Avis n° 78 (1995-1996) de M. Jacques LEGENDRE , fait au nom de la commission des affaires culturelles, déposé le 28 novembre 1995

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N° 78

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 21 novembre 1995

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Affaires culturelles ( 1 ( * ) ) sur le projet de loi de finances pour 1996, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

TOME XIII

FRANCOPHONIE

Par M. Jacques LEGENDRE, Sénateur.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (l0ème législ. ) 2222, 2270 à 2275 et T.A. 413

Sénat : 76 et 77 (annexe n° l) (1995-1996).

Lois de finances.

Mesdames, Messieurs,

1995 a une nouvelle fois placé la francophonie sous les feux de l'actualité.

Comment ne pas percevoir l'importance de la langue dans le débat qui a opposé, au Canada, partisans et opposants à la souveraineté du Québec ? Ce débat, que le référendum du 30 octobre dernier n'a pas clos, a suscité de multiples réactions dans le monde, la répartition entre les pays plutôt favorables et les États plutôt défavorables à cette indépendance traduisant sauf exception leur appartenance à la Francophonie ou au Commonwealth. L'on doit y voir l'illustration des liens de solidarité internationaux tissés par un héritage linguistique et culturel commun.

La solidarité francophone a trouvé une nouvelle fois à s'exprimer en prenant position contre les drames qui menacent certains de ses membres, au premier rang desquels le Burundi. Une mission conjointe de l'Assemblée internationale des parlementaires de langue française (AIPLF) et du Conseil permanent de la francophonie s'est rendue en avril dernier à Bujumbura pour tenter une conciliation entre les différentes parties. Celles-ci attendent du prochain sommet de Cotonou une nouvelle manifestation de la solidarité qui unit les peuples francophones. Espérons que cette attente ne sera pas déçue.

Mais cette solidarité continue aussi de s'exercer dans un pays comme le Liban, situé au coeur du Proche-Orient, et où la tradition francophone reste, en dépit des épreuves, extrêmement vivace.

Comment également ne pas conserver à l'esprit l'enjeu que représente la langue française et la culture francophone dans le drame qui déchire actuellement l'Algérie, où vivent de très nombreux francophones même si ce pays est, jusqu'à présent, resté en marge de la communauté des États ayant la langue française en partage ?

En Asie du Sud-Est, si la langue française et la culture francophone paraissent en apparence moins solidement ancrées dans les habitudes, la francophonie est néanmoins une communauté vers laquelle se tourne un pays comme le Vietnam, qui semble confirmer sa candidature pour la tenue, en 1997, à Hanoï, du septième sommet des chefs d'État et de Gouvernement des pays ayant la langue française en partage.

C'est enfin un écrivain d'origine russe, écrivant directement en français, M. Andréï Makine, que vient de couronner le jury du prix Goncourt pour son Testament français.

I- L'ORGANISATION INSTITUTIONNELLE ET LES CRÉDITS DE LA FRANCOPHONIE

A. PARFAIRE LA PLACE DE LA FRANCOPHONIE AU SEIN DE LA STRUCTURE GOUVERNEMENTALE

1. Un élément de satisfaction : le retour de la francophonie au ministère des affaires étrangères

ï Entre mars 1993 et mai 1995, la francophonie a été rattachée à un ministère de plein exercice, celui de la culture et de la francophonie, confié à M. Jacques Toubon. Comme l'a souligné votre rapporteur, ce rattachement comportait plus d'inconvénients que d'avantages. Si elle a incontestablement favorisé la prise de position unanime de la communauté francophone en faveur de l'exception culturelle, au sommet de l'Ile Maurice en septembre 1993, ou facilité l'adoption de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, cette structure ministérielle comportait le défaut majeur de séparer l'instance de décision politique -le ministère de la culture du lieu d'exécution administrative -le service des affaires francophones abrité par le ministère des affaires étrangères. Elle ne favorisait pas non plus l'établissement de liens de coopération avec la Direction générale des relations culturelles, scientifiques et techniques du Quai d'Orsay, où continuent d'être rassemblés l'essentiel des crédits concourant au développement de la francophonie et à la promotion de la langue française dans le monde.

ï La nouvelle structure gouvernementale, qui n'a pas été remise en cause lors de la constitution du second gouvernement de M. Juppé le 7 novembre dernier, prévoit une solution plus rationnelle.

Aux termes du décret d'attributions de M. Hervé de Charette (décret n° 95-751 du 1er juillet 1995), la francophonie redevient une compétence explicite du ministre des affaires étrangères ; son exercice est délégué à un secrétaire d'État, Mme Margie Sudre.

Les attributions du secrétaire d'État sont précisées par le décret n° 95-807 du 19 juin 1995. Mme Margie Sudre :

- « exerce, par délégation du ministre des affaires étrangères les attributions de ce dernier relatives à la promotion de la francophonie dans le monde et à la politique de coopération avec les organismes internationaux à vocation francophone (...)

- « anime et coordonne l'action des administrations intéressées à la préparation et au suivi des conférences des chefs d'État et de Gouvernement des pays ayant en commun l'usage du français (...)

- « participe sous l'autorité du ministre des affaires étrangères à la mise en oeuvre de l'action diplomatique et des relations bilatérales et multilatérales de la France dans le monde. »

2. Des imperfections persistantes

Si le retour de la francophonie au ministère des affaires étrangères constitue indéniablement un progrès, on peut regretter que Mme Margie Sudre ne dispose pas explicitement, comme Mme Catherine Tasca dans le Gouvernement formé par M. Pierre Bérégovoy en avril 1992, de l'autorité sur la Direction générale des relations culturelles, scientifiques et techniques.

Certes, le décret du 19 juillet 1995 sur les moyens mis à disposition du secrétaire d'État pour exercer ses attributions n'opère aucune distinction entre le service des affaires francophones, dont disposait explicitement M. Toubon, et la Direction générale des relations culturelles, scientifiques et techniques. Il se contente en effet d'indiquer que le secrétaire d'État « dispose, en tant que de besoin, des services compétents du ministère des affaires étrangères ».

L'on doit y voir la marque du refus du secrétaire d'État d'accepter la restriction de son autorité au seul service des affaires francophones et de sa volonté de l'étendre autant que faire se peut à l'ensemble de la Direction générale. Il est d'ailleurs significatif que Mme Margie Sudre se soit fait le porte-parole de la Direction générale des relations culturelles, scientifiques et techniques (DGRCST) au cours de la présente discussion budgétaire.

II serait toutefois préférable que les attributions du secrétaire d'État à la francophonie soient explicitement étendues aux relations culturelles extérieures et à la conduite de la politique audiovisuelle extérieure, dont les crédits sont, pour l'essentiel, inscrits au budget de la

DGRCST. Il se peut en effet que l'absence de directeur général durant six mois 1 ( * ) , ait contribué à favoriser l'établissement de liens privilégiés avec cette administration. En tout état de cause, il importe que ce « bastion du Quai d'Orsay » bénéficie d'un pilotage politique, auquel n'a pas le temps de se consacrer le ministre des affaires étrangères. Le placement de la direction générale sous l'autorité directe du secrétaire d'État contribuerait par ailleurs à accroître l'efficacité de l'action francophone en dotant le ministre d'un réel pouvoir d'orientation sur le budget de la DGRCST, qui représente plus de 5 milliards de francs.


• L'on doit enfin regretter que Mme Margie Sudre puisse seulement « faire appel » à la Délégation générale à la langue française, service du Premier ministre mis à disposition du ministre de la culture depuis mars 1993.

Ce rattachement conduit à distinguer artificiellement, au sein de la politique francophone conduite par la France, des interventions extérieures placées sous la responsabilité du ministère des affaires étrangères et une action intérieure, la défense de la langue française sur le territoire national, relevant du ministère de la culture.

Il convient de rétablir en ce domaine l'unicité de la volonté politique en plaçant la délégation générale à la langue française sous l'autorité du ministre chargé de la francophonie.

La francophonie fêtera en mars prochain le dixième anniversaire de son accession au rang de portefeuille ministériel. C'est en effet au Président de la République, M. Jacques Chirac, qu'il revient d'avoir consacré la place de la francophonie au sein de l'appareil gouvernemental, en instituant un secrétariat d'État auprès du Premier ministre, dont la responsabilité fut confiée à Mme Lucette Michaux-Chevry.

Il serait souhaitable que les structures gouvernementales de la francophonie puissent être amendées à la faveur de cet anniversaire afin d'accroître leur efficacité.

L'idéal consisterait en l'accession de la francophonie au rang de ministère délégué auprès du ministère des affaires étrangères et dans l'élargissement de ses compétences aux relations culturelles extérieures d'une part, à la conduite de la politique audiovisuelle extérieure, d'autre part. Pour exercer ses compétences, le ministre délégué devrait pouvoir disposer sans restriction du service des affaires francophones et de la Direction générale des relations culturelles, scientifiques et techniques, ainsi que de la Délégation générale à la langue française.

B. UN FOISONNEMENT INSTITUTIONNEL PEU PROPICE À L'EFFICACITÉ

On ne peut manquer d'être frappé par la multiplicité des organismes français compétents en matière de francophonie et de politique linguistique.


• Créé par décret du Président de la République, le 12 mars 1984, le Haut conseil de la francophonie occupe une place originale au sein des structures de la francophonie.

Organisme de droit public, il est présidé par le Président de la République, et ne relève d'aucune tutelle ministérielle.

Il est composé de trente-quatre personnalités, françaises et étrangères, nommées par le Président. S'y côtoient actuellement, les anciens présidents libanais Charles Hélou et sénégalais Léopold Sédar Senghor, nommé récemment président d'honneur du Haut conseil ; les anciens ministres Cu Huy Can, Salif Alassane N'Diaye et Alain Decaux ; le secrétaire d'État chargé de la francophonie, Mme Margie Sudre ; des personnalités occupant de hautes responsabilités dans leur pays ou dans les instances internationales, des représentants de la société civile francophone dans les secteurs des arts, de la communication, des sciences et de la médecine, de la recherche universitaire.

Votre rapporteur se félicite enfin de la récente nomination au poste de vice-président du Haut conseil d'une personnalité éminente, M. Maurice Schumann, ancien ministre et membre de l'Académie française, qui saura, à n'en pas douter, jouer un rôle déterminant au sein de cette institution.

La tâche assignée au Haut conseil est de mener un travail d'information et de recherche sur tous les aspects de la francophonie, et de formuler des propositions ainsi que des recommandations à l'intention de toutes les institutions françaises concernées.

Il s'en acquitte essentiellement par la voie de deux moyens :

- la publication d'un rapport annuel sur l'état de la francophonie dans le monde, qui fait du Haut conseil un observatoire averti de la francophonie internationale sous ses différents aspects ;

- l'organisation d'une session plénière annuelle au cours de laquelle sont analysées des évolutions, identifiées des urgences, et formulées des propositions sur les orientations de la politique .

THÈMES DES SESSIONS PLÉNIÈRES ANNUELLES DEPUIS 1984

1984 : « Chercher, créer et communiquer en français »

1985 : « Inventer le français »

« Enseigner le français et enseigner en français dans le monde »

1986 : « La Francophonie et l'opinion publique »

1988  : « L'espace économique francophone »

1989 : « La pluralité des langues en Francophonie »

1990 : « La Francophonie dans la coopération internationale »

1991 : « Monde francophone et Francophonie dans le monde : créations et

échanges »

1992 : « La Francophonie dans la communauté scientifique mondiale, la

responsabilité partagée des politiques et des scientifiques ».

1993 : « Jeunesse et Francophonie »

1994 : « Francophonie et Europe ».

1995 : « La Francophonie et les sociétés africaines ».

En 1996, la subvention accordée au Haut conseil de la francophonie sur le chapitre 37-94 (article 10) du budget du ministère des affaires étrangères sera reconduite, pour la deuxième année consécutive : elle atteint 1,46 million de francs. Plus de la moitié de cette subvention est consacrée à l'organisation de la session annuelle. Le Haut conseil couvre par ailleurs la moitié des dépenses liées à la publication de son rapport annuel grâce à la constitution d'un avoir auprès de la Documentation française, alimenté par les droits perçus sur le produit des ventes.


Le foisonnement institutionnel est surtout perceptible en matière linguistique.

Institués par le décret n° 89-403 du 2 juin 1989, le Conseil supérieur de la langue française et la Délégation générale à la langue française ont pris la suite d'autres organismes. Le Haut comité pour la défense et l'expansion de la langue française, créé en 1966, avait été, en effet, remplacé, en 1973, par le Haut comité de la langue française, lui-même supprimé en 1984, auquel s'était substituée une structure double comprenant le Comité consultatif de la langue française et le Commissariat général de la langue française. Ces deux organismes sont les prédécesseurs immédiats de ceux aujourd'hui en place.

En outre, le même décret du 2 juin 1989 a jugé utile de prévoir explicitement la constitution d'un Comité interministériel consacré à la langue française. Ce comité devait être chargé de définir les orientations du Gouvernement en la matière. Présidé par le Premier ministre, qui le réunit en tant que de besoin, il est composé des ministres chargés de l'éducation nationale, des affaires étrangères, de l'industrie, des affaires européennes, de la culture, de la communication, de la recherche, de la coopération et de la francophonie. Dans la pratique, ce comité ne s'est jamais réuni.

Le Conseil supérieur de la langue française est statutairement présidé par le Premier ministre. M. Bernard Quemada en est le vice-président depuis le 22 octobre 1993. Il a pour mission d'étudier, dans le cadre des grandes orientations définies par le Président de la République et le Gouvernement, les questions relatives à l'usage, à l'aménagement, à l'enrichissement, à la promotion et à la diffusion de la langue française en France et hors de France et à la politique à l'égard des langues étrangères.

Il fait des propositions, recommande des formes d'actions et donne son avis sur les questions dont il est saisi par le Premier ministre ou par les ministres chargés de l'éducation nationale et de la francophonie.

Il comprend, outre les membres de droit - le ministre de l'éducation nationale, le secrétaire d'État à la francophonie, le secrétaire perpétuel de l'Académie française, le secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, de 19 à 25 membres nommés pour 4 ans par décret du Premier ministre.

Lors de l'installation de ses nouveaux membres, en mars 1994, le Premier ministre a demandé au Conseil supérieur de se pencher en priorité sur les thèmes suivants : la présence du français dans les sciences et les techniques ; l'avenir du français face au développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication, la promotion du français dans le cadre du plurilinguisme européen. Deux rapports ont été remis au ministre de la culture en février 1995 : le premier, intitulé « le français soumis au choc des technologies de l'information » établi par M. André Danzin, a conduit à la création auprès des ministres chargés de la culture, de l'industrie, de la recherche et de l'enseignement supérieur d'un Comité consultatif sur le traitement informatique du langage (arrêté du 18 avril 1995) ; le second, confié au professeur Jean-Louis Boursin, portait sur « les publications scientifiques en langue française ».

Plusieurs travaux sont en cours, parmi lesquels on peut citer : l'établissement d'un rapport sur la diversification des langues dans l'enseignement et les mesures susceptibles de favoriser le développement de l'enseignement de deux langues vivantes par M. Claude Hagège ; le lancement d'une enquête par M. Chevalier sur la situation du français dans l'enseignement scolaire et universitaire et sur l'action des Instituts universitaires de formation des maîtres ; la réalisation d'une étude de MM. Bourdon et Zemb sur les actions de promotion du français et de l'allemand.

