EXAMEN EN COMMISSION
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Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis sur les crédits du programme « Sécurité civile ». - Il me revient de vous présenter les crédits du programme 161 relatif à la sécurité civile, qui est une composante de la mission « Sécurités », qui sera rapportée la semaine prochaine.
Le programme « Sécurité civile » finance les moyens nationaux alloués à la sécurité civile. Ces moyens nationaux recouvrent principalement, bien que non exclusivement, les dépenses liées à la flotte aérienne de la sécurité civile.
Les moyens humains, comme le traitement des 43 000 sapeurs-pompiers professionnels, et les moyens matériels terrestres relèvent, quant à eux, des services d'incendie et de secours (SIS), dont le budget de 5,5 milliards d'euros représente plus de 80 % des sommes dédiées à la sécurité civile. Or, les SIS sont financés majoritairement par nos départements, qui n'ont reçu pour cela que 1,3 milliard d'euros issus de la taxe spéciale sur les conventions d'assurances (TSCA) en 2022.
À ce propos, je vous informe que la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) du ministère de l'intérieur et des outre-mer m'a confirmé qu'une réforme imminente du financement des SIS était en préparation. Cette réforme, dont la nécessité fait consensus, devrait aboutir à une nouvelle clef de répartition de la TSCA en s'appuyant notamment sur le rapport de l'inspection générale de l'administration. Nous pouvons nous réjouir que l'État se saisisse enfin, après des années d'alertes émanant des parlementaires, de ce sujet majeur pour nos collectivités territoriales et pour les forces de sécurité civile. Je ne doute pas que notre commission sera vigilante lors de la transposition législative de ces travaux, dont l'issue est très attendue localement.
J'en viens désormais à la présentation des crédits du programme pour l'année 2024.
Ceux-ci s'inscrivent à la suite d'une année 2023 exceptionnelle sur le plan budgétaire, puisque les crédits du programme 161 avaient alors atteint un niveau inégalé, le seuil du milliard d'euros d'autorisations d'engagement (AE) ayant été dépassé pour la première fois. La hausse très substantielle des crédits en 2023 a résulté, vous vous en souvenez, de la prise de conscience, de la part du Gouvernement, de la nécessité de renforcer les moyens de la sécurité civile après la difficile saison des feux en 2022, lors de laquelle 72 000 hectares avaient brûlé. Le Président de la République avait alors prononcé un discours consacré à la lutte contre les feux de forêt, dont les annonces se sont concrétisées dans le budget pour 2023. Plus précisément, trois postes de dépenses principaux expliquent l'augmentation des crédits : le renouvellement de la flotte d'hélicoptères, à hauteur de 471 millions d'euros, une première enveloppe dédiée à l'extension de la flotte de Canadair, à hauteur de 240 millions d'euros et, enfin, la relance des « pactes capacitaires », à hauteur de 150 millions d'euros.
Saluant cet effort budgétaire que nous avions qualifié de salutaire, notre commission avait donné un avis favorable à l'adoption des crédits du programme.
Cette année, le budget alloué au programme 161 s'inscrit dans la continuité de ces annonces. Si les AE, qui s'élèvent à 901 millions d'euros, apparaissent sans surprise en baisse, les crédits de paiement (CP) atteignent 880 millions d'euros, soit une hausse de 23 % sur un an. En comparaison avec la moyenne de la précédente décennie, les AE se révèlent en hausse de 71 % et les CP de 76 %.
Pour 2024, le maintien des AE à un niveau élevé et l'accroissement notable des CP confirment ainsi une tendance haussière des crédits du programme, qui correspond aux besoins exprimés sur le terrain, en particulier au regard de la transformation des risques qui résulte du changement climatique.
Je souhaite rappeler à ce titre que, de l'aveu même de la DGSCGC, les forces de sécurité civile ont atteint en 2022 leur « limite capacitaire ». En 2023, le retour à un total de surfaces brûlées proche de la normale, avec 15 000 hectares brûlés, ne doit par ailleurs pas nous leurrer : je qualifie ce retour à la normale d'illusoire, car l'année 2023 confirme une inquiétante tendance à l'extension de la période des feux. Alors que, traditionnellement, la période la plus à risque se situe entre le 1er juillet et le 15 août, l'année 2023 se démarque par la survenue d'incendies importants dès le mois d'avril à Banyuls-sur-Mer, ou encore en septembre à Fontainebleau.
