N°80
SÉNAT
PREMIÈRE SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996
Annexe au procès verbal de la séance du 28 novembre 1995 |
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi de finances pour 1996 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,
TOME I
AFFAIRES ETRANGÈRES
Par M. André DULAIT,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet, François Abadie, vice-présidents ; Mme Danielle Bidard-Reydet, Michel Alloncle, Jacques Genton, Jean-Luc Mélenchon, secrétaires ; Nicolas About, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Mme Monique ben Guiga, MM. Daniel Bernardet, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Jean-Paul Chambriard, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre Croze, Marcel Debarge, Bertrand Delanoë, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Gérard Gaud, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet , Yves Guéna, Jacques Habert, Marcel Henry, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, Jean-Pierre Raffarin, Michel Rocard, André Rouvière, Robert-Paul Vigouroux, Serge Vinçon
Voir les numéros :
Assemblée nationale :
Sénat :
Lois de finances.
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Le projet de budget du ministère des affaires étrangères s'inscrit dans l'effort de maîtrise des dépenses publiques qui caractérise le projet de loi de finances pour 1996.
Avant examen de ces crédits par l'Assemblée nationale, le budget du Quai d'Orsay était de 15,127 milliards de francs, en baisse de 0,26% par rapport à la dotation précédente, soit un quasi maintien des crédits compte tenu de transferts techniques à d'autres départements ministériels. La baisse de 115 millions de francs votée par l'Assemblée nationale fait passer le budget du ministère des affaires étrangères à 15,012 milliards de francs, soit une diminution de 1% par rapport aux crédits de 1995.
Si cette réduction peut paraître bénigne à première vue, elle affecte en réalité les capacités d'intervention du Quai d'Orsay. Les 115 millions de francs supprimés par l'Assemblée nationale correspondent, en effet, approximativement à ce que consacre le ministère des affaires étrangères à l'aide humanitaire et à l'aide d'urgence, ou bien encore à l'assistance à nos compatriotes expatriés.
Certes, les agents du Quai d'Orsay ne sont pas de ceux qui défilent dans les rues pour faire valoir leur point de vue, alors que personne n'ignore combien leurs conditions de travail sont parfois compromises par des crédits traditionnellement calculés au plus juste. Faut-il voir dans cette discrétion la cause de budgets plus que modestes au regard des missions de ce grand ministère ?
En 1996, l'effort de rigueur imposé au Quai d'Orsay comme à d'autres départements ministériels fera passer la part de ce budget en-deçà du seuil symbolique de 1% du budget de l'Etat (0,98%). Ce n'est qu'en intégrant les crédits du ministère de la coopération, désormais ministère délégué intégré dans la "famille" du Quai d'Orsay (deux chefs de mission de coopération ont ainsi été nommé ambassadeurs récemment), que la part des affaires étrangères est supérieure à 1% du budget de l'Etat (1,46%).
De manière plus surprenante encore, le budget des affaires étrangères représente une part mineure des crédits, toutes origines confondues, qui concourent à l'action extérieure de l'Etat 1 ( * ) . En 1995, le Quai d'Orsay concourait pour 19,47% à l'action extérieure, à laquelle étaient consacrés 77,896 milliards de francs. La part du ministère de la coopération était de 9,95%, celle des comptes spéciaux du Trésor, de 21,04%, et celle du budget des charges communes, de 25,46%. En 1996, le total des dépenses affectées à l'action extérieure ne sera plus que de 58,437 milliards de francs (- 25% par rapport à 1995). De ce fait, la part du ministère des affaires étrangères représentera 25,88% de l'ensemble, celle du ministère délégué à la coopération, 12,54%, tandis que la part du budget des charges communes sera de 23,41%. Celle des comptes spéciaux du Trésor (réduits de - 55%) ne représentera plus "que" 12,6% du total.
Dans ce contexte, il convient de se féliciter du projet tendant à présenter dans un document unique l'ensemble des moyens affectés par la France à sa politique étrangère, en espérant que ce document sera disponible assez tôt pour éclairer la discussion de la prochaine loi de finances.
