N° 134

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 novembre 2023

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution,
pour
2024,

TOME IV

JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES ET JURIDICTIONS FINANCIÈRES

Par M. Guy BENARROCHE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Philippe Bonnecarrère, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, M. Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) : 16801715, 1719, 1723, 1745, 1778, 1781, 1805, 1808, 1820 et T.A. 178

Sénat : 127 et 128 à 134 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

Les programmes 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » et 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières » de la mission « Conseil et contrôle de l'État », inscrits au projet de loi de finances pour 2024, présentent des crédits en augmentation de 8,6 % et un schéma d'emplois également en hausse pour le programme 165, avec une poursuite des renforcements des équipes de magistrats et d'agents de greffes des tribunaux administratifs (TA) et des cours administratives d'appel (CAA) (+ 41 ETP).

Les juridictions administratives demeurent soumises à une forte progression des entrées contentieuses qui atteint de 2017 à 2022, 22 % dans les TA et 15 % à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Au premier semestre 2023, les entrées des TA et des CAA ont augmenté à nouveau, respectivement, de 5,3 % et 4,6 %. Dans ce contexte qui nécessite une mobilisation soutenue, les mesures de réévaluation indiciaire qui ont procédé à un alignement de la grille des magistrats sur celle des administrateurs de l'État constituent une première avancée importante, de même que le rapport rendu par le groupe de travail sur la charge de travail des magistrats.

Deux juridictions spécialisées méritent une attention particulière : la CNDA que le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, adopté par le Sénat et qui va être prochainement discuté devant l'Assemblée nationale, est susceptible de profondément transformer, avec la création de chambres territoriales, et la Commission du contentieux du stationnement payant (CCSP), désormais entièrement sous la responsabilité du Conseil d'État et dont le stock d'affaires restant à juger a augmenté de 40 % en 2022, passant de 130 831 dossiers à 183 429.

S'agissant du programme 164, le plan « JF 2025 » est à mi-parcours et il est trop tôt pour en faire le bilan. Le rapporteur note toutefois que les nouvelles orientations sont mises en oeuvre à moyens humains constants. Dans ces conditions, une inquiétude demeure quant à la manière dont les chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC) pourront continuer à assumer leur rôle en matière de contrôle de régularité et de lutte contre les atteintes à la probité au niveau local.

Par ailleurs, le rapporteur a estimé nécessaire, comme l'année dernière, d'ajuster les indicateurs du programme 164 pour mieux rendre compte du rôle des juridictions financières en matière de contrôle des comptes et de la gestion, ainsi que de leurs nouvelles missions résultant du plan « JF 2025 ».

I. LES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES

A. PRÉSENTATION DES PRINCIPALES ÉVOLUTIONS DU PROGRAMME 165

Le programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » présente une hausse des crédits de paiement de 11,1 % (à comparer à la progression de 9,1 % l'année dernière), soit 58,4 millions d'euros supplémentaires, et un schéma d'emplois en augmentation de 41 équivalents temps plein (ETP) comme les deux années précédentes1(*), conformément à la programmation pluriannuelle 2023-2027.

Évolution des crédits de paiements du programme 165 depuis 2018 (en M€)

Source : commission des lois, sur la base des documents budgétaires

Ces montants prennent en compte un transfert entrant des crédits de budget de fonctionnement et des personnels de greffe de la Commission du contentieux du stationnement payant (CCSP) depuis l'action « État-major et services centraux » du programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur » ( mission « Administration générale et territoriale de l'État »). La CCSP devient en effet à compter du 1er janvier 2024 intégralement rattachée au programme 165 alors que seule la rémunération des magistrats était jusqu'à présent imputée sur ce programme.

Ce rattachement se traduit par un abondement de 11,5 millions d'euros de crédits de paiement, ce qui représente 2 % des crédits de paiement votés en loi de finances initiale (LFI) pour 2023 :

· 7,6 millions d'euros correspondant à 143 emplois d'agents de greffe transférés sur le programme 165, étant précisé qu'aucun recrutement supplémentaire n'est prévu en 2024 ;

· 3,9 millions d'euros de dépenses de fonctionnement dont 2,7 millions d'euros consacrés aux dépenses informatiques.

En dehors de ces mesures de transfert, des crédits supplémentaires sont consacrés aux dépenses de titre 2 (+ 22,5 millions d'euros) notamment pour renforcer les moyens humains de certaines juridictions administratives. Comme en 2022 et 2023, sont prévus, outre un emploi de membre du Conseil d'État, 25 emplois de magistrats et 15 emplois d'agents de greffe.

En 2023, des redéploiements de magistrats des CAA vers les TA ont été réalisés : 9 emplois de magistrats ont ainsi été supprimés dans les CAA de Bordeaux et Marseille à la suite de la création de la CAA de Toulouse, tandis que 22 postes ont été créés dans les TA, notamment 9 au TA de Nantes avec la création de deux chambres supplémentaires, et des postes en surnombre de conseiller ou premier conseiller ont été ouverts dans les tribunaux de Clermont-Ferrand, Grenoble, Montreuil et Nice. Quant aux agents titulaires des greffes, les augmentations les plus notables ont concerné le TA de Mayotte en raison des importantes difficultés liées à l'augmentation du contentieux du droit des étrangers qui représente 91 % de son activité, ainsi que ceux de Nantes, Bordeaux, Cergy Pontoise, Dijon et Melun.

Les crédits hors titre 2, qui représentent 25 % des crédits du programme avec 146,7 millions d'euros, sont également en augmentation (+ 23,9 %, soit 28,3 millions d'euros) par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2023, principalement en raison des dépenses d'investissement en matière immobilière (52,6 millions d'euros notamment liés aux opérations de relogement de la CNDA et du TA de Montreuil) et informatique (7,1 millions d'euros majoritairement consacrés à la refonte du système d'information du contentieux administratif).

B. UNE REVALORISATION DU STATUT DES MAGISTRATS BIENVENUE
AU REGARD DE LEUR CHARGE DE TRAVAIL

Les juridictions administratives demeurent soumises à une forte progression des entrées contentieuses depuis plusieurs années. Cette progression atteint, de 2017 à 2022, 22 % dans les TA et 15 % à la CNDA. Au premier semestre 2023, les entrées des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ont augmenté à nouveau, respectivement, de 5,3 % et 4,6 %.