Bras séculier des deux structures précédentes, la Délégation générale à la langue française a pour mission, dans le cadre des orientations définies par le Gouvernement et des recommandations du Conseil supérieur de la langue française, de promouvoir et de coordonner les actions des administrations et des organismes publics et privés qui concourent à la diffusion et au bon usage de la langue française, notamment dans les domaines de l'enseignement, de la communication, des sciences et des techniques.

Le délégué général à la langue française est nommé par décret en Conseil des ministres, sur proposition du vice-président du Conseil supérieur 1 ( * ) . Il est assisté d'un secrétariat composé d'une vingtaine de personnes. Il veille à renforcer la coordination des efforts en matière d'aménagement, d'enseignement et de diffusion du français, tant dans les actions conduites par les administrations que dans celles menées au plan international pour le développement de l'usage du français.

Aux missions traditionnelles exercées par la Délégation générale à la langue française, notamment en matière de terminologie (création et coordination des commissions ministérielles de terminologie, diffusion de dictionnaires, glossaires et lexiques spécialisés) ou de promotion du plurilinguisme européen (soutien aux actions d'enseignement, développement de supports modernes pour l'enseignement du français, promotion du français en Europe centrale et orientale), le Parlement en a ajouté une, qui revêt un caractère essentiel : établir un rapport annuel sur l'application de la loi du 4 août 1994 et sur le respect du statut du français dans les organisations internationales.

Pour la deuxième année consécutive, la Délégation générale s'est acquittée de cette tâche, avec une ponctualité à laquelle il convient de rendre ici hommage, en déposant un rapport, le 15 septembre sur le bureau des assemblées parlementaires. Cette mission nouvelle fait de cette institution un lieu d'observation attentive de l'application de la réglementation linguistique nationale, et un observatoire tout aussi précieux des évolutions qui affectent notre langue dans les principales organisations internationales.

Le budget de la Délégation générale intègre les crédits de fonctionnement du Conseil supérieur de la langue française dont elle assure le secrétariat. Inscrits dans le fascicule budgétaire de la culture depuis le budget 1994, les crédits de fonctionnement de la Délégation générale seront reconduits en 1996 au niveau atteint en 1995 (4,26 millions de francs) ; en revanche, les moyens d'intervention inscrits sur le chapitre 43-40 (article 92), qui avaient enregistré une progression importante en 1995 (+38%), bénéficieront en 1996 d'une mesure nouvelle de 2,5 millions de francs, portant leur total à 6,837 millions de francs (+ 57,6 %).

Un regroupement institutionnel des différents organismes nationaux compétents en matière de francophonie permettrait sans aucun doute, de clarifier la situation actuelle et d'accroître l'efficacité et la lisibilité de la politique conduite en la matière.

C'est la raison pour laquelle votre rapporteur se félicite tout particulièrement que le Président de la République ait demandé au nouveau vice-président du Haut-Conseil de la francophonie, M. Maurice Schumann, de réfléchir à une meilleure articulation de ces structures.

C. LES CRÉDITS DE LA FRANCOPHONIE

1. La régression des crédits du service des affaires francophones

Les crédits d'intervention de la francophonie, gérés par le service des affaires francophones du ministère des affaires étrangères atteignaient 67,3 millions de francs dans la loi de finances initiale pour 1995.

Sur le total, 49,5 millions de francs correspondaient à l'application des engagements souscrits par la France au sommet de l'Ile Maurice et ont été versés au fonds multilatéral unique de coopération.

Le solde, soit 17,8 millions de francs était destiné à soutenir par l'octroi de subventions l'action de diverses associations ou organismes non gouvernementaux concourant au développement de la francophonie.

Jusqu'à présent relativement épargné par les régulations budgétaires, le service des affaires francophones a été contraint de supporter en février 1995 un gel de 10% de ses crédits, suivi le 28 juin d'une annulation de 3,2 millions de francs. A l'heure actuelle, 3,53 millions de francs de crédits d'intervention font toujours l'objet d'une mesure de gel.

Dans sa sagesse, le service des affaires francophones a choisi d'imputer l'intégralité des mesures de gel et d'annulation sur la part de ses crédits destinés à soutenir l'action des associations. Cette solution est la seule qui permette à la France d'honorer ses engagements internationaux. Elle présente néanmoins l'inconvénient d'affecter considérablement le soutien accordé par l'État aux associations francophones, puisque la mesure de gel décidée en février concernait 38 % de l'enveloppe de crédits qui leur était destinée.

Pour 1996, les crédits d'intervention du service des affaires francophones régressent de 4,75 % par rapport aux crédits votés en 1995, pour s'établir à 64,1 millions de francs. Si l'on tient compte cependant des crédits déjà annulés en cours d'exercice, le projet de loi de finances présenté par le Gouvernement proposait la reconduction des crédits effectivement disponibles en 1995 1 ( * ) .

Votre rapporteur s'élève avec force contre toute mesure de régulation budgétaire affectant l'action culturelle extérieure de la France et dénonce le choix de la facilité qui consiste à annuler prioritairement ces crédits en période de restriction. Il importe de prendre conscience de la faiblesse relative des moyens consentis par l'État en ce domaine eu égard à la « demande de France » exprimée à l'étranger. Il convient également de se rendre à l'évidence que toute interruption de projets de coopération ou tout engagement non honoré de notre part sont générateurs de surcoût, et rompent des liens qui seront par la suite particulièrement difficiles à rétablir.

2. La contribution de la France à la coopération francophone


• La contribution de la France au financement des décisions arrêtées au sommet de l'Ile Maurice s'est élevée, pour le biennum 1994-1995, à 474 millions de francs par an, dont 300 millions de francs au titre des programmes de coopération multilatérale.

Sur ce total, 224 millions de francs ont été affectés aux programmes de coopération mis en oeuvre par les différents opérateurs de la francophonie, la contribution de chaque département ministériel transitant par le fonds multilatéral unique. Le tableau ci-après retrace la répartition des contributions françaises entre les différents ministères concernés.

VENTILATION DES CRÉDITS DE COOPÉRATION MULTILATÉRALE
ENTRE LES DIFFÉRENTS OPÉRATEURS (BIENNUM 1994-1995)

Par ailleurs, la contribution de la France au fonctionnement de TV5 Europe a atteint 174 millions de francs pour chacune des années 1994 et 1995, l'extension de cette chaîne en Afrique bénéficiant en outre de 12,5 millions de francs.

Enfin, 63,5 millions de francs ont été affectés au financement d'actions de coopération bilatérales décidées par les sommets francophones. Le montant de la contribution que la France apportera au financement des actions de coopération francophone pour le biennum 1996-1997 sera arrêté à l'issue du VIème sommet des chefs d'État et de Gouvernement ayant la langue française en partage, qui se réunira à Cotonou, au Bénin, du 2 au 4 décembre prochain.

3. La recensement des crédits concourant au développement de la francophonie et à la défense de la langue française

L'article 102 de la loi de finances pour 1987 invite le Gouvernement à dresser chaque année, à l'occasion du vote de la loi de finances, l'inventaire des crédits consacrés par les pouvoirs publics à la défense de la langue française et au développement de la francophonie.

Pour 1996, cet effort est estimé à 5.596,82 millions de francs en dépenses ordinaires et crédits de paiement. Il subit une constante érosion depuis 1993, où il atteignait 6,094 millions de francs.

Il convient aujourd'hui d'y mettre un terme.

Ce recensement, aussi intéressant soit-il, ne peut cependant avoir qu'une valeur indicative, en raison du caractère quelque peu artificiel de la comptabilisation des dépenses correspondantes. L'éducation nationale dont on pourrait considérer qu'elle participe activement à l'enseignement de la langue française, ne contribue à la formation de ce total que pour 5,97 millions de francs en 1996. Qui plus est, le caractère fortement erratique des crédits comptabilisés pour ce ministère laisse à penser que les critères qui président à leur inscription varient d'une année sur l'autre... Entre 1995 et 1996 par exemple, l'effort consenti par l'éducation nationale en faveur de la défense de la langue française et de la promotion de la francophonie aurait ainsi régressé de près de 94 %.

Votre rapporteur appelle de ses voeux une clarification des critères présidant à l'inscription des crédits dans ce tableau récapitulatif, afin que soit assurée la pertinence des comparaisons pluriannuelles, et assurée la transparence de l'intervention de l'État en ce domaine.

Soulignant l'enjeu de la défense de la langue française et de la promotion de la francophonie dans le monde, il souligne par ailleurs la nécessité de maintenir cet effort.

II. LA FRANCOPHONIE MULTILATÉRALE : LA PRÉPARATION DU SOMMET DE COTONOU

Le président SOGLO a choisi d'orienter le sixième sommet de la francophonie qui se tiendra à Cotonou. du 2 au 4 décembre 1995, autour de l'idée de « Francophonie, espace de solidarité et d'échange pour un développement humain et durable ».

Autour de ce thème, les chefs d'État et de Gouvernement des 47 pays ayant le français en partage seront appelés à débattre de trois sujets principaux : l'ajustement des institutions de la francophonie ; la programmation de la coopération francophone pour le biennum 1996-1997 ; la situation politique et économique dans le monde.

Ils auront aussi à se prononcer sur l'admission des États qui ont fait acte de candidature.

A. L'INSTITUTION D'UN SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA FRANCOPHONIE DEVRAIT CONSACRER L'ÉVOLUTION INSTITUTIONNELLE ENGAGÉE IL Y A DIX ANS

Depuis le premier sommet des chefs d'État et de Gouvernement ayant en commun l'usage du français, qui s'est réuni à Paris en 1986, la francophonie multilatérale a été marquée, sur le plan institutionnel, par une double évolution : les partenaires se sont efforcés d'ordonner l'action des institutions préexistantes en les intégrant dans un schéma d'ensemble ; l'Agence de coopération culturelle et technique, qui demeure le principal opérateur des décisions arrêtées par les sommets, a été placée sous le contrôle des organes politiques.

1. L'organisation institutionnelle de la francophonie

a) Les organes politiques de la francophonie


• Rebaptisés en 1993 « Conférence des chefs d'État et de Gouvernement des pays ayant le français en partage », les sommets francophones qui se réunissent tous les deux ans constituent l'instance suprême de la francophonie multilatérale.

ï La Conférence ministérielle de la francophonie, composée des ministres des affaires étrangères et de la francophonie, assure le suivi des sommets. Elle exerce son autorité sur l'Agence de coopération culturelle et technique et sur les autres opérateurs de la francophonie.

ï La préparation des sommets est confiée au Conseil permanent de la francophonie, issu de la fusion au sommet de Chaillot en 1991 du comité international préparatoire et du comité international du suivi institués en 1986. Cet organe politique est composé des représentants personnels des quinze chefs d'État ou de Gouvernement. Il est chargé d'examiner et d'approuver les projets, de choisir les opérateurs, de procéder aux évaluations et de contrôler l'exécution des décisions arrêtées par les sommets. Il se réunit quatre fois par an.

La présidence de la Conférence ministérielle et du Conseil permanent de la francophonie est confiée au pays hôte du sommet l'année qui précède et celle qui suit la tenue de celui-ci. C'est donc le Bénin qui en assure actuellement la présidence.

b) L'Agence de coopération culturelle et technique (ACCT) demeure le principal opérateur

Fondée par une convention signée à Niamey en 1970, l'ACCT reste le principal opérateur de la coopération francophone multilatérale dans les domaines de l'éducation et de la formation, de la culture, des sciences et des techniques, de l'agriculture, de la communication, du droit, de l'environnement et de l'énergie.

Elle a son siège à Paris. Son secrétaire général est le québécois Jean-Louis Roy.

c) Les autres opérateurs spécialisés

Créée en 1961 par un groupe d'universitaires français, l'Association des universités partiellement ou entièrement de langue française

(AUPELF) rassemble aujourd'hui plus de 270 établissements d'enseignement et de recherche implantés dans 32 pays francophones, auxquels il convient d'ajouter les conférences internationales des doyens et des chefs d'établissements d'expression française, ainsi que 450 départements d'études françaises.

L'AUPELF fédère en outre le programme UREF (Université des réseaux d'expression française) constitué en 1987, le Fonds international de coopération universitaire (FICU), la Fondation pour l'enseignement supérieur et l'Institut des hautes études francophones.

Son siège est à Montréal. Le Français Michel Guillou assure la direction générale de l'AUPELF et est recteur de l'UREF. La présidence de l'ensemble AUPELF-UREF est exercée par le québécois Michel Gervais.


• Créée en 1989 et inaugurée en 1990, l'université Senghor d'Alexandrie propose quatre départements d'enseignement de troisième cycle (nutrition-santé, environnement, administration-gestion-finances et patrimoine culturel africain) destinés à former des cadres au service du développement africain.


• La chaîne de télévision francophone TV5 est le dernier opérateur spécialisé de la francophonie. Elle est composée de deux sociétés : TV5Europe, qui est de droit français, et TV5 Québec-Canada, qui est de droit canadien. Depuis 1992, TV5 Europe diffuse vers l'Afrique et TV5 Québec-Canada vers l'Amérique latine. L'extension de TV5 Europe à l'Asie a été décidée au dernier sommet de Maurice.


• Au sommet de l'Ile Maurice, l'Association internationale des maires francophones (AIMF) a pris le statut d'opérateur associé.


L'Assemblée internationale des parlementaires de langue française (AIPLF) a été reconnue en septembre 1993 comme Assemblée consultative de la francophonie. L'ACCT a été invitée par le Conseil permanent de la francophonie à conclure avec l'AIPLF un accord-cadre précisant les modalités d'une coopération en vue de l'exécution des programmes pour lesquels les compétences de l'Assemblée sont requises.

L'AIPLF, qui a été ainsi reconnue comme opérateur de la francophonie pour quelques actions spécifiques, entend se voir accorder la place qui lui revient en tant qu'Assemblée consultative de la francophonie. Il serait souhaitable que cette évolution, qui répond à un voeu formulé par les présidents des Assemblées parlementaires des pays ayant la langue française en partage, réunis le 16 octobre dernier à Paris à l'initiative de M. Philippe Seguin, puisse trouver sa traduction lors du prochain sommet de Cotonou.


• Il faut encore mentionner l'intervention de deux conférences interministérielles permanentes de la francophonie, créées respectivement en 1960 et en 1969, la Conférence des ministres de l'éducation (CONFEMEN) et la Conférence des ministres de la jeunesse et des sports (CONFEJES), qui continuent de se réunir régulièrement.

Cette présentation quelque peu fastidieuse des principaux organismes concernés, à laquelle il paraît toutefois difficile d'échapper, rend compte de la complexité des circuits de décisions d'exécution et de contrôle des actions de coopération multilatérale francophone.

2. La subordination des organes d'exécution aux institutions politiques

Dans un contexte marqué par le foisonnement institutionnel et la multiplicité des centres d'exécution, l'efficacité des actions de coopération multilatérale arrêtées par les sommets de chefs d'État ou de Gouvernement ayant le français en partage est subordonnée au renforcement des institutions politiques de la francophonie.