Ce changement structurel exige des réponses afin de préserver la résilience et l'efficacité de notre modèle de sécurité civile.
Sur le papier, je l'ai dit précédemment, la prise de conscience semble avoir eu lieu. Nous ne pouvons que nous en satisfaire.
Ainsi, le chantier de la remise à niveau de la flotte de la sécurité civile, initié, il est vrai, dès 2018, a connu une accélération et une structuration bienvenues depuis l'année dernière. Ce chantier est d'autant plus nécessaire que la DGSCGC est contrainte de recourir de plus en plus massivement à la location d'aéronefs : un contrat pluriannuel de location pouvant atteindre 120 millions d'euros sur la période 2024-2027 vient d'être signé. La maintenance de nos appareils vieillissants est également un poste de dépenses majeur du programme : 103 millions d'euros de CP pour la seule année 2024.
Alors que les commandes, pour nécessaires qu'elles soient, apparaissaient parcellaires et ponctuelles, répondant davantage à des incidents qu'à une stratégie contrôlée de renouvellement, les récents achats ainsi que les annonces de l'année 2022 nous permettraient finalement d'être dotés d'une flotte presque intégralement renouvelée à l'aune de la décennie 2030.
En effet, la DGSCGC a remplacé les sept Tracker, vieux de soixante-quatre ans, par six Dash 8, dont le dernier a été réceptionné en 2023. En outre, quatre hélicoptères H 145 ont été livrés entre 2021 et 2023.
Pour les années à venir, la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) et la loi de loi de finances pour 2023 ont permis à la DGSCGC de commander trente-six nouveaux hélicoptères H 145, afin que nous atteignions enfin l'objectif cible de quarante hélicoptères. Cette commande permettra de remplacer les trente-trois hélicoptères EC 145 que nous exploitons depuis dix-neuf ans. Ce plan de renouvellement fait l'objet d'un financement clair, inscrit dans le budget, et d'une capacité de suivi de la part des industriels. En conséquence, les livraisons débuteront dès l'année 2024 et s'échelonneront jusqu'en 2029.
Il n'en va pas de même des Canadair et des hélicoptères lourds. Pourtant, les propos du Président de la République étaient clairs. Lors de son discours du 28 octobre 2022, il a annoncé que la France allait « acquérir deux [hélicoptères lourds] pour qu'ils intègrent durablement la flotte nationale » et « investir pour que d'ici la fin du quinquennat, les douze Canadair soient remplacés et que leur nombre soit porté jusqu'à seize. »
Le coût de deux hélicoptères lourds est estimé à 92 millions d'euros, soit 46 millions d'euros l'unité. Pour rappel, la France n'en dispose d'aucun à l'heure actuelle et est contrainte de recourir à une coûteuse location. À ce stade, cet engagement présidentiel reste lettre morte. Ni le budget pour 2023 ni celui pour 2024 n'y consacrent la moindre AE, tandis que la DGSCGC reste évasive lorsqu'elle est interrogée sur le sujet. Face à cette inertie qui nuit autant aux acteurs de la sécurité civile qu'à la crédibilité de la parole publique, je vous proposerai l'adoption d'un amendement inscrivant 92 millions d'euros d'AE afin d'appeler le Gouvernement au respect de son engagement.
Concernant les Canadair, outre les deux appareils financés directement par l'Union européenne (UE), le coût des quatorze autres appareils est évalué à 938 millions d'euros, soit 67 millions d'euros par unité. Nous convenons qu'il s'agit d'une somme substantielle et que cet investissement sera nécessairement étalé sur plusieurs années. Pour autant, deux difficultés majeures émergent : d'une part, le respect du calendrier et, d'autre part, le dimensionnement du plan de renouvellement et d'extension de la flotte.
En premier lieu, il est acté que le calendrier présidentiel est irréaliste. À l'heure actuelle, des négociations, initiées par l'Union européenne depuis deux ans, ont lieu avec le constructeur pour contractualiser la commande des quatre appareils qui permettront d'étendre la flotte à seize appareils. Or, la chaîne de production n'existe plus et le constructeur, seul détenteur des brevets, est en situation monopolistique. Par conséquent, selon le scénario jugé optimiste par la DGCSGC, nous pourrions réceptionner le premier appareil en 2027, le deuxième en 2028 et deux autres au cours de la décennie 2030, bien loin, donc, de l'acquisition de 16 Canadair d'ici à la fin du quinquennat, comme promis par le Président de la République.
