EXAMEN EN COMMISSION
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M. Louis Vogel, rapporteur pour avis. - Nous poursuivons l'examen des crédits de la mission « Justice » en abordant le programme 107 consacré à l'administration pénitentiaire.
En 2024, les crédits dépassent 5 milliards d'euros, ce qui est un seuil historique. Par rapport à 2023, les crédits augmentent de 1,5 %. L'augmentation doit cependant être relativisée, car elle résulte d'une moyenne entre une augmentation de près de 5 % des crédits de personnels et une baisse de 4,5 % des autres crédits. Si l'on ne prenait pas en compte les dépenses relatives aux pensions, l'augmentation du budget de l'administration pénitentiaire ne serait donc que de 0,8 % en 2024. De plus, l'augmentation des crédits de l'administration pénitentiaire doit être comparée aux 5,3 % d'augmentation du budget de la mission « Justice » dans son ensemble pour 2024.
Depuis 2018, le taux de croissance des budgets de l'administration pénitentiaire n'avait jamais été inférieur à 5 % et a même été supérieur à 7 % depuis 2020. La croissance des budgets marque donc le pas, mais ces derniers se stabilisent à un niveau élevé, comme l'indique le Gouvernement.
Ces moyens supplémentaires massifs sont nécessaires et servent depuis plusieurs années à mettre en place d'indispensables politiques de construction, de réhabilitation, de recrutement et de revalorisation des salaires. C'est le coeur du budget, j'y reviendrai.
Pour autant, je constate, à l'issue de mon premier exercice en tant que rapporteur pour avis, que ces moyens, et les politiques qu'ils financent, n'ont pas encore produit leurs effets dans un contexte particulièrement dégradé du fait de la surpopulation carcérale et de la perte de sens des métiers de l'administration pénitentiaire.
J'ai ainsi été frappé du consensus qui existe parmi les organisations syndicales, pourtant très divisées sur l'avenir de la profession, sur le fait que le métier de surveillant de prison n'est pas un métier que l'on exerce par vocation, mais seuls la rémunération et le statut permettaient encore d'espérer recruter, voire de conserver les effectifs existants.
J'aborderai trois points : le plan 15 000 places, ou « plan prisons », l'attractivité des métiers et enfin la surpopulation carcérale, qui conditionne tout le reste.
Les crédits relevant du programme 107 soutiennent au premier chef le plan Prisons. Contrairement aux années précédentes, en 2024, le budget de construction des 15 000 places de prison n'augmente pas. Cela tient au fait que, entre octobre 2023 et la fin de l'année 2024, 13 nouveaux établissements pénitentiaires devraient ouvrir leurs portes, marquant la fin de la première phase de construction des 15 000 nouvelles places.
L'administration pénitentiaire prévoit que les travaux du « plan 8 000 » - c'est-à-dire la deuxième phase du plan précité - s'engageront à partir de 2025.
Le directeur général de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ), que j'ai auditionné dans le cadre de ce rapport, m'a indiqué que le garde des sceaux lui avait donné pour objectif une ouverture de l'ensemble des établissements en 2027.
Ce volontarisme politique, qui permet de maintenir l'impulsion initiale du projet, fait cependant face à des difficultés très concrètes qui rendent, à mon sens, plus crédible l'objectif de parvenir à des établissements en voie de finalisation en 2027.
En effet, je rappelle que si toutes les emprises foncières ont été trouvées, c'est-à-dire identifiées par les préfets pour l'implantation des nouveaux établissements prévus, les négociations avec les collectivités sont en cours, et s'avèrent pour certaines très difficiles.
Le directeur général de l'APIJ a d'ailleurs indiqué que, pour la construction d'une prison, ces négociations prenaient un tiers du temps, l'octroi des différentes autorisations administratives le deuxième tiers, et la construction et la livraison le dernier tiers. Sachant que la durée de totale de construction d'une prison varie de six à huit ans et que nous sommes fin 2023, chacun pourra faire le décompte des prisons qui seront effectivement livrées le moment venu.
Ensuite, le budget pour 2024 met en place un certain nombre de mesures devant maintenir l'attractivité des métiers de la pénitentiaire et permettre le recrutement de nouveaux personnels, des créations de postes étant également prévues. Ainsi, les mesures d'amélioration catégorielle pour les fonctionnaires de l'administration pénitentiaire doivent doubler par rapport à 2023, pour atteindre 68,5 millions d'euros.