Une décision capitale a été prise en ce sens au sommet de l'Ile Maurice, en septembre 1993.

L'Agence de coopération culturelle et technique (ACCT) a été placée sous le contrôle du Conseil permanent de la francophonie, émanation du pouvoir politique de la communauté francophone dans l'intervalle qui sépare les sommets.

Cette évolution, et la rénovation du système de gestion de l'ACCT grâce notamment à la mise en place d'un système de comptabilité analytique opérationnel depuis le 1er janvier 1995, devraient accroître l'efficacité et la transparence du principal opérateur de la francophonie.

On ne peut que s'en féliciter. Votre rapporteur avait été maintes fois conduit à déplorer les retards chroniques d'exécution dont souffraient traditionnellement les actions de coopération décidées par les sommets.

D'après les informations qui lui ont été communiquées, les réformes semblent avoir déjà porté des fruits : près de 84 % des crédits inscrits au budget de 1994 pour l'exécution des programmes généraux des sommets (crédits déliés) avaient pu être effectivement consommés au 31 décembre.

On rappellera qu'en 1991, la moitié seulement des décisions arrêtées quatre ans plus tôt au sommet de Québec avaient été réalisées. Les progrès paraissent donc certains.

Cette évolution favorable devrait logiquement se trouver parachevée avec l'adoption de nouvelles décisions institutionnelles qui seront soumises au sommet de Cotonou.

3. Les ajustements institutionnels proposés au sommet de Cotonou

Un comité de réflexion sur le renforcement institutionnel de la francophonie, composé de onze membres, avait été chargé lors du sommet de l'Ile Maurice de proposer au prochain sommet des propositions tendant à mieux identifier et à renforcer les structures décisionnelles de la francophonie.

Ce comité s'est réuni fréquemment depuis 1994. Dans un premier temps, il avait dû renoncer, faute de consensus, à proposer la création d'un poste de secrétaire général de la francophonie.

Ce dossier a toutefois été repris par Mme Margie Sudre dès sa nomination comme secrétaire d'État. Les contacts établis pendant l'été ont permis de surmonter les dernières réticences, et ont conduit le comité de réflexion à adopter un projet de résolution.

Le schéma proposé par le comité a été approuvé dans ses grandes lignes par le Conseil permanent de la francophonie les 19 et 20 octobre dernier.

Il propose :

- l'institution d'un secrétaire général de la francophonie, élu pour quatre ans par les chefs d'État et de gouvernement réunis en sommet, sa vocation serait d'être le porte-parole politique de la francophonie. Il serait par ailleurs chargé d'assurer le secrétariat des instances politiques et de coordonner l'action des différents opérateurs. Il présiderait enfin le Conseil permanent de la francophonie ;

- l'Agence de coopération culturelle et technique serait placée sous la responsabilité d'un administrateur général, élu sur proposition du secrétaire général de la francophonie par la conférence ministérielle. L'administrateur général ne serait toutefois pas subordonné au secrétaire général dans l'accomplissement de sa mission ;

- les attributions des organes politiques de la francophonie (sommets, conférence ministérielle, conseil permanent de la francophonie) seraient confirmées, la conférence ministérielle recevant cependant la faculté de se réunir en formation restreinte pour améliorer l'efficacité de son fonctionnement.

Si cette résolution devait être adoptée par le sommet de Cotonou, ce que laisse a priori augurer l'accord politique qui s'est dégagé en ce sens lors des dernières réunions de préparation de cette conférence, le premier secrétaire de la francophonie serait élu lors du sommet de 1997. Durant l'année qui précédera celui-ci, les fonctions de secrétaire général de la francophonie devraient être exercées par l'actuel secrétaire général de l'ACCT, dont le dernier mandat expirera à la fin de 1997.

B. LA PROGRAMMATION DE LA COOPÉRATION FRANCOPHONE POUR LES ANNÉES 1996 ET 1997

Les programmes des opérateurs de la francophonie, et principalement de l'ACCT, font, depuis plusieurs années l'objet de vives critiques en raison du « saupoudrage » qui les caractérise et qui nuit à leur efficacité.

Les instances chargées de la préparation du sommet de Cotonou se sont donc préoccupées de recentrer la coopération francophone sur de « grands programmes mobilisateurs », mieux adaptés à la spécificité fonctionnelle des institutions francophones, concentrant des moyens conséquents sur un nombre plus restreint d'opérations et dont le caractère multilatéral serait incontestable.

Elles sont parvenues à la définition de cinq grands programmes, en dépit des pressions exercées par les pays du sud dans le sens de la consolidation de l'ensemble des actions existantes.

Ces programmes sont ordonnés autour des thèmes ou des objectifs suivants : « un espace de savoir et de progrès » ; « un espace de culture et de communication » ; « un espace de liberté et de démocratie » ; « un espace de développement » et « le français dans le monde ».

A ce stade toutefois de la préparation du sommet, la prolifération des rubriques regroupées sous chacun de ces intitulés ne semble pas en mesure de favoriser la concentration souhaitable des moyens. Il faut espérer que la dernière session du Conseil permanent de la francophonie, le 14 novembre 1995, aura permis de progresser sur ce point afin de proposer au sommet des interventions plus ciblées.

Au-delà de la reconduction d'un certain nombre de programmes de l'ACCT (centres de lecture et d'animation culturelle, marché des arts et du spectacle africain, soutien à la démocratisation et à l'État de droit, partenariat d'entreprises, concertations francophones sur certains grands thèmes traités aux Nations Unies), la priorité devrait être accordée par cet opérateur à la rénovation de l'éducation de base en Afrique, qui traverse depuis une dizaine d'années une crise sans précédent, et à la création de services en français sur Internet.

L'AUPELF-UREF coopérera avec l'ACCT sur ce dernier point ainsi que sur la réalisation d'un réseau de classes bilingues en Asie du Sud-est et sur le traitement informatisé du français ; elle poursuivra par ailleurs la réalisation des grands programmes engagés (notamment le fonds francophone de la recherche, les bourses et les filières francophones dans l'enseignement supérieur). TV5 devrait enfin conforter son extension géographique et mettre au point une méthode audiovisuelle d'enseignement du français en collaboration avec les deux opérateurs précédents.

En tout état de cause, les choix relatifs à la programmation multilatérale ne pourront être définitivement arrêtés tant que ne seront pas connues avec certitude les enveloppes budgétaires que seront en mesure d'y consacrer les principaux pays francophones bailleurs de fonds.

C. LA FRANCOPHONIE, ESPACE DE SOLIDARITÉ

1. Une communauté de 47 pays ou communautés

De 41 membres au premier sommet de Versailles en 1986, la francophonie est passée à 47 pays ou communautés de tradition francophone au sommet de l'Ile Maurice, en septembre 1993.

Le sommet de Cotonou aura à se prononcer sur quatre nouvelles demandes d'adhésion formulées par l'Arménie, Israël, la Moldavie et Sao Tome et Principe.

Ces candidatures seront examinées en fonction des critères et selon la procédure fixée en la matière.

Un faisceau de critères permet d'apprécier la réalité de l'usage de la langue française par le pays candidat. Ils portent notamment sur l'importance accordée à cette langue par le système d'enseignement, l'importance des locuteurs français parmi la population, l'existence d'une presse écrite ou audiovisuelle en français, le recours au français dans les relations internationales, la présence d'associations francophones.

Le groupe de travail réuni pour examiner les demandes d'adhésion a jugé insuffisamment fondée la candidature présentée par l'Arménie, dont le dossier reposait surtout sur la connaissance du français par les Arméniens de la diaspora.

II serait sans doute souhaitable, avant de refuser l'adhésion de pays comme l'Arménie, d'approfondir plus généralement la réflexion sur le sort et l'avenir des pays qui, sans être véritablement francophones, ont néanmoins une tradition culturelle ancienne qui les oriente vers la francophonie. C'est indéniablement le cas de l'Arménie ; c'est aussi celui de la Hongrie ou de l'Albanie, qui siègent à l'Assemblée internationale des parlementaires de langue française.

L'unanimité des membres actuels requise pour l'adhésion n'a pu être réunie dans le cas d'Israël. Il est vraisemblable qu'elle ne le sera pas tant que n'auront pas été achevé le processus de paix engagé au Moyen-Orient et réglée la situation du Sud-Liban.

En revanche, les deux autres candidatures, celle de la Moldavie et celle de Sao Tomé et Principe devraient être acceptées par les chefs d'État et de Gouvernement.

Conformément à la procédure d'usage, ces deux nouveaux membres seront admis dans un premier temps en qualité de membre-associé, qui leur donne accès aux programmes des opérateurs francophones et le droit d'assister aux réunions des sommets, des conférences ministérielles et des séances plénières du Conseil permanent de la francophonie. A l'expiration d'un délai de deux ans, le sommet suivant décide de les accepter ou non comme membres à part entière.

Le sommet de Cotonou devrait par ailleurs accéder à la demande du Val d'Aoste de voir son statut s'améliorer, en lui offrant la possibilité de participer aux programmes francophones et d'assister aux réunions ministérielles ainsi qu'au Conseil permanent de la francophonie, sans toutefois pouvoir prendre position sur les questions politiques internationales qui, en droit constitutionnel italien, ne relèvent pas de sa compétence.

2. L'affirmation de la francophonie sur la scène internationale et la prévention des conflits

La francophonie s'efforce depuis quelques années d'exprimer des positions communes. Ce fut le cas notamment pour le sommet de la terre à Rio en 1992, et pour celui de Vienne sur les droits de l'homme en 1993. Cette approche commune a plus récemment présidé à la tenue de la conférence du Caire sur la population mondiale, de Copenhague sur le développement social, de Pékin sur les femmes, ainsi que lors de la dernière réunion du programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).

Si le rôle que peut jouer la francophonie en cas de crise est délicat, compte tenu de la diversité des pays qu'elle représente, elle ne saurait pour autant rester muette. Des résolutions ont été adoptées lors des précédents sommets sur Haïti, sur le Rwanda et sur le Burundi.

Il importe que la francophonie prenne, à l'occasion du prochain sommet de Cotonou, une nouvelle initiative en faveur du Burundi d'où nous parviennent actuellement des nouvelles des plus inquiétantes. La francophonie doit à nouveau prendre fermement position contre la guerre civile qui le menace.

Plus généralement, les chefs d'État et de Gouvernement devraient se pencher, à l'invitation du Canada, sur le rôle que la francophonie pourrait être amenée à jouer dans la prévention des conflits.

A la veille de son dixième anniversaire, la Communauté des chefs d'État et de Gouvernement ayant la langue française en partage fait donc la preuve de sa détermination à renforcer l'efficacité de ses structures institutionnelles. Tout en sachant préserver ses diversités, qui en constituent la principale richesse, elle apparaît de plus en plus, sur la scène internationale, comme une communauté solidaire.

Dans ce contexte, il est d'autant plus regrettable que le Gouvernement se soit opposé, lors de la dernière révision de la Constitution 1 ( * ) française à la consécration constitutionnelle de la francophonie.

Un amendement, présenté par votre rapporteur et voté par le Sénat malgré l'opposition du Gouvernement, tendait à inscrire la francophonie, aux côtés de l'Union européenne, dans la charte fondamentale de la Nation, sacralisant ainsi les deux piliers de notre politique étrangère. Il n'a pas survécu à la deuxième lecture du projet de loi constitutionnel à l'Assemblée nationale...Votre rapporteur ne peut que le déplorer.

III. LA DÉFENSE ET LA PROMOTION DE LA LANGUE FRANÇAISE

L'année 1995 aura été marquée sur le plan intérieur par l'entrée en vigueur de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française et, à l'échelle de l'Union européenne, par la promotion du plurilinguisme, inscrite au coeur des préoccupations de la présidence française.

Après avoir fait un point sur le respect du statut de la langue française au sein des institutions internationales, votre rapporteur abordera par ailleurs la question des industries de la langue, dont le développement constitue un enjeu majeur pour l'avenir de la langue française.

A. L'ENTRÉE EN VIGUEUR DE LA LOI DU 4 AOÛT 1994 RELATIVE À L'EMPLOI DE LA LANGUE FRANÇAISE

L'entrée en vigueur de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française était subordonnée à la parution, dans le délai d'un an, du décret en Conseil d'État définissant les infractions aux prescriptions qu'elle édicté et leur sanction pénale.

Le décret n° 95-240 du 3 mars 1995 a été publié au journal officiel du 5 mars.

Conformément à ce que prévoyait l'article 23 de la loi, les dispositions des articles 3 et 4 de celle-ci, qui rendent obligatoire l'emploi du français dans les inscriptions apposées ou les annonces faites sur la voie publique, dans un lieu ouvert au public et dans les transports en commun, et imposent en la matière des prescriptions particulières aux personnes publiques, sont entrées en vigueur six mois plus tard, c'est-à-dire le 5 septembre 1995.

Le décret du 3 mars 1995 définit les infractions pénales et leurs sanctions, fixe les modalités de prélèvements de biens ou de produits rendus nécessaires pour la constatation de l'infraction, précise les critères d'agrément des associations de défense de la langue française habilitées à ester en justice, et autorise les moyens de transport effectuant une prestation en transit ou en cabotage sur le territoire français à déroger aux dispositions de l'article 4 (présentation équivalente des versions française et étrangère, caractère plurilingue des traductions imposé aux personnes publiques).

1. Un dispositif pénal dissuasif


• La définition des infractions à la loi du 4 août 1994

Sont définis comme constitutifs d'une infraction pénale à la loi du 4 août 1994, les faits suivants :

1) Ne pas employer la langue française :

- dans la désignation, l'offre, la présentation, le mode d'emploi ou d'utilisation, la description de l'étendue et des conditions de garantie d'un bien, d'un produit ou d'un service ainsi que dans les factures et les quittances ;

- dans toute publicité écrite, parlée ou audiovisuelle ;

- dans toute inscription ou annonce destinée à l'information du public, apposée ou faite sur la voie publique, dans un lieu ouvert au public ou dans un moyen de transport en commun ;

2) Présenter la version française de manière moins lisible, audible ou intelligible que les présentations en langue étrangère des mentions, publicités, inscriptions ou annonces énumérées ci-dessus ;

3) Dans le cadre des manifestations, colloques ou congrès organisés en France par une personne de nationalité française :

- interdire aux participants d'une manifestation ou d'un colloque, organisé en France par une personne de nationalité français, de s'exprimer en français ;

- ne pas joindre une version française aux documents distribués avant et pendant ladite réunion pour en présenter le programme ;

- ne pas établir au moins un résumé en français des documents préparatoires ou de travail distribués aux participants et ne pas inclure, dans les actes ou comptes rendus de travaux publiés, au moins un résumé en français des textes ou interventions présentés en langue étrangère ;

- ne pas avoir prévu de dispositif de traduction lorsqu'une personne publique ou une personne privée chargée d'une mission de service public a pris l'initiative du colloque ;

4) Dans le cadre du droit du travail, ne pas mettre à la disposition d'un salarié une version en langue française d'un document comportant des obligations à l'égard de ce salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire à celui-ci pour l'exécution de son travail.


