II. L'EXERCICE DU DROIT D'ASILE : DES SIGNES D'AMÉLIORATION QUI DEMEURENT FRAGILES

A. UNE DIMINUTION RÉCENTE DES DÉLAIS D'EXAMEN DES DEMANDES D'ASILE

a) Les délais d'examen des demandes d'asile par l'OFPRA : des progrès encore à confirmer

Si la crise sanitaire avait temporairement freiné la croissance du nombre de demandeurs d'asile, cette parenthèse est désormais refermée. Lors de son audition par les rapporteurs, le directeur général de l'OFPRA a ainsi évoqué un « retour lent mais inéluctable » aux niveaux de demandes observés avant la pandémie de Covid-19 . L'office a enregistré 91 454 demandes sur les neufs premiers mois de l'année 2022 14 ( * ) , soit 88,6 % du nombre de demandes comptabilisées sur la totalité de l'exercice précédent (103 164). Cette reprise s'accélère nettement sur les derniers mois : la barre des 10 000 dossiers mensuels a été franchie au début de l'automne et le niveau observé actuellement est proche des 11 000 dossiers. In fine , le nombre de demandes devrait s'établir à environ 120 000 en fin d'année, soit un niveau comparable à celui de 2018, et la projection pour 2023 est de 135 300 demandes, proche du pic de 2019 (132 826) . La répartition des demandes par nationalités et le taux de protection (28,4 % au 30 septembre 2022) sont quant à eux stables. L'Afghanistan reste le premier pays d'origine avec 12 475 premières demandes enregistrées en 2021, suivie par la Côte d'Ivoire (5 298) et le Bangladesh (5 122).

Malgré cette reprise, des améliorations nettes sont à relever en matière de délais de traitement des demandes par l'OFPRA. Alors qu'il avait dans un premier temps été retardé par la crise sanitaire, l'effet du renforcement des moyens de l'office décidé en 2020 est désormais évident . L'attribution de 200 ETPT supplémentaires a permis à l'OFPRA de rendre un nombre inédit de 140 000 décisions en 2021 (+16 % par rapport à 2019). Le stock de dossiers pendants, qui s'était porté 84 655 en fin d'année 2020, est désormais légèrement supérieur à 40 000, proche de son niveau incompressible estimé à 30 000. La structure de ce stock a également été assainie, puisque la priorisation des dossiers les plus anciens a permis de ramener son âge moyen à 3,5 mois 15 ( * ) . Surtout, le délai de traitement moyen est à son plus bas niveau décennal : il était de 148 jours au 30 septembre 2022, contre 261 jours fin 2021 ( cf. graphique infra ). Comme l'a indiqué le ministre de l'intérieur pendant son audition, la France est actuellement au premier rang des pays européens en termes de décisions rendues 16 ( * ) .

Ces progrès doivent être appréciés à leur juste valeur, ils sont néanmoins encore fragiles et tendent, par certains aspects, à plafonner. La dynamique est moins nette depuis l'automne, ce qui est symbolisé par un léger recul de huit jours du délai de traitement sur le mois de septembre 17 ( * ) . De fait, deux facteurs structurels limitent toujours les capacités décisionnelles de l'OFPRA :

- un taux de rotation important des officiers de protection instructeurs (OPI) : celui-ci était de 14 % en septembre 2022 et devrait se porter à au moins 18 % en fin d'année. À cet égard, la convergence des salaires entre les personnels titulaires et contractuels doit représenter une priorité ;

- la rémanence du Covid-19 : les récents soubresauts de l'épidémie se sont traduits par plus de 500 isolements d'OPI en 2022. Or, le travail à distance est difficilement compatible avec la nature même de leur activité.

Dans ce contexte, les rapporteurs demeurent prudents quant à la possibilité d'atteindre courant 2023 l'objectif d'un délai moyen d'examen des demandes par l'OFPRA de 60 jours 18 ( * ) . Si le ministère de l'intérieur estime ce scénario envisageable 19 ( * ) , sa réalisation suppose une conjonction d'éléments favorables et parfois exogènes, notamment l'évolution de la demande d'asile et l'amélioration de la situation sanitaire. La priorité immédiate est donc d'achever la résorption du stock de dossiers, de manière à pouvoir traiter les nouvelles demandes « en flux ».