Ma seconde inquiétude porte sur le dimensionnement de ce plan. Il résulte de mes échanges avec la DGSCGC que le renouvellement de la flotte actuelle de 12 appareils n'est plus évoqué dans le calendrier des livraisons, même au sein du calendrier présenté comme « optimiste ». En outre, si le Gouvernement a bien inscrit 240 millions d'euros d'AE pour ce plan l'année dernière, cette somme ne correspond à rien de concret : ni au coût des deux Canadair devant être commandés d'ici peu, ni à celui estimé pour la commande totale de quatorze appareils financés par la France. Tout porte donc à croire que seul le volet « extension » du plan d'acquisition des Canadair est d'actualité, le renouvellement de la flotte actuelle étant renvoyé, sans mauvais jeu de mots, aux calendes grecques.
Je formule le voeu que ces difficultés, liées principalement à la mise en place d'une chaîne de production, sensibilisent le Gouvernement sur la nécessité de bâtir une politique plus ambitieuse en matière de souveraineté industrielle.
Je terminerai mon propos en évoquant les pactes capacitaires. Ces pactes sont destinés à renforcer les moyens opérationnels des SIS par l'acquisition de matériels cofinancés par l'État, et en particulier plus d'un millier de camions-citernes feux de forêt.
Pour ce faire, en 2022, le Gouvernement a inscrit, par amendement, 150 millions d'euros d'AE pour l'ensemble du plan de soutien et 37,5 millions d'euros de CP pour l'année 2023. Le Gouvernement a de nouveau procédé par amendement, le 30 octobre 2023, pour inscrire 215 millions d'euros d'AE et 145 millions d'euros de CP supplémentaires. Ces crédits sont notamment censés financer « le renforcement des moyens capacitaires des services d'incendie et de secours », sans que ne soit détaillé le montant dédié spécifiquement à cette mesure. D'après les déclarations orales du ministre, la somme allouée aux pactes capacitaires pour 2024 serait de 39 millions d'euros.
Une telle méthode de construction du budget, pour une mesure annoncée depuis un an, est à mes yeux insatisfaisante au regard de l'impératif de sincérité budgétaire et du respect du débat parlementaire. L'apparente systématisation du dépôt d'amendements tardifs et imprécis débloquant des sommes significatives sans évaluation dans le projet annuel de performances est une tendance pour le moins inquiétante. En outre, il résulte de ce procédé une incertitude quant au calendrier de consommation des 150 millions d'euros d'AE que nous avons votés en 2022. C'est pourquoi, afin de soutenir les centres d'incendie et de secours, je vous proposerai d'adopter un amendement incitant le Gouvernement à préciser l'échéancier prévisionnel d'utilisation des 73,5 millions d'euros d'AE non encore consommés au titre des pactes capacitaires.
Malgré ces vives réserves sur la méthode employée et sur le plan de renouvellement des Canadair, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 161.
M. Hussein Bourgi. - Je souhaite remercier la rapporteure pour sa présentation, qu'elle fait chaque année avec la même minutie et la même perspicacité. Mon groupe et moi-même soutiendrons les amendements qu'elle propose, puisque nous constatons année après année la fuite en avant du Gouvernement, qui ne fait que répondre à l'urgence sans s'inscrire dans une stratégie de longue durée.
Le problème auquel nous sommes confrontés est réel, car les incendies ont été très nombreux et violents l'année dernière. Fort heureusement, la situation a été un peu moins dramatique cette année. Nous avons le sentiment que le Gouvernement pense qu'il peut enjamber les saisons de feux de forêt les unes après les autres, alors même que les départements attendent un nouveau plan de financement des SIS. Une disparité existe entre les plus grands départements qui arrivent à dégager des marges de manoeuvre budgétaires et les plus petits départements dont le budget est nettement plus contraint et qui n'ont donc pas la capacité de pouvoir investir eux-mêmes dans du matériel.
Par ailleurs, la loi du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite « loi Matras », peine à trouver sa traduction sur le terrain. Les sapeurs-pompiers, volontaires ou professionnels, nous interpellent afin qu'elle s'applique dans les meilleurs délais. Il y va de la pérennité du modèle français de sécurité civile. La question des conséquences de l'application de la jurisprudence « Matzak » de la Cour de justice de l'Union européenne sur notre modèle français de volontariat reste, elle aussi, en suspens. Nous avons le sentiment que le Gouvernement traite les urgences, mais ne s'inscrit pas dans une dynamique transversale et de longue durée.