Les peines applicables

Les infractions énumérées ci-dessus sont passibles des peines de contravention de la quatrième classe (au maximum 5.000 francs pour une personne physique).

Par ailleurs, le décret prévoit expressément la responsabilité des personnes morales, les amendes pouvant alors atteindre 25.000 francs.

2. L'agrément des associations de défense de la langue française habilitées à ester en justice

Le décret précise les conditions auxquelles les associations régulièrement déclarées ayant pour objet statutaire la défense de la langue française peuvent bénéficier de l'agrément auquel reste subordonnée la faculté pour ces groupements de se porter partie civile devant les tribunaux dans les litiges relatifs à l'application de la loi.

Ces conditions sont les suivantes :

- justifier de deux années d'existence à compter de la déclaration ;

- disposer d'un nombre suffisant d'adhérents directs ou indirects ;

- exercer une activité effective et publique en vue d'assurer la défense de la langue française, dans le respect toutefois des autres langues et cultures ;

- attester du caractère désintéressé des activités de l'association.

Un arrêté du 3 mai 1995, publié au journal officiel du 12 mai, a agréé cinq associations de défense de la langue française. Dans un premier temps, un choix délibéré a conduit les ministres chargés de la culture et de la justice à accorder cet agrément à un nombre relativement limité d'associations, ayant une vocation générale à défendre la langue française ou oeuvrant dans des secteurs dans lesquels le français se trouve particulièrement menacé.

Comme l'avait fait observer votre rapporteur lors de l'adoption de la loi Toubon, ce droit, reconnu par la loi en 1994, consacre en réalité l'action de défense de la langue française menée depuis de longues années par de nombreuses associations. Il devait contribuer à assurer une application efficace de la nouvelle législation.

3. Un premier bilan de l'application de la loi Toubon

Dans le rapport annuel qu'elle adresse au Parlement, la Délégation générale à la langue française s'est efforcée de dresser un premier bilan de l'application de la loi.

Ce bilan paraît globalement positif. Dans le domaine de l'information du consommateur, la loi du 4 août 1994 n'a pas profondément modifié la nature des prescriptions imposées par la loi du 31 décembre 1975. C'est toujours la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) du ministère de l'économie et des finances qui procède, pour l'essentiel, aux contrôles effectués en ce domaine. Si les contrôles permettent depuis plusieurs années de relever un taux sensiblement égal d'infractions (autour de 19%), des taux particulièrement élevés ont été relevés dans la commercialisation du matériel bureautique et des denrées alimentaires.

Dans le monde du travail, la nouvelle législation, qui a sensiblement renforcé les contraintes linguistiques pesant sur les employeurs, ne paraît pas avoir soulevé de difficultés d'application particulière.

En dépit de ce constat qui se veut rassurant, il convient de rester particulièrement vigilant en ce domaine. On ne compte plus le nombre d'entreprises qui recourent à l'anglais dans leurs relations avec leur société-mère ou leurs filiales, alors même que celles-ci sont implantées dans un pays non anglophone. C'est le cas, par exemple, de Mercedes-France où, en dépit d'importants programmes de formation linguistique des personnels à l'allemand, la direction a été contrainte de renoncer à cette langue au profit de l'anglais.

La Délégation générale à la langue a été en revanche conduite à intervenir auprès de plusieurs organes de presse ayant publié des annonces en langue étrangère émanant d'un employeur français.

Dans l'organisation des manifestations, colloques ou congrès, la principale difficulté rencontrée par les organisateurs pour respecter la loi semble résider dans l'obligation de prévoir un dispositif de traduction lorsque la réunion est organisée à l'initiative d'une personne publique ou d'une personne privée chargée d'une mission de service public.

La Délégation générale à la langue française a joué un rôle actif de prévention en ce domaine, en adressant systématiquement une lettre d'information aux organisateurs français des colloques, qui ne lui paraissaient pas se conformer à la législation. Dans la plupart des cas, les organisateurs auraient fait diligence.

De manière générale, votre rapporteur doit se féliciter de l'action pédagogique menée par la Délégation générale à la langue française pour expliciter la portée des dispositions arrêtées par le législateur aux nombreuses personnes qui lui en ont adressé la demande ou, de façon moins ciblée, dans le cadre de son rapport annuel.

D'autres difficultés semblent s'être posées pour l'interprétation du dernier alinéa de l'article 2 de la loi, qui dispose que la législation sur les marques ne fait pas obstacle à l'obligation d'employer la langue française dans les mentions et messages enregistrés avec la marque. L'objectif poursuivi par le législateur était d'imposer la traduction des messages, comme par exemple « just do it » qui accompagne la marque Nike.

Une circulaire devrait toutefois préciser prochainement les règles applicables aux mentions telles que : « light », « bianco », ...

Il faut enfin ici rendre hommage au travail scrupuleux accompli par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, compétent pour faire respecter la loi dans ce secteur.

La France se doit de veiller scrupuleusement à l'application de la loi Toubon.

Elle doit le faire sans fausse honte, en dépit des réactions internationales, et particulièrement américaines, suscitées par l'adoption de ce nouvel instrument linguistique.

Tirant les enseignements du référendum québécois, le président de la chambre des représentants aux États-Unis, Mr. Newt Gingrich n'a-t-il pas publiquement affirmé le 30 octobre dernier : « Permettre au bilinguisme de progresser est très dangereux. Nous devrions insister pour que l'anglais soit la langue commune. C'est ce qui nous unit . » Et de soutenir l'adoption d'une loi, déposée au Congrès, qui tend à ériger l'anglais en langue officielle des États-Unis et de toute disposition qui aboutirait à reléguer au second plan l'enseignement des langues étrangères à l'école. Il concluait : « les gens doivent s'attendre à communiquer en anglais lorsqu'ils viennent en Amérique » .

B. LA DÉFENSE DU PLURALISME LINGUISTIQUE AU COEUR DE LA PRÉSIDENCE FRANÇAISE DE L'UNION EUROPÉENNE

La France a inscrit la défense et la promotion du plurilinguisme parmi les priorités de sa présidence de l'Union européenne au premier semestre de l'année 1995.


• Un mémorandum adressé par la France à ses partenaires européens a conduit à l'adoption de conclusions du Conseil des ministres de l'Union européenne sur la diversité et le pluralisme linguistique le 12 juin 1995.

Communiqué dès le mois de janvier 1995, le mémorandum français soulignait les enjeux culturels, sociaux et économiques du maintien de la diversité linguistique au sein de l'espace européen. Il proposait une série de mesures susceptibles de promouvoir cette diversité :

- il suggérait tout d'abord de développer et de diversifier l'enseignement des langues vivantes, dans la formation initiale comme dans la formation continue. A cette fin, il préconisait la reconnaissance par chaque État membre d'un objectif commun : l'apprentissage de deux langues étrangères au cours de la scolarité. Il proposait aussi l'adoption d'une résolution du Conseil portant sur l'amélioration de l'enseignement des langues et sa diversification, ainsi que la signature d'une convention intergouvernementale rendant obligatoire l'apprentissage de deux langues vivantes à l'école ;

- prenant acte du nouveau défi posé au plurilinguisme par l'essor des autoroutes de l'information, le mémorandum français soulignait la nécessité d'inciter le développement d'une production européenne de services et de produits multimédias dans les différentes langues de la Communauté. Il mettait également en exergue le rôle déterminant que pouvaient être appelés à jouer les outils de traitement informatique du langage, en matière d'enrichissement terminologique et de traduction notamment ;

- rappelant le droit fondamental de chaque citoyen de l'Union européenne à recevoir une information dans sa langue, il prenait position en faveur d'un étiquetage multilingue systématique des produits de consommation, et mettait notamment l'accent sur la nécessité de préserver en ce domaine la liberté des États membres d'exiger le recours à leur langue nationale ;

- le mémorandum français soulignait enfin la nécessité de prendre en compte la diversité linguistique de l'Union européenne dans le cadre de ses relations extérieures. Il insistait en particulier sur l'insertion d'un volet linguistique dans les accords passés avec les pays associés et tiers prévoyant, par exemple, une formation diversifiée aux langues des États membres et la formation professionnelle de traducteurs et interprètes.

Les conclusions du Conseil des ministres sur la diversité et le pluralisme linguistiques dans l'Union européenne (12 juin 1995) s'inspirent des propositions formulées par le mémorandum français. Elles sont reproduites ci-après :

1. Le Conseil affirme l'importance pour l'Union de sa diversité linguistique, élément essentiel de la dimension et de l'identité européennes, ainsi que de l'héritage culturel commun.

2. Il en souligne les enjeux, tant démocratiques, culturels et sociaux qu'économiques. La diversité linguistique est également une source d'emplois et d'activités, ainsi qu'un facteur d'intégration. Elle est un atout pour le rayonnement de l'Union à l'extérieur, la plupart des langues de l'Union européenne étant en usage dans un grand nombre d'États tiers.

3. Le Conseil considère que le développement de la société de l'information offre de nouvelles chances et présente de nouveaux défis pour le pluralisme et la diversité linguistiques.

4. La diversité linguistique est une composante de la diversité nationale et régionale des États membres mentionnée à l'article 128 du Traité. La Communauté doit la prendre en compte dans son action au titre d'autres dispositions du Traité y compris les articles 126 et 127 qui concernent l'éducation, la formation professionnelle et la jeunesse.

5. Le Conseil souligne qu'il convient de préserver la diversité linguistique et de promouvoir le plurilinguisme dans l'Union, dans l'égal respect des langues de l'Union et à la lumière du principe de la subsidiarité.

6. Pour le citoyen, l'adhésion à la construction européenne passe par l'assurance de la prise en considération des langues de l'Union et par un égal accès à l'information, en conformité avec le droit national des États membres et dans le respect du droit communautaire.

7. A cet égard, le Conseil se félicite notamment de la résolution du Conseil du 31 mars 1995 concernant l'amélioration de la qualité et la diversification de l'apprentissage et de l'enseignement des langues au sein des systèmes éducatifs de l'Union européenne ainsi que de l'adoption des programmes SOCRATES, LEONARDO, JEUNESSE POUR L 'EUROPE.

8. Il prend également acte de l'intention de la Commission de présenter une communication relative aux aspects linguistiques de la société de l'information, établie à la suite de la demande du Conseil européen à Corfou, qu'il examinera sans délai.

9 . Le Conseil souligne l'importance qui s'attache à prendre en compte la dimension linguistique dans les relations extérieures de l'Union, notamment dans le cadre des programmes de l'Union qui associent des pays tiers.

10. Le Conseil invite la Commission à prendre en compte la diversité et le pluralisme linguistiques dans l'élaboration des politiques et actions communautaires ainsi que dans leur mise en oeuvre.

11. Le Conseil invite la Commission à effectuer l'inventaire de politiques et actions menées par la Communauté prenant en compte la diversité et le pluralisme linguistiques et à en faire l'évaluation. Il l'invite à faire rapport au Conseil dans un délai d'un an.

12. Le Conseil invite la Commission à établir un groupe de représentants des États membres, désignés par ceux-ci, chargé, sans préjudice de l'activité des comités existants et en liaison avec ceux-ci, de suivre la prise en compte de la diversité linguistique et la promotion du pluralisme linguistique dans les politiques et actions de l'Union, dans le respect des politiques nationales des États membres.

13 . Le Conseil rappelle, en outre, l'importance qu'il attache à l'égalité des langues officielles et des langues de travail des institutions de l'Union, à savoir l'allemand, le français, l'italien, le néerlandais, l'anglais, le danois, le grec, l'espagnol, le portugais, le finnois et le suédois, conformément au règlement n° 1/58 tel que modifié portant fixation du régime linguistique applicable aux institutions de l'Union. Le Conseil rappelle le statut particulier de la langue irlandaise selon l'article 8 du traité sur l'Union européenne et le traité d'adhésion du Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni.

Par ailleurs, le Conseil a également adopté le 31 mars 1995 une résolution concernant l'amélioration de la qualité et la diversification de l'apprentissage et de l'enseignement des langues au sein des systèmes éducatifs de l'Union européenne.

Sur le fondement des nouvelles compétences reconnues à la Communauté par l'article 126 du traité instituant la Communauté européenne, modifié par le traité sur l'Union européenne, dans le domaine de l'enseignement scolaire, et notamment de « l'apprentissage et la diffusion des langues des États membres », et en tenant compte des acquis des programmes Erasmus et Lingua d'une part, et des moyens consacrés à la mise en oeuvre des programmes d'action communautaire Socrates et Léonardo d'autre part, la résolution du Conseil tend à promouvoir les efforts des États membres en ce domaine, dans le respect toutefois du principe de subsidiarité.

Comme l'indique son texte même, cette résolution « a pour objet de fournir les bases d'une réflexion sur les moyens dont les systèmes éducatifs disposent en propre pour poursuivre la construction d'une Europe sans frontières intérieures et renforcer la compréhension entre les peuples de l'Union européenne. La promotion du pluralisme linguistique devient à cet égard l'un des enjeux majeurs de l'éducation. Il convient alors, tout en réaffirmant le principe d'un statut égal pour chacune des langues de l'Union européenne, de réfléchir aux instruments susceptibles d'en améliorer et d'en diversifier l'enseignement et la pratique, permettant ainsi à chaque citoyen d'accéder à la richesse culturelle enracinée dans la diversité linguistique de l'Union européenne. »

Elle met l'accent sur la nécessité :

- de promouvoir par des mesures appropriées une amélioration qualitative de la connaissance des langues de l'Union européenne au sein des systèmes éducatifs ;

- de prendre des mesures incitatives visant à diversifier les langues enseignées dans les États membres, en donnant aux élèves et aux étudiants la possibilité d'acquérir au cours de leur scolarité ou de leurs études supérieures« une compétence dans plusieurs langues de l'Union européenne ».

A cette fin, le Conseil préconise le développement des échanges avec les locuteurs de la langue vivante étudiée, sous la forme de séjours linguistiques, d'invitation de professeurs étrangers, ou le développement « d'échanges virtuels » exploitant les nouvelles possibilités offertes par les technologies de l'information.

Il recommande la mise en place ou le développement d'un enseignement précoce des langues vivantes dès l'école élémentaire, l'amélioration de l'apprentissage des langues étrangères dans l'enseignement technique et professionnel, ainsi qu'une formation linguistique accrue des professeurs enseignant d'autres matières que les langues étrangères, afin de favoriser autant que faire se peut un enseignement bilingue de certaines matières.

Pour favoriser la diversification des langues vivantes enseignées dans l'Union européenne, le Conseil estime que « les élèves devraient avoir, en règle générale, la possibilité d'apprendre deux langues de l'Union européenne autres que la ou les langues maternelles durant une période minimale de deux années consécutives, et si possible durant une période plus longue, pour chaque langue au cours de la scolarité obligatoire ; cet enseignement se différencie d'une initiation ». Il souhaite aussi que « l'offre enseignement dans le domaine des langues qui se trouvent être moins diffusées et moins enseignées puisse être renforcée et diversifiée dans toute la mesure du possible, à tous les niveaux d'enseignement et dans tous les types de cursus ».

Dans cette perspective, le Conseil invite la Commission de Bruxelles à soutenir les actions des États membres tendant à la réalisation des objectifs qu'il définit, et à présenter, tous les trois ans, un rapport succinct sur le déroulement des actions entreprises pour encourager l'amélioration et la diversification de l'enseignement des langues vivantes au niveau des États membres de l'Union européenne.