Au sein des tribunaux administratifs, le taux de couverture global a été inférieur à 100 % en 2022 et a naturellement eu pour conséquence une augmentation du stock d'affaires en instance. Au 31 décembre 2022, ce stock a ainsi atteint 200 093 dossiers en données nettes, soit une augmentation de 4,7 % par rapport à la situation observée au 31 décembre 2021. La part des affaires de plus de 2 ans augmente, elle, de 8,7 % et s'établit à 10,3 % comme en 2021.

Les perspectives en 2024 ne semblent pas apporter de signes de fléchissement. Selon le secrétaire général du Conseil d'État, la simplification du contentieux des étrangers en cours de discussion dans le cadre de la loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration aura peu d'effet sur le volume, mais plutôt sur le traitement. Quant à l'instruction « à 360° » des demandes de titres de séjour - que le Conseil d'État avait recommandée dans un rapport de mars 2020 relatif à la simplification du contentieux des étrangers -, elle ne serait dans un premier temps qu'une expérimentation.

Dans ce contexte qui nécessite une mobilisation soutenue, les mesures de réévaluation indiciaire qui ont procédé à un alignement de la grille des magistrats sur celle des administrateurs de l'État2(*) constituent une avancée importante, étant souligné leur caractère indispensable pour maintenir l'attractivité du corps qui constitue un enjeu de bon fonctionnement pour les juridictions administratives.

Pour achever l'adaptation du corps des magistrats de TA et CAA à la réforme de la haute fonction publique, restent encore à modifier le régime indemnitaire pour assurer une convergence avec les administrateurs de l'État et le régime des incompatibilités ; des discussions sont en cours avec les deux syndicats dans le cadre des réunions de dialogue social que le Conseil d'État organise.

Parallèlement, les conclusions du groupe de travail sur la charge de travail des magistrats menée sous l'égide de la cheffe de la mission d'inspection des juridictions administratives, ont également été saluées. Le rapport d'étude remis au vice-président du Conseil d'État le 3 juillet 2023 procède à différents constats qui confirment le ressenti des magistrats, notamment sur les effets indésirables de la dématérialisation, avec une inflation significative de la taille du dossier numérique et un amoindrissement du sens collectif du travail, ou encore sur la reconnaissance des charges annexes, en particulier la participation au collectif juridictionnel, qui comprend des missions variées comme les groupes de travail, les fonctions de référent, la participation au projet de juridiction, des activités de représentation...

Ce travail ouvre de nombreuses pistes d'amélioration, par exemple sur une fixation de la « norme » attendue des magistrats qui permette une répartition plus collective du travail au sein des juridictions, sur l'expérimentation de magistrats « placés » à l'instar de ce qui existe dans les juridictions judiciaires, pour atténuer les effets de la « volatilité » des effectifs3(*), ou encore sur l'élaboration avec les avocats d'une charte de présentation des écritures. Il conviendra d'en assurer la mise en oeuvre concrète, à l'instar du rapport du groupe de travail sur l'avenir des greffes dont les conclusions sont encore soumises à la réflexion collective.

Enfin, la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 instaure pour l'ensemble des membres de la juridiction administrative une prestation de serment qui était attendue de longue date.

C. LA CNDA, UNE JURIDICTION EN VOIE DE TRANSFORMATION

Le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, adopté par le Sénat et en cours d'examen devant l'Assemblée nationale, prévoit une réforme de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) selon deux grands axes :

· une inversion du principe de collégialité, pour confier les dossiers au jugement d'un juge unique, sauf décision contraire du président de la CNDA ou du président de chambre s'il estime que l'affaire « pose une question qui le justifie ».

En l'état de la législation4(*), la Cour statue au contraire par principe en formation collégiale, sauf dans un nombre de cas limités - qui correspondent à certaines procédures suivies devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) - dans lesquelles le président de la Cour ou de la formation de jugement statue seul ;

· une territorialisation pour s'adapter au fait que plus de 45 % des recours sont désormais issus de demandeurs résidant en région et éviter ainsi au requérant un ou plusieurs déplacements à Montreuil en cas de renvoi (30 % des cas).

Le président de la CNDA et le secrétaire général du Conseil d'État ont tous deux affirmé au rapporteur qu'ils étaient attachés au principe de collégialité et que seuls certains dossiers justifieraient le recours à un juge unique. Il s'agirait, selon eux, de pouvoir orienter des dossiers vers un seul juge, non plus en raison de la procédure suivie devant l'OFPRA, mais plutôt en raison du fond du dossier, par exemple, lorsqu'une protection est accordée en raison de la situation de « violence aveugle d'intensité exceptionnelle » sévissant dans un État.

Répartition des décisions rendues par la CNDA par modalité de jugement en 2022

Source : Rapport public 2022 des juridictions administratives

La réforme envisagée comporterait surtout des enjeux organisationnels s'agissant de la territorialisation qui pourrait être déployée progressivement en fonction de différents paramètres : les bassins de langues identifiés, l'offre de desserte assurée par les transports en commun, les salles d'audiences disponibles au sein des CAA. Cette territorialisation supposera par ailleurs de recruter suffisamment d'assesseurs et d'interprètes localement, de même que de disposer des services d'avocats bien formés aux spécificités du droit d'asile. Les premières chambres territoriales pourraient être ouvertes en septembre 2024 à Nancy et Lyon où des vidéo-audiences sont déjà organisées.

Le service de l'interprétariat à la CNDA

La CNDA met gratuitement à disposition du requérant, pour l'assister à l'audience, un interprète qui a prêté serment d'apporter son concours à la justice en son honneur et en sa conscience, devant le président de la Cour ou l'un des vice-présidents5(*).

L'interprète est désigné dans la langue choisie par le demandeur d'asile ou, à défaut de choix de sa part ou dans le cas où sa demande ne peut être satisfaite, dans une langue dont il a une connaissance suffisante.

Les frais de justice de la CNDA sont ainsi constitués majoritairement de frais d'interprétariat et, dans une moindre mesure, de frais postaux : la dotation des frais de justice inscrite en PLF 2024, s'établit à 11,2 millions d'euros.