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Votre rapporteur présentera donc l'outil administratif chargé de mettre en oeuvre la diplomatie française, deux ans après les réformes introduites par M. Alain Juppé, avant de commenter les moyens budgétaires mis à disposition du Département (hors crédits de la Direction générale des relations culturelles, scientifiques et techniques, traités par notre excellent collègue Guy Penne) pour conduire notre politique étrangère.
Enfin, conformément à la tradition de notre commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, votre rapporteur saisira l'occasion du présent rapport pour avis pour aborder un thème d'actualité : les problèmes posés, à la veille de la Conférence intergouvernementale et dans le cadre du débat suscité par l'extension de l'OTAN vers l'Est, par la sécurité des pays d'Europe centrale et orientale.
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I. LE CADRE DANS LEQUEL S'INSCRIT LA POLITIQUE ETRANGERE FRANÇAISE
Votre rapporteur présentera ci-après un rappel des orientations définies il y a deux ans dans le cadre de la réforme du Quai d'Orsay, avant d'exposer les priorités dans lesquelles s'inscrit aujourd'hui la politique étrangère de la France.
A. UNE ADMINISTRATION RÉNOVÉE : LA RÉFORME DU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES - RAPPEL
Deux ans après les « réformes » (mais peut-être s'agit-il plutôt de retouches) présentées aux ambassadeurs réunis à Paris en septembre 1993, il convient de rappeler et d'évaluer les orientations alors définies pour rénover le cadre de l'action extérieure de l'Etat :
- dynamiser le réseau diplomatique et culturel,
- favoriser la mobilisation des personnels en privilégiant un suivi des carrières attentif aux contraintes personnelles des agents,
- adapter l'organigramme du Département aux évolutions internationales, afin de parvenir à une coordination plus satisfaisante des services,
- rationaliser le réseau des services extérieurs de l'Etat. (Cette orientation sera évoquée ci-après, à l'occasion de l'examen des moyens du Département (voir infra, II)).
1. Dynamiser le réseau diplomatique et culturel
Le projet relatif à la dynamisation du réseau diplomatique et culturel s'est apppuyé sur une définition plus précise des missions des ambassadeurs, et sur une association plus systématique des postes au travail du Département.
a) Une définition plus précise des missions des ambassadeurs
. Le rôle des ambassadeurs est désormais orienté vers l'accomplissement d'une mission strictement définie, ce qui se traduit par l'élaboration d'une lettre de mission précisant les objectifs (politiques, économiques, culturels) fixés aux ambassadeurs, objectifs rapportés à l'ensemble des moyens budgétaires et administratifs impartis à chaque poste diplomatique. Dans cet esprit est privilégié le suivi du travail des ambassades, à travers notamment le recours régulier (deux fois par an) à l'appel par ordre à Paris des ambassadeurs, afin de faire le point de la situation dans les pays de résidence et de l'évolution des relations bilatérales. Notons que les crédits (notamment les frais de représentation) des différents postes diplomatiques sont liés à la mise en oeuvre des objectifs prévus par les lettres de mission.
. La mission de représentation confiée aux ambassadeurs est conçue pour favoriser le rayonnement et l'influence de la France dans les pays de résidence, mais aussi pour améliorer l'information de l'opinion française dans le domaine de la politique étrangère. C'est pourquoi les ambassadeurs sont encouragés à profiter de leurs séjours à Paris pour participer à des actions d'information dans les Universités, les chambres de commerce, les régions... Cette dimension nouvelle de l'action des ambassadeurs, dont le bilan paraît satisfaisant, est facilitée, sur le plan pratique, notamment par la création d'un bureau des ambassadeurs de passage, doté d'un secrétariat spécifique. Elle permet, entre autres avantages, de développer des synergies entre la politique étrangère de l'Etat et les actions extérieures des régions françaises.
