B. UNE POPULATION SANS DOMICILE EN AUGMENTATION ET AUX PROFILS DIVERSIFIÉS

La statistique publique sur la population sans domicile est lacunaire et datée. La dernière enquête « Sans domicile » de l'Insee date de 2012 et la méthodologie employée ne permettait pas de dégager une vision globale sur le sans-domicilisme en France (absence de ventilation genrée des données, concentration sur le seul public francophone et fréquentant des services d'aide). La prochaine enquête devrait être publiée en 2026, mais le rapporteur souligne que l'absence de régularité dans la collecte de ces données réduit l'efficience du pilotage de la politique d'hébergement.

Pour autant, les décomptes et baromètres des associations du secteur permettent de constater une croissance continue du nombre de personnes sans domicile en France. Ainsi, entre 2012 et 2023, ce nombre est passé est de 133 000 à 330 000, soit une hausse de 153 %. Toutefois, les stratégies d'invisibilisation et le non-recours aux dispositifs de soutien aux personnes sans domicile rendent difficiles la collecte de données fiables en la matière.

Par la précarisation de la société et la crise du logement, les profils des personnes sans domicile, longtemps cantonnées à un public marginalisé, évoluent. Entre 2013 et 2021, parmi les individus hébergés, la part des enfants est passée de 22 % à 35 %, tandis que celle des personnes seules sans enfant a diminué de 13 points. Ce public se féminise, la part des femmes dans la population hébergée passant de 36 % à 46 % sur cette période.

Évolution de la population sans domicile

Source : Commission des affaires sociales, d'après les enquêtes ES-DS de la Drees et les baromètres de la Fondation abbé Pierre

C. UN TISSU ASSOCIATIF AU BORD DE LA RUPTURE FACE À UN PARC D'HÉBERGEMENT SATURÉ

Les associations sont la cheville ouvrière de la politique d'hébergement par leur rôle d'organismes gestionnaires de places mais aussi de services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO). Si les crédits dédiés au programme 177 ont augmenté de 900 millions d'euros entre 2017 et 2024, ces structures sont aujourd'hui au bord de la rupture face à une triple crise : crise des financement, crise de croissance, crise des vocations.

Les structures de l'hébergement connaissent une crise financière majeure liée à la sous-budgétisation chronique du programme 177, conduisant, au cours de l'année, à des suppressions de crédits, à de retards de versement des subventions, mais aussi à des paiements partiels de services faits. La guerre en Ukraine est un exemple de ce modèle défaillant de financement, aucune ligne budgétaire n'ayant jamais été prévue en loi de finances initiale pour financer l'hébergement des bénéficiaires de la protection temporaire.

Crise du financement des structures d'hébergement d'urgence

Source : Commission des affaires sociales

Les opérateurs de l'hébergement connaissent également une crise de croissance. Le fort accroissement du parc d'hébergement généraliste ne s'est pas accompagné d'une transformation de l'organisation de la veille sociale : le service d'information SIAO n'est pas abouti ni totalement déployé, la gestion des ressources humaines est défaillante, et les modes de financement ne répondent plus aux besoins des structures.

Enfin, les structures du secteur de l'accueil, de l'hébergement et de l'insertion souffrent d'une pénurie de recrutement. Si les revalorisations prévues par le Ségur social ont permis des hausses des rémunérations, il apparaît que les conditions de travail sont un frein à l'attractivité des métiers de ce secteur. Ainsi, le Samusocial de Paris relève que ses écoutants ont, en moyenne, 7 mois d'ancienneté, signalant un renouvellement régulier des effectifs. Les associations ont souligné leurs difficultés à recruter, mais surtout à fidéliser ces travailleurs sociaux qui ne trouvent pas de sens à leur travail, voire qui éprouvent un malaise face à celui-ci.

