IV. LES CRÉDITS CONSACRÉS AU NUCLÉAIRE PEUVENT-ILS ÊTRE CONSIDÉRABLEMENT RÉDUITS ?
A. LES CRÉDITS CONSACRÉS AU NUCLÉAIRE DANS LE BUDGET DE LA DÉFENSE POUR 1996
L'adaptation envisagée de nos moyens nucléaires permet-elle de considérer les crédits traditionnellement alloués au nucléaire, déjà substantiellement réduits au cours des dernières années, comme une masse financière qui pourrait encore diminuer pour compenser la réduction des budgets militaires ?
A cette question qui est sans doute l'une des principales auxquelles la prochaine loi de programmation devra répondre et à cette hypothèse -puiser dans les crédits nucléaires- qui est parfois hâtivement présentée comme la panacée pour répondre aux nouvelles contraintes budgétaires, le projet de budget pour 1996, s'il confirme les orientations récentes, n'apporte pas de réponse définitive.
Rappelons ici que les crédits consacrés au nucléaire s'élevaient, dans le budget initial pour 1995 , à 21 806 millions de francs (soit 21,3 % des crédits du titre V), en diminution de 3,5 % par rapport à 1994.
Pour 1996 , les crédits nucléaires s'élèveront, en termes de crédits disponibles, à 20 451 millions de francs ; ils incluent, outre les crédits budgétaires eux-mêmes, 616,9 millions de crédits reportés qui devraient être disponibles en 1996.
Cette enveloppe budgétaire est -rappelons-le- en baisse sensible, tant par rapport aux crédits disponibles prévus initialement pour 1995 (- 6,2%) que par rapport au montant prévu par la deuxième annuité de la programmation 1995-2000 (- 11,4%) . Elle marque toutefois une très légère progression par rapport à la dernière loi de finances rectificative (+ 0,5%).
La part des crédits budgétaires du titre V consacrée au nucléaire s'élèvera en 1996 à 20,8% en autorisations de programme et à 21,9% en crédits de paiement. La part des crédits disponibles consacrée à la dissuasion sera de 21,5%.
Précisons d'autre part, pour s'en tenir à la part de ces crédits qui relèvent des seuls services communs , qu'elle représente une masse de 13 075 millions de francs, en baisse de 5,34% par rapport à 1995 (13 813 millions). Même en tenant compte des reports de crédits attendus, cette enveloppe représente, là encore, une sensible diminution de 9,68% par rapport aux prévisions de la loi de programmation.
Dans l'attente des décisions essentielles qui doivent être prises prochainement, cette diminution prend en compte la suspension des travaux d'adaptation du plateau d'Albion aux missiles M4 et conduit à prévoir le décalage dans le temps du troisième SNLE-NG, le Vigilant. Un effort général de rationalisation est d'autre part engagé pour réduire les coûts du maintien en condition opérationnelle de l'ensemble de nos composantes nucléaires.
B. LA LÉGÈRE RÉDUCTION DES CRÉDITS NUCLÉAIRES PRÉVUE PAR LA PROGRAMMATION MILITAIRE POUR LES ANNÉES 1995-2000
Plus encore peut-être que pour les autres équipements militaires, l'évolution des crédits militaires consacrés aux armes nucléaires doit être envisagée sur le moyen et le long termes, compte tenu à la fois de la durée nécessaire aux programmes concernés, de leur coût financier élevé, et de la nécessité que les systèmes développés correspondent effectivement, le moment venu, aux menaces auxquelles notre force de dissuasion devra faire face.
La loi de programmation pour les années 1995-2000, votée en juin 1994 par le Parlement, avait à cet égard -il faut le rappeler- prévu une légère réduction des dépenses nucléaires dans le budget de la défense puisqu'elles devaient passer de 23 % des crédits du titre V en 1994 à 21 % pour l'ensemble de la période 1995-2000.
Cette évolution à la baisse relativement limitée prenait en compte deux considérations :
- d'une part l'objectif affiché, quelques mois plus tôt, par le Livre blanc sur la défense de prévoir le renouvellement de nos forces nucléaires, sans chercher nécessairement l'amélioration immédiate des performances techniques que la situation mondiale ne justifie pas ;
- d'autre part le fait que les dépenses nucléaires avaient déjà subi une forte diminution au cours des dernières années, passant de 33 % des crédits de paiement du titre V en 1988 à 23 % en 1994.
La loi de programmation 1995-2000 prévoyait ainsi de consacrer, en six ans, 129,8 milliards à nos forces de dissuasion nucléaire ainsi répartis : 30 % pour le renouvellement des composantes, 29 % pour le maintien en condition opérationnelle, 23% pour la préparation de l'avenir et 18 % pour les matières nucléaires.
