, la probabilité était forte que le nouvel administrateur soit contraint de quitter sa fonction avant même d'avoir pu recueillir les fruits de sa politique et su démontrer la pertinence de ses choix.
b) L'attribution d'une troisième salle au théâtre français
Le ministre de la culture a annoncé qu'une troisième salle serait prochainement mise à la disposition de la Comédie Française. Située dans le Carrousel du Louvre, cette salle, de dimension modeste (150 places), permettra de mettre en valeur le répertoire classique des pièces en un acte, sous-exploité depuis la disparition des « levers de rideau », et de présenter des pièces contemporaines courtes.
L'attribution de cette salle répond à un souhait exprimé de longue date par les administrateurs qui se sont succédés au Théâtre français.
La Comédie Française se trouve en effet confrontée aux exigences nouvelles de la mise en scène, qui a pris une importance croissante au cours des cinquante dernières années. Cette considération se traduit par un allongement des temps de répétition et de préparation nécessaires au montage de chaque pièce ; elle a pour corollaire la régression du nombre de pièces présentées chaque année : une quinzaine de pièces aujourd'hui contre 130 en moyenne dans les années trente.
Cette évolution, amplifiée par la complexité croissante des décors, des jeux de sonorisation et d'éclairage, explique la quasi-disparition de l'alternance qui permettait, avant-guerre, de présenter quatre ou cinq spectacles différents par semaine.
Les conséquences de ces mutations sur le Théâtre français paraissent avoir été longtemps mésestimées par les pouvoirs publics.
Elles ont pourtant été analysées dès 1975 par Pierre Dux.
La diminution du nombre de spectacles induit naturellement la diminution du nombre de rôles à interpréter, et plus particulièrement encore celle des rôles importants. La situation de sous-emploi des comédiens français 1 ( * ) qui en résulte se révèle peu propice au maintien dans la troupe des meilleurs éléments, et nuit indirectement à la qualité des spectacles.
Par ailleurs, la mission intrinsèque du Théâtre français, c'est-à-dire la présentation permanente du répertoire dramatique national par une troupe de référence, n'est plus assurée. Comme le soulignait Pierre Dux, « les chefs d'oeuvre de notre patrimoine dramatique ne sont plus représentés de façon permanente. Il pourra s'écouler des périodes de dix, quinze ou vingt ans sans que soient jouées des pièces de l'importance du Cid, du Misanthrope ou du Mariage de Figaro. La mission essentielle de la Comédie Française n'est donc plus remplie. »
Pour remédier à cette situation, l'auteur de ces lignes appelait de ses voeux l'édification d'un théâtre moderne doté de trois salles de dimensions différentes. Certes, le poids croissant des grandes institutions culturelles parisiennes comme la priorité assignée à l'assainissement des finances publiques, ne permettent plus d'envisager aujourd'hui une telle solution.
Il n'est pas douteux cependant que l'attribution d'une troisième salle à la Comédie Française contribuera à aplanir ces difficultés.
De plus, la situation géographique de ce théâtre, à proximité de la salle Richelieu et du musée du Louvre constitue indéniablement un atout. Sans contraindre les comédiens français à traverser Paris, elle peut se prêter à une politique d'élargissement des publics du Théâtre français surtout si, comme a évoqué M. Jean-Pierre Miquel, actuel administrateur général, les « levers de rideau » devaient être programmés vers 18 heures.
* 1 Les sociétaires et les pensionnaires doivent toute leur activité artistique à la Comédie Française. Des dérogations peuvent toutefois être accordées, dans certaines conditions, après avis du comité d'administration et accord de l'administrateur général.