La mise en place, de façon formelle ou informelle, de critères de priorisation, devenues des critères de conditionnalité, d'accès à l'hébergement d'urgence a renforcé ce mal-être. L'impossibilité d'offrir des solutions à des publics vulnérables crée un sentiment de maltraitance pour les travailleurs sociaux. En sus, le tri opéré parmi les publics vulnérables remet en cause le principe d'inconditionnalité de l'hébergement d'urgence4(*). Aujourd'hui, à Paris, sont considérées comme prioritaires dans l'accès à l'hébergement les seules femmes victimes de violences, les femmes enceintes de plus de 8 mois et celles dont un enfant a moins de 3 mois.

La part des demandes non pourvues s'accroît depuis 2022 pour atteindre 60 % en moyenne entre janvier et juillet 20245(*), contre 34 % en 20226(*). En 2023, 90 % des demandes non pourvues le sont du fait d'un manque de places disponibles ou compatibles avec la composition du ménage7(*). Cette hausse des demandes non pourvues est d'autant plus inquiétante que 70 % des ménages à la rue n'ont plus recours au « 115 » selon Interlogement 93. La saturation du parc d'hébergement, en dépit de la hausse continue du nombre de places disponibles, est devenue un facteur de départ pour les travailleurs sociaux dont le métier perd son sens.

 
 

Source : Commission des affaires sociales

La gestion de l'accueil des déplacés ukrainiens

Depuis la guerre en Ukraine, la France accueille environ 100 000 Ukrainiens, bénéficiant du statut de la protection temporaire de l'Union européenne et non du statut de demandeur d'asile.

En 2023, environ 37 700 Ukrainiens bénéficiaient d'un dispositif pris en charge par le programme 177 : 22 700 au titre de l'intermédiation locative et 15 000 personnes au titre de l'hébergement citoyen accompagné par l'État. En 2024, il est estimé que le nombre de déplacés pris en charge par l'État se réduira à 32 000 personnes. Par ailleurs, 68 000 Ukrainiens présents sur le territoire sont autonomes.

Si le déploiement rapide de solutions d'hébergement et de logement adapté est à saluer, il convient de relever que les dispositifs et les financements proposés ne répondent pas aux besoins des acteurs.

En matière de financement, l'absence de budgétisation des ressources nécessaires à l'accueil de ce public a engendré des difficultés de trésorerie pour les organismes gestionnaires. Dans certains territoires, alors que le recours à la carte ADA par les Ukrainiens empêche tout prélèvement, les associations ont pris à leur charge les contrats de fluides (gaz, électricité, eau), dont les montants n'ont pas été remboursés.

En matière de dispositifs d'hébergement et de logement adapté, le public restant à la charge du programme 177 correspond à un public vulnérable, souvent en incapacité de travailler (vieillesse, handicap, mère célibataire, absence de cours de français) pour lequel il n'est pas possible d'envisager un glissement des baux.

La fin prématurée des financements à destination des déplacés ukrainiens pourrait mettre à la rue une partie de ce public. L'absence de prévisibilité et de solution de repli conduisent les Ukrainiens à demander massivement l'asile, risquant d'emboliser davantage le dispositif national d'accueil des personnes demandant asile.

Le rapporteur insiste sur l'importance de prévoir une ligne budgétaire dédiée à l'hébergement, l'accompagnement social et l'insertion par le logement des déplacés ukrainiens afin d'éviter une crise sociale et diplomatique, mais aussi le report de ce public sur la demande d'asile, qui serait par ailleurs contraire à la notion d'accueil temporaire, dans l'attente d'un retour pour reconstruire l'Ukraine. À son initiative, la commission a adopté à cette fin l'amendement n° II-1725 dotant cette action de 30 millions d'euros.


* 4 Art. L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles.

* 5 Dihal, 2024.

* 6 Projet de loi de finances pour 2025, projet annuel de performance du programme 177.

* 7 Unicef et Fédération des acteurs de la solidarité, Baromètre des enfants à la rue, 2024.

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