Votre rapporteur ne peut que se féliciter de ces nouvelles orientations arrêtées à l'échelle communautaire.

Guidé par le sentiment que l'éventail des langues étrangères proposées à l'apprentissage des élèves au cours de la scolarité se resserrait autour de l'anglais, votre rapporteur proposait en juin 1994 à la commission des affaires culturelles, qui devait l'accepter, la création d'une mission d'information sur l'enseignement des langues vivantes dans l'enseignement scolaire français.

Cette mission, que présidait votre rapporteur, a présenté ses conclusions lors d'une réunion de la commission des affaires culturelles tenue le 15 novembre dernier.

Pour remédier à l'uniformisation constatée des langues étrangères au bénéfice de l'anglais, la mission d'information propose la mise en place d'un « nouveau contrat pour l'enseignement des langues », composé de cinquante mesures, ordonnées autour de dix actions.

La recherche d'une diversification linguistique suppose que soit rendu obligatoire l'enseignement d'au moins deux langues vivantes dans l'enseignement général comme dans l'enseignement technologique ou professionnel, que soit accru le recours à l'enseignement à distance et la constitution de réseaux d'établissements. Elle repose aussi sur l'information impartiale des familles et des élèves. L'apprentissage précoce des langues dans le primaire doit être entouré de précautions afin de ne pas concourir à renforcer le « tunnel du tout anglais ; il nécessite par ailleurs un important effort de formation initiale et continue des instituteurs et des professeurs des écoles.

La mission suggère par ailleurs que soit améliorée la prise en compte des spécificités linguistiques régionales, de leur caractère frontalier, des jumelages existants et des besoins des entreprises grâce à l'élaboration de schémas régionaux pour l'apprentissage des langues vivantes. L'immersion linguistique des élèves et des enseignants doit être encouragée notamment par le développement d'échanges à l'échelle européenne. L'enseignement des langues dites « minoritaires » (portugais, italien, néerlandais, arabe, turc, russe, chinois, japonais ...) doit être réactivé, et la relève des professeurs de ces langues assurée selon un plan de recrutement établi à moyen et long terme.

Il convient également de veiller à l'adaptation des méthodes d'enseignement des langues vivantes en privilégiant l'expression orale des élèves. Enfin, la diversification de l'enseignement des langues étrangères suppose que soit renforcée et adaptée la formation initiale et continue des professeurs de langue.

Pour mettre en oeuvre cette nouvelle politique, la mission d'information suggère que soit instituée auprès du ministre de l'éducation nationale une commission nationale chargée notamment de déterminer les besoins linguistiques et de définir une politique de recrutement des enseignants.

C LA PLACE DU FRANÇAIS DANS LES ORGANISATIONS INTERNATIONALES

Le français bénéficie, dans la plupart des organisations internationales, du statut de langue officielle et de langue de travail, qui le place théoriquement sur un strict pied d'égalité avec l'anglais. Dans la pratique cependant, cette parité est rarement respectée.

1. L'état des lieux

a) L'organisation des Nations Unies


A l'ONU, la situation du français s'est fortement dégradée au cours des dernières années. Une délégation de l'Assemblée internationale des parlementaires de langue française (AIPLF), qui a effectué une mission au siège de New-York en avril 1994, a cependant noté qu'après une importante régression entre 1992 et 1993, la situation française semblait actuellement se stabiliser.

La proportion des interventions faites en français à l'Assemblée générale, qui a chuté de 19 % en 1992 à 14 % en 1993, a connu une légère amélioration en 1994 (15%). Les retards observés dans la traduction et la publication des documents en français continuent cependant de s'accentuer, la pression budgétaire ayant conduit à supprimer des postes de traducteurs anglais-français en dépit de l'accroissement continu du nombre de textes à traduire.

Plusieurs facteurs contribuent à expliquer la détérioration de la place réservée au français au siège de New-York : outre l'implantation géographique de celui-ci, on note la relativement faible proportion des fonctionnaires francophones qui y travaillent (26 %) et particulièrement de ceux qui y exercent un poste de responsabilité (11 %). Les observateurs dénoncent par ailleurs la violation fréquente des dispositions qui imposent le recrutement de candidats maîtrisant au moins deux langues de travail de l'organisation internationale, et la pression croissante exercée par la hiérarchie en faveur de l'utilisation de l'anglais. La suppression de postes d'interprètes et de traducteurs, justifiée par des raisons d'ordre budgétaire, contribue par ailleurs à la multiplication des réunions « informelles » tenues en anglais en l'absence d'un service d'interprétation ou à l'indisponibilité des documents de travail en français.

Il semble enfin que l'adhésion de nouveaux États, et particulièrement des États d'Europe centrale et orientale, contribue à accélérer le processus d'uniformisation linguistique, la plupart de leurs représentants ayant choisi de s'exprimer en anglais ou dans leur langue maternelle à la tribune des Nations Unies.

Plus inquiétante encore est l'évolution très nettement perceptible vers le tout-anglais des institutions spécialisées des Nations Unies qui, comme l'organisation internationale du travail ou l'organisation mondiale de la santé, ont leur siège à Genève, ou comme l'UNESCO, à Paris. Dans ce cas, en effet, l'environnement francophone des organismes internationaux ne paraît plus susceptible de freiner la dégradation de la place réservée au français.

Pourtant, ni les États-Unis ni la Grande-Bretagne ne sont actuellement membres de l'UNESCO. Le respect de la parité entre le français et l'anglais y est cependant ouvertement contesté depuis 1993 par le Japon ou certains pays nordiques. Les économies budgétaires servent de prétexte à la multiplication des réunions tenues exclusivement en anglais. Enfin, le poids de la hiérarchie anglophone y est particulièrement fort, notamment dans un secteur aussi sensible que celui de l'éducation où, pour être lue, une note doit impérativement être rédigée en anglais et où se tiennent désormais dans cette langue 90 % des réunions.

Cette évolution s'effectue en dépit d'un important programme de formation linguistique des personnels de l'UNESCO, auquel contribue financièrement le Gouvernement français chaque année.

Au siège de l'ONU à Genève, plusieurs signes sont inquiétants. Parmi ceux-ci la faible proportion des ouvrages francophones disponibles à la bibliothèque (30 %), alors que les livres rédigés en langue anglaise représentent 60 % du total. On peut citer encore le recrutement par le directeur français de la communication et porte-parole du Secrétaire général de l'ONU à Genève d'un adjoint de nationalité américaine ignorant le français, au point de ne pas comprendre les questions qui lui sont posées en salle de presse par les journalistes francophones accrédités...

b) Les institutions de l'Union européenne

Votre rapporteur a consacré l'an passé d'importants développements à la place du français dans l'Union européenne, qui restent valables pour l'essentiel.

Pour des raisons historiques, le français bénéficie au sein des institutions européennes d'une position globalement plus favorable qu'à l'ONU, en dépit de la dégradation observée ces dernières années.

En 1995, qui a été marquée par l'adhésion de trois nouveaux États membres, les privilèges dont jouissait traditionnellement la langue française au sein de ces institutions ont continué d'être remis en cause.

En particulier, le régime monolingue français qui était en vigueur dans la salle de presse de la Commission européenne depuis 1957 a cédé la place à un bilinguisme français-anglais pour les points de presse quotidiens et les communications officielles. Les conférences de presse continuent toutefois, comme auparavant, à se tenir dans toutes les langues de la Communauté. Cette évolution marque une victoire des journalistes anglophones, qui revendiquaient depuis longtemps l'abandon de ce qu'ils ressentaient comme un privilège indu accordé à la langue française. La Commission avait jusqu'à présent résisté, invoquant le coût de l'interprétariat et de la traduction des documents de presse induits par l'abandon du monolinguisme, ainsi que le caractère majoritairement francophone de la ville de Bruxelles. Le souci d'assurer la plus large publicité à ses travaux a cependant conduit la Commission à faire droit à la demande des journalistes anglophones.

Par ailleurs, le passage de neuf à douze langues officielles, et autant de langue de travail, comporte un risque non négligeable d'accélérer le glissement des institutions européennes vers l'anglais.

Comme le soulignait l'an passé votre rapporteur, les combinaisons possibles pour l'interprétation des réunions ou la traduction des documents sont désormais au nombre de 132. Outre le coût budgétaire croissant et la lourdeur des procédures de décision qu'induit ce plurilinguisme intégral, il est à craindre que cet excès de multilinguisme aboutisse finalement à la remise en cause du multilinguisme.

Alors que le ministre délégué aux affaires européennes, M. Alain Lamassoure, avait l'an passé suggéré, dans la perspective de la conférence intergouvernementale qui se tiendra en 1996, une évolution des institutions européennes vers un multilinguisme tempéré, distinguant quatre ou cinq langues de travail parmi les douze langues officielles de la Communauté, le Parlement européen et le Conseil des ministres de l'Union européenne ont très clairement fait connaître leur opposition à cette proposition.

Dans une résolution adoptée le 19 janvier 1995, le Parlement européen, soulignant que « toute proposition visant à limiter les langues renforce la distance entre le citoyen et les institutions européennes qui atteint déjà un niveau inquiétant », et rappelant « que des arguments techniques ou budgétaires ne peuvent en aucun cas justifier une limitation des langues », réaffirme solennellement « son attachement en faveur de l'égalité des langues officielles et des langues de travail de tous les pays qui constituent l'Union (...), élément fondamental de la notion de l'Union européenne, de la philosophie ainsi que de l'égalité politique de ses États membres ». Il « déclare sa détermination de combattre toute tentative visant à établir une discrimination entre les langues officielles et les langues de travail de l'Union européenne », estimant « que le droit d'un élu de s'exprimer et de travailler dans sa propre langue est partie indissociable du droit démocratique et de son mandat ». En tout état de cause, il réitère sa souveraineté et sa compétence à régler son propre fonctionnement, y compris en matière linguistique.

Les conclusions du Conseil des ministres de l'Union européenne sur la diversité et le pluralisme linguistiques, adoptées le 12 juin 1995, rappellent par ailleurs « l'importance qu'il attache à l'égalité des langues officielles et des langues de travail des institutions de l'Union ».

2. Une politique volontariste tend à assurer le respect du statut du français et à affirmer la présence francophone dans les organisations internationales


• Plusieurs résolutions ont été récemment adoptées, qui rappellent la nécessité de veiller au respect du statut du français dans les organisations internationales.

La première émane des ministres des affaires étrangères et de la francophonie des pays ayant en commun l'usage du français, réunis en conférence ministérielle à Ouagadougou le 9 décembre 1994. Elle demande aux Gouvernements des pays francophones d'inviter expressément leurs délégués à s'exprimer en français aux Nations Unies lorsque leur langue nationale n'y bénéficie pas du statut de langue officielle, appelle au développement des activités des groupes francophones, souligne la nécessité de préserver les moyens budgétaires nécessaires à la traduction et à l'interprétation en langue française au sein de cette institution, et attire l'attention des pays francophones sur la nécessité d'améliorer par la formation de spécialistes la qualité des prestations de traduction ou d'interprétation. Cette résolution appelle de ses voeux l'adoption d'une résolution réaffirmant ces principes au cours de la 50ème session de l'Assemblée générale des Nations Unies.

La seconde a été adoptée par l'Assemblée internationale des parlementaires de langue française (AIPLF) au cours de la XXIè session tenue à Québec du 10 au 12 juillet dernier.

Ce texte incite les Gouvernements francophones à exiger le respect des textes et résolutions de l'ONU instituant la parité entre les deux langues de travail que sont le français et l'anglais. Afin de promouvoir l'usage du français, elle préconise la mise en réseau des grandes bibliothèques francophones, le renforcement des services de traduction et d'interprétation, le développement de la formation au français des diplomates et une mobilité accrue des fonctionnaires des Nations Unies. La France a enfin pris l'initiative de déposer, à l'occasion du cinquantième anniversaire des Nations Unies, une résolution traitant de l'usage des langues, de l'équilibre des recrutements et de l'intangibilité des budgets de traduction. Au-delà de la défense du français, ce projet de résolution veut assurer la défense du plurilinguisme en tant qu'expression de l'universalité des Nations Unies.


• Le ministère des affaires étrangères, le secrétariat général du Comité interministériel pour les questions de coopération économique (SGCI), la Délégation générale à la langue française et le Comité de suivi du français dans les organisations internationales exercent de façon de plus en plus scrupuleuse un devoir de vigilance tendant à lutter contre les dérives linguistiques observées dans le fonctionnement de ces institutions.

La France a ainsi dénoncé la publication par la Commission européenne en mars 1995 d'un magazine, « European dialogue », distribué gratuitement en Hongrie, en République tchèque et en Slovaquie et disponible seulement en hongrois, tchèque, slovaque et anglais, ou encore l'absence de documents préparatoires en français de réunions tenues par l'Office panaméricain de la santé ou par l'Office de travaux et de secours des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient.


• La France trouve aussi auprès de ses partenaires francophones un soutien efficace. Au siège des Nations Unies, à New-York, des délégations francophones africaines ont récemment quitté des réunions pour lesquelles aucun service d'interprétation n'était prévu ou dont les documents préparatoires n'étaient pas disponibles en français.


• Plus généralement, l'accent est mis sur le recrutement de fonctionnaires francophones et sur la formation linguistique des fonctionnaires non francophones.

Le prochain sommet des chefs d'État et de Gouvernement ayant le français en partage devrait notamment décider de la définition d'un projet de formation de francophones à la fonction publique internationale, qui sera financé sur fonds multilatéraux.

La représentation de la communauté francophone au sein des organisations internationales est par ailleurs encouragée. Elle a notamment trouvé sa traduction dans l'ouverture d'un bureau de l'Agence de coopération culturelle et technique, principal opérateur de la francophonie, à New-York, au début de l'année 1995.

Des stages de formation linguistique ont été organisés, conjointement avec l'ENA, pour assurer la mise à niveau en français des fonctionnaires des trois pays qui ont rejoint l'Union européenne le 1er janvier dernier.

Votre rapporteur insiste sur la priorité qui doit être dès à présent accordée à l'apprentissage du français dans les pays d'Europe centrale et orientale qui ont vocation à adhérer à l'Union européenne. Il convient en effet de lutter contre la tendance observée lors de leur admission à l'ONU de s'exprimer de préférence en anglais.

Comme le soulignait, en effet, M. Alain Juppé, alors ministre des affaires étrangères en juillet 1994, « c'est dans l'Union européenne que se jouera l'avenir du français. Si demain, à la faveur des élargissements, l'anglais s'imposait comme la seule langue de travail, comment pourrions-nous défendre le statut international de notre langue sur d'autres continents ? »

D. LES INDUSTRIES DE LA LANGUE, UN ENJEU POUR LA FRANCOPHONIE

Dans le cadre des auditions auxquelles il a procédé en mars 1994 dans la perspective de l'examen de la loi Toubon, votre rapporteur avait été amené à rencontrer M. André Danzin, chargé par M. Jacques Toubon, alors ministre de la culture et de la francophonie, d'une mission de réflexion sur « le français, soumis au choc des technologies de l'information ».