b) Une association plus systématique des postes au travail du Département
. L'objectif tendant à privilégier la mobilisation du réseau permet de mieux tirer parti des compétences acquises par les diplomates en poste. Cette association plus étroite du réseau diplomatique et culturel permet notamment d'éviter l'envoi sur place de missions venues de Paris quand le poste peut traiter lui-même le dossier, ce qui rejoint en outre le souci d'économie caractéristique de la période actuelle. Cette évolution passe par l'augmentation des contacts avec et entre ambassades. Dans ce contexte, la réunion annuelle des ambassadeurs à Paris, depuis septembre 1993, est l'occasion de tables rondes régionales dont l'intérêt est évident, car elles permettent notamment de réunir à des fins de concertation des ambassadeurs de pays relevant de directions géographiques différentes. (C'est ainsi que la région du Caucase intéresse tant l'Iran, l'Inde et le Pakistan que les pays de la mer Noire, et concerne ainsi trois directions géographiques : Europe continentale, Asie et Afrique du Nord-Moyen-Orient).
. D'autres mesures se sont attachées à refaire des télégrammes diplomatiques un instrument privilégié de communication entre les différents postes et les administrations parisiennes, en remédiant notamment aux problèmes imputables à l'abondance de télégrammes chiffrés. Il s'est agi, pour l'essentiel, de hiérarchiser les télégrammes selon le degré d'urgence des informations qu'ils contiennent, et selon leur destinataire. Une autre mesure a consisté à mettre en place un réseau de téléphones cryptés entre les principaux responsables du Quai d'Orsay et certaines ambassades.
. Enfin, la modernisation du réseau informatique , expérimentée à la Représentation permanente de Bruxelles, et qui sera commentée à l'occasion de l'examen du budget du ministère (voir infra, II A), s'inscrit dans le souci de privilégier les contacts directs entre les postes et leurs interlocuteurs des administrations parisiennes, afin de favoriser l'accès rapide de tous à l'information.
2. Mobiliser les personnels par une meilleure gestion des profils professionnels et personnels
a) Efforts relatifs à la gestion des carrières
. Le but est d'enrichir les ressources humaines du ministère des Affaires étrangères en favorisant l'accueil d'agents d'origines professionnelles diversifiées , dont le niveau ou la spécialité constituent une valeur ajoutée (ministère de la défense, représentants des Corps techniques, de l'Université, membres des Grands corps...), et, par ailleurs, d'offrir aux diplomates un « plan de carrière » adapté à leurs compétences (notamment linguistiques).
. L'amélioration du déroulement des carrières des agents du Département passe par l'affectation d'un nombre croissant de diplomates à des fonctions de responsabilité à la DGRCST (Direction générale des relations culturelles, scientifiques et techniques). Dans cet esprit, les fonctions de conseiller ou d'attaché culturel sont exercées aujourd'hui par une quinzaine d'agents diplomatiques. De même, le cumul des fonctions diplomatiques et culturelles est en vigueur dans 24 postes.
. Les efforts consacrés au suivi de la carrière des agents diplomatiques se sont traduits par la mise en place de nouveaux outils de gestion (création de fichiers informatiques, nouvelles fiches descriptives de fonctions et de voeux, en vue de garantir la transparence des affectations).
. Afin, par ailleurs, d'encourager l'ouverture du ministère des Affaires étrangères, est créé un « portefeuille d'emplois » susceptible d'être proposé à des agents diplomatiques en dehors du Quai d'Orsay (DREE, Conseil d'Etat, Trésor...).
. Enfin, la formation des agents aux postes auxquels ils sont affectés est favorisée par des stages préalables à chaque affectation et, notamment, destinés à préparer à leurs fonctions les ambassadeurs récemment nommés. Un stage d'initiation professionnelle d'une durée de quatre semaines est également prévu dès l'entrée au Département. Ce stage permet aux nouveaux agents du Quai d'Orsay d'acquérir les techniques propres au ministère des Affaires étrangères. Il est orienté vers la connaissance des circuits de décision, de l'organigramme, et vers des formations pratiques (initiation au protocole, rédaction des télégrammes, préparation d'une visite officielle...).