Il s'agit là de l'aboutissement d'une importante réforme statutaire, notamment permise par la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice (LOPJ) 2023-2027, qui repose, pour l'essentiel, sur le passage des surveillants pénitentiaires en catégorie B et des officiers en catégorie A. Très attendue, cette réforme intervient dans un contexte de fortes difficultés de recrutement et d'une dégradation des conditions de travail liée à la surpopulation carcérale.
La possibilité de recruter des surveillants adjoints, ouverte par la LOPJ, est une tentative de reproduire pour l'administration pénitentiaire les mécanismes de recrutement mis en place pour les forces de sécurité intérieure, particulièrement pour la police.
Enfin, je souhaiterais aborder un phénomène qui sous-tend le budget 2024 comme les précédents : l'augmentation de la population carcérale, qui a pour effet de dégrader les conditions de travail du personnel ainsi que les conditions de détention.
Vous connaissez les chiffres de cette hausse : après la forte baisse observée en 2020, en raison de la crise sanitaire, la population carcérale est repartie à la hausse et, en mars dernier, le seuil historique des 74 000 personnes détenues a été franchi, nombre en dessous duquel nous ne sommes jamais redescendus.
Cette situation est appelée à durer. Le taux de surpopulation carcérale prévu par le Gouvernement sera supérieur à 140 % jusqu'en 2026 et le principe de l'encellulement individuel a été reporté par la dernière loi de finances jusqu'en 2027. Voilà la réalité.
Je connais les importants débats qui ont déjà eu lieu au sein de notre commission sur les moyens de remédier à la surpopulation carcérale. Dans le cadre étroit d'un avis budgétaire et à la suite des auditions que j'ai menées, je souhaiterais simplement dresser quelques constats sur ce sujet.
Premièrement, il est évident que le plan 15 000 places ne sera pas la seule solution à la surpopulation carcérale. Ce plan, nécessaire et utile, doit être mis en oeuvre, mais il a d'abord pour finalité de remédier à la vétusté des établissements actuels, en déplaçant les prisonniers pour réhabiliter ou détruire et reconstruire les établissements existants, cela étant particulièrement urgent et indispensable pour l'Île-de-France.
L'objectif de réduction de la surpopulation carcérale ne pourra donc pas être atteint dans le cadre d'une logique purement bâtimentaire, le rattrapage du retard n'étant simplement pas possible.
Deuxièmement, les alternatives à la prison ne jouent pas leur rôle : elles ne se substituent pas à la prison, mais sont réservées aujourd'hui à un autre type de population.
J'ai pu entendre deux membres de la Cour des comptes, auteures d'un rapport paru en octobre dernier sur la surpopulation carcérale. Elles ont clairement établi que la courbe de l'incarcération et celle des alternatives à la prison se développaient de manière parallèle, sans jamais que l'une n'ait une influence sur l'autre, alors qu'elles devraient, en toute logique, se rapprocher. Ces alternatives ne viennent donc pas, aujourd'hui, réduire la population carcérale.
Troisièmement, les mécanismes automatiques de sortie de prison ne sont pas pleinement satisfaisants, car ils font peser sur les services pénitentiaires une contrainte guidée par les chiffres, au détriment des projets de réinsertion.
S'il est trop tôt pour faire le bilan de la libération sous contrainte voulue par le garde des sceaux, le constat fait par les syndicats et les services pénitentiaires d'insertion et de probation est d'abord celui d'une embolie des greffes pénitentiaires pour gérer cette mesure, qui repose finalement sur le seul critère que le détenu dispose d'un logement.
Quatrièmement, la surpopulation carcérale provient d'un déficit chronique de lieux d'accueil et de traitement dédiés aux troubles mentaux. Les moyens mis sur la psychiatrie en prison sont notoirement insuffisants.
Cinquièmement, la surpopulation carcérale provient également d'un durcissement de la réponse pénale et de l'augmentation de la durée moyenne des peines. Ce point dépasse le cadre de mon rapport, mais doit conduire notre commission à s'interroger sur la politique pénale, sur la manière dont elle est définie et sur ses objectifs.