Celui-ci l'avait convaincu de la nécessité de promouvoir en France une stratégie de développement du traitement informatisé du langage, les « béquilles » informatiques étant susceptibles d'aider le français à « rivaliser » dans les domaines scientifiques et technologiques avec la langue anglaise.

Le développement des industries de la langue était également inscrit parmi les objectifs prioritaires de la politique linguistique française, et présenté comme un complément indispensable à l'adoption de la loi Toubon.

C'est la raison pour laquelle votre rapporteur a souhaité, avec un recul de deux ans jugé raisonnable, faire le point sur la stratégie retenue en la matière et ses premiers développements.

Quelle n'a pas été sa surprise de découvrir à cette occasion que la France ne disposait toujours pas à l'heure actuelle d'un état des lieux précis et fiable sur les initiatives publiques ou privées conduites en la matière, ni a fortiori de politique structurée favorisant le développement de ces industries.

La Délégation générale de la langue française, relancée au mois de septembre par votre rapporteur, s'est essayée à dresser un premier tour d'horizon. Son étude, publiée en annexe au présent rapport, reflète la diversité des initiatives existantes et dénote l'absence de stratégie d'ensemble.

Dans ce contexte, votre rapporteur se félicite de la création, en avril dernier, d'un comité consultatif sur le traitement du langage, dont la présidence a été confiée à M. André Danzin et qui a été installé en octobre dernier.

La première tâche de ce comité sera de dresser un état des lieux complet des initiatives françaises en ce domaine, de faire ressortir leurs forces et leurs faiblesses, avant de proposer au Gouvernement la définition d'une stratégie permettant d'accélérer et d'orienter le développement de ces industries.

Il y va, pour une part, de l'avenir de la langue française.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission a examiné, au cours d'une séance tenue le mercredi 22 novembre 1995, le rapport pour avis de M. Jacques Legendre sur les crédits de la francophonie inscrits au projet de loi de finances pour 1996.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur pour avis.

M. Robert Castaing s'est déclaré intimement persuadé que les établissements scolaires français à l'étranger constituaient toujours le meilleur vecteur de diffusion de la langue française à l'étranger, et convaincu de l'intérêt d'assurer une présence linguistique française suffisante au Vietnam.

M. Ivan Renar s'est élevé contre la régression des crédits affectés à la francophonie, soulignant qu'il y avait quelque paradoxe à affirmer défendre avec pugnacité la présence du français dans le monde tout en réduisant les moyens affectés aux actions concourant à la réalisation de cet objectif. Il a rejoint le rapporteur pour avis pour estimer que les Américains protégeaient l'emploi de leur langue avec beaucoup plus de vigueur que ne prétendait le faire la France.

M. Pierre Laffitte a déploré la diminution de 20% en 1996 des crédits consentis par la France en faveur de la coopération scientifique et technique franco-allemande, rappelant que l'Allemagne constituait aujourd'hui notre principal partenaire sur le plan politique, économique et culturel.

M. James Bordas, rapporteur pour avis des crédits des relations culturelles, scientifiques et techniques, a rejoint M. Jacques Legendre pour souhaiter que l'autorité du secrétaire d'État chargé de la francophonie puisse être explicitement étendue à la conduite des relations culturelles extérieures, et pour dénoncer la tentation de faire systématiquement supporter par le ministère des affaires étrangères, et par les crédits de la coopération culturelle, scientifique et technique en particulier, une part importante des régulations budgétaires.

M. Ambroise Dupont a indiqué partager le sentiment du rapporteur pour avis selon lequel il était toujours plus long et plus difficile de chercher à rétablir des liens distendus du fait de l'annulation de certains programmes de coopération. Soulignant la vitalité de la francophonie à l'Ile Maurice, il a souhaité que son lycée français puisse disposer des personnels enseignants nécessaires.

M. Pierre Lacour, soulignant le caractère exemplaire du lycée fonctionnant à Galatasaray en Turquie, a fait part des espoirs que fondaient les autorités turques sur l'aide de la France dans la perspective de l'ouverture d'une université francophone sur le même site.

Répondant aux différents intervenants, le rapporteur pour avis a apporté les précisions suivantes :

- les crédits destinés à l'enseignement français à l'étranger relèvent de la direction générale des relations culturelles, scientifiques et techniques sur laquelle le secrétaire d'État chargé de la francophonie n'exerce pas d'autorité directe, ce qui illustre concrètement l'absurdité de cette situation ;

- la France consacre 1,8 milliard de francs par an au fonctionnement de son réseau d'établissements scolaires à l'étranger, qui ne connaît pas d'équivalent dans le monde ;

- le nombre de Vietnamiens sachant parler le français est en réalité extrêmement réduit. Il s'agit donc de recréer dans ce pays les conditions d'une présence linguistique francophone, grâce en particulier à la multiplication de classes bilingues. Il est probable que le septième sommet de la francophonie se tiendra à Hanoï en 1997 ;

- la réduction des crédits du service des affaires francophones doit être relativisée. Ils ne représentent en effet qu'une très faible part de l'effort consenti par la France en faveur de la défense de la langue française et de la promotion de la francophonie, récapitulé dans un « jaune » budgétaire, et qui devrait atteindre près de 5,6 milliards de francs en 1996 ;

- il est choquant que les dispositions du traité de l'Élysée portant sur la coopération franco-allemande dans le domaine linguistique ne soient respectées par aucune des deux parties.

A l'issue de ce débat, la commission a, suivant la proposition de son rapporteur pour avis, donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la francophonie inscrits dans le projet de loi de finances pour 1996, en souhaitant qu'ils puissent être préservés de toute mesure de régulation budgétaire.

ANNEXE - L'INGÉNIERIE LINGUISTIQUE : UN SUJET D'ACTUALITÉ (ÉTUDE RÉALISÉE PAR LA DÉLÉGATION GÉNÉRALE À LA LANGUE FRANÇAISE)

Le dossier de l'ingénierie linguistique n'est pas un dossier familier du grand public. Il a longtemps été réservé aux spécialistes chercheurs et industriels du domaine. L'avènement de la société de l'information en fait maintenant un sujet d'actualité.

Dès l'apparition des premiers ordinateurs, des linguistes, comprenant l'intérêt qu'il pouvait y avoir à informatiser le langage, ont entrepris de le décrire à cette fin sous forme arborescente, ajoutant bientôt à ce modèle de description les ressources des mathématiques et de la statistique. On rêvait alors surtout de traduction automatique et universelle, tant pour constituer la structure européenne que pour servir, de part et d'autre du rideau de fer, les besoins de traduction de la veille technologique et militaire.

L'ingénierie linguistique est une première fois apparue dans le public avec l'apparition des micro-ordinateurs et la volonté des constructeurs d'élargir le marché de l'informatique en proposant des interfaces plus conviviales. Cela supposait de faire se rapprocher les modes de communication entre l'homme et la machine et le langage naturel et d'apporter des aides significatives à des utilisateurs non informaticiens. Aujourd'hui, des applications prenant en compte un traitement informatique du langage existent sur chaque ordinateur.

Mais, très récemment, le dossier de l'ingénierie linguistique est devenu un sujet de grande actualité. Les déclarations de M. Al Gore, vice-président des États-Unis, ont donné un tour politique et social aux avancées technologiques dans les domaines conjoints des télécommunications, de l'audiovisuel et de l'informatique. En effet, la maîtrise de la technologie de la fibre optique, les méthodes de compression et de décompression des images fixes et animées et l'augmentation exponentielle des capacités des micro-ordinateurs à coût égal permettent d'envisager pour la première fois un village global, qui à l'aube du troisième millénaire fait de la production, de la diffusion et de la disposition de l'information en temps réel, l'enjeu majeur des économies de demain.

Cette globalisation de l'information est un défi mais aussi une chance pour les langues. La société de l'information sera-t-elle monoculturelle et monolingue ou plurilingue et pluriculturelle ? Face à l'initiative américaine, l'Europe, à plusieurs reprises, a montré sa volonté de respecter le plurilinguisme sur les nouveaux réseaux de communication. Les conclusions du rapport fourni par le Commissaire Bangemann au Conseil européen de Corfou de juin 1994 et celles du sommet du G7 sur la société de l'information de février 1995 insistent sur l'importance de la diversité culturelle et linguistique que la société de l'information devrait respecter. En outre, les conclusions du Conseil « Affaires générales » du 12 juin 1995 sur la diversité et le pluralisme linguistique, adoptées à l'initiative de la présidence française du Conseil des ministres de l'Union européenne, insistent sur le rôle de la société de l'information dans la promotion du plurilinguisme.

Le développement de l'ingénierie linguistique contribuera au respect de la diversité linguistique en Europe. L'élaboration et la mise en service d'outils puissants d'aide à la traduction plurilingues, de recherche documentaire ou de consultation de banques de données plurilingues en langage naturel et dans la langue de l'utilisateur, sont un objectif essentiel des programmes de financement de la Commission européenne.

De la même façon, l'espace francophone a fait du traitement informatique du langage une de ses priorités, de même les réseaux panlatins. Nous assistons donc à une mobilisation mondiale, sans précédent, de la recherche et de l'industrie pour construire la société de l'information, maintenir ou acquérir une avance technologique, numériser, formater et mettre à disposition des contenus multimédias, créer des contenus de type nouveau, afin d'être présent de façon significative sur les marchés porteurs de demain. L'ingénierie linguistique est au coeur de cette bataille.

A. QU'APPELLE-T-ON INGÉNIERIE LINGUISTIQUE ?

1. Définition et historique du terme

Avant tout, quel terme utiliser ? Le terme « industries de la langue » est celui qui avait été choisi à la fin des années 80 par les opérateurs de la francophonie, qui espéraient alors que l'alliance inattendue des mots « industrie » et « langue » servirait de catalyseur psychologique et montrerait l'importance du dossier. Celui d'« ingénierie linguistique » est le terme le plus communément utilisé par les chercheurs. Il s'applique tout particulièrement à la recherche et au développement pour des produits et des applications complexes souvent dévolues aux gros systèmes. On trouve aussi chez certains le terme de « linguistique computationnelle ». L'avènement de la société de l'information et de sa problématique particulière nous fait préférer le terme de « traitement informatique du langage » qui définit la part du génie logiciel qui prend en compte le traitement informatique des langues naturelles, alliant à la fois les ressources linguistiques, la recherche et le développement et l'industrialisation de produits spécialisés et grand public.

2. Un développement parallèle de la technologie et des applications

Un des soucis constants des développeurs de systèmes d'exploitation et de logiciels est, d'une part d'augmenter la puissance et la rapidité de calcul des machines, d'autre part d'améliorer l'ergonomie des interfaces et de tenter pour cela de rapprocher les modes de communication entre l'homme et la machine du langage naturel.

Par exemple, tout traitement de texte grand public de dernière génération comporte une part de génie linguistique : ce sont les correcteurs orthographiques et grammaticaux, les dictionnaires de synonymes, les outils de césure. Ces outils, de plus en plus efficaces sont directement issus des études linguistiques entreprises depuis une cinquantaine d'années, associées à un codage informatique approprié.

Ces évolutions ont largement contribué à accroître la pénétration du marché de l'informatique, en permettant l'utilisation par de non spécialistes d'outils toujours plus puissants, à coût égal.

L'encodage de la langue, effectué à partir de descriptions toujours plus fines et plus complexes, demande aux machines toujours plus de mémoire et toujours plus de rapidité. Le développement des produits d'ingénierie linguistique s'effectue donc de façon conjointe avec celui des capacités du matériel informatique. Par exemple, il aurait été difficile, voire impossible, il y a encore cinq ans, de faire fonctionner les correcteurs orthographiques disponibles aujourd'hui sur tout poste de travail.

Enfin, dans la société de l'information et sur ses réseaux toujours plus vastes, interconnectés et plurilingues, la valeur ajoutée se situe chaque jour davantage dans la capacité à retrouver le plus rapidement possible l'information pertinente pour une tâche donnée. Cela donne au secteur de l'ingénierie linguistique une importance accrue, une place stratégique dans le développement des société modernes et en fait donc un enjeu économique et social majeur.

Il faut pour cela développer des systèmes de structuration de bases de données efficaces et interopérables, des systèmes de traduction assistée par ordinateur plus puissants, prenant en compte un plus grand nombre de langues, et comprenant des dictionnaires électroniques multilingues pourvus de tous les termes techniques nécessaires (d'où l'importance de la terminologie dans ce secteur), des systèmes de gestion et de recherche d'information dotés d'interfaces utilisables dans la langue de l'utilisateur et en langage naturel.

Les recherches en ingénierie linguistique s'orientent aussi vers le développement de systèmes vocaux permettant de travailler en milieu hostile ou d'apporter une aide décisive aux personnes handicapées.

3. Différents types de produits et d'applications

a) Les dictionnaires électroniques

Cette appellation recouvre des produits très divers. Ce sont aussi bien les petits traducteurs de poche bilingues, les dictionnaires grand public informatisés unilingues, en boîtiers ou disque compact optique, que de gros dictionnaires plurilingues utilisés par les services de traduction des grandes administrations européennes, par exemple. Toute une gamme de dictionnaires pour le français existe. En concertation avec le ministère de l'industrie, le ministère de la recherche, dans le cadre d'un projet européen, a promu un modèle de description de dictionnaire : GENELEX (cf. infra).

b) Les correcteurs orthographiques et grammaticaux

Les moins perfectionnés se contentent de comparer l'orthographe de chaque mot à partir d'un lexique intégré et de proposer pour chaque suite de lettres non reconnue, une suite de lettres approchante correspondant à un mot connu. Les correcteurs grammaticaux les plus perfectionnés procèdent à une analyse sémantique de chaque phrase ou de chaque paragraphe, qui prend en compte les erreurs d'accords et de syntaxe. Certains proposent même une réécriture des phrases afin qu'elles correspondent à des spécifications stylistiques requises (notes, rapports, fiches, ...).

c) Les logiciels de gestions de documents

On utilise ces outils pour classer et indexer un flux de documents, puis, à l'aide d'une interface, retrouver dans les documents classés et constitués en banques de données une information pertinente. Les outils les plus perfectionnés proposent des indexations automatiques, gèrent des documents multimédias et possèdent des interfaces en langage naturel sur textes entiers.

d) Les outils de traduction assistés par ordinateurs

Ces outils sont de plusieurs ordres. Certains proposent des traductions plus ou moins fines selon le champ d'application. Ils ont été conçus pour donner des traductions « brouillon » particulièrement utiles pour la veille technologique et militaire.

Une autre génération d'outils sont dits à mémoire de traduction. Ils proposent pour chaque phrase une première traduction, revue par un traducteur. Le système garde en mémoire la phrase finale traduite, qui peut être entièrement ou partiellement réutilisée pour des traductions ultérieures. Les pouvoirs publics ont participé à la promotion d'un projet européen EUROLONG ( cf. infra), et le produit issu de ce projet, commercialisé par une société française, a déjà été implanté en France dans plusieurs grosses entreprises.

e) Les systèmes de reconnaissance et de synthèse de la parole

Ils trouvent leurs applications dans les systèmes de dictée vocale, qui permettent de piloter un traitement de texte à la voix, de diriger une machine à distance... et qui ont trouvé des applications fructueuses dans le domaine de la bureautique mais aussi de la santé (radiologie particulièrement). Ils sont utilisés aussi dans les systèmes « intelligents » de diffusion d'informations orales.