La CNDA a passé différents marchés publics, organisés par lots selon des zones géographiques, pour pouvoir assurer l'interprétariat dans une centaine de langues différentes. Les interprètes doivent justifier de diplômes universitaires et d'une expérience préalable en matière de traduction et d'interprétariat ainsi que de connaissances géopolitiques, juridiques et administratives. Ils se conforment aux devoirs et aux obligations qui sont attachés à cette fonction, énoncés dans le recueil des obligations déontologiques des interprètes à la CNDA.

Leur mission se limite à l'audience et ils doivent s'abstenir de tout contact préalable ou postérieur avec le demandeur ou l'avocat de ce dernier. L'interprète est en effet le lien entre le requérant et la formation de jugement, non entre l'avocat et le requérant en dehors de l'audience.

Lors de sa visite à la CNDA, le rapporteur a pu mesurer les difficultés de la mission qui leur est confiée, en particulier lorsqu'il s'agit d'intervenir dans une langue rare. Les interprètes ont souvent eux-mêmes des liens personnels avec les pays d'où proviennent les demandeurs d'asile. De ce fait, ils doivent faire une appréciation fine des éventuels conflits d'intérêts. Par ailleurs, leur intervention à la CNDA peut les soumettre, ainsi que leur entourage, à des pressions de la part des autorités de l'État concerné. Leur engagement doit être salué.

Selon les estimations du président de la CNDA, seul un quart des dossiers seraient concernés par la territorialisation, ce qui représenterait 5 chambres sur les 23 que compte la CNDA actuellement.

Dans ces conditions, une partie du projet immobilier de relogement de la CNDA et du tribunal administratif de Montreuil dans la tour AFPA devrait être redéfinie car ce projet, qui doit être livré en septembre 2026, a été à l'origine conçu pour 732 postes de travail, 22 chambres et 40 salles d'audience côté CNDA.

Si la réforme était menée à son terme, il conviendrait donc de réfléchir à un autre usage pour une partie de ces locaux, dont le coût de réfection a déjà été réévalué à la hausse, passant de 119,6 millions d'euros à 129,82 millions d'euros pour tenir compte de l'évolution du contexte économique6(*). L'hébergement du centre de formation des juridictions administratives un temps évoqué a semble-t-il été écarté en raison de l'éloignement du nouveau site des gares.

D. LA CCSP, UNE JURIDICTION HISTORIQUEMENT SOUS-DIMENSIONNÉE DÉSORMAIS INTÉGRALEMENT RATTACHÉE AU PROGRAMME 165

La Commission du contentieux du stationnement payant (CCSP), qui prend en charge les recours en matière de stationnement des véhicules sur voirie, fait face depuis le début de l'année 2021 à une augmentation considérable du nombre de recours.

Cette juridiction administrative spécialisée a été sous-dimensionnée dès sa création en 2018 : elle a été dotée de 120 ETPT sur la base d'une activité estimée à 100 000 requêtes par an alors que dès 2019, elle en a enregistré 120 243.

En 2020, elle a subi deux « chocs organisationnels » selon les termes de sa présidente que le rapporteur a auditionnée :

· l'abrogation par la décision n° 2020-855 QPC du 9 septembre 2020 du Conseil constitutionnel des dispositions de l'article L. 2333-87-5 du code général des collectivités territoriales faisant de l'obligation préalable de paiement une condition de recevabilité des recours devant la CCSP ;

· la décision n° 436605 du 18 décembre 2020 du Conseil d'État qui a considérablement limité les effets des renonciations à action automatiques (RAA) prévues par l'article R. 2333-120-39 du code général des collectivités territoriales, obligeant la commission à donner acte de la renonciation par ordonnance si le requérant fournit une réponse au-delà du délai d'un mois imparti.

Ces deux décisions ont considérablement augmenté l'activité de la commission, la première en incitant les redevables de forfaits post-stationnement à saisir la commission, compte tenu de la suppression d'une « barrière à l'entrée », et la seconde, en empêchant le classement de 250 000 dossiers de RAA et mobilisant un effectif de 13 agents pour établir les ordonnances constatant les renonciations.

Activité de la commission du contentieux du stationnement payant en 2022

Source : Rapport public 2022 des juridictions administratives

Les affaires jugées (110 866) comprennent le nombre de décisions juridictionnelles - décisions et ordonnances - au nombre de 59 630 en 2022, soit une augmentation, par rapport à l'année précédente, de + 21 %, ainsi que les RAA, au nombre de 51 236. Au terme de l'année 2022, le stock d'affaires restant à juger a augmenté de 40 %, passant de 130 831 à 183 429 dossiers, ce qui représente deux années d'activité juridictionnelle.

Le transfert de la CCSP en programme 165 est opéré à effectif constant en PLF 2024. Une demande de création de postes devrait être formulée dans les prochaines années : pour faire face à cette situation, il manquerait entre 20 et 30 ETP d'agents de greffe

Préalablement, pour assurer un bon encadrement de ces personnels supplémentaires, il conviendra impérativement d'avoir pourvu les 15 postes de magistrats prévus depuis 2022. Les magistrats ont en effet un rôle essentiel puisqu'ils conçoivent les modèles sur la base de cas-types, supervisent les pôles d'aide à la décision spécialisés et signent plusieurs milliers de décisions par an.

En 2023, l'effectif réel de magistrats a été limité, cheffe de juridiction incluse, à 13,8 au 31 août et 13 au 1er septembre 2023.

Le suivi de la performance de la CCSP

Si le rapporteur approuve le rattachement de la CCSP au programme 165 sous la responsabilité du Conseil d'État, il regrette que le transfert du budget de fonctionnement et des personnels de greffe de la Commission du contentieux du stationnement payant ne se soit pas accompagné d'un changement de maquette au sein du programme 165 pour qu'une action spécifique soit consacrée à la CCSP, comme cela est le cas pour la CNDA.

En l'état, les crédits sont répartis au sein de l'action «Fonction études, expertise et services rendus aux administrations de l'État et des collectivités » et de l'action « Soutien ».

Le rapporteur spécial de l'Assemblée nationale a eu une initiative pertinente : il a ajouté la CCSP dans les indicateurs de performance du programme 165 lorsque cela était possible, par amendement à l'article 38 (État G). Le suivi de la performance de la juridiction serait toutefois plus aisé si une action lui était consacrée.