Enfin - c'est le point le plus grave, à mon sens -, la surpopulation carcérale pèse sur les perspectives de réinsertion des détenus. Je m'inscris dans la lignée des rapports d'Alain Marc pour noter la faiblesse de la culture d'évaluation en la matière et, en règle générale, le manque de données permettant de mesurer l'efficacité de nos politiques de lutte contre la récidive.
La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté m'a fait part de l'exemple allemand : dans ce pays, 70 % des détenus travaillent, contre 28 % en France. Or la surpopulation carcérale empêche l'accès au travail et à toutes les activités, et détourne même de leur vocation les dispositifs de réinsertion comme les structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), dont la Contrôleure générale a indiqué qu'elles sont actuellement occupées par des détenus qui ne sont pas du tout proches de la sortie, à la seule fin de soulager les maisons d'arrêt. Les instruments de réinsertion sont donc dévoyés.
Dans cette perspective, les moyens liés à l'insertion et à la probation paraissent encore insuffisants, les services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) étant les enfants pauvres de ce budget pour 2024.
Pour autant, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire ». En effet, en dépit des difficultés qu'il me paraissait utile de souligner, nous pouvons saluer l'effort important réalisé pour les personnels et la volonté de développer les mécanismes de réinsertion, même si celle-ci ne s'est pas encore suffisamment concrétisée. Nous restons cependant conscients de l'important chemin qu'il reste à parcourir pour garantir que la peine ait un sens et que les objectifs de lutte contre la récidive et de promotion de la réinsertion soient atteints.
Mme Laurence Harribey. - Merci au rapporteur pour ce travail édifiant et cette analyse fine qui a bien identifié les problèmes, comme l'a aussi fait la Cour des comptes, autre source particulièrement pertinente. Avec 74 000 détenus, nous avons en effet atteint un record historique. Une fois que les prisons promises auront été construites et ouvertes, le taux de surpopulation carcérale s'établira encore à 140 %.
Le cas de la Gironde illustre bien le phénomène : outre l'établissement de Gradignan, déjà occupé à 240 %, la nouvelle prison qui ouvrira cette année ou l'année prochaine sera déjà occupée à 140 % ou 150 %.
Par ailleurs, je souscris complètement à votre remarque relative à l'évaluation. Les analystes de politiques publiques ont coutume de dire qu'une politique publique se perd non pas en voulant répondre à un problème, mais en cherchant à refléter la manière dont l'opinion publique perçoit un problème. Aujourd'hui, cette perception consiste à affirmer qu'il faut enfermer tous les délinquants, et tout discours qui s'en écarte est inaudible.
Il n'en reste pas moins que vouloir enfermer à tout prix toutes les catégories de délinquants, en plaçant côte à côte les primodélinquants, les délinquants plus endurcis et ceux touchés par des troubles psychiatriques, n'aboutit qu'à fabriquer de la récidive. Nous avons été un certain nombre à participer à des missions d'information, ce qui nous a permis de constater que la question de la récidive n'est absolument pas traitée. Nous pourrions tirer d'utiles enseignements des expériences du Québec ou de l'Allemagne.
Cette situation nous conduit à nous interroger sur le sens de notre politique pénale et sur la place qu'y occupe l'incarcération. Nous sommes prêts à accompagner le président de la commission afin que le Sénat porte des propositions dans ce domaine : nous en avons le temps et la volonté. L'audition du garde des sceaux a laissé apparaître une obsession pour la construction et l'enfermement, même si ses réponses ont aussi souligné la complexité de la question. Nous sommes à la croisée des chemins, d'autant que la question carcérale renvoie à de lourds enjeux politiques : nous ne pouvons pas prendre le risque de mener une politique qui ne répondrait pas aux attentes de nos concitoyens. Prenons le rapport au mot et travaillons dans cette direction.
Mme Nathalie Delattre. - Je partage également les conclusions de ce rapport de grande qualité et m'associe à la volonté de Laurence Harribey de dépasser ce travail afin de bâtir des propositions plus audacieuses.
