III. LES CENTRES ÉDUCATIFS FERMÉS, SOLUTION DE PLACEMENT « PAR DÉFAUT » ?
La rapporteure pointait, dans le cadre de son rapport pour avis sur le PLF 2024, le risque d'un « effet d'éviction » des centres éducatifs fermés (CEF) au détriment des autres solutions de placement, alors même que ceux-ci sont en théorie une solution de dernier recours.
En effet, les centres éducatifs fermés, animés par des équipes pluridisciplinaires, ont vocation à permettre la prise en charge des mineurs de 13 à 18 ans multi-réitérants, multirécidivistes ou ayant commis des faits d'une particulière gravité : ils constituent la forme la plus contraignante du milieu fermé et la dernière étape avant l'incarcération. Le ministère a lancé, à l'occasion de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, un ambitieux programme de construction de 20 nouveaux centres éducatifs fermés (CEF), qui constitue un axe majeur de la stratégie de la PJJ.
Ce programme, ralenti par le renchérissement du coût de la construction et l'assèchement des moyens financiers de l'État, a permis à ce jour l'ouverture de trois centres.
L'état d'avancement du programme de construction de 20 nouveaux CEF
Trois [nouveaux] établissements sont actuellement [en activité]. Il s'agit du CEF public de Bergerac (24) et des CEF associatifs d'Épernay (51) et de Saint-Nazaire (44) qui comportent chacun 12 places, comme l'ensemble des futurs CEF.
La livraison du CEF de Rochefort est intervenue en septembre et celle du CEF de Guyane est imminente.
Trois autres sont en chantier : Le Vernet en Ariège (09), Amillis en Seine-et-Marne (77) et Aiglun dans les Alpes de Haute Provence (04). La livraison du CEF du Vernet doit intervenir au début de l'année 2025 et celles des CEF d'Amillis et d'Aiglun au second semestre 2025. Ils commenceront leur activité cette même année.
Cinq autres projets devraient aboutir d'ici 2027 ou début 2028, avec au moins trois mises en chantier prévues en 2025. Il s'agit de projets dont le foncier est maîtrisé et qui sont actuellement en phase de conception avec une maîtrise d'oeuvre : Liancourt (60) et Lure (70) pour le secteur public, Bléré (37), Bellengreville (14) et Villeneuve-Loubet (06) pour le secteur associatif.
Un appel à projet doit être lancé dans le département du Tarn-et-Garonne, pour relocaliser un CEF SAH, initialement envisagé dans l'Hérault. Ce département a été choisi après une phase de pré-prospection foncière et la consultation d'élus locaux comme de la préfecture.
Les cinq projets restants sont moins avancés ou se heurtent encore à des difficultés importantes.
Le projet de CEF associatif dans le département du Nord (59) a fait l'objet d'un dépôt de permis de construire à Mérignies, malgré l'opposition de la mairie qui a modifié le PLU afin d'y faire échec. Au regard du contexte et des recours contentieux il est difficile de s'engager sur un calendrier.
Les quatre derniers CEF, dans le Pas-de-Calais (62 - SP [service public]), la Loire (42), les Yvelines (78) et la Savoie (73), sont encore en attente d'un foncier à fiabiliser pour déterminer un calendrier d'ouverture. De nombreuses prospections ont été conduites mais n'ont pu aboutir.
La recherche de terrains pour de nouveaux CEF s'avère en effet particulièrement complexe en raison de la rareté des terrains adaptés mais aussi de l'opposition fréquente des riverains, souvent relayée par les élus locaux. L'acceptabilité des CEF par la population est un facteur déterminant de la maîtrise foncière qui a conduit la PJJ à renoncer à un nombre très significatif d'emprises constructibles. Mérignies, précédemment évoquée, est la seule situation où le projet est maintenu malgré l'opposition locale avec de fortes incertitudes sur son issue.
De nouveaux appels à projets seront nécessaires, du fait du dépassement des délais d'autorisation mais aussi de l'abandon de certaines associations comme c'est déjà le cas pour le projet en Savoie.
Au programme de construction de 20 nouveaux CEF s'ajoutent deux autres projets. Cela porte à 22 le nombre total d'ouvertures de CEF prévues : un CEF public à Mayotte (976) et un CEF associatif à Varenne-le-Grand (71) dont les ouvertures sont prévues en 2027, voire 2028 pour Mayotte au regard des multiples contraintes opérationnelles identifiées sur ce territoire ultra-marin.
Source : ministère de la justice.
Cela étant, des questions demeurent sur les objectifs de ce programme immobilier, dans un contexte où les CEF tendent à devenir une solution de placement par défaut et semblent accueillir un nombre croissant de primo-délinquants. Alors que le ministère affiche l'ambition d'augmenter la durée des placements en CEF (un placement de six mois étant souvent nécessaire pour garantir la réorientation du mineur hors de la délinquance10(*)), l'indicateur de performance « Part des mesures de placement terminées en CEF de 3 mois et plus » affiche une cible en net recul, avec un passage de 75 % en 2024 à 65 % pour 2025. Depuis le mois de mars 2024, un tableau de bord mensuel dédié exclusivement aux CEF a été mis en place ; il montre que la durée du placement reste inférieure à 6 mois dans 81 % des cas, et même à 3 mois dans 48 % des cas, à la fois du fait de mainlevées anticipées et, selon le ministère, de « fragilités des établissements en termes de ressources humaines ». Cette tendance s'est même aggravée au premier semestre 2024, avec une durée moyenne de placement en CEF en baisse (3,9 mois) par rapport à 2023 (4,1 mois) ; le taux de placement terminés de plus de 3 mois chute, pour sa part, à 51 %.
La rapporteure ne peut cacher sa vive inquiétude face à ces statistiques qui imposent, plus que jamais, de poser la question de l'adaptation des CEF au nouveau rythme des décisions pénales et aux contraintes de ressources humaines avant toute continuation du programme de construction lancé en 2019. Comme l'année passée, elle insiste sur la nécessité, comme le soulignait la Cour des comptes, « avant de lancer de nouveaux projets de CEF au-delà de ceux déjà engagés, d'établir les besoins à satisfaire, en se fondant sur une évaluation de l'offre existante et la réalisation de schémas régionaux tenant compte des autres dispositifs de placement de la PJJ et intégrant les conséquences de la réforme de la justice pénale des mineurs »11(*) ; au vu des échanges qu'elle a eus avec le ministère en audition, il semble que l'administration soit bien loin d'avoir élaboré de tels schémas, ce qui ne peut qu'être déploré tant un tel outil est indispensable au bon pilotage des structures.
La rapporteure rappelle, en outre, que la réflexion devra tenir compte de la nécessaire diversification des formules de placement, redonnant aux CEF leur caractère de solution de dernier recours, afin que la réponse pénale ait les meilleures chances d'atteindre des résultats probants en matière de réinsertion et de prévention de la récidive.
* 10 Selon les documents annexés au PLF 2025, « Une hausse de la part des placements terminés de 3 mois et plus est souhaitée car l'allongement de la durée de prise en charge participe mieux de la consolidation du projet éducatif et du parcours du jeune ».
* 11 Rapport précité.