Il est à noter que compte tenu de la configuration actuelle du système d'information de la CCSP, qui a été conçu par le ministère de l'intérieur, il n'est pas possible de calculer le délai moyen constaté de jugement à la CCSP, mais uniquement un délai prévisible moyen de jugement. L'intégration de ce système d'information dans l'univers « Conseil d'État » pourrait être source de difficultés.

II. LES JURIDICTIONS FINANCIÈRES

A. PRÉSENTATION DES PRINCIPALES ÉVOLUTIONS DU PROGRAMME 164

Les moyens du programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières » sont en augmentation avec des crédits de paiement en hausse de 3,2 % (contre 9,2 % l'année dernière), soit 7,8 millions d'euros.

À titre liminaire, le rapporteur souligne cette année encore que, contrairement à ce qui est fait pour le programme 165 entre le Conseil d'État, les cours administratives d'appel, les tribunaux administratifs et la CNDA, les crédits du programme 164 ne sont pas ventilés entre la Cour des comptes et les chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC), ce qui n'assure pas une bonne lisibilité du document budgétaire.

Évolution des crédits de paiements du programme 164 depuis 2018 (en M€)

Source : commission des lois, sur la base des documents budgétaires

Ces crédits supplémentaires concernent très majoritairement des dépenses de personnel (titre 2) qui connaissent une augmentation de 8,6 millions d'euros (+ 4 %) par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2023.

Cette augmentation est notamment liée aux effets de l'extension en année pleine de la revalorisation indiciaire des magistrats financiers intervenue dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique7(*) le 1er juillet 2023 (1,7 millions d'euros) et des mesures du rendez-vous salarial décidées en 2023 (3 millions d'euros).

L'article 50 F (nouveau) du projet de loi de finances pour 2024

Le Gouvernement a souhaité porter à 12 - au lieu de 6 actuellement - le nombre de postes de conseillers maîtres en service extraordinaire ouverts à des personnes « dont l'expérience et l'expertise particulières sont nécessaires aux activités et missions de la Cour des comptes »8(*).

Ces 12 postes s'ajouteraient aux 12 postes de conseillers maîtres en service extraordinaire ouverts aux fonctionnaires appartenant au corps de contrôle des ministères ou des personnes ayant exercé des fonctions d'encadrement supérieur au sein de l'État ou d'organismes soumis au contrôle des juridictions financières pour assister la Cour des comptes dans l'exercice de ses compétences9(*).

S'ils n'ont pas la qualité de fonctionnaires, les conseillers maîtres en service extraordinaire sont recrutés par contrat, pour une durée de 5 ans non renouvelable, et rémunérés directement par la Cour.

Toutefois, la nécessité de cette mesure ne paraît pas s'imposer avec évidence dans la mesure où :

- le nombre de conseillers maîtres en fonction à la Cour représente plus du double de celui des conseillers référendaires, qui ne sont qu'une cinquantaine en poste à la Cour ;

- la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 a déjà grandement facilité la nomination de conseiller maître au tour extérieur en intégrant dans le calcul du nombre de nominations possibles les promotions des conseillers référendaires en fonction à la Cour et ceux en détachement, qui représentent environ 40 % des conseillers référendaires.

Les crédits de paiement, hors titre 2, qui visent à assurer aux juridictions financières les moyens informatiques et immobiliers leur permettant d'exercer leurs missions, sont en légère baisse avec un montant de 27,4 millions d'euros (contre 28,1 millions d'euros l'année dernière). Comme les années précédentes, l'accent devrait être mis sur la poursuite des projets informatiques nécessaires à l'appui aux missions exercées par les équipes de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC) et sur la densification et la rénovation énergétique des bâtiments.

B. UN PLAN « JF 2025 » À MI-PARCOURS

Le Premier président de la Cour des comptes a fixé diverses orientations stratégiques pour les juridictions financières à la suite du chantier « JF 2025 » mené au sein des juridictions financières en 2020. Deux mesures ont trouvé rapidement une traduction législative10(*) mais ne peuvent encore faire l'objet d'un bilan :

· les nouvelles missions d'évaluation des politiques publiques territoriales, sur demande des régions, des départements ou des métropoles, et d'avis sur les conséquences d'un projet d'investissement exceptionnel dont la maîtrise d'ouvrage est directement assurée par la collectivité territoriale ou l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre11(*) ;

À ce jour, seul le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes a fait usage de ce « droit de tirage » et a saisi la chambre régionale pour évaluer les investissements de la SNCF en trains de desserte régionale et leur impact sur la qualité de service et la satisfaction des usagers.

Les CRC ont fait usage de la possibilité nouvelle qui leur est offerte de publier dans un rapport thématique des observations relatives à la gestion de plusieurs collectivités territoriales, établissements publics ou organismes soumis à son contrôle12(*). La chambre régionale des comptes des Hauts-de-France a ainsi publié un premier rapport thématique, fruit de 13 contrôles axés sur le recyclage des friches et la construction de logements13(*).

· la réforme du régime de responsabilité des comptables et ordonnateurs publics mise en place par l'ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics: le jugement des comptes des comptables publics a été remplacé par un régime de responsabilité visant à réprimer les infractions les plus graves portant atteinte à l'ordre public financier qui relève de la compétence de la chambre du contentieux (7e chambre) de la Cour des comptes.

Depuis le 1er janvier 2023, la chambre du contentieux peut prononcer des amendes à l'égard des « gestionnaires publics », c'est-à-dire des comptables, des ordonnateurs et plus généralement de tout dirigeant ou agent d'un organisme soumis au contrôle de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes. Au cours du premier semestre 2023, 45 instructions ont été ouvertes par la 7e chambre, 75 ordonnances de mise en cause ont été notifiées, 23 auditions de personnes mises en cause se sont tenues et 8 arrêts ont été prononcés. Un premier appel a été formé devant la Cour d'appel financière le 20 juillet 2023 par le Parquet général près la Cour des comptes.

Les autres mesures du plan « JF 2025 », comme le « 100 % publication » qui entraîne la publication de l'intégralité des travaux de la Cour, à l'instar de ce qui existait pour les chambres, ou les plateformes citoyennes de participation et de signalement, commencent également à être déployées.