Face à ce triste record de surpopulation carcérale, nous plaçons notre espérance dans les livraisons de nouveaux bâtiments, même si les propos du ministre de la justice suscitent des inquiétudes. S'il paraît tout à fait sincère lorsqu'il se dit très préoccupé par la situation, il semble dans le même temps démuni. Ainsi, lorsque j'ai évoqué le cas de Gradignan et du nouveau bâtiment qui comptera 602 places alors que 840 personnes sont détenues, je n'ai obtenu que peu de réponses. Certes, le taux de surpopulation carcérale diminuera, mais, en pratique, outre l'utilisation de lits doubles dans les cellules, nous savons sera déjà que des matelas seront à nouveau installés à même le sol, ce qui est inacceptable.
Le ministre a été par ailleurs peu disert sur l'acquisition de nouveaux matériels, source de motivation qui doit accompagner la revalorisation des émoluments. Pour prendre l'exemple des drones, ces engins sont utilisés à Gradignan pour des livraisons expresses de drogue, d'armes blanches, et peut-être demain d'armes à feu. Il est nécessaire que notre personnel en soit aussi muni, ainsi que de caméras-piétons et de pistolets à impulsions électriques face aux tensions liées à la suroccupation des cellules.
Concernant le foncier, il est certain que peu de communes considèrent l'arrivée d'un établissement pénitentiaire d'un bon oeil, ce qui semble logique compte tenu des problématiques de sécurité qui se posent autour des prisons, notamment en zone urbaine : les riverains sont excédés et les maires savent d'avance qu'ils feront face à de nombreuses difficultés.
Enfin, au sujet de la psychiatrie, qui me tient particulièrement à coeur, la France compte 1 % de schizophrènes, mais la population carcérale en dénombre plus de 7 %, sans qu'aucune obligation de soin n'existe. Ces détenus n'ont rien à faire en prison et devraient aller dans des établissements spécialisés tels que celui de Cadillac, dont certains services sont d'ailleurs menacés de fermeture.
Au-delà des amendements que nous pourrions présenter dans le cadre de cette mission, il est indispensable d'établir un lien avec la commission des affaires sociales pour se joindre à la construction d'un plan dédié à la psychiatrie en milieu carcéral. En l'état, les personnes détenues et souffrant de troubles psychiatriques ressortiront sans avoir été soignées, ou du moins sans suivi, ce qui est très préoccupant pour eux et pour la société.
M. Philippe Bas. - Les enjeux de la politique pénitentiaire ont été parfaitement décrits par le rapporteur. Nous parlons soit de sous-capacité carcérale soit de surpopulation carcérale. Si les deux notions sont symétriques, l'intention qui les sous-tend n'est pas la même. La question quantitative, réelle, ne saurait être escamotée, mais est loin de résumer les enjeux de la politique pénitentiaire.
Vous avez, je crois, fait crédit au Gouvernement de son volontarisme en la matière, mais je ne partage pas cet avis. En 2017, le Président de la République avait annoncé la création de 16 000 places pour son premier mandat : on peut dire que c'était impossible, mais on ne peut pas dire qu'il ne les avait pas promises.
S'il s'agissait de volontarisme, la politique pénitentiaire aurait pris exemple sur le chantier de Notre-Dame-de-Paris ou sur les jeux Olympiques, en modifiant les règles d'urbanisme pour aller plus vite. Or rien de tel n'a été fait pour les prisons, d'où un bilan des cinq dernières années très mauvais, avec un peu plus de 2 000 places ouvertes, venant compenser certaines fermetures. J'ajoute que la construction de ces places a été lancée avant 2017.
J'apporte ces précisions par souci d'exactitude, non pas pour faire des reproches aux deux ministres de la justice et aux gouvernements qui se sont succédé depuis 2017. Il est inexact de parler de volontarisme alors que nous n'avons pas réellement pris le problème à bras-le-corps.
Par ailleurs, nous n'avons pas suffisamment réfléchi à l'élargissement de la palette des solutions d'enfermement. En fin de détention, les risques d'évasion sont ainsi plus faibles, ce qui devrait nous inciter à diversifier nos modèles de prisons.
La capacité carcérale reflète l'évolution de la délinquance et des réponses apportées. Vous avez justement souligné que l'allongement et l'aggravation des peines ne représentent pas une solution convaincante à la surpopulation, au même titre que les peines alternatives.
