N° 150 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025 |
Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 novembre 2024 |
AVIS PRÉSENTÉ au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale, pour 2025, |
TOME II IMMIGRATION, ASILE ET INTÉGRATION |
Par Mme Muriel JOURDA et M. Olivier BITZ, Sénateurs |
(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, MM. Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, MM. Georges Naturel, Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel. |
Voir les numéros : Assemblée nationale (17ème législ.) : 324, 459, 462, 468, 471, 472, 486, 524, 527, 540 et T.A. 8 Sénat : 143 et 144 à 150 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
Le budget proposé en 2025 pour la mission « Immigration, asile et intégration » est en rupture avec les augmentations constatées les années précédentes (+ 7 % en crédits de paiement - CP - pour le PLF 2024, après une augmentation de + 6 % l'année précédente). Dans le détail, le montant des crédits demandés en 2025 pour la mission s'élève à 1,73 Md€ en autorisations d'engagement (AE), soit une diminution de 2 % (- 34 M€) par rapport aux crédits ouverts en 2024, et à 2,05 Mds€ (- 109 M€) en crédits de paiement, soit une diminution de 5 %. S'agissant des CP, les inflexions les plus nettes portent sur les moyens attribués aux actions n° 3 « lutte contre l'immigration irrégulière » (- 60 M€, - 23,5 %) et n° 12 « intégration des étrangers primo-arrivants » (- 80 M€, - 45,4 %). Pour rappel, la première regroupe notamment les crédits relatifs au fonctionnement et à l'investissement dans le parc de rétention administrative, tandis que la seconde couvre les actions déployées au niveau local et national pour l'intégration des étrangers primo-arrivants. Les crédits alloués à la politique de l'asile ne sont quant à eux stables qu'en apparence. Les documents budgétaires font état de fortes réductions de crédits s'agissant de l'allocation pour demandeur d'asile (- 47,2 M€) et du parc d'hébergement des demandeurs d'asile (- 71,2 M€). Ces diminutions sont compensées par le rattachement à la mission des crédits liés aux bénéficiaires de la protection temporaire ukrainiens (+ 106,8 M€), et ce conformément à une demande récurrente du Parlement depuis le début du conflit. On note enfin un réajustement des moyens attribués aux deux opérateurs. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) bénéficie de la part de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) d'un transfert de 29 ETP fléchés vers l'activité de protection. Le budget de l'OFPRA est par ailleurs stable à 108 M€1(*). A contrario, le plafond d'emplois de l'OFII connaît une régression de 34 ETP2(*). L'augmentation faciale des crédits de l'office doit par ailleurs être relativisée (+ 20 M€), dès lors que celle-ci se limite à compenser la diminution des crédits européens qu'il perçoit. La commission n'a pas masqué sa préoccupation vis-à-vis de ce recul important des moyens attribués à une mission qu'elle juge prioritaire. Celui-ci est d'autant plus notable qu'une partie conséquente de l'effort est actuellement concentrée sur le volet « lutte contre l'immigration irrégulière », auquel elle attache de longue date une particulière importance. Sur la proposition de ses rapporteurs, Muriel Jourda et Olivier Bitz, la commission ne s'est toutefois pas opposée à l'adoption des crédits. D'une part, il est légitime que la mission prenne sa part à l'indispensable effort global de maîtrise du déficit public. D'autre part, les engagements pris par le ministre de l'intérieur devant la commission devraient, s'ils se concrétisaient, ramener cette contribution à un niveau plus raisonnable. Les ajustements annoncés devraient notamment permettre de préserver l'effectivité du dispositif de lutte contre l'immigration irrégulière en général et la poursuite du plan « CRA 3 000 » en particulier. Au-delà des questions strictement budgétaires, les rapporteurs se félicitent par ailleurs que les demandes récurrentes de la commission aient été entendues. L'attention portée par le ministre de l'intérieur à la prévention des flux entrants, à la gestion du parc immobilier ou encore au renforcement de l'exigence du parcours d'intégration républicaine est ainsi conforme en tout point aux recommandations émises de longue date par la commission. |
I. UNE CONTRIBUTION LÉGITIME DE LA MISSION À L'EFFORT BUDGÉTAIRE, SOUS RÉSERVE DE TROUVER LE JUSTE ÉQUILIBRE