Ces mesures nouvelles sont mises en oeuvre à moyens humains constants : le schéma d'emplois reste identique dans le cadre du PLF 2024. Dans ces conditions, une inquiétude demeure quant à la manière dont les CRTC pourront continuer à assumer leur rôle en matière de contrôle de régularité et de lutte contre les atteintes à la probité au niveau local.

C. UNE ÉVALUATION DE LA PERFORMANCE QUI RESTE À AMÉLIORER

Le projet de loi de finances pour 2023 avait déjà fait évoluer les indicateurs de performance du programme pour les adapter à la réforme de la responsabilité des gestionnaires publics et aux orientations du plan « JF 2025 ». Le projet de loi pour 2024 poursuit ce travail. L'indicateur consacré à l'objectif « Sanctionner les irrégularités et les fautes de gestion » a été nettement amélioré puisqu'il s'agit à présent de mesurer les suites données aux irrégularités au moyen du nombre de déférés des juridictions financières, de réquisitoires pris par le ministère public et de communications administratives, et non plus des délais de jugement devant la chambre du contentieux de la Cour des comptes.

Pour le reste, les objections formulées par le rapporteur dans son avis de l'année dernière restent d'actualité. Le rapporteur conteste, en particulier, la pertinence:

· de la suppression de l'indicateur relatif au contrôle des comptes publics (« Part contrôlée des comptes tenus par les comptables publics pour la Cour des comptes et pour les CRTC ») car seul le contrôle juridictionnel des comptables publics disparaît, le contrôle des comptes étant lui bien maintenu ;

· de la réduction drastique des délais des travaux d'examen de la gestion qui servent d'indicateurs à l'objectif « Contribuer à l'amélioration de la gestion publique et des politiques publiques ». Les cibles sont réduites à huit mois à horizon 2025 comme le préconise le plan « JF 2025 », ce qui impose à la Cour des comptes de réduire de cinq mois le temps de ses travaux en trois ans et aux CRTC de huit mois sur la même période14(*).

Le rapporteur s'interroge en effet sur la priorité donnée à la production des rapports dans des délais de plus en plus restreints, alors que la légitimité des juridictions financières repose plutôt sur la qualité des travaux rendus, qualité qui suppose la collégialité et la contradiction. Dans certains cas, il peut être même préférable d'attendre quelques mois que les personnes ou entités contrôlées répondent pour obtenir un rapport de qualité. Comme l'ont justement souligné les représentants de l'association des magistrats de la Cour des comptes, les magistrats financiers n'ont pas à devenir des commentateurs de l'actualité.

Par ailleurs, le pilotage par les délais peut avoir un effet démotivant sur les personnels à l'heure où les juridictions financières sont confrontées à un important renouvellement des effectifs tant pour les magistrats que les vérificateurs. Il ne faudrait pas que la réalisation des indicateurs incite à se désintéresser du fond pour concentrer les efforts sur l'amélioration de la productivité.

À l'initiative du rapporteur et comme l'année dernière, la commission a adopté un amendement prévoyant des indicateurs en matière de contrôle des comptes et de la gestion, ainsi que relatifs aux nouvelles missions résultant du plan « JF 2025 ».

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La commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » et 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières » de la mission « Conseil et contrôle de l'État » sous réserve de l'amendement proposé.

EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 22 NOVEMBRE 2023

M. Guy Benarroche, rapporteur pour avis des programmes « Conseil d'État et autres juridictions administratives » et « Cour des comptes et autres juridictions financières » de la mission « Conseil et contrôle de l'État ». - Nous examinons pour avis deux programmes de la mission « Conseil et contrôle de l'État », dont le responsable est le Premier ministre.

S'agissant du programme 165 qui est consacré au Conseil d'État et aux autres juridictions administratives, la hausse des crédits de paiement représente 58,4 millions d'euros.

Ce montant prend en compte un transfert entrant des crédits de budget de fonctionnement et des personnels de greffe de la Commission du contentieux du stationnement payant (CCSP) depuis le programme 216 de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». La CCSP deviendra en effet à compter du 1er janvier 2024 intégralement rattachée au programme 165, alors que seule la rémunération des magistrats lui était jusqu'à présent imputée.

Ce rattachement se traduit par un abondement de 11,5 millions d'euros de crédits de paiement, ce qui représente 2 % des crédits de paiements votés en loi de finances initiale (LFI) pour 2023 : 7,6 millions d'euros correspondent aux 143 emplois d'agents de greffe transférés sur le programme 165, étant précisé qu'aucun recrutement supplémentaire n'est prévu en 2024 ; 3,9 millions d'euros correspondent aux dépenses de fonctionnement, dont 2,7 millions consacrés aux dépenses informatiques.

En dehors de ces mesures de transfert, les crédits supplémentaires seront consacrés aux dépenses de titre 2 pour renforcer les moyens humains de certaines juridictions administratives. Comme en 2022 et 2023, sont prévus un emploi de membre du Conseil d'État, 25 emplois de magistrats et 15 emplois d'agents de greffe, conformément à la programmation pluriannuelle pour les années 2023 à 2027.

Les crédits hors titre 2, qui représentent 25 % des crédits du programme avec 146,7 millions d'euros, sont également en augmentation de 23,9 %, soit environ 28 millions d'euros, par rapport à la LFI pour 2023, principalement en raison des dépenses d'investissement en matière immobilière et informatique.

Nous le savons, les juridictions administratives sont soumises à une forte progression des entrées contentieuses depuis plusieurs années. Au sein des tribunaux administratifs, le taux de couverture global, c'est-à-dire le nombre d'affaires traitées rapporté au nombre d'affaires entrantes, a été inférieur à 100 % en 2022 et a naturellement eu pour conséquence une augmentation du stock d'affaires en instance. Au 31 décembre 2022, ce stock a ainsi dépassé le seuil symbolique des 200 000 dossiers, soit une augmentation de 4,7 % par rapport à la situation observée au 31 décembre 2021. La part des affaires de plus de deux ans, qui est un indicateur intéressant, augmente de 8,7 % et s'établit à 10,3 %.