Concernant l'utilité de la peine et son découpage en plusieurs phases afin de préparer une éventuelle réinsertion et de prévenir la récidive, les questions de l'accès à la formation, au travail et à la santé pendant la durée de la détention sont déterminantes. Au fond, la question n'est pas tant de savoir si un délinquant ou un criminel passera cinq ou sept ans ou en prison, mais de savoir ce qu'il fera à sa sortie. La peine sert non seulement à punir, mais également à donner des chances de réinsertion ultérieure aux individus condamnés.
Il me semble qu'il s'agit de l'enjeu majeur auquel nous faisons face, et que nous avons fort à faire pour convaincre nos concitoyens que la véritable protection réside non pas dans la longueur de l'enfermement, mais dans la qualité de la sortie. Le Sénat a son rôle à jouer afin de forger des solutions équilibrées.
M. Alain Marc. - Je félicite à mon tour le rapporteur pour la qualité de ses analyses. Pour avoir été moi-même rapporteur sur ces crédits, je crains que plus personne ne se soucie des prisons une fois l'examen du projet de loi de finances passé, qu'il s'agisse de la réinsertion ou de la maladie mentale des détenus.
Je rejoins l'avis de mes collègues Laurence Harribey et Nathalie Delattre : il me semble que nous pourrions engager, au sujet des prisons, un travail plus approfondi et dans la durée, à la différence du ministre, qui est confronté à l'urgence des situations. Nous nous honorerions à proposer des solutions qui nous permettraient, à l'occasion du prochain PLF, de guider les choix du Gouvernement, en matière de construction de prisons ou de santé mentale des détenus, en dépassant ainsi le stade du simple constat.
M. André Reichardt. - Nous sortons d'un débat sur l'immigration et l'intégration, au cours duquel les infractions commises par des immigrés irréguliers ont été évoquées. Avez-vous travaillé sur ce point précis ? Disposez-vous, notamment, de chiffres concernant les détenus en situation irrégulière ? Peut-on en tirer des conclusions sur le plan de la surpopulation carcérale ?
M. Olivier Bitz. - Je formulerai une observation, dans le cadre de ce débat budgétaire, sur l'efficience de l'utilisation de l'argent public, notamment au niveau des maisons d'arrêt, dans lesquelles les mesures de sécurité nécessitent un certain nombre d'agents pénitentiaires et induisent des coûts élevés.
Nous gagnerions à engager une réflexion sur la différenciation des régimes de détention : des détenus condamnés pour des infractions routières ne posent ainsi aucune difficulté de sécurité en détention. Si l'on souhaite optimiser la dépense en milieu pénitentiaire, cette réflexion est incontournable. Un mouvement avait été lancé quelques années plus tôt avec le module Respecto, qui confie une forte autonomie aux personnes détenues. J'estime que les efforts à fournir dans ce domaine restent nombreux dans les maisons d'arrêt.
Mme Marie Mercier. - Je partage les propos de Laurence Harribey au sujet de l'opinion publique. Gardons-nous du prêt-à-penser, car il est très facile de dire qu'il faut enfermer tout le monde et construire des prisons sans avoir évalué leur efficacité. Je souhaite d'ailleurs remercier les éducateurs, les assistants sociaux et tous les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), dont l'implication extraordinaire au service de la réinsertion devrait nous conduire à nous appuyer davantage sur leurs retours d'expérience.
Dans la majorité des cas, lorsque la prison ne fonctionne pas, il faut proposer autre chose aux détenus afin de les revaloriser. Interrogeons-nous sur les moyens d'éviter la récidive de personnes qui ont payé leur dette à la société.
M. Louis Vogel, rapporteur pour avis. - Madame Harribey, les membres de la Cour des comptes que j'ai rencontrées préparent un deuxième rapport, qui développera les hypothèses de leur première publication, les résultats les ayant elles-mêmes surprises. Il faudra suivre ces travaux, sachant qu'elles sont prêtes à venir nous les présenter.
Pour ce qui concerne l'évaluation, les personnels des Spip demandent à être associés à l'évolution des indicateurs, car ceux qui sont retenus ne reflètent absolument pas la réalité.
Madame Delattre, 5,8 millions d'euros sont consacrés à ce stade à la sécurisation des établissements et à lutte anti-drones, un montant limité qui traduit néanmoins une prise de conscience.