Les agents de catégorie A sont en outre suivis pendant leur première année d'activité par un tuteur, susceptible de les conseiller et de les aider à surmonter d'éventuelles difficultés.
b) Prise en compte des contraintes personnelles des agents
Le souci de la Direction des ressources humaines est de prendre en compte de manière systématique les contraintes familiales qui s'imposent aux agents diplomatiques du fait de leur mobilité géographique. C'est ainsi que la gestion prévisionnelle des affectations permet, dans le meilleur des cas, de faire connaître dès la fin du mois de mai leur nouvelle affectation à une proportion significative d'agents (95 % des cadres A, 94 % des cadres B et 99 % des agents C).
De même, le retour à l'administration centrale (à Paris ou à Nantes) est connu, dans la mesure du possible, huit mois avant le terme de la mission à l'étranger. Il est néanmoins parfois nécessaire d'opérer des mutations dans des délais plus courts lorsque les circonstances l'exigent. De manière générale, les délais proposés permettent cependant aux agents de se préparer à leurs nouvelles fonctions, notamment dans le domaine linguistique.
En ce qui concerne les problèmes liés à l'emploi des conjoints , notons que le Département peut satisfaire certaines demandes sous la forme de recrutements locaux (notamment dans le secteur culturel).
Afin de limiter les difficultés dues au suivi de la scolarité des enfants (il n'est pas rare que les établissements français à l'étranger offrent un nombre de places insuffisant au regard des effectifs réels, ou que des difficultés d'inscription se présentent lors du retour à Paris), une action de sensibilisation des rectorats aux problèmes que suscite la mobilité a été entreprise par un inspecteur d'académie honoraire, qui collabore sur ce dossier avec le Département. 87 cas particuliers ont ainsi été traités, en liaison avec les responsables de l'Education nationale et les maires des arrondissements de Paris.
L'objectif du ministère des Affaires étrangères est de permettre aux agents de mieux concilier leurs impératifs professionnels et leurs contraintes familiales, afin de favoriser un meilleur service de l'Etat.
3. Améliorer la coordination entre les services et adapter l'organigramme aux évolutions internationales
La réorganisation des structures du ministère des Affaires étrangères, prévue par le décret n° 93-1210 du 4 novembre 1993, a été motivée par le souci de mettre un terme à des dysfonctionnements causés par une insuffisante coordination des services, de prendre en compte les évolutions européennes en cours, de mieux intégrer la DGRST afin que la politique culturelle et la coopération technique constituent systématiquement le prolongement de la politique étrangère, et de renforcer la capacité de négociation du Quai d'Orsay dans le domaine des affaires européennes et des affaires stratégiques.
. Les fonctions du Secrétaire général du Quai d'Orsay ont été renforcées dans les domaines de l'organisation administrative et de la coordination des services du ministère, par des contacts quotidiens avec l'ensemble des directeurs.
. Deux postes de Secrétaire général adjoint ont été créés, l'un pour les affaires politiques et de sécurité, l'autre pour les affaires européennes et économiques.
Le premier a autorité sur la cellule chargée de la politique étrangère et de sécurité commune, sur la direction des Nations Unies et des organisations internationales, sur la direction des Affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement, sur le service de l'action humanitaire, sur le service des affaires francophones, ainsi que sur la mission de liaison avec les ONG.
Notons que la cellule chargée de la PESC comprend cinq diplomates qui assurent la cohérence des positions françaises exprimées dans les enceintes à quinze, et préparent les réunions des membres de l'Union (réunions informelles des ministres des affaires étrangères, Conseil Affaires générales, Conseil européen, Comité politique). C'est le Secrétaire général adjoint pour les affaires politiques et de sécurité qui représente la France aux réunions du Comité politique. Le chef du service de la PESC a la qualité de correspondant européen.