L'année 2024 ne semble pas porteuse de signes de fléchissement. Selon le secrétaire général du Conseil d'État, la simplification du contentieux des étrangers en cours de discussion dans le cadre du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration aura peu d'effet sur le volume de dossiers, mais uniquement sur leur traitement. Quant à l'instruction « à 360 degrés » des demandes de titres de séjour, elle ne serait dans un premier temps qu'une expérimentation.

Dans ce contexte qui nécessite une mobilisation soutenue, les mesures de réévaluation indiciaire constituent une avancée importante pour les magistrats, étant rappelé qu'il est indispensable de maintenir l'attractivité du corps pour assurer un bon fonctionnement des juridictions administratives.

Pour achever la convergence du corps des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel avec celui des administrateurs de l'État qui est induite par la réforme de la haute fonction publique, resteront encore à modifier le régime indemnitaire et le régime des incompatibilités ; des discussions sont en cours avec les deux syndicats dans le cadre des réunions de dialogue social que le Conseil d'État organise.

Parallèlement, les conclusions du groupe de travail sur la charge de travail des magistrats, menée sous l'égide de la cheffe de la mission d'inspection des juridictions administratives, ont également été saluées. Le rapport d'étude remis au vice-président du Conseil d'État le 3 juillet 2023 procède à différents constats qui confirment le ressenti des magistrats, notamment sur les effets indésirables de la dématérialisation, avec une inflation significative de la taille du dossier numérique et un amoindrissement tout aussi important du sens collectif du travail.

Ce travail ouvre de nombreuses pistes d'amélioration, par exemple sur une fixation de la « norme » attendue des magistrats ou encore sur l'élaboration avec les avocats d'une charte de présentation des écritures. Il conviendra d'en assurer la mise en oeuvre concrète. À cet égard, j'avais évoqué l'année dernière le rapport du groupe de travail sur l'avenir des greffes - un sujet tout aussi important. Ses conclusions sont encore soumises à la réflexion collective et les greffiers en attendent la mise en oeuvre.

Enfin, la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, qui a été promulguée lundi dernier, instaure pour l'ensemble des membres de la juridiction administrative une prestation de serment qui était attendue de longue date.

Deux juridictions administratives spécialisées devront faire l'objet d'une attention particulière en 2024 : la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) et la CCSP que j'ai déjà évoquée.

Le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, qui sera prochainement discuté devant l'Assemblée nationale, prévoit une réforme de la CNDA selon deux grands axes : une inversion du principe de collégialité, pour confier les dossiers au jugement d'un juge unique, sauf décision contraire du président de la CNDA ou du président de chambre s'il estime que l'affaire « pose une question qui le justifie » ; une territorialisation pour s'adapter au fait que plus de 45 % des recours sont désormais issus de demandeurs résidant hors région parisienne et éviter ainsi au requérant un ou plusieurs déplacements à Montreuil en cas de renvoi - il s'agit tout de même de 30 % des cas.

Je ne referai pas le débat que nous avons eu en commission puis en séance sur la fin du principe de collégialité devant la CNDA. Vous connaissez mes positions : j'y suis opposé. Ce que je peux vous dire, c'est que le président de la Cour et le secrétaire général du Conseil d'État m'ont tous deux affirmé qu'ils étaient attachés au principe de collégialité et que seuls certains dossiers justifieraient le recours à un juge unique. Nous verrons donc quelle sera la pratique après le vote de la loi, puisque tout reposera sur les décisions du président de la Cour ou de la formation de jugement.

Telle qu'elle est envisagée, la réforme de la CNDA comporterait surtout des enjeux organisationnels liés à la territorialisation. Celle-ci pourrait être déployée progressivement en fonction de différents paramètres : les bassins de langues identifiés, l'offre de desserte assurée par les transports en commun, les salles d'audience disponibles au sein des cours administratives d'appel. Les premières chambres territoriales pourraient être ouvertes en septembre 2024 à Nancy et Lyon où des vidéoaudiences sont déjà organisées.

Cette territorialisation supposera de disposer localement des services d'avocats bien formés aux spécificités du droit d'asile, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui dans tous les barreaux, et de recruter suffisamment d'assesseurs et d'interprètes.

Lors de ma visite annuelle à la CNDA, j'ai pu mesurer les difficultés de la mission qui est confiée à ces derniers, en particulier lorsqu'il s'agit d'intervenir dans une langue rare. Les interprètes ont souvent eux-mêmes des liens personnels forts avec les pays d'où proviennent les demandeurs d'asile. De ce fait, ils doivent faire une appréciation fine des éventuels conflits d'intérêts. Une interprète m'a ainsi indiqué avoir dû se déporter en découvrant en début d'audience que le demandeur d'asile provenait du même village que son père. Par ailleurs, leur intervention à la CNDA peut les soumettre, ainsi que leur entourage, à des pressions de la part des demandeurs d'asile - rarement - ou des autorités de l'État concerné, rendant parfois difficile un retour dans leur pays d'origine, que ce soit en vacances ou pour des motifs familiaux. Leur engagement doit donc être salué.

Pour finir sur cette question de territorialisation, il est difficile de croire qu'elle n'aura pas d'impact sur le projet immobilier de relogement de la CNDA et du tribunal administratif de Montreuil dans la tour de l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes. Selon les estimations du président de la Cour, Mathieu Hérondart, seul un quart des dossiers serait concerné par la territorialisation, ce qui représenterait tout de même cinq chambres sur les vingt-trois que compte la CNDA actuellement. Or le projet immobilier, qui doit être livré en septembre 2026, a été à l'origine conçu pour 732 postes de travail, vingt-deux chambres et quarante salles d'audience côté CNDA.

Il conviendrait donc de réfléchir dès à présent à un autre usage pour une partie de ces locaux, dont le coût de réfection a déjà été réévalué à la hausse, passant de 119,6 millions d'euros à 129,82 millions d'euros pour tenir compte de l'évolution du contexte économique.

La CCSP prend en charge les recours en matière de stationnement des véhicules sur voirie et fait face depuis le début de l'année 2021 à une augmentation considérable du nombre de recours.