Mme Laurence Harribey. - Je félicite la rapporteure pour la qualité et la pertinence de son rapport, et je souhaite mettre en avant quelques éléments qui viennent renforcer ses propos, notamment concernant la systématisation du dépôt d'amendements au dernier moment.
Nous souscrivons à la création unités d'instruction et d'intervention de la sécurité civile en France. Une quatrième unité doit être créée à Libourne, en Gironde, mais, à ma connaissance, aucun crédit ne fait écho à cette annonce dans le PLF pour 2024. Or, il est désormais question d'un amendement du Gouvernement qui devrait venir abonder le programme 161. Voilà qui illustre bien la nécessité de mettre en cohérence une politique budgétaire globale et des mesures annoncées au fur et à mesure des crises.
J'aimerais aussi souscrire à ce que le rapport dit en filigrane : il est nécessaire de procéder à une refonte globale de notre système de protection civile. La rapporteure a insisté plusieurs fois sur ce fait, un retour à la normale est illusoire et nous sommes actuellement à la croisée des chemins concernant les missions de la sécurité civile. Cette refonte devra inclure une réforme globale du système de financement des SIS.
Votre rapport de l'année dernière pointait le retard pris par le programme NexSIS. Je souhaiterais savoir où nous en sommes cette année. Vos préconisations ont-elles été suivies ?
M. François Bonhomme. - Je salue le travail de notre rapporteure qui, chaque année, remplit cette tâche avec beaucoup de précision et d'exhaustivité.
Je souhaite tout d'abord souligner que, dans l'architecture actuelle, les départements sont certes les principaux contributeurs des politiques de sécurité, mais les communes elles aussi en financent une grande partie, tout comme les communautés de communes, qui contribuent parfois au budget des SIS pour le compte des communes.
Je relève, à l'instar de la rapporteure, que la méthode de fonctionnement adoptée depuis plusieurs années appelle beaucoup de réserves, notamment en raison du dépôt d'amendements au dernier moment qui parasite le bon déroulé de notre travail. Fort heureusement, les deux amendements présentés par la rapporteure permettront d'obtenir 92 millions d'euros d'AE pour la commande annoncée des deux hélicoptères lourds et ainsi de faire respecter l'engagement présidentiel de l'année dernière.
Certes, l'année 2023 n'a pas été aussi dramatique que 2022 sur le plan des incendies liés aux dérèglements climatiques, mais nous savons que ceux-ci vont se multiplier. Nous comprenons donc la difficulté résultant du décalage entre les annonces et l'obtention de nouveaux matériels adéquats et opérationnels. L'enjeu est de fait important. J'estime que la pratique du Gouvernement, qui relève du bricolage, est tout à fait irrespectueuse du Parlement, et en particulier du Sénat.
M. Olivier Bitz. - Je tiens aussi à souligner l'excellent travail réalisé par la rapporteure. Je trouve malgré tout certains propos exagérés, car jamais les moyens accordés à la sécurité civile n'ont été aussi élevés. Il peut bien sûr y avoir quelques difficultés de mise en oeuvre, mais la volonté politique d'adapter notre réponse aux risques entraînés par ces phénomènes évolutifs est très forte. Madame la rapporteure, vous savez bien que, aujourd'hui, la question est moins celle de la disponibilité des crédits que de la capacité de l'outil industriel à répondre aux besoins.
Une quatrième unité d'instruction et d'intervention de la sécurité civile a en effet été annoncée par le Président de la République à l'automne 2022. La ville de Libourne a été désignée pour l'accueillir, d'ici à la fin de l'année 2024, pour une dotation globale de 318 millions d'euros d'investissements. Qu'en est-il de la réhabilitation de l'ancienne école des sous-officiers de gendarmerie de Libourne ? Ce chantier est tout de même estimé entre 80 et 90 millions d'euros ! Des pistes ont-elles déjà été annoncées ou, à défaut, des éléments de réponse provisoires ? Le bâtiment est classé aux monuments historiques, c'est pourquoi le chantier prendra du temps ; nous devrions cependant avoir des éléments préfigurateurs à la fin de l'année 2024. Où en sommes-nous, donc, concernant l'investissement immobilier, le matériel ? Je ne m'attends pas à ce que les 565 postes de sapeurs-sauveteurs soient inscrits au budget pour 2024, mais celui-ci contient-il déjà un signal qui permette de commencer à mettre en place cette compagnie d'intervention ?
