EXAMEN EN COMMISSION
JEUDI 17 NOVEMBRE 2022
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M. Laurent Lafon, président . - Nous examinons les crédits du rapport pour avis de notre collègue Nathalie Delattre sur le programme « Enseignement technique agricole » du projet de loi de finances (PLF) 2023.
Mme Nathalie Delattre, rapporteure pour avis sur les crédits de l'Enseignement technique agricole . - Le programme 143 « Enseignement technique agricole » est doté, dans le PLF 2023, de 1,59 milliard d'euros. Les crédits connaissent une augmentation de 67,8 millions d'euros, soit de plus de 4 % par rapport à l'année dernière.
Cette augmentation bienvenue des crédits s'explique principalement par la hausse à hauteur de 73 millions d'euros des dépenses de personnel, sous l'effet notamment, de la revalorisation du point d'indice et du financement du glissement vieillesse technicité (GVT).
Les crédits hors dépenses de personnel diminuent quant à eux de 5,37 millions d'euros. Cette baisse s'explique d'une part du fait d'un ajustement à la baisse des crédits dédiés au financement des bourses sur critères sociaux que le ministère justifie par la diminution du nombre d'élèves, et d'autre part de diverses mesures de transfert vers d'autres programmes.
Il faut souligner aussi le bel effort effectué en faveur de l'école inclusive. Durant l'année scolaire 2021-2022, le nombre de jeunes en situation de handicap accueillis dans l'enseignement agricole a encore progressé de 26 % ! Je me réjouis que la dotation en faveur de l'accompagnement et de l'inclusion de ces élèves progresse de 10,28 millions d'euros pour 2023. L'année dernière, je m'interrogeais sur la pleine adéquation des moyens, face à la hausse continue des besoins. Une augmentation conséquente me paraissait indispensable pour permettre la scolarisation dans les meilleures conditions, en milieu ordinaire, des élèves et étudiants de l'enseignement technique agricole en situation de handicap. Je suis donc rassurée, mais reste vigilante.
Je souhaiterais toutefois renouveler mon inquiétude quant au faible nombre de personnes ressources venant en appui aux services déconcentrés et aux établissements.
Aujourd'hui encore et malgré la hausse indéniable des besoins, ce sont seulement deux personnes à temps plein qui sont chargées d'animer le réseau national et de coordonner les actions de formation des 806 établissements de l'enseignement agricole.
S'agissant du schéma d'emplois, 15 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires sont prévus sur le programme 143. Ces ETP viendront renforcer les équipes médico-sociales. Si je me félicite de cette hausse des ETP après une baisse conséquente les années précédentes, je m'interroge sur l'efficacité et la pertinence de ce dispositif sur le terrain, puisque cette hausse ne représente qu'environ 1 ETP par région !
Le ministre Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, nous a indiqué hier que ces 15 postes médico-sociaux seraient renforcés de 15 ETP en 2024 et 15 en 2025, sans faire plus d'annonces à ce stade sur le schéma pluriannuel 2023-2026. Nous reviendrons donc vers lui.
Il me paraît cependant nécessaire de se donner les moyens d'agir en augmentant avant tout les ETP d'enseignants pour les années à venir. L'enseignement agricole doit impérativement oeuvrer pour maintenir de petits effectifs, ouvrir davantage de classes et élargir l'éventail d'options proposées dans les établissements.
Pour clore cette première analyse budgétaire, je voudrais saluer à nouveau la hausse des crédits sur l'ensemble du programme, mais en soulignant toutefois son manque de lisibilité en raison des nombreuses modifications qu'a subies la maquette cette année.
De multiples mesures de périmètre et de transferts ont en effet été opérées au sein du projet de loi de finances pour 2023 ; un nouvel indicateur nommé « dépense moyenne de l'État pour la formation d'un élève de l'enseignement agricole technique », concernant tant le public que le privé, est venu remplacer l'indicateur de coût unitaire de formation d'un élève pour l'État (Cufe), spécifique à l'enseignement agricole public.
La direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) a indiqué que la modification de la maquette devait permettre de se conformer aux recommandations de la Cour des comptes dans son rapport de 2020 sur les coûts et la performance du programme 143. En effet, la DGER fait son possible pour nous fournir les informations et je m'engage à vous les transmettre avant le 1 er décembre 2022.
Au-delà de ces considérations budgétaires, je vous propose maintenant d'aborder plus largement la situation du secteur de l'enseignement technique agricole et ses perspectives d'avenir.
À la rentrée 2022, les établissements de l'enseignement technique agricole ont accueilli 153 877 élèves et étudiants.
Le nombre d'élèves est donc en baisse de 1,1 %, soit une diminution de 1 743 élèves. Cette baisse est visible aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé.
La situation des brevets de technicien supérieur agricole (BTSA) est particulièrement inquiétante. Les effectifs dans ces formations, qui ont pourtant fait leurs preuves, ont diminué de 12,8 % par rapport à la rentrée précédente, soit une perte de 2 372 élèves à la rentrée 2022 !
Il m'apparaît indispensable de mettre en place au plus vite un groupe de travail pour revaloriser le BTSA et lui redonner une perspective claire dans une dynamique de bac+ 3. Le ministre nous a indiqué hier être celui qui saura mettre en place cette mutation.
Plus généralement, si la diminution du nombre d'élèves à la rentrée 2020 s'expliquait par les conséquences de la crise sanitaire, cette nouvelle baisse des effectifs souligne avec force la nécessité d'agir pour mieux faire connaître l'enseignement agricole.
À l'heure où plus de la moitié des exploitants agricoles ne seront plus en activité dans dix ans et où le besoin de services dans les territoires augmente, il est urgent de renforcer la communication autour des formations de l'enseignement agricole et redynamiser les effectifs sur le long terme.
Depuis 2019, le « Camion du Vivant » et la campagne de communication #CestFaitPourMoi, lancée dans le cadre du plan de relance, s'efforcent de faire connaître l'enseignement technique agricole dans les territoires et sur les réseaux sociaux.
Si ces campagnes de communication ont bien fonctionné à leur lancement, nombre d'acteurs représentant l'enseignement technique agricole public et privé déplorent leur manque de visibilité en 2022, ce que ne percevait malheureusement pas le ministre jusqu'à ce que nous l'en informions hier. Il est indispensable de mieux cerner les attentes des jeunes et d'encourager les établissements, au niveau local, à se saisir à leur échelle ces enjeux, en y associant leurs élèves.
Plus encore, après avoir ouvert une enveloppe de 9,7 millions d'euros au service de la communication sur le plan de relance pour 2022, je déplore que ces crédits ne soient pérennisés qu'à hauteur de 1,9 million d'euros sur le programme 143 pour l'année prochaine. Face au manque d'information persistant en direction des élèves sur l'offre de formation de l'enseignement agricole, seule la mise en place d'un schéma de communication pluriannuel permettra véritablement, à mon sens, d'inverser la tendance.
Aussi, il me semble primordial de mieux valoriser l'enseignement agricole au sein du système d'orientation. Les enseignants des collèges, qui jouent