Cette juridiction administrative spécialisée a été sous-dimensionnée dès sa création en 2018 : elle a été dotée de 120 équivalents temps plein travaillé (ETPT) sur la base d'une activité estimée à 100 000 requêtes par an, alors que, dès 2019, elle en a enregistré plus de 120 000.

Dès 2020, elle a subi deux « chocs organisationnels » selon les termes de sa présidente que j'ai auditionnée : l'abrogation par une décision du Conseil constitutionnel, saisi sur la base d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) des dispositions de l'article du code général des collectivités territoriales qui faisait de l'obligation préalable de paiement une condition de recevabilité des recours devant la CCSP ; et une décision du Conseil d'État qui a considérablement limité les effets des renonciations à action automatiques (RAA) prévues par le code général des collectivités territoriales, obligeant la commission à donner acte de la renonciation par ordonnance lorsque le requérant fournit une réponse au-delà du délai d'un mois imparti.

Ces deux décisions ont considérablement augmenté l'activité de la commission, la première en incitant les redevables de forfaits post-stationnement à saisir la commission, compte tenu de la suppression d'une « barrière à l'entrée », et la seconde, en empêchant le classement de 250 000 dossiers de RAA et mobilisant un effectif de treize agents pour établir les ordonnances constatant les renonciations.

Au terme de l'année 2022, le stock d'affaires restant à juger a augmenté de 40 %, passant de 130 831 dossiers à 183 429, ce qui représente deux années d'activité juridictionnelle !

Le transfert de la CCSP en programme 165 est opéré à effectif constant en PLF 2024. Toutefois, pour faire face à l'afflux de dossiers et aux retards accumulés, il manquerait entre 20 et 30 postes d'agents de greffe. Une demande en ce sens devrait être formulée par le Conseil d'État dans les prochaines années.

Préalablement, pour assurer un bon encadrement de ces personnels supplémentaires, il conviendra impérativement d'avoir pourvu les quinze postes de magistrats prévus depuis 2022. Les magistrats ont en effet un rôle essentiel puisqu'ils conçoivent les modèles sur la base de cas types, supervisent les pôles spécialisés et signent plusieurs milliers de décisions par an. C'est tout l'enjeu du bon encadrement des services d'aide à la décision dont j'avais parlé dans mon avis l'année dernière.

Or, en 2023, l'effectif réel de magistrats a été limité, cheffe de juridiction incluse, à treize au lieu de quinze.

Je formulerai une dernière remarque sur la CCSP. Si j'approuve sans réserve son rattachement au programme 165 qui est sous la responsabilité du Conseil d'État, je regrette que le transfert ne se soit pas accompagné d'un changement de maquette du programme pour qu'une action spécifique soit consacrée à la CCSP, comme cela est le cas pour la CNDA. En l'état, les crédits sont répartis au sein de deux actions : l'action « Fonction études, expertise et services rendus aux administrations de l'État et des collectivités » et l'action « Soutien ».

Le rapporteur spécial de l'Assemblée nationale, Daniel Labaronne, a eu une initiative pertinente à mes yeux : il a ajouté la CCSP dans les indicateurs de performance du programme 165 lorsque cela était possible, par amendement à l'article 38. Le suivi de la performance de la juridiction serait toutefois plus aisé si une action lui était consacrée.

Je note enfin que le rattachement au Conseil d'État occasionnera sans doute des difficultés du point de vue informatique. Pour l'année 2024, le système d'information continuera à être opéré par le ministère de l'intérieur, laissant ainsi un an de préparation aux équipes du Conseil d'État pour prendre la main.

Les moyens du programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières » sont en augmentation avec des crédits de paiement en hausse de 3,2 %, soit 7,8 millions d'euros. Ces crédits supplémentaires concernent très majoritairement des dépenses de personnel qui connaissent une augmentation de 8,6 millions d'euros, soit +4 %, par rapport à la LFI pour 2023. Cette augmentation est notamment liée aux effets de l'extension en année pleine de la revalorisation indiciaire des magistrats financiers intervenue dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique le 1er juillet 2023 et des mesures du rendez-vous salarial.

Les crédits de paiement, hors titre 2, qui visent à assurer aux juridictions financières les moyens informatiques, immobiliers et humains leur permettant d'exercer leurs missions, sont en légère baisse avec un montant de 27,4 millions d'euros, contre 28,1 millions l'année dernière. Comme les années précédentes, l'accent devrait être mis sur la poursuite des projets informatiques nécessaires à l'appui aux missions exercées par les équipes de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes et sur la densification et la rénovation énergétique des bâtiments.

Depuis 2021, le Premier président de la Cour des comptes a fixé diverses orientations stratégiques pour les juridictions financières dans le cadre du plan « JF 2025 ». Deux mesures ont trouvé rapidement une traduction législative, mais ne peuvent encore faire l'objet de bilan.

La première est la possibilité pour les régions, les départements ou les métropoles de demander des missions d'évaluation des politiques publiques territoriales aux chambres régionales des comptes ou des avis sur les conséquences d'un projet d'investissement exceptionnel.

À ce jour, seul le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes a fait usage de ce « droit de tirage » et a saisi la chambre régionale pour évaluer les investissements de la SNCF en trains de desserte régionale et leur impact sur la qualité de service et la satisfaction des usagers.

Les chambres régionales ont en revanche usé de la possibilité nouvelle qui leur est offerte de publier dans un rapport thématique des observations relatives à la gestion de plusieurs collectivités territoriales, établissements publics ou organismes soumis à son contrôle. La chambre régionale des comptes des Hauts-de-France a ainsi publié un premier rapport thématique sur le recyclage des friches et la construction de logements qui est le fruit de treize contrôles qu'elle a menés.

Par ailleurs, la réforme du régime de responsabilité des comptables et ordonnateurs publics a été mise en place par l'ordonnance du 23 mars 2022 : le jugement des comptes des comptables publics a été remplacé par un régime de responsabilité visant à réprimer les infractions les plus graves portant atteinte à l'ordre public financier qui relève de la compétence de la chambre du contentieux de la Cour des comptes.

Depuis le 1er janvier 2023, la chambre du contentieux peut prononcer des amendes à l'égard des gestionnaires publics. Au cours du premier semestre 2023, 45 instructions ont été ouvertes par la septième chambre, 75 ordonnances de mise en cause ont été notifiées, 23 auditions de personnes mises en cause se sont tenues et 8 arrêts ont été prononcés. Un premier appel a été formé devant la Cour d'appel financière le 20 juillet 2023 par le Parquet général près la Cour des comptes.