Mme Françoise Gatel. - Je voudrais remercier la rapporteure pour son travail sur un sujet d'importance, que la multiplication et la gravité croissante des incendies et des inondations rendent souvent d'actualité. On passe beaucoup de temps à éteindre le feu, mais peut-être pourrait-on aussi s'efforcer de les prévenir.
En 2021, notre collègue Hervé Maurey a publié un excellent rapport d'information sur la défense extérieure contre l'incendie. Il soulignait alors qu'une modification s'était opérée en 2015 dans le règlement national pour prendre en compte la construction parfois quelque peu « sauvage » dans des zones à haut risque d'incendie. Les départements ont dû adopter des règlements de défense extérieure contre l'incendie, qui ont conduit à quelques excès. Par exemple, lorsque de nouvelles zones d'habitation sont construites, les communes peuvent être contraintes d'installer des bâches incendie qui peuvent coûter jusqu'à 40 000 euros par maison, notamment parce que les sapeurs-pompiers refusent parfois d'utiliser un étang ou une piscine comme point d'eau. M. Darmanin a reçu ce rapport avec intérêt et a demandé aux préfets de procéder à une révision des schémas de défense extérieure contre l'incendie pour adapter leur pertinence aux risques actuels. Pourrait-on demander au ministre un point sur ce sujet ?
Par ailleurs, la défense extérieure contre l'incendie, qui est confiée aux départements, pèse aussi lourdement sur les collectivités et les communes, puisque je rappelle que ces dernières financent environ 40 % du budget du SIS. Elles ne sont pas pour autant associées aux dépenses. Au Sénat, nous avons pour principe que celui qui décide paie. J'estime donc qu'il faut que les départements, qui font preuve d'une grande bienveillance par rapport aux communes, travaillent davantage avec les associations sur lors de l'élaboration des règlements départementaux de défense extérieure contre l'incendie.
Se pose aussi un problème de matériel. Aujourd'hui, il existe des matériels de grandes capacités qui permettraient de réaliser de belles économies. Les départements pourraient également coopérer davantage, notamment dans les zones frontalières. Un camion peut, par exemple, franchir très facilement une frontière en cas de besoin. Il faut encourager cette pratique, car nous manquons de moyens. Il nous faut veiller à ce que les dépenses sur la défense extérieure contre l'incendie « ordinaire » soient vraiment adaptées aux moyens, pour que l'argent soit dépensé de manière efficace.
M. Jean-Michel Arnaud. - J'ai trois observations et questions à formuler à l'issue de la présentation de la rapporteure.
Vous avez rappelé que la promesse du Président de la République concernant le renforcement de la flotte de Canadair est impossible à tenir dans le calendrier initialement annoncé. Pouvez-vous nous expliquer les conséquences de l'impossibilité de tenir cette promesse sur l'organisation territoriale ? Si nous ne bénéficions pas du renfort des Canadair dans les prochaines années, certaines zones ne seront plus défendues de manière optimale en raison d'un manque de matériel.
Par ailleurs, nous avons évoqué les conditions de financement des SIS. Il s'avère que, dans les départements les plus exposés aux feux de forêt, l'été dernier, de grandes différences entre le budget prévisionnel et le budget réalisé ont été observées. L'urgence faisant nécessité, les dépassements de budget de fonctionnement ont été nombreux. Des demandes de soutien financier ont été faites auprès du ministère de l'intérieur et des outre-mer pour des accompagnements ponctuels. Au vu des auditions que vous avez réalisées, pouvez-vous nous apporter des précisions sur la suite donnée à ces demandes ?
Enfin, un sujet a clairement émergé à l'occasion des feux de 2022 : l'absence d'entretien des pistes de défense contre l'incendie dans les espaces forestiers. Les collectivités, notamment les plus rurales, n'ont pas les moyens nécessaires pour mettre à niveau ces pistes d'intervention. Si nous ne disposons pas de Canadair, si nous n'avons pas la capacité d'intervenir au plus vite pour éviter l'extension des feux, le risque est réel d'être exposé à des feux hors-normes sur tout le territoire national. Je souhaite que ces éléments d'alerte puissent être transmis au Gouvernement.