Par ailleurs, la réduction du délai de traitement soumet paradoxalement l'OFPRA à des difficultés dans le second volet de son activité, relatif à la délivrance de documents d'état civil . L'augmentation mécanique du volume de personnes protégées a placé les services compétents sous tension et s'est traduite par une augmentation sensible des délais de délivrance, qui sont aujourd'hui de huit mois. Si l'attribution de 8 ETPT supplémentaires en PLF 2023 fléchés vers l'activité d'état civil va dans le bon sens, les rapporteurs seront néanmoins extrêmement vigilants quant à l'évolution de la situation.

b) La CNDA, maillon faible de la chaîne de traitement des demandes d'asile

La capacité de la CNDA à respecter à moyen terme les objectifs qui lui ont été fixés 20 ( * ) suscite de plus importantes interrogations de la part des rapporteurs. Il est vrai que la Cour doit juger un nombre croissant de recours - un nombre de saisines similaire au pic de 2021 (68 243) est attendu en 2022 - et que des signaux positifs sont à relever . La CNDA parvient notamment depuis 2021 à rendre annuellement autant de décisions qu'elle enregistre de recours, ce qui stabilise mécaniquement le stock de dossiers (32 196 au premier semestre 2022).

Pour autant, ces résultats sont encore largement perfectibles . Avec 188 jours, le délai moyen de jugement constaté est encore très supérieur à la cible, tout comme les délais en procédure normale (189 jours) et en procédure accélérée (141 jours). De plus, ces indicateurs sont extrêmement fluctuants du fait de la récurrence de mouvements de grève de la part des avocats à la Cour . La juridiction a ainsi dû dernièrement composer avec une grève s'étalant entre octobre 2021 et mai 2022, laquelle a entraîné le report du jugement de 10 000 recours.

* Au 30 septembre 2022.

Source : Commission des lois à partir des données transmises par le ministère de l'intérieur.

Aussi préoccupante qu'elle soit, cette situation ne saurait obérer le fait que la Cour a bénéficié de fortes augmentations de moyens depuis 2018 21 ( * ) et que ces dernières doivent lui permettre de diminuer le stock de dossiers en instance pour, enfin, se rapprocher des objectifs qui lui ont été assignés . De même, les rapporteurs ne peuvent se satisfaire du nombre très restreint de vidéo audiences tenues par la Cour (16 à Lyon au premier semestre 2022 et 12 à Nancy), alors même que cet outil réduit considérablement les contraintes organisationnelles qui s'imposent à elle et pourrait contribuer au renforcement de son activité décisionnelle.


* 14 109 733 demandes ont été enregistrées dans les guichets uniques pour demandeur d'asile sur la même période.

* 15 Cet âge moyen était de 5,8 mois en 2021.

* 16 Selon les données publiées par Eurostat, la France était en 2021 le deuxième pays européen enregistrant le plus de demandes d'asiles (120 685) derrière l'Allemagne (190 545) et devant l'Espagne (65 295) et l'Italie (53 610).

* 17 Le projet annuel de performances de la mission fait état d'un délai moyen de 140 jours en août 2022.

* 18 Cet objectif a été fixé en 2017 dans le plan d'action « Garantir le droit d'asile, maîtriser les flux migratoires ».

* 19 Il est indiqué dans le projet annuel de performances pour 2022 de la mission que « [la] diminution du nombre et de l'âge des dossiers en stock a permis de réunir les conditions pour envisager une baisse importante du délai de traitement en 2022 et viser l'objectif des 60 jours en 2023 ».

* 20 Deux sous-objectifs sont attribués à la CNDA : un délai moyen d'examen de cinq mois en procédure classique et de cinq semaines en procédure accélérée.

* 21 Plusieurs vagues de recrutement ont permis, entre 2018 et 2021 de porter à 339 le nombre de rapporteurs.

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