En termes d'équipements, les principaux objectifs visés étaient, rappelons-le, les suivants :
- la poursuite du programme de 4 SNLE de nouvelle génération équipés de missiles M45 mis en service à partir de 1996,
- la poursuite des études du missile M5 pour une mise en service prévue en 2010,
- l'étude d'une adaptation du missile M4 pour la composante terrestre du plateau d'Albion en 2005,
- l'étude d'un remplacement du missile ASMP de la composante aéroportée,
- le développement très important du programme PALEN, doté d'environ 10 milliards de francs pour la période de programmation,
- le maintien en veille opérationnelle de 30 missiles Hadès,
- et le retrait en 1996 des 18 Mirage IV/P, 60 Mirage 2000 N et 20 Super-Etendard restant équipés du missile ASMP.
C. UNE RÉDUCTION PLUS FORTE DES CRÉDITS CONSACRÉS AU NUCLÉAIRE PEUT-ELLE ÊTRE ENVISAGÉE ?
La question est aujourd'hui posée de savoir s'il est possible -à l'occasion de la nouvelle loi de programmation actuellement en cours de préparation et sur laquelle le Parlement devrait être appelé à se prononcer en 1996- d'aller plus loin que ce qui était prévu dans le domaine de la réduction des crédits consacrés au nucléaire.
Cette question essentielle appelle les observations suivantes de votre rapporteur :
- il s'agit tout à la fois de faire face aux très lourdes contraintes budgétaires actuelles -liées à la situation des comptes publics et aux perspectives de l'Union économique et monétaire- sans compromettre l'impératif du renforcement, dans les prochaines années, de la capacité d'action de nos forces conventionnelles qui doivent être renouvelées et adaptées à la nouvelle donne internationale ;
- mais ces objectifs -que nous approuvons- ne sauraient en aucune manière compromettre l'indispensable maintien de nos forces nucléaires au niveau de suffisance requis et la préparation du renouvellement des composantes aéroportée et sous-marine ; la dissuasion nucléaire demeure -et doit demeurer- le coeur de la défense française ; elle doit être adaptée aux menaces de demain ; il y va -ne l'oublions pas- du libre arbitre et de la place de la France dans le monde et, demain, de sa contribution à une sécurité européenne qui se cherche dans un monde instable et dangereux ;
- la marge de manoeuvre financière apparaît désormais, non pas inexistante, mais limitée : d'abord -on l'a dit- en raison des diminutions déjà très substantielles opérées depuis 1988 ; ensuite en raison du coût très élevé des programmes nucléaires en cours - à commencer par le programme PALEN (dont le coût global sera bien supérieur aux 10 milliards prévus jusqu'en l'an 2000) et par le programme des SNLE de nouvelle génération ; enfin parce qu'il est, selon votre rapporteur, nécessaire de préserver le potentiel scientifique et technique de la France en matière nucléaire ;
- peut-on , dès lors, aller plus loin sans compromettre le rôle et la crédibilité de nos forces nucléaires ? C'est, aux yeux de votre rapporteur, envisageable à la condition expresse d' adapter une démarche particulièrement prudente , qui ne compromette pas un avenir dont nul ne peut prédire de quoi il sera fait, et de ne pas considérer les dépenses nucléaires comme une réserve financière inépuisable : il faut au contraire fixer les objectifs et déterminer en conséquence le seuil incompressible en deçà duquel il ne saurait être question de descendre.
C'est dans ce cadre extrêmement rigoureux que doivent être envisagées toutes les conséquences des choix d'économies qui pourraient être, le cas échéant, étudiées : l'abandon de la composante terrestre -ce qui ne résout pas l'avenir du site d'Albion lui-même et ne se traduira pas, dans un premier temps, par des économies- ; l'avenir des missiles Hadès actuellement maintenus « sous cocon » ; l'avenir des sites du centre d'expérimentations nucléaires lorsque les essais nucléaires seront terminés, compte tenu en particulier de l'annonce récente faite par la France de signer le traité de Rarotonga de dénucléarisation du Pacifique Sud ; la décision de commander ou de renoncer au quatrième SNLE de nouvelle génération (qui réduirait naturellement la permanence des SNLE à la mer et dont l'économie -importante- que son abandon permettrait ne serait guère sensible dans les toutes prochaines années) ; voire la modification des dates ou des caractéristiques des missiles appelés à succéder aux M45 et à l'ASMP , le moment venu.
C'est à cet examen particulièrement attentif que doit procéder le gouvernement -en liaison avec le Parlement- dans le cadre du comité stratégique appelé à préparer la future loi de programmation. Mais votre rapporteur ne saurait que mettre en garde face à des décisions hâtives qui seraient prises sous la contrainte financière alors même que la plupart d'entre elles n'engendreront pas d'économies immédiates. Le coût de notre dissuasion nucléaire ne saurait apparaître comme le bouc-émissaire des difficultés budgétaires présentes et ne saurait, à ses yeux, être considéré comme dirimant au regard de ce qui est véritablement en jeu, à savoir la sécurité de la nation face à des menaces qui évoluent et auxquelles nous devons nous préparer.
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