M. Michel Masset. - Ce rapport traite de personnes qui sauvent des vies au quotidien. Le Lot-et-Garonne compte 1 300 sapeurs-pompiers, dont 1 200 volontaires, mais depuis deux ans, le département en perd une centaine par an. Le financement est porté à 60 % par le département et à 40 % par les communes. Le budget était de 27 millions d'euros, et le résultat n'excédait pas les 150 000 ou 200 000 euros par an. La réserve de la dotation de soutien aux investissements structurants des services d'incendie et de secours (DSIS) doit être gérée par les préfectures, ce qui n'est pas le cas de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR). Il serait bon d'insister sur ce point, ainsi que sur le mauvais état des casernes, auprès de certains préfets.
Je rappelle que notre territoire est sujet aux incendies, mais aussi aux inondations, et ces questions se posent désormais plusieurs fois par an en raison des dérèglements climatiques.
M. Mathieu Darnaud. - Je m'inscris dans la lignée des propos alarmistes de mes collègues. Le Président de la République nous a habitués à des effets d'annonce, que j'estime quelque peu irresponsables. Dans les territoires confrontés aux feux, ils deviennent lassants, épuisants et démoralisants.
Si certains pensent que les propos tenus ici sont parfois exagérés, je les invite à visiter des départements comme le mien, l'Ardèche : les SIS sont à l'os tant pour les dépenses de fonctionnement que pour les investissements, nous sommes contraints de demander de la DETR pour financer les casernes et nous n'avons même pas les moyens de nous appuyer sur les pactes capacitaires, puisqu'une partie des équipements subventionnés par l'État reste à la charge du SIS. Nous sommes dans l'incapacité chronique de dédier les 2 millions d'euros octroyés par l'État !
De nouveaux feux hors-normes auront lieu, c'est une évidence. Deux années de suite, nous avons vu des hectares entiers brûler. C'est une chance que nous n'ayons pas assisté pour autant à une véritable catastrophe, grâce au dévouement de nos forces de sécurité civile. Je le répète donc, il est nécessaire d'être alarmiste sur ces questions.
Mme Nathalie Delattre. - Je remercie la rapporteure pour la précision de son rapport et la justesse de ses propos. Je ne peux que les approuver, notamment sur le dépôt tardif d'amendements. Ce procédé n'est effectivement pas de nature à conforter le travail que nous menons. Il est important de pouvoir anticiper.
Concernant l'unité d'instruction et d'intervention de la sécurité civile, c'est à mes yeux plus qu'une annonce puisque le ministre s'est déplacé en Gironde, et la ville de Libourne pourra sauver l'ancienne caserne militaire, un bâtiment patrimonial qui était abandonné depuis au moins vingt ans, pour un coût sans doute plus élevé que si un autre site avait été retenu. Assurons-nous que l'amendement visant des crédits de 180 millions d'euros sera bien déposé par le Gouvernement, sinon nous devrons en déposer un pour garantir le bon fonctionnement de cette unité.
En ce qui concerne les feux, cette année a été plus calme que la précédente. Je partage les propos d'Olivier Bitz : nous sommes aujourd'hui confrontés à des problèmes plus industriels que financiers. Des développements sont prévus avec Airbus et Falcon ; en attendant, nous louons des avions. Avez-vous pu déterminer quels sont les montants nécessaires pour sortir de ce système de location ? Celui-ci est-il préférable à l'investissement ? Avez-vous connaissance des délais de développement des avions Airbus et Falcon ?
Enfin, pensez-vous que le crédit de 20,2 millions d'euros dégagé pour l'acquisition de matériel à destination du groupement d'intervention et de déminage soit suffisant par rapport à l'ampleur de l'évènement que représentent les jeux Olympiques ?