Monsieur Bas, vous avez évoqué comme Olivier Bitz l'élargissement de la palette des solutions d'enfermement. En réalité, la différenciation est l'une des clés du problème, les personnels ayant souvent évoqué une spécialisation des prisons en fonction du profil des détenus. Parallèlement, des pesanteurs existent du côté des syndicats, qui veulent que l'APIJ construise un certain type de prisons.
Il faut dépasser ces contradictions et aller vers la différenciation des établissements et des manières de traiter les détenus, ce qui permettrait d'ailleurs de réaliser des économies dans certains endroits et de réaffecter les moyens ailleurs.
Monsieur Marc, la commission des lois pourrait en effet conduire un travail de fond sur la politique pénale, les interrogations étant nombreuses.
Monsieur Reichardt, nous ne disposons pas de chiffres sur le nombre d'étrangers en situation irrégulière dans les prisons, hormis le fait qu'ils sont davantage incarcérés en l'absence de peines alternatives. À ce sujet, j'ai demandé aux syndicats s'ils préféraient des quartiers spécialisés dans les maisons d'arrêt ou des maisons d'arrêt spécialisées : ils plébiscitent la seconde option.
Madame Mercier, vous avez tout à fait de raison de souligner que la sortie de prison est l'enjeu le plus important, bien qu'il disparaisse du débat aujourd'hui. Le rapport a été abordé dans un premier temps au seul prisme du bâtimentaire, mais il est très vite apparu que des places supplémentaires de prison ne régleront pas les problèmes.
La seule solution viable réside, me semble-t-il, dans une véritable politique pénale qui se donne pour objectif de réduire la surpopulation carcérale. Certains établissements n'ont jamais reçu la visite de magistrats, ce qui illustre une partie de la problématique.
M. François-Noël Buffet, président. - Nous avons un problème de continuum : la police fait au mieux, la justice est peu à peu remise à niveau, mais nous oublions toujours l'échelon pénitentiaire, la plus importante sur le plan budgétaire. Je crois que notre système pénal pèche au niveau de l'exécution des peines : en réalité, toutes les peines sont exécutées, mais elles le sont dans délais extrêmement variables, et parfois bien trop tardivement.
Par ailleurs, nous devons aussi diversifier les lieux privatifs de liberté et n'utilisons pas suffisamment, en particulier, la semi-liberté : une série d'infractions et des personnalités ne nécessitent pas un placement dans un endroit bardé de portes et de surveillants, mais simplement un lieu privatif de liberté permettant d'exécuter la peine dans les conditions souhaitées par les tribunaux. Ce sujet est, selon moi, essentiel.
Je vous propose donc de mettre en place, en début d'année 2024, mission d'information dédiée aux modalités d'exécution des peines, afin de donner davantage de cohérence à l'ensemble.
Par ailleurs, la construction de lieux privatifs de liberté est toujours source de difficultés, puisque tous réclament des prisons, mais à la condition de ne pas les construire sur leur territoire. Peut-être faudra-t-il instaurer un système dérogatoire afin de réussir à construire.
J'ai pu visiter des centres d'incarcération en Allemagne : nous sommes à cent lieues de nos voisins, qui réfléchissent en amont à l'immobilier et au concept du lieu privatif de liberté. En outre, les détenus travaillent le plus souvent, à la différence d'établissements français tels que celui de Gradignan.
Tous ces sujets doivent être expertisés de manière large, sans quoi nous ne dépasserons pas le stade des déclarations de principe.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - J'allais faire la même suggestion. Un débat très intéressant a émergé, dépassant le seul cadre budgétaire, nos positions n'étant pas nécessairement si éloignées sur ce sujet.
Mme Dominique Vérien. - L'Espagne pourrait être un cas d'étude intéressant, de nombreux responsables ayant expérimenté eux-mêmes la prison sous le franquisme avant d'avoir à traiter de la justice dans leur pays.
Mme Patricia Schillinger. - Je vous invite à venir visiter le centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach, ouvert récemment et déjà suroccupé. J'ajoute que la population carcérale a changé, avec de nombreuses personnes originaires d'Europe de l'Est et des dossiers impliquant des comportements plus violents. En outre, la construction de la prison de Mulhouse-Lutterbach a été l'objet d'un conflit avec les élus locaux, ce qui en fait un cas d'étude intéressant.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 107 « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice ».