EXAMEN EN COMMISSION
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M. François-Noël Buffet , président . - Dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2023, nous examinons les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».
Mme Cécile Cukierman , rapporteure pour avis . - J'ai souhaité m'intéresser cette année à la situation préoccupante du réseau préfectoral et, en premier lieu, à celle de l'échelon de proximité que représentent les sous-préfectures.
Le Gouvernement nous annonce, dans le projet de loi de finances pour 2023, un « réarmement » de l'État territorial dans la continuité des « Missions prioritaires des préfectures 2022-2025 » (MPP 22-25) et du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), qui prévoyait déjà un renforcement des services déconcentrés.
Je salue la prise de conscience salutaire du Gouvernement, qui semble désormais comprendre que l'État ne peut pas continuer à diminuer sa présence dans les territoires, au risque d'amplifier le sentiment d'abandon de nos concitoyens comme des élus locaux. Toutefois, ces annonces interviennent après plus de dix ans de coupes budgétaires drastiques, qui ont conduit à la suppression cumulée de 14 % de l'effectif initial de l'administration territoriale de l'État entre 2012 et 2020 ainsi que des réformes incessantes qui ont mis à mal les services de l'État. Je rappelle que les secrétariats généraux communs départementaux (SGC-D) ont été créés au 1 er janvier 2021, dans le but de mutualiser les fonctions support des préfectures et des directions départementales interministérielles (DDI) et de créer des économies. Nous n'avons pas encore eu le temps de dresser le bilan de cette réforme que le Gouvernement déploie déjà un nouveau plan d'action pour les préfectures à l'horizon de 2025.
L'annonce de la création de 210 équivalents temps plein (ETP) sur les trois prochaines années, soit 48 ETP pour 2023, et de l'ouverture de six sous-préfectures - dont cinq sont en réalité des « déjumelages » de sous-préfectures fermées au gré des réformes administratives successives - m'apparaît dérisoire au regard des besoins et de l'atrophie qu'a subie l'administration territoriale de l'État depuis plus de dix ans.
J'ai pu me rendre compte, à l'occasion de mes déplacements dans les sous-préfectures, des conséquences dramatiques qu'avaient pu avoir ces réformes sur le fonctionnement de l'administration infra-départementale de l'État. J'ai volontairement choisi de me rendre dans deux sous-préfectures diamétralement opposées : celle de Largentière, en Ardèche, deuxième plus petite sous-préfecture de France, en milieu rural, et celle de Saint-Denis, implantée dans l'un des départements les plus urbanisés et les plus pauvres de la République.
Faute de moyens, la sous-préfecture de Largentière n'accueille plus de public ; cette mission est désormais dévolue à la maison France Services (MSF) installée au sein du bureau de poste de la commune. Le sous-préfet a recentré les missions de l'État autour du soutien aux élus locaux et de l'instruction des dossiers concernant la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL). Malgré cette rationalisation, la sous-préfecture, qui compte douze agents, dont la moitié est en poste depuis plus de vingt ans, connaît de fortes tensions en termes de gestion des ressources humaines et peine à recruter du fait de son isolement géographique.
À l'inverse, la sous-préfecture de Saint-Denis est majoritairement tournée vers l'accueil du public, notamment celui des étrangers, mais n'a pas les moyens de remplir cette mission dans des conditions satisfaisantes. Plus de 20 000 personnes sont accueillies chaque année dans des locaux vétustes et inadaptés, aménagés au sous-sol de la sous-préfecture. Un agent de sécurité est posté à l'entrée pour gérer les flux en constante augmentation et des personnes réalisant un service civique ainsi que des vacataires ont été recrutés pour vérifier la complétude des dossiers à l'arrivée et fluidifier le trafic. Malgré les nombreuses mesures mises en oeuvre pour améliorer l'accueil du public, la sous-préfecture demeure sous-dimensionnée pour faire face à la demande. Le déménagement de celle-ci dans de nouveaux locaux, prévu pour la fin du premier trimestre de l'année 2023, devrait permettre de renforcer les effectifs du bureau des étrangers et d'améliorer les conditions d'accueil. L'exemple de Saint-Denis montre à quel point la question de la stratégie immobilière de l'État, en même temps que celle des moyens humains et financiers, doit devenir une priorité.
Je tire de ces déplacements deux convictions. D'une part, je constate que le bon fonctionnement de l'administration territoriale de l'État, dont les moyens ont été réduits comme peau de chagrin, dépend uniquement de la bonne volonté de ses agents, notamment de l'action plus ou moins volontariste des sous-préfets. Ce n'est pas acceptable ! D'autre part, les sous-préfectures doivent conserver une certaine taille critique pour ne pas être entravées dans leur action et pouvoir ainsi incarner l'État sur leur territoire. Il est absolument nécessaire de tenir compte de la réalité du terrain et de s'adapter aux problématiques spécifiques de chaque arrondissement, mais chaque sous-préfet, pour être à même de remplir sa mission, doit pouvoir s'appuyer sur une équipe de taille suffisante, formée et disposant d'une connaissance fine des enjeux locaux. La présence d'agents de catégorie A, voire de catégorie A+, est indispensable pour permettre aux sous-préfets de déléguer une partie de leurs responsabilités. Ces réflexions de bon sens semblent avoir été négligées par les gouvernements successifs.
La notion de « réarmement » me paraît d'ailleurs réductrice, car il apparaît désormais urgent, au-delà de l'enjeu des moyens, de définir une véritable doctrine de l'État territorial. Le renforcement de la présence de l'État dans les territoires passe également par la clarification de l'action de l'État, devenue de plus en plus illisible pour les citoyens comme pour les élus locaux au fur et à mesure des réformes administratives et de la multiplication des services et des agences qui ne sont pas directement placés sous l'autorité du préfet de département. Or le Gouvernement, tant dans les MPP 22-25 que dans le projet de loi de finances pour 2023, ignore complètement cet enjeu.
Je ne peux dès lors que déplorer le manque d'ambition dans les moyens alloués au renforcement de l'administration de proximité de l'État. Dans ces conditions, il me semble que le « réarmement » de l'État territorial relève plus de la communication que d'une réelle conviction du Gouvernement. Enfin, je note un sentiment d'abandon des territoires de plus en plus exacerbé, bien visible au travers des échanges que nous avons avec les élus locaux. La présence d'un État déconcentré accompagnateur, et non pas seulement censeur, apparaît d'autant plus nécessaire pour sécuriser l'action des collectivités territoriales.
Je ne m'attarderai pas sur les crédits des deux autres programmes compris dans le périmètre de la mission, dont l'évolution me paraît justifiée. Concernant le programme « Vie politique », les crédits diminuent de plus de 75 %, puisque les élections sénatoriales et territoriales de 2023 seront bien moins coûteuses à organiser que l'élection présidentielle, les élections législatives et territoriales de l'année passée.
Concernant le programme « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur » auquel sont rattachées les fonctions support, la gestion des affaires juridiques et contentieuses du ministère et les cultes, les crédits sont en forte hausse pour financer, d'une part, la stratégie immobilière du ministère et, d'autre part, renforcer les moyens du Fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR).
Compte tenu de la faiblesse des engagements financiers du Gouvernement pour l'administration territoriale de l'État, je vous propose de donner un avis défavorable aux crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».
M. François Bonhomme . - On peut s'interroger sur la stratégie immobilière de l'État au regard de sa volonté nouvelle de renforcer les sous-préfectures après des années de rationalisation sans discernement. Derrière la question du maintien des implantations physiques se pose celle de la dématérialisation des démarches administratives et de la multiplication, en parallèle, des maisons France Services. Quel type de services et quel type d'accompagnement sont-ils proposés au public ? Les remontées que j'ai du terrain sont plutôt positives mais la mise en oeuvre du réseau France Services a-t-elle été évaluée au niveau national ? Donne-t-il satisfaction aux usagers ? Nous ne pourrons pas faire l'économie d'une vision globale sur cette question prégnante du numérique car, comme le disait Shakespeare : « Ce qui ne peut être évité, il faut l'embrasser ».
Mme Muriel Jourda . - Vous indiquez qu'en Ardèche, la sous-préfecture n'est plus qu'un service dédié aux élus locaux, tandis que la maison France Services, financée par les collectivités territoriales, assure toutes les autres missions. Dans ce cadre, la maison France Services donne-t-elle satisfaction aux usagers et a-t-on pu évaluer cette efficacité de service ?
M. Éric Kerrouche . - Tout le monde s'accorde à dire que l'État territorial se trouve actuellement dans une phase de recul, comme en témoignent le dernier rapport de la Cour des comptes sur les effectifs de l'administration territoriale de l'État et le rapport d'information qu'Agnès Canayer et moi-même avons présenté devant la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
La Cour des comptes juge les suppressions au sein des préfectures irréalistes et considère que les schémas d'emplois postérieurs à 2018 mettent à mal le renforcement des missions prioritaires des préfectures, d'autant plus que celles-ci ne sont pas définies. Elle constate que l'administration territoriale de l'État a perdu 14 % de ses effectifs en une décennie, et que les baisses subies par les services déconcentrés sont souvent disproportionnées par rapport aux à celles supportées par les services centraux. Notre rapport d'information montre que la chute des effectifs au sein des DDI est significative, pour ne pas dire étonnante, de l'ordre de 36 % en dix ans. Cette baisse drastique et continue a conduit à recourir aux personnels contractuels précaires pour des courtes durées. La rapporteure spéciale, Isabelle Briquet, ne dit pas autre chose dans son rapport, mettant en exergue la perte de compétences et donc la perte d'expertise de l'État qui découle de cette stratégie d'économies de moyens.
Étonnamment, le Gouvernement lui-même partage ce constat, indiquant dans le projet annuel de performance de la mission qu'en 2023, l'évolution des moyens dédiés au fonctionnement de l'administration territoriale de l'État « traduit le renforcement de la capacité d'action de l'État sur le terrain [...], mettant ainsi fin à plus de vingt ans de réduction systématique des effectifs départementaux. » Au vu de ce constat, il aurait été logique que le Gouvernement mobilise les moyens nécessaires au renforcement de l'action de l'État dans les territoires, mais il n'en est rien. La hausse présentée dans le projet de loi de finances pour 2023 est en trompe-l'oeil, car elle est liée en réalité à l'augmentation du point d'indice et ne permet pas de répondre aux besoins. La répartition entre les effectifs est floue et ne précise aucun critère de détermination des redéploiements. Cette situation est d'autant plus préoccupante que la Cour des comptes a souligné le vieillissement des agents territoriaux de l'État, ce qui imposerait logiquement un recrutement échelonné au fil du temps.
Si les objectifs du Gouvernement ne sont pas en soi critiquables - la mission de la politique territoriale est bien d'assurer le service de proximité -, force est de constater que les délais pour l'obtention des titres d'identité vont croissant et qu'il en est de même pour les demandes de titres de séjour. Par conséquent, il est nécessaire de faire un choix : soit les missions des préfectures sont de même niveau, et dans ce cas, il faut donner à l'administration les moyens de ses ambitions ; soit il faut en sélectionner et donc renforcer certains postes. Or le Gouvernement ne choisit pas.
Pour conclure, s'agissant du programme 232 « Vie politique », on peut souligner les efforts réalisés dans le cadre de la distribution de la propagande électorale. En ce qui concerne le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur », il est positif qu'un investissement soit réalisé en matière d'immobilier et de numérique. Néanmoins, notre rapport d'information montre une incomplétude au sein des applicatifs utilisés localement. D'importants efforts sont encore à fournir. De même, si la poursuite de l'aspect numérique est nécessaire, il reste à évaluer son déploiement dans le temps, car le numérique représente à la fois un besoin et une limite de l'État territorial. Ainsi, en ne nous limitant qu'à cet aspect, nous connaîtrons les mêmes problèmes que précédemment.
M. Mathieu Darnaud . - Sur la question des moyens, j'observe moi aussi un affaiblissement constant de l'État territorial. Par exemple, le département de l'Ardèche devait bénéficier du redéploiement des effectifs des DDI ; or, les 50 agents annoncés pour étoffer le personnel de la sous-préfecture de Tournon-sur-Rhône ne sont jamais arrivés.
Nous manquons de recul pour juger de l'efficience des maisons France Services. Le dispositif est méconnu des usagers et, plus encore, des élus locaux. Il est nécessaire de mener un travail de pédagogie pour expliquer le fonctionnement et les services offerts par ces maisons.
Nous vivons une période particulièrement complexe et anxiogène ; les citoyens demandent une présence forte de l'État territorial. À ce titre, je soutiens les préconisations du rapport d'information réalisé par Agnès Canayer et Éric Kerrouche. Celles-ci renvoient à une critique déjà formulée lors de l'examen de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS) au sujet du volet déconcentration, alors que le Gouvernement aspirait à redéployer des moyens dans les territoires, afin de permettre notamment aux préfets et aux sous-préfets d'être les coordonnateurs de l'action publique. Un an après, le constat est inquiétant. Récemment encore, sur la question des filets de sécurité, les élus se trouvaient dans l'incapacité de faire appliquer un dispositif trop complexe et dévoyé. Le manque de moyens constitue une part importante des dysfonctionnements observés, et nous ne pouvons que craindre le déploiement des prochains dispositifs liés au sujet de l'énergie.
Nous vivons un véritable paradoxe : d'un côté, il y a ce besoin constamment réaffirmé d'un État territorial renforcé et, de l'autre, la réalité d'un État absolument sourd, figé dans une incapacité chronique. Personne ne va s'opposer aux intentions exprimées par le Gouvernement ; mais, à ce stade, ce ne sont que des intentions. Les conséquences de cette stratégie de communication pourraient être mortifères si elle ne se soldait pas par des actions concrètes car elle créé de l'espérance pour les élus sur le terrain désabusés par la situation alarmante.
M. Hussein Bourgi . - Cela fait plusieurs années que l'action de l'État n'est pas satisfaisante, et ce rapport en est une illustration supplémentaire.
Tout d'abord, je suis régulièrement interpellé au sujet de la délivrance des cartes nationales d'identité et des passeports. Le problème, endémique, est apparu dès lors que nous avons voulu centraliser et externaliser le traitement de ces titres. Des familles sont aujourd'hui obligées d'annuler des réservations, car les délais d'attente - de l'ordre parfois de six mois - sont anormalement longs, ce qui n'est pas acceptable.
Le service dédié aux étrangers n'est pas satisfaisant non plus. Pour ne plus voir de longues files d'attente devant les préfectures et les consulats, le Gouvernement a mis en place un système de prise de rendez-vous sur internet. En parallèle, s'est développé un marché noir par le biais d'entreprises sous-traitantes avec lesquelles il a fallu rompre les contrats.
L'acheminement des plis électoraux a également posé un certain nombre de problèmes lors des dernières élections régionales et départementales. Il fonctionnait très bien lorsqu'il était effectué par les agents de la préfecture, car nous avions du personnel pour superviser les opérations dans les halls de parcs d'exposition ou les hangars.
Enfin, le service dédié aux relations avec les élus locaux et les collectivités territoriales s'est, au fil des ans, éloigné de sa mission de conseil et d'accompagnement à la prise de décisions. Privilégiant une position d'observateur, il formule des remontrances a posteriori , retoque des décisions, pointe du doigt des délibérations, et de nombreux maires de petites communes s'en plaignent.
Corollaire de tous ces dysfonctionnements, les personnels des préfectures expriment un mal-être profond, avec notamment un turn-over important dans les services. C'est notamment le cas de la préfecture de l'Hérault que je connais bien. Le Gouvernement doit se remettre en cause et s'interroger sur les moyens alloués aux préfectures ; il y va de la crédibilité de l'État auprès de la population.
M. François-Noël Buffet , président . - Concernant la question de l'accueil des étrangers, j'ai dressé le même constat dans le rapport que j'ai fait au nom de la commission sur les services de l'État et l'immigration, publié en mai dernier.
M. Philippe Bas . - Personne ne peut être récitent à l'idée que des sous-préfets actifs puissent rejoindre nos territoires et soutenir nos communes et nos intercommunalités. Mais quelques sous-préfectures de plus ne résoudront pas le problème majeur : du fait de l'érosion des moyens dédiés aux préfectures, les services régionaux de l'État - services techniques dépendant directement des ministères - ont pris le pas sur les préfets de département pour l'instruction des dossiers. Les sous-préfets peuvent aider les maires pour des dossiers d'importance moyenne ou faible, mais les projets de grande envergure des départements devraient pouvoir être traités par les préfets de département et non par des services régionaux éloignés du terrain.
Si l'on veut progresser sur le chemin des libertés locales et d'une meilleure décentralisation, il s'agit de renforcer l'État départemental ; or, ce renforcement n'est toujours pas à l'ordre du jour. Le Sénat doit insister sur ce point. Même lorsque des décisions sont instruites au niveau régional, il serait bon qu'elles soient prises par les préfets de département, c'est-à-dire par des hauts fonctionnaires généralistes à même de juger des intérêts de nos territoires au-delà de la dimension purement technique des sujets. Cela correspondrait à l'esprit des 50 propositions formulées par le président du Sénat sur les libertés locales, rendues publiques au mois de juillet 2020 et qui, sur ce plan comme sur beaucoup d'autres, n'ont pas été suivies d'effets. Il est temps de rappeler l'urgence d'une réforme de l'administration territoriale de l'État.
Mme Agnès Canayer . - Nous sommes tous favorables à une réforme de l'État territorial. Néanmoins, je note l'absence d'évaluation des différentes réformes qui se sont succédé. Ajouter encore des niveaux d'organisation sans une réflexion préalable ni une évaluation de l'ensemble des politiques publiques locales ne me semble pas pertinent.
M. Thani Mohamed Soilihi . - J'entends les remarques de mes collègues. Ces constats sont à mettre en perspective avec la réduction des effectifs ; celle-ci est évaluée à 14 % entre 2012 et 2020 par la Cour des comptes. Aujourd'hui, j'observe un changement de ton du Gouvernement et des annonces importantes. Je ne partage donc pas l'avis de la rapporteure sur les crédits de cette mission.
M. Alain Marc . - Un symbole de la déliquescence de l'État : lorsqu'on appelle la sous-préfecture de Millau ou de Villefranche-de-Rouergue au-delà d'une certaine heure, c'est la préfecture qui reçoit l'appel ; et si l'on appelle plus tard encore, ce n'est pas la préfecture de l'Aveyron, mais celle du Tarn-et-Garonne qui vous répond.
Je souhaite évoquer un autre aspect, celui des différentes administrations de l'État dans les départements. La fluidité des relations entre les maires et certaines administrations de l'État dépend beaucoup de celle entre les parlementaires et les préfets ou les sous-préfets. Il n'est pas normal que, dans certains domaines comme celui l'urbanisme, nous soyons obligés de demander aux préfets et aux sous-préfets d'intervenir.
J'ajouterai qu'il est encore trop tôt pour évaluer le dispositif France Services.
Mme Françoise Gatel . - Au-delà de la décentralisation, le véritable enjeu aujourd'hui est celui de la déconcentration, et plus particulièrement le phénomène de « l'agencification » de l'État. Comme nous avons pu le constater lors de la crise sanitaire, il est important pour les maires d'avoir un interlocuteur unique, qui soit le préfet ou le sous-préfet. Le déploiement de ces agences plus ou moins autonomes a complexifié le traitement des dossiers, ralenti le processus de décision et parfois même entraîné des contradictions dans la parole de l'État. Je ne suis pas sûre que cette « agencification » coûte moins d'argent ; en tout cas, elle n'apporte pas davantage d'efficacité.
Mme Cécile Cukierman , rapporteure pour avis . - Concernant les MFS, le programme de labellisation s'étend jusqu'à la fin 2022. Une évaluation n'est donc pas encore possible, mais nous ne pouvons qu'encourager sa prochaine réalisation. On peut penser qu'il y aura de très bonnes expériences et d'autres moins heureuses, liées à l'implantation, à la façon dont les différents acteurs se sont saisis du dispositif, à la qualité de l'accueil et de l'accompagnement. Sur le fond, demeure la véritable question, à savoir : doit-on poursuivre dans cette logique ? Qui finance le dispositif ? Et, par là même, qui affirme son autorité dans les territoires ?
Se pose également la question de la formation des personnels. À une époque comme la nôtre où les irritabilités sont nombreuses, l'accueil demande à être fortement maîtrisé pour éviter les dérapages.
Sur la coordination des politiques de l'État et la présence territoriale, je partage les différents points de vue exprimés. Le rôle des préfets et des sous-préfets de département est essentiel, ils doivent être les représentants de l'action de l'État dans les territoires et avoir la capacité de coordonner. Nous avons tous en tête les préoccupations actuelles de nos concitoyens, concernant la santé, les filets de sécurité ou encore l'école, avec la question des fermetures de classe ; ces trois sujets ne dépendent pas du préfet de département, mais, respectivement, des agences régionales de santé (ARS), de la direction générale des finances publiques (DGFiP) et du ministère de l'éducation nationale. Quand on souhaite « réarmer » l'État territorial, encore faut-il avoir une armée en état de marche, avec des généraux qui ont confiance en celle-ci.
Concernant les élections, plus de la moitié des départements ont « réinternalisé » la gestion des plis pour les élections. Si nous devions organiser des élections législatives d'ici à quarante jours, il n'est pas certain que l'on puisse se satisfaire du déroulement de l'acheminement, de la distribution et de la propagande électorale. Il importe de rester vigilant.
M. Mathieu Darnaud . - Aujourd'hui, toutes les politiques essentielles de l'État, et singulièrement celles qui vont peser sur l'avenir de notre territoire - je pense notamment à la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, avec le « zéro artificialisation nette » -, sont mises dans les mains de l'État déconcentré. Nous avons pu observer les premiers dysfonctionnements, avec notamment des écarts entre ceux qui ont pu se saisir des dossiers. Nous devons dénoncer cette situation et redire également la qualité des femmes et des hommes qui, en dépit des difficultés, assurent le fonctionnement de l'État dans les territoires.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».