Les autres mesures du plan « JF 2025 » commencent également à être déployées comme le « 100 % publication », qui entraîne la publication de l'intégralité des travaux de la Cour, à l'instar de ce qui existait pour les chambres régionales, ou les plateformes citoyennes de participation et de signalement.

Il est un peu tôt pour dresser un bilan de ces nouvelles mesures. Ce que l'on remarque est qu'elles sont mises en oeuvre à moyens humains constants. Dans ces conditions, une inquiétude demeure quant à la manière dont les chambres pourront continuer à assumer leur rôle en matière de contrôle de régularité et de lutte contre les atteintes à la probité au niveau local.

Comme l'année dernière, je finirai par la performance. La Cour des comptes devrait être exemplaire en la matière ; pourtant, il me semble que la mesure de la performance pourrait être améliorée.

Le projet de loi de finances pour 2023 avait déjà fait évoluer les indicateurs de performance du programme 164 pour les adapter à la réforme de la responsabilité des gestionnaires publics et aux orientations du plan « JF 2025 ». Le PLF pour 2024 poursuit ce travail.

L'indicateur consacré à l'objectif « Sanctionner les irrégularités et les fautes de gestion » a été nettement amélioré puisqu'il s'agit à présent de mesurer les suites données aux irrégularités au moyen du nombre de déférés des juridictions financières, de réquisitoires pris par le ministère public et de communications administratives, et non plus des délais de jugement devant la chambre du contentieux de la Cour des comptes.

Pour le reste, je maintiens les objections formulées l'année dernière. En particulier, je doute de la pertinence, d'une part ; de supprimer l'indicateur relatif au contrôle des comptes publics car seul le contrôle juridictionnel des comptables publics disparaît, le contrôle des comptes étant lui bien maintenu, et d'autre part, de réduire drastiquement les délais des travaux d'examen de la gestion qui servent d'indicateurs à l'objectif « Contribuer à l'amélioration de la gestion publique et des politiques publiques ». Les cibles sont réduites à huit mois à horizon 2025, comme le préconise le plan « JF 2025 », ce qui impose à la Cour des comptes de réduire de cinq mois le temps de ses travaux et aux chambres régionales et territoriales des comptes de huit mois.

Comme l'ont justement souligné les représentants de l'association des magistrats de la Cour des comptes, les magistrats financiers n'ont pas à devenir des commentateurs de l'actualité. Il leur faut le temps de la réflexion et de l'enquête.

C'est la raison pour laquelle je vous propose de déposer un amendement similaire à celui de l'année dernière, sans reprendre toutefois les dispositions relatives aux irrégularités de gestion puisque l'indicateur prévu en PLF 2024 me semble satisfaisant.

Je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 165 et 164 sous réserve de l'adoption de cet amendement.

L'amendement est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » et 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières » de la mission « Conseil et contrôle de l'État », sous réserve de l'adoption de son amendement.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
ET DES DÉPLACEMENTS

AUDITIONS

Cour des comptes :

Mme Armelle Daam, secrétaire générale adjointe

M. Richard Chrébor, directeur des affaires financières et du contrôle de gestion

Conseil d'État

M. Thierry-Xavier Girardot, secrétaire général

Mme Cécile Nissen, secrétaire générale adjointe

M. Jean-Noël Bruschini, directeur de la prospective et des finances

Commission du contentieux du stationnement payant (CCSP)

Mme Fabienne Billet-Ydier, présidente

Union syndicale des magistrats administratifs :

Mme Céline Arquié, secrétaire générale adjointe

Syndicat de la juridiction administrative :

M. Virgile Nehring, secrétaire général adjoint

Mme Julie Florent, trésorière

Syndicat des juridictions financières unifié :

M. Pierre Genève, président

Mme Audrey Cavaillier, secrétaire générale adjointe

Association des magistrats de la Cour des comptes :

M. Philippe-Pierre Cabourdin, président

M. Jean-François Guillot, conseiller-maître

Association des présidents et vice-présidents des chambres régionales et territoriales des comptes :

M. Frédéric Advielle, président de la chambre régionale des comptes des Hauts-de-France

Force ouvrière

Mme Catherine Magri, déléguée nationale chargée des agents de greffe des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel

UNSA-ATS

M. Dawi Mario Libouban, secrétaire général adjoint

CGT Intérieur

Mme Caroline Cachia, représentante

DÉPLACEMENTS

Cour nationale du droit d'asile (CNDA) - Mardi 14 novembre 2023

M. Mathieu Hérondart, président

M. Olivier Massin, secrétaire général

M. Julien Jorda, président de chambre, référent interprétariat

Mme Nathalie Parodin, cheffe du service interprétariat


* 1 Contre 28 ETP en loi de finances initiale pour 2021.

* 2 Décret n° 2023-488 du 21 juin 2023 relatif à l'échelonnement indiciaire des magistrats administratifs.

* 3 L'ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État instaure, pour les magistrats entrés dans le corps après le 1er janvier 2023, une obligation de mobilité statutaire pour accéder au grade de conseiller, transformant ainsi une incitation qui existait déjà en une obligation, et supprime la possibilité d'être dispensé de mobilité au deuxième grade en cas d'affectation pendant trois ans en cour administrative d'appel.

* 4 Article L. 532-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

* 5 Article R.532-41 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

* 6 La rémunération de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice reste elle fixée à 1,78 millions d'euros.

* 7 Décret n° 2023-480 du 21 juin 2023 relatif au statut des magistrats de la Cour des comptes et aux emplois d'auditeur, de conseiller référendaire et de conseiller maître en service extraordinaire.

* 8 Article L. 112-5 du code des juridictions financières.

* 9 Article L. 112-4 du code des juridictions financières.

* 10 Loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale et loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022.

* 11 Articles L. 235-1 et 235-2 du code des juridictions financières.

* 12 Article L. 243-11 du code des juridictions financières.

* 13 https://www.ccomptes.fr/fr/documents/66761.

* 14 Au regard des délais constatés en 2021.

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