4. Problématique et perspectives du secteur

Il est certain que tous ces systèmes sont appelés à devenir de plus en plus performants et d'usage courant. Leur utilisation permet des gains de temps appréciables et des productions de plus grande qualité.

Les produits et applications disponibles sont certes plus nombreux pour l'anglais que pour le français et les autres langues européennes. Cela tient au dynamisme de l'industrie américaine, à un marché plus vaste du fait de l'internationalisation de la langue anglaise et à un meilleur taux de pénétration des produits informatiques sur le marché américain. Cela tient aussi au fait que le traitement de l'anglais est plus aisé que celui du français (moins d'homophones, moins de dérivations de verbes, moins de caractères, ...)

Cependant, des produits pour le français existent, de qualité satisfaisante. Dans la problématique de ce secteur, il faut en effet distinguer le problème du traitement du français de celui de l'ingénierie linguistique française. Par exemple, les produits grand public qui existent pour le français : traitements de texte, dictée vocale, correcteurs, sont pour la plupart des produits fabriqués et diffusés par des entreprises étrangères. Ainsi, il n'y a que deux systèmes de dictée vocale présents sur le marché qui traitent le français, ils sont développés par IBM d'une part et une société anglaise, Dragon, d'autre part.

Le risque que le français ne soit pas traité informatiquement ne semble pas très grand. En revanche, il est le plus souvent traité par des entreprises étrangères, d'où un manque à gagner certain pour notre industrie, un risque de « fuite des cerveaux » de nos laboratoires de recherche au moment de la valorisation des prototypes.

En raison du caractère étroit du marché en langue française, il faut raisonner au plan européen et tirer parti de l'enjeu du pluringuisme pour acquérir des compétences, une expertise et un savoir-faire dans ce domaine et dans le même temps s'employer à accroître le marché de l'ingénierie linguistique dans l'espace francophone, particulièrement dans les pays du Sud.

B. L 'INGÉNIERIE LINGUISTIQUE EN FRANCE

Il est sans doute plus facile d'identifier avec précision les actions menées par l'État, dans ce secteur, dans le domaine de la recherche que dans le domaine industriel. En effet, la définition donnée plus haut montre que le génie linguistique n'est que partie du génie logiciel. Ainsi, à part quelques entreprises spécialisées, beaucoup d'autres utilisent une part de génie linguistique dans le développement de leurs services et produit. C'est particulièrement vrai pour ce que l'on nomme souvent « les grands utilisateurs ». L'automatisation des services à la clientèle à la SNCF ou à EDF par exemple, requiert des développements d'ingénierie linguistique, de même, l'installation d'ordinateurs de bord à synthèse vocale dans les véhicules.

1. Des programmes de Recherche et développement, l'action du ministère chargé de la recherche

L'action des pouvoirs publics dans le secteur de la recherche pour l'ingénierie linguistique est, principalement conduite par la direction de l'information scientifique et technique et des bibliothèques du ministère chargé de la recherche (DISTB). L'action de celle-ci s'effectue d'une part autour de projets et d'études financés directement à hauteur de 3 millions de francs en 1995, d'autre part autour des projets financés par le Fonds de la recherche et de la technologie (projets Eurêka d'initiative française), et enfin par la dotation d'organismes dans le cadre du PCRD. Ces derniers fonds permettent le fonctionnement, l'équipement, le versement des salaires des chercheurs d'une vingtaine de gros laboratoires de recherche associés à des départements d'université.

La France possède une très bonne expertise dans le domaine de la recherche et ses chercheurs ont une compétence reconnue. Ses centres de recherche en informatique appliquée à la langue sont performants.

Le programme d'action de la DISTB s'articule autour de trois axes principaux :

a) La création de ressources linguistiques réutilisables

ï La création de ressources lexicales standardisées, dans le cadre du projet Eurêka GENELEX (lancé en 1990), dont l'objectif est de réaliser un dictionnaire informatique multilingue utilisable dans toutes les applications linguistiques.

ï L'opération « outils terminologiques » (lancée en 1991 et reprise ensuite) dans le but d'assurer une meilleure couverture terminologique des grands champs d'activité scientifique et technique.

ï Le soutien à des activités de recherche et développement permettant à des sociétés d'ingénierie linguistique de renforcer leur offre en y intégrant certaines fonctionnalités complémentaires.

b) L'intégration des technologies linguistiques dans dessystèmes et produits avec :

ï L'opération « interface intelligente » (lancée en 1990 et reprise en 1992) dont l'objectif était de soutenir la réalisation d'interfaces en langage naturel pour faciliter l'accès aux banques de données ;

ï L'opération « ingénierie linguistique » (lancée en 1993) consacrée à la réalisation de systèmes de résumés et de génération de textes dans le domaine de l'information spécialisée ;

ï Le soutien à la réalisation d'un poste de traducteur technique fonctionnant sur plusieurs couples de langues avec le projet Eurêka Eurolang (lancé en 1991) ;

ï Le soutien à la réalisation de logiciels d'analyse automatique de textes dans les domaines de la médecine, du droit et des brevets ;

ï L'aide à la constitution d'une banque de données des sons du français en vue de réaliser des systèmes de reconnaissance vocale ;

ï Le soutien à la réalisation de postes de veille technologique et informationnelle ;

ï L'opération « audiotex » (lancée en 1991) qui a permis de soutenir la télématique vocale pour la diffusion d'informations scientifiques et techniques, notamment dans le domaine des brevets et des marques, de l'information juridique et des dépêches scientifiques.

c) Les actions d'accompagnement avec :


• En premier lieu, des actions de sensibilisation et de concertation avec les acteurs français du secteur pour affirmer leur présence dans les programmes communautaires, en particulier dans les programmes lancés par la DGXIII dans le cadre du 4ème programme cadre de Recherche et Développement actuellement en préparation ;

ï Des actions de soutien à la standardisation des ressources linguistiques en liaison avec l'AFNOR et différents groupes de travail ;

ï Le lancement d'études préparatoires en vue de définir des procédures d'évaluation pour faciliter l'intégration des outils de traitement de la langue dans les systèmes et produits d'information ;


• Le soutien à la réalisation d'études de veille technologique dans le domaine de l'ingénierie linguistique et documentaire et à l'organisation de colloques, congrès et séminaires contribuant à diffuser les résultats de la recherche vers l'industrie et sensibiliser les utilisateurs à ces technologies.

2. L'action du ministère de l'industrie et de l'ANVAR

Dans ce secteur de pointe, le lien entre la recherche et l'industrie est fort. Les actions s'effectuent donc dans le cadre d'une concertation interministérielle soutenue. Ce lien est particulièrement important dans les centres de recherche liés à de grands utilisateurs (EDF, SNCF, ...) ou à de grandes entreprises (Aérospatiale, Matra, ...).

Par ailleurs, des entreprises françaises d'ingénierie linguistique, Cap Sesa, GSI ERLI, Site Eurolang, par exemple, ont su trouver leur place sur les marchés européens et internationaux et s'insérer avec succès dans des programmes européens dont elles sont parfois pilotes.

Le marché de l'ingénierie linguistique représenterait en France 200 millions de francs de chiffre d'affaires répartis à 80 % vers l'indexation et la recherche documentaire et à hauteur de 15 % vers le marché de la traduction assistée par ordinateur, 5 entreprises spécialisées dans ce secteur ont plus de 20 employés. Le nombre d'emplois consacrés en France à ce secteur d'activités est cependant difficilement évaluable car le génie linguistique représente souvent une partie de l'activité de l'entreprise, voire une partie de l'activité d'un ingénieur informaticien.

Le marché est en forte croissance, 15 à 20 % par an. Il est fortement lié à la qualité de l'offre. Par exemple, le marché de la traduction assistée par ordinateur serait de dix à vingt fois supérieur si les produits offerts sur ce marché étaient plus robustes et plus performants.

a) Les projets Eurêka

Outre les projets GENELEX et EUROLANG, cités plus haut et mis en oeuvre avec le ministère de la recherche, le ministère de l'industrie a lancé le projet GRAAL en 1992, qui a pour but la réalisation d'une « boîte à outils » linguistique composée de différents modules grammaticaux dans une perspective multi-applications, et le projet MNEMOS, mémoire d'entreprise, à vocation documentaire.

Par ailleurs, l'ANVAR a lancé le projet CAROLUS, système intelligent et convivial de gestion électronique de documents multimédia plurilingue pour les entreprises.

b) Autres projets

Dans le cadre de la rénovation de l'administration, plusieurs projets ont été financés à hauteur de 5 millions de francs environ par des fonds mis à disposition par le CUBA.

En 1994, un appel à propositions du ministère de l'industrie, dans le cadre du « bureau du futur » a permis de financer plusieurs projets pour environ 5 millions de francs.

Hors les projets EUREKA, l'ANVAR, dans le cadre de son programme d'aides régionales, a aidé à hauteur de 10 millions de francs une dizaine de projets principaux dans les domaines de la reconnaissance de l'écriture, des dictionnaires électroniques et de la documentation électronique.

Le ministère de l'industrie, l'ANVAR et le CUBA ont consacré en 1995 environ 10 millions de francs à soutenir spécifiquement ce secteur d'activités, somme en légère baisse par rapport à celle allouée les années précédentes. Il faut cependant noter que de nombreux autres projets soutenus par ce ministère et l'ANVAR comportent des aspects d'ingénierie linguistique, qu'il est difficile d'évaluer financièrement.

Les produits d'ingénierie française sont pour la plupart dévolus aux gros systèmes informatiques et développés pour une entreprise à sa demande. Il n'y a quasiment pas de produits grand public. C'est sans doute une des raisons majeures du manque de visibilité actuel de ce secteur en France et de la lenteur de son développement. En effet, ces produits « gros systèmes » ont un cycle de vie plus long, leur commercialisation dépend étroitement de la conjoncture économique et de la capacité d'investissement des entreprises, alors que le marché grand public est de loin plus fluide, plus large et plus porteur mais dominé par des produits anglo-saxons.

3. La langue française et le traitement informatique du langage

a) La Délégation générale à la langue française

Jusqu'en 1989, le dossier était traité par l'association DAICADIF, (Centre de données audiovisuelles et informatisées pour la communication sociale, l'analyse et la diffusion en français) lié au Commissariat général à la langue française.

En 1989, le DAICADIF est devenu l'OFIL. Cette association a cessé progressivement d'avoir des liens directs avec la Délégation générale à la langue française.

L'OFIL publie « la Tribune des industries de la langue ».

La Délégation générale à la langue française a repris ce dossier et mène un certain nombre d'actions.

Il faut particulièrement veiller à ce que le français, et les autres langues à caractères latins qui utilisent des signes diacritiques : accents, « c » cédille, ... ne s'en voient pas privées lorsqu'elles circulent sur les réseaux. Cela suppose d'agir sur les normes.

La Délégation générale participe activement avec les ministères chargés de la recherche et de l'industrie, à un groupe de travail franco-québécois sur la normalisation des technologies de l'information dans leurs aspects linguistiques (NOTIAL), elle soutient par ailleurs des actions de l'AFNOR dans ce domaine au sein des organismes européens et internationaux de normalisation.

De plus, en collaboration avec les services informatiques du ministère de la culture, les opérateurs de la francophonie et des chercheurs universitaires, la Délégation générale s'emploie à favoriser la francisation des logiciels permettant l'accès à Internet, l'utilisation de messageries électroniques et l'accès aux banques de données.

Enfin, par-delà les actions techniques et normatives, la Délégation générale s'emploie à sensibiliser les prescripteurs, les opérateurs et les utilisateurs afin que des choix informatiques permettant l'utilisation d'un français correct soient effectués.

b) Une concertation entre l'administration et les professionnels : le Conseil Consultatif pour le traitement informatique du langage (CCTIL)

Dès 1993, conscients des enjeux nouveaux liés à l'informatisation du français, les ministres chargés de la francophonie, de la recherche et de l'industrie ont demandé à M. André Danzin, ingénieur et membre du Conseil supérieur de la langue française, d'étudier l'impact des nouvelles technologies sur les langues naturelles, afin notamment de proposer une politique nationale dans le domaine des industries de la langue.

Cette étude achevée en mars 1994 insiste sur l'importance des technologies de l'information pour l'avenir de la langue française.

Afin d'améliorer le pilotage de ce secteur où les compétences et les financements sont partagés entre le ministère de l'industrie et le ministère de la recherche, cette étude juge nécessaire d'amplifier et de mieux structurer l'effort de l'État et des organismes publics.

Elle propose la création d'une structure spécifique et autonome chargée des industries de la langue : l'Agence Nationale des Techniques de la Langue (ANTLA), de type établissement public, ou autorité administrative indépendante et définit ses missions et son organisation.

La mise en place d'un organisme tel que celui proposé par le rapport de M. Danzin ayant semblé difficile à court terme, les ministres ont préféré créer un conseil consultatif pour le traitement informatique du langage qui donnera un avis sur les orientations générales de la politique nationale dans ce domaine ainsi que sur les actions conduites dans les différents secteurs d'intervention identifiés par ce rapport.

Son secrétariat sera assuré conjointement par les ministères de la recherche, de l'industrie et la Délégation générale à la langue française afin d'assurer une bonne coordination ministérielle.

Ce Conseil consultatif a été créé par arrêté du 18 avril 1995. Le 10 mai 1995 un arrêté a porté nomination de ses membres, notamment des industriels des chercheurs et des universitaires. La présidence en a été confiée à M Danzin. Les ministres concernés procéderont à son installation le 17 octobre 1995.

Ce conseil jouera un rôle extrêmement utile. Sa composition permettra de bons échanges de vue entre les chercheurs, les industriels et l'administration. Le rapport annuel qu'il doit établir permettra d'afficher des priorités et de donner la visibilité qui manque à l'action de l'État en ce domaine.

4. Les autoroutes de l'information

a) L'appel à proposition

En 1994, le ministère de l'industrie a lancé un appel à propositions pour l'expérimentation de plates-formes et de nouveaux services sur « les autoroutes de l'information ». Le succès de cet appel à propositions et l'appel d'air qu'il suscite seront l'occasion de soutenir la recherche et le développement dans le domaine de l'ingénierie linguistique et de favoriser aussi l'émergence d'une demande solvable et la réalisation de contenus en français. Les projets retenus et qui devraient être labellisés avant la fin de l'année 1995, recevront une subvention équivalente au plus à 50% de leur coût en recherche et développement. 50 millions de francs sont réservés à ces subventions en 1995, 300 millions de francs en 1996. La part de l'ingénierie linguistique peut être évaluée à 10 millions de francs.

b) Quelques projets français qui comportent une part d'ingénierie linguistique

On peut identifier quelques projets qui comportent une part importante de recherche et développement en ingénierie linguistique, entre autres :

(1) AGADÈS, de l'Institut de l'information scientifique et technique.