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - Sur le sujet des Canadair, je suis comme vous très inquiète, car les annonces du Gouvernement sont irréalisables - elles l'étaient déjà en 2022. La seule possible certitude que nous ayons repose sur les deux premiers Canadair financés par l'Union européenne. Je parle de « possible certitude », car le Canada a lui-même été confronté à de violents feux, cette année. Par ailleurs, la chaîne de production est encore à l'arrêt, et ce depuis vingt ans au moins. Nous n'avons donc ni ingénieurs, ni pièces détachées, ni personnel. Les avions qui sortiront de ces chaînes de production devront être soumis de nouveau à des normes et rien n'indique formellement que le Canada laissera l'Europe récupérer les deux premiers appareils produits, alors même qu'il en a grandement besoin pour se préparer à d'éventuels feux. Je ne veux pas jouer les Cassandre, mais je vous rapporte ce que j'entends sur le terrain. Comme je l'ai dit lors de la présentation de mon rapport, je suis très inquiète au sujet du programme de renouvellement. Pourtant, la chaîne de Havilland a besoin des fonds européens pour se relancer ! Il ne faudrait pas que ces fonds servent à des avions qui resteraient au Canada sous prétexte d'un Patriot Act.
Il est vrai que les décrets d'application de la loi du 25 novembre 2021 dite « Matras » ne sont pas encore tous publiés. Laissez-moi vous donner un exemple concret des conséquences que cela implique. Je me suis exprimée à plusieurs reprises sur le danger que représente l'inflammabilité des batteries électriques. Les sapeurs-pompiers, lorsqu'ils arrivent sur un feu de véhicule, doivent pouvoir savoir s'il s'agit d'une voiture thermique ou électrique, car la technique d'extinction est différente. Dans le cadre de cette loi, nous avions voté l'autorisation, pour les sapeurs-pompiers, d'avoir accès au registre des immatriculations, ce qui leur permettrait de savoir en urgence à quel type de véhicule ils sont confrontés. Le décret d'application de cette mesure inscrite dans la loi n'a toujours pas été publié, ce qui est préjudiciable au fonctionnement, à la rapidité d'intervention et à la sécurité des sapeurs-pompiers. Seuls les deux tiers des décrets d'application de cette loi ont aujourd'hui été publiés.
Une part des crédits concernant la quatrième UIISC ont en effet été inscrits par le biais d'un amendement du Gouvernement à l'Assemblée nationale, adopté le 30 octobre dernier, mais la ventilation des crédits inscrits au programme 161 par le biais de cet amendement n'est pas connue à ce jour.
La plateforme NexSIS a quelque peu rattrapé un retard qui était bien compréhensif, compte tenu de la nouveauté du dispositif. Elle sera mise en route dans vingt départements cette année. Le coût total du programme s'élève désormais à 225 millions d'euros. Le programme est donc bien lancé, ce qui correspond au nécessaire développement de l'équipement de nos Sdis, qui doit évoluer aujourd'hui.
Françoise Gatel a souligné l'importance de la solidarité entre départements, en mentionnant la possibilité laissée à des véhicules de franchir les limites départementales en cas de besoin. C'est là l'un des enjeux de NexSIS, qui permettra une mutualisation des moyens entre l'ensemble des SIS. Lorsqu'un département manquera de camions, il pourra recourir à ceux d'un autre département.
Olivier Bitz, même si j'ai été critique au sujet des annonces du Gouvernement, qui n'ont pas toutes été suivies d'effets, j'ai souligné l'importance des moyens financiers exceptionnels et inédits qui ont été accordés, notamment au regard de la dernière décennie, sur laquelle les sommes engagées pour le programme 161 apparaissent en très forte hausse.
J'ai également été interrogée sur le recours à la location d'aéronefs. Bien entendu, la location n'est pas une fin en soi. Par exemple, le marché pluriannuel de location d'hélicoptères que vient de signer la DGSCGC pourrait coûter jusqu'à 120 millions d'euros sur quatre ans. Cette année, les marchés de location ont été passés tardivement et plus aucun avion n'était disponible sur le marché français. Nous avons donc passé un marché avec une société espagnole, qui a elle-même fait appel à des appareils australiens. Les pilotes ont dû être accompagnés au sein des aéronefs par des traducteurs. Le recours à la location est donc fort coûteux et ne saurait donc être pérennisé.
Françoise Gatel, la révision des schémas communaux de défense extérieure contre l'incendie est un sujet majeur. Trop souvent, en effet, les maires ne comprennent pas pourquoi ils sont écartés et regrettent que les sapeurs-pompiers leur imposent leurs méthodes sans concertation. Il faut les impliquer à chaque révision des schémas.
Article 35
L'amendement LOIS.1 et l'amendement LOIS.2 sont adoptés.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 161 « Sécurité civile », sous réserve de l'adoption de ses amendements.