Alors que la France se trouve dans une situation budgétaire particulièrement dégradée, il est tout à fait légitime que l'ensemble des missions de l'État contribuent à l'effort national de réduction du déficit. Pour prioritaire qu'il soit, il n'est donc pas anormal que le budget de la mission « Immigration, asile et intégration » soit en baisse. La commission a néanmoins estimé que les ordres de grandeur figurant dans le projet transmis au Sénat n'étaient pas satisfaisants. En effet, l'effort actuellement requis est à la fois :
· excessif : la diminution faciale de 109 M€ des crédits attribués en CP ne représente qu'une fraction de l'effort demandé. Le rattachement à la mission des dépenses liées à la prise en charge des bénéficiaires Ukrainiens de la protection temporaire doit en effet notamment être pris en compte3(*). Comme l'a indiqué le directeur général des étrangers en France (DGEF) au cours de son audition, la diminution réelle du budget de la mission serait plutôt de l'ordre de 306 M€, soit environ - 15 % (à raison de respectivement 106,8 M€ et 90 M€ pour l'ADA et l'hébergement des 60 0004(*) Ukrainiens a priori5(*) présents en France). Cette inflexion intervient en outre à un moment charnière pour la politique migratoire française, qui doit faire l'objet d'importants investissements au titre de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur du 24 janvier 2023 et de la loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration du 26 janvier 2024. Celles-ci prévoient notamment un objectif de 3 000 places disponibles en rétention administrative à horizon 2027 ainsi que le conditionnement, au plus tard en 2026, de la délivrance d'un titre de séjour de longue durée à la réussite d'examens linguistiques et civiques ;
· insuffisamment ciblé : la commission a notamment apprécié avec un certain scepticisme le recul de 60 M€ des crédits consacrés à la lutte contre l'immigration irrégulière, qui est une priorité gouvernementale assumée et légitime.
Ces réserves s'appliquent toutefois à la version initiale d'un projet de loi de finances préparé dans des délais extraordinairement contraints et dont l'exécutif a régulièrement indiqué qu'il serait amené à évoluer au cours des débats. Dans ce contexte, la commission a pris acte de l'engagement du ministre de l'intérieur de présenter devant le Sénat un amendement abondant les crédits de la mission à hauteur de 59 M€ en AE et 34 M€ en CP, et ce afin de garantir le financement de la création de nouvelles places de rétention. Si ce réajustement resterait limité, il aurait néanmoins le mérite d'établir un compromis plus raisonnable entre maîtrise des finances publiques et sauvegarde des fondamentaux de la politique migratoire. Au-delà des aspects strictement budgétaires, les rapporteurs ont également souligné la conformité du discours de l'exécutif sur la politique migratoire aux positions défendues de longue date par la commission. Le ministre de l'intérieur met notamment résolument l'accent sur la nécessité de contenir les flux entrants, de renforcer l'exigence du parcours d'intégration et d'établir un ciblage des motifs d'admission au séjour conforme aux intérêts de la France. Au bénéfice de ces trois éléments, la commission ne s'est donc pas opposée à l'adoption des crédits.
* 1 La diminution de 11 Mds€ de la subvention pour charges de service public sera compensée par une augmentation équivalente des financements attribués au titre du Fonds européen « Asile, Migration et Intégration » (FAMI).
* 2 Un transfert de 5 ETP vers la DGEF (en conséquence du transfert de compétence en matière d'amendes pour les employeurs ayant recours à des travailleurs non autorisés) vient s'ajouter à celui des 29 ETP précités.
* 3 Doit également être prise en compte la revalorisation salariale des opérateurs de l'hébergement des demandeurs d'asile au titre de l'extension des accords dit « Ségur » prévue par l'accord de branche du 4 juin 2024.
* 4 Selon les données communiquées par la DGEF, 60 105 autorisations provisoires de séjour délivrées au titre de la protection temporaire étaient en cours de validité au 30 septembre 2024. Cet indicateur est en diminution sur la période récente (68 445 au 1er janvier 2023), en partie du fait d'un report vers la demande d'asile (8 000 primo-demandes sur les huit premiers mois de 2024, soit une augmentation de + 377 % par rapport à 2023).
* 5 Les statistiques disponibles ne permettent pas de déterminer précisément ce chiffre, comme en atteste l'écart entre le nombre d'APS en cours de validité et celui des Ukrainiens bénéficiaires effectifs de l'ADA (54 300).