Les bases de données de l'INIST sont pour une part importante en langue anglaise et tendent à devenir plurilingues. Or, s'il n'est pas difficile pour un chercheur, spécialiste d'un domaine, de pouvoir lire en langue étrangère des documents de ce domaine, il est plus malaisé de devoir recourir à une langue étrangère pour formuler les requêtes de recherche. Le système Agadès lui permettra d'interroger les bases de données par des requêtes en français, quelle que soit la langue du document recherché.

(2) Les projets de l'AFNOR

Il est de plus en plus nécessaire pour les spécialistes de la normalisation de pouvoir élaborer les normes de façon interactive, coopérative et en temps réel. Ce travail en ligne, associé à un système d'aide à la traduction, devrait permettre en outre de favoriser la publication simultanée des normes en plusieurs langues.

(3) Le projet REFER, de l'AUPELF-UREF

Ce projet qui a pour ambition de porter Internet dans l'espace francophone du sud comporte aussi une part d'ingénierie linguistique importante, par le couplage d'un logiciel puissant de recherche documentaire avec les formulaires de requêtes propres au réseau Internet.

(4) Autres projets

Beaucoup d'autres projets liés à la presse et à la mise à disposition de documentation selon le profil de l'utilisateur qui nécessitent pour cela des systèmes d'analyse et d'interface, comportent des parts importantes de génie linguistique.

C UN DOSSIER TRÈS EUROPÉEN

La Communauté européenne est fermement engagée dans des programmes liés à l'ingénierie linguistique puis à la société de l'information depuis le début des années 80. En effet, les grands programmes de recherche et développement dans le domaine des technologies de l'information, tels que les programmes ESPRIT, lancé en 1984, RACE sur les nouveaux modes de communication (1985) et les trois premiers programmes sur les applications télématiques lancés en 1986 (AIM, dans le domaine de la santé ; DRIVE, dans le domaine des transports : DELTA, apprentissage à distance) peuvent être considérés comme des travaux préparatoires à l'avènement de la société de l'information. De même, le projet EUROTRA, pour la traduction automatique, qui dans les années 80 a mobilisé nombre de laboratoires européens.

Le Livre blanc de la Commission « Croissance, compétitivité et emplois » publié en 1993 insiste sur l'évolution de la société européenne vers la société de l'information et affirme l'importance et l'urgence de développer une structure d'information pan européenne afin d'aider à vivifier la croissance économique de l'Europe et sa compétitivité et de créer de nouveaux marchés et de nouveaux emplois.

Conformément aux propositions du Livre blanc, le Conseil a chargé un groupe d'experts réunis sous la présidence du Commissaire Bangemann, de rédiger un rapport : « l'Europe et la société de l'information globale, recommandation au Conseil européen ». Ce rapport remis à Corfou en juin 1994, qui propose une liste de dix initiatives afin de démontrer la faisabilité et l'utilité des nouvelles applications télématiques, insiste notamment sur l'importance de respecter le plurilinguisme.

En juillet 1994, la Commission européenne a présenté son plan d'action vers la société de l'information qui constitue une cadre général structuré autour de quatre lignes principales : adaptation de cadre réglementaire, encouragement d'initiatives dans le champ des réseaux, des services et des applications, aspects sociaux et culturels, et promotion de la société de l'information.

1. En amont des produits et services, les ressources linguistiques

Pour développer des produits multilingues, les centres de recherche et les industries d'Europe ont besoin de ressources linguistiques, corpus, lexiques, dictionnaires électroniques tant dans la phase d'élaboration de produits que dans la phase d'évaluation du produit réalisé.

Il existe pour l'anglais de vastes banques de données principalement réunies par le programme « parole et langage naturel » (DARPA : défense advanced research projects agency) dès 1984 et surtout au sein du « Linguistic Data consortium » (LDC) créé en 1991. Le rôle de cet organisme est très précisément de mettre à disposition de grandes quantités de données diverses permettant de construire des systèmes de traitement automatique de la parole et du langage écrit. D'autres projets, tant au Japon qu'en Australie, en Chine, en Corée du Sud sont mis en oeuvre. Ce type de programme manquait à l'Europe.

Outre des actions menées dans le cadre des programmes ESPRIT, c'est au sein du programme LRE « Linguistic research and engineering » lancé par la Commission en 1993 que l'effort européen dans ce domaine s'est structuré au sein de 4 projets principaux :

a) Le projet LRE RELATOR et l'ELRA

Ce projet, auquel des équipes françaises ont très activement participé, avait pour mission d'évaluer les besoins en ressources linguistiques en Europe et hors d'Europe - principalement en Europe centrale et orientale - de définir des modèles possibles d'organisation et de procéder de façon expérimentale à la distribution de ressources sur disques compacts optiques et par réseau.

Une association : ELRA, Association européenne pour les ressources linguistiques a été créée à partir des conclusions de l'étude menée au sein du projet RELATOR. Elle a pour vocation d'assurer la collecte, la promotion, la validation de données linguistiques multilingues. Les Français y sont bien présents.

b) Les projets MLAP (Multilingual applications projetcs)

Ce programme a été lancé pour préparer le IVème programme cadre de recherche et de développement, en favorisant des actions pouvant préfigurer celles qui pourraient être conduites dans le programme LE « Linguistic engineering » lancé en 1995. Parmi ces projets, on retiendra Speechdat, parole et Pointer, portant respectivement sur la production de ressources linguistiques dans le cadre de l'oral, l'écrit et la terminologie.

c) Perspectives

Dans le cadre d'un premier appel d'offres, 4 projets portant sur les ressources linguistiques ont été retenus (Speechdat II, Parole, Interval, EURO WORNET), les Français étant présents dans les trois premiers projets.

2. L'ingénierie linguistique

Le IVème programme cadre pour la recherche et le développement d'un montant total de 1230 millions d'Ecus et qui comporte au sein du programme « applications télématiques » (840 Mecu) un volet d'ingénierie linguistique (80 Mecu) : le programme LRE.

Outre les actions pour ressources linguistiques, ce programme comporte des appels d'offres pour des applications pilotes. A cette occasion, la Commission insiste sur le volet industriel de ces projets et sur ''intérêt qu'ils peuvent avoir pour les utilisateurs. Ces applications pilotes concernent les thèmes suivants : aide à la rédaction de documents dans le bureau, rédaction en commun de documents techniques, gestion de documents, échange de documents et manipulation des messages, production de rapports, services basés sur la communication textuelle et vocale, accès à l'information et services transactionnels, services d'information et de communication mobile, globalisation des interfaces et des logiciels, boîte à outils pour les traducteurs et aide à la traduction, traduction assistée, systèmes d'aide à l'apprentissage de langues étrangères.

D. UN DOSSIER FRANCOPHONE

1. Le Réseau international des observatoires francophones des industries de la langue (RIOFIL)

L'ACCT mandate deux réseaux pour mettre en oeuvre son programme dans le domaine du traitement informatique du français : le RINT, centré sur la veille terminologique et néologique et le RIOFIL, centré sur la veille technologique en ingénierie linguistique.

Le RIOLFIL reçoit de l'ACCT, sur fonds déliés, environ 2 millions de francs chaque année. Il a pour tâche de promouvoir le traitement informatique du français et des langues partenaires dans l'espace francophone et d'assurer dans ce secteur une veille technologique, linguistique et industrielle internationale.

Il reçoit aussi pour mission de sensibiliser les décideurs à l'importance du dossier des industries de la langue et de susciter et de coordonner des actions de formation en industries de la langue.

Ses champs d'observation et d'action recouvrent les différents secteurs de l'ingénierie linguistique, à l'exclusion de la recherche, qui est confiée à l'AUPELF-UREF.

Lors du sommet des chefs d'État qui s'est tenu à l'Ile Maurice en 1993, ceux-ci ont souhaité la mise en place de l'observatoire du traitement avancé du français, forum de sensibilisation, qui se tiendra pour la première fois en octobre 1995 à Bruxelles. Ce forum apparaît comme le lieu de concertation privilégiée entre les actions menées dans ce secteur par l'ACCT et l'AUPELF-UREF.

2. Francil, un des réseaux thématiques de recherche de PAUPELF-UREF

Consciente de l'accélération du processus de recherche dans ce secteur, l'AUPELF-UREF a mis en place, en 1994, deux réseaux en relation avec la linguistique. Le réseau « Linguistique, traduction terminologie » (LTT) et le « Réseau francophone de l'ingénierie de la langue » (FRANCIL).

a) Le réseau francophone de l'ingénierie de la langue (FRANCIL)

Ce réseau est coordonné par M. Joseph Mariani, Directeur du LIMSI/CNRS

Quatre thèmes prioritaires ont été retenus :

1. Identification, création et mise à disposition de ressources linguistiques (écrit et oral) et utilisation de ces ressources pour la réalisation et l'évaluation de systèmes de traitement automatique du langage ; outils informatiques et formalismes linguistiques.

2. Environnement d'aide à la rédaction : saisie optique, correction orthographique, typographie numérique.

3. Système assisté par ordinateur d'apprentissage du français écrit et oral.

4. Mise en place d'outils de création de ressources terminologiques multilingues, incluant le français.

Un premier appel d'offres a permis de sélectionner 12 actions qui associent des équipes de France, du Québec, du Canada, du Maghreb, d'Afrique subsaharienne, de l'Océan Indien et des pays d'Europe centrale et orientale.

Le réseau Francil participe à la mise en place des 7 actions de recherche concertées, lancées dans le cadre du Fonds francophone de la recherche, destinées à l'évaluation d'outils de traitement du français écrit et oral et permettre ainsi l'amélioration de ces outils. Ce type d'action, fortement développée aux États-Unis et en Allemagne a permis de mettre au point des systèmes de traitement portant essentiellement sur les langues pratiquées dans ces pays. 4 de ces actions concernent l'écrit (accès à l'information textuelle en langage naturel, alignement de corpus bi ou multilingues, construction automatique de terminologie, compréhension de messages) et 3 concernent l'oral (dialogue oral, dictée vocale, reconnaissance de la parole).

Ces 7 actions mobilisent fortement la communauté scientifique francophone et 48 laboratoires francophones (France, Belgique, Suisse, Québec, Canada) y participent. Deux séries de tests seront organisées en 1996 et en 1998.

Dans le cadre de ce Fonds francophone de la recherche, une École doctorale régionale destinée à former de jeunes chercheurs des pays du Nord et du Sud dans le domaine du génie linguistique va ouvrir ses portes en novembre 1995. Le siège de cette École doctorale est situé à Chamarande dans l'Essonne et associera des compétences venant de France, de Belgique, de Suisse et du Québec. Le réseau FRANCIL a largement participé par son expertise à la mise en place de cette École doctorale.

Pour les pays du Sud, le Fonds francophone permet la mise en place de laboratoires associés francophones de jeunes équipes de recherche et de bourses de recherche. Ces actions concernent entre autre le génie linguistique et le génie logiciel. Ainsi plusieurs laboratoires, équipes et chercheurs bénéficient de concours financiers pour une durée de quatre ans.

b) La formation

L'AUPELF-UREF développe depuis plusieurs années des programmes de bourses et plus particulièrement à deux niveaux :

Les bourses d'excellence, qui permettent à des chercheurs de réaliser un stage post-doctoral dans une autre université francophone ou un autre institut de recherche que la sienne ou le sien. Ces bourses de mobilité qui permettent une meilleure qualification des chercheurs sont d'une durée de six à dix mois. Dans le domaine du génie linguistique, quatre bourses sont régulièrement attribuées chaque année. La sélection des dossiers étant effectuée par le Conseil scientifique de l'AUPELF-UREF.

Les bourses doctorantes qui permettent à des chercheurs en cours de thèse de réaliser un stage d'une durée de trois à quatre mois pour acquérir une compétence dans le cadre de la réalisation de leur thèse. 4 bourses sont également attribuées chaque année.

Le budget annuel attribué au génie linguistique est de l'ordre de 8 millions de francs par année

Le traitement informatique du langage est donc la pierre angulaire d'une vaste projet : la société de l'information, pluriculturelle et plurilingue.

Il est impossible de réfléchir aux impacts que les nouveaux supports et réseaux auront sur la recherche, l'industrie et l'emploi, l'avenir de l'Europe, la démocratie et la cohésion sociale, sans prendre en compte l'informatisation des langues. Là se situe aujourd'hui le principal enjeu, là se trouvent aussi les perspectives d'avenir les plus riches.

Il sera toutefois aussi difficile d'isoler le champ d'activités de l'ingénierie linguistique de son aire naturelle, le génie logiciel. A terme, avec le développement de l'intelligence artificielle, il n'y aura plus de génie logiciel sans traitement du langage. Ainsi, s'il est urgent de mener, dans le cadre national et dans le cadre européen, des actions spécifiques pour promouvoir la création de ressources linguistiques, les structurer et les diffuser, il faut se garder de vouloir étendre, de façon trop artificielle, ce même mode d'action au secteur entier du traitement informatique du langage.

Dans ce secteur en évolution rapide, faut-il laisser faire le marché ? Quelles sont les priorités fortes en ce domaine ? Quelles actions d'accompagnement l'État doit-il mener ? Le développement de contenus en français est l'action la plus urgente et la réponse la plus importante. L'appel d'offre du ministère de l'industrie, la politique de soutien, mise en place par le ministère de la culture sont une réponse adaptée. Le traitement informatique du langage sera porté par ces projets. S'agissant des actions spécifiques à conduire en ce domaine particulier, la création du Conseil consultatif pour le traitement informatique du langage répond au souci de répondre à ces questions, de façon modulée et souple, en concertation permanente avec les acteurs de ce domaine.

* (1) Cette commission est composée de : MM. Adrien Gouteyron, président ; Pierre Laffitte, Albert Vecten, Jean Delaneau, Jean-Louis Carrère, vice-présidents ; André Egu, Alain Dufaut, André Maman. Ivan Renar, secrétaires ; François Autain, Honoré Bailet, Jean Bernadaux, Jean Bernard, James Bordas, Jean-Pierre Camoin, Jean-Claude Carie, Robert Castaing, Marcel Charmant. Philippe Darniche, Marcel Daunay, André Diligent, Ambroise Dupont, Daniel Eckenspieller, Alain Gérard, Jean-Paul Hugot, Pierre Jeambrun, Alain Joyandet, Philippe Labeyrie, Pierre Lacour, Henri Le Breton, Jacques Legendre, Guy I.emaire, François Lesein, Mme Hélène Luc, MM. Pierre Martin, François Mathieu, Philippe Nachbar, Sosefo Makapé Papilio, Michel Pelchat, Jean-Marie Poirier, Guy Poirieux, Mme Danièle Pourtaud, MM Roger Quilhot, Jack Ralite, Victor Reux, Philippe Richert, Claude Saunier, Franck Sérusclat, René-Pierre Signé, Jacques Valade, Marcel Vidal, Henri Weber.

* 1 M. Jean-David Lévitte a été appelé auprès du Président de la République pour exercer les fonctions de conseiller diplomatique en mai dernier ; son successeur. M Pierre Brochand, a pris ses fonctions le 2 novembre dernier.

* 1 Mme Anne Magnant a été nommée délégué général à la langue française le 3 novembre 1993.

* 1 sous réserve qu' une nouvelle annulation n 'affecte pas ces crédits d'ici le 31 décembre...

* 1 Loi constitutionnelle du 4 août 1995.

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