Le Secrétaire général adjoint pour les affaires européennes et économiques a autorité sur trois directions :
- la direction de la coopération européenne, qui suit les relations bilatérales avec les membres et futurs membres de l'Union . Elle regroupe en une structure unique les différents aspects des questions communautaires et les relations bilatérales avec les pays membres et avec les Etats en cours d'adhésion,
- la direction de l'Europe continentale, qui comprend une sous-direction de l'Europe centrale et orientale et des pays baltes, une sous-direction de la Russie et de la CEI, et une sous-direction de l'Europe occidentale et méridionale non communautaire,
- la direction des affaires économiques et financières est chargée de suivre les relations avec les entreprises ainsi que les questions économiques et financières, notamment multilatérales. Elle comporte une sous-direction des exportations sensibles, une sous-direction des affaires industrielles et des relations avec les entreprises, une sous-direction des questions financières internationales et de l'aide au développement, et une sous-direction de l'environnement.
La Direction générale des relations culturelles, scientifiques et techniques, réorganisée, a intégré l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger ainsi que la MICECO (Mission interministérielle pour la coopération avec les pays d'Europe centrale et orientale). On se reportera à l'excellent rapport de notre collègue Guy Penne pour le détail de l'action de la DGRCST.
La Direction générale de l'administration, dont l'organigramme est simplifié, comprend une direction des ressources humaines, une direction du budget et des affaires financières, ainsi qu'une direction du chiffre, de l'équipement et des communications.
Les quatre directions géographiques (Asie-Océanie, Affaires africaines et malgaches, Afrique du Nord et du Moyen-Orient, Amérique) continuent à suivre leurs secteurs géographiques sur les plans économique et politique.
Les missions des autres directions du ministère des Affaires étrangères (Direction des Français de l'étranger et des étrangers en France, Direction des affaires juridiques, Direction de la presse, Direction des archives, et Direction du protocole) n'ont pas été affectées par la réforme de l'organigramme.
- Enfin, le Centre d'analyses et de prévisions (CAP) contribue à la préparation des décisions du ministre des Affaires étrangères. Il relie donc directement la réflexion prospective à la conduite de la diplomatie française, et a recours à des experts extérieurs au Quai d'Orsay. Il est habilité, depuis la réforme de 1993, à mobiliser les capacités de réflexion internes au département qui se trouveraient inexploitées (ambassadeurs entre deux postes ou ayant récemment quitté le Département).
C'est donc dans un cadre administratif rénové qu'est mise en oeuvre la politique étrangère de la France.
B. LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE FRANÇAISE : « UN EFFORT CONSTANT DE VOLONTÉ, D'ADAPTATION, D'IMAGINATION » AU SERVICE DU RAYONNEMENT DE LA FRANCE
Les priorités dans lesquelles s'inscrit la politique étrangère française ont été définies par le Chef de l'Etat et par M. le ministre des Affaires étrangères lors de la réunion des ambassadeurs ouverte le 31 août 1995. Aux mutations du monde actuel, la diplomatie française doit opposer des réponses « pragmatiques » et « novatrices ».
1. Un ordre mondial en mutation
A l'équilibre bipolaire de la guerre froide est en train de se substituer un ordre mondial multipolaire. L'apparition de puissances comme la Chine et l'Inde, de même que des regroupements régionaux comme le Mercosur, l'ASEAN ou le Conseil de coopération des Etats arabes du Golfe, sont susceptibles d'annoncer une redistribution inédite de la puissance économique.
L'Union européenne est confrontée au défi de la Conférence intergouvernementale de 1996 et de son élargissement aux pays de l'Est, déjà associés au Sommet européen du 27 juin 1995 à Cannes. Les trois objectifs majeurs assignés à l'Union pour les années à venir (« une Europe plus efficace, une Europe plus démocratique, une Europe plus forte dans le monde », ainsi que l'exprimait M. le Président de la République le 31 août) investissent le couple franco-allemand de responsabilités immenses.
« Faire de l'Europe une zone de paix et de prospérité » implique la fin de l'affrontement en ex-Yougoslavie, sur la base des principes communs à tous les pays européens membres du Conseil de l'Europe et de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Le rétablissement de la paix en Europe est, en effet, la condition de l'instauration d'une défense commune européenne. L'une des orientations souhaitables est la construction d'une architecture européenne et transatlantique tenant compte à la fois de la nouvelle donne est-européenne et de l'émergence d'une politique de sécurité aux dimensions de l'Union. Cette architecture pourra s'appuyer sur l'UEO, l'Eurocorps, et sur une une Alliance atlantique réformée, vraisemblablement élargie vers l'Est, et confortée par une « relation de véritable partenariat » avec la Russie.
Les solidarités entre l'Europe et le monde méditerranéen et africain doivent être encouragées. Tel est l'objet de la Conférence européenne de Barcelone, qui doit conduire à l'instauration de relations privilégiées entre l'Europe et les pays méditerranéens. Dans cette perspective, le développement du Maghreb constitue une priorité pour l'Union.
La réforme de l'aide au développement doit notamment permettre une meilleure articulation entre actions bilatérales et multilatérales, et assurer une prise en compte plus systématique des incidences humaines et sociales de programmes de réforme économique. Soulignons, à cet égard, le retour du ministère de la Coopération dans la famille du ministère des Affaires étrangères dont il constitue désormais un ministère délégué. Cette mesure, dont votre rapporteur se félicite, est susceptible de permettre l'émergence d'une politique d'aide au développement globale.
2. Des réponses pragmatiques adaptées aux bouleversements en cours
Dans le contexte de ce monde multipolaire en émergence, la France doit être plus présente dans les régions du monde qui tireront la croissance mondiale au cours des prochaines décennies et, plus particulièrement, en Amérique latine et en Asie (celle-ci a été très opportunément qualifiée par le ministre des Affaires étrangères de « nouvelle frontière de la diplomatie française »).
Au sein de l'ensemble européen, la France doit faire partager à ses partenaires ses objectifs (développement du pilier européen de l'Alliance atlantique, renforcement des solidarités avec l'Afrique et le Maghreb, construction d'un partenariat stable avec la Russie). Dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune , dont la France soutient le caractère intergouvernemental, la France souhaite l'institution d'un Haut représentant chargé de représenter l'Union à l'extérieur et de mettre en oeuvre les mandats définis par le Conseil européen. Une telle création permettrait à l'Union européenne d'avoir « un visage et une voix ».
Enfin, la France doit se faire, ainsi que le soulignait M. le ministre des Affaires étrangères le 31 août 1995, l' « artisan chaleureux » de l'élargissement à l'Est .
Afin d'accroître le rayonnement français dans le monde , plusieurs pistes ont été indiquées par le Chef de l'Etat aux ambassadeurs réunis le 31 août 1995 :
- « Défendre sans relâche » les intérêts économiques français , en épaulant les Français expatriés qui sont les « artisans irremplaçables de notre influence dans le monde », et en jouant un rôle dans la « compétition commerciale internationale qui fait rage » à l'heure où la France est « engagée dans la bataille pour l'emploi ».
- Se livrer à un « effort permanent de communication », en « démultipliant la voix de la France » à l'étranger, sur les écrans de télévisions, à la radio, dans les colonnes de journaux.
- Présenter des « propositions d'actions novatrices » attestant le dynamisme et la modernité de la France.
En conclusion, la mission impartie à la diplomatie française n'est pas de « gérer au mieux le souvenir de la grandeur passée » de notre pays, mais « de faire prévaloir, par une effort d'imagination et de volonté, des solutions aux problèmes de notre temps conformes aux valeurs qui nous inspirent : liberté, paix et solidarité. »
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Votre rapporteur évaluera donc ci-après les moyens susceptibles de contribuer à la mise en oeuvre des priorités ainsi définies : un budget inscrit dans l'effort global d'économie qu'implique la gravité de la situation actuelle, un personnel de grande qualité mais dont les effectifs diminuent sous la contrainte budgétaire, une carte diplomatique qui n'a pu s'adapter aux évolutions géopolitiques récentes qu'au prix de lourds sacrifices.
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* 1 Voir en annexe le tableau récapitulatif, pour 1995 et 1996, de l'ensemble des crédits contribuant à l'action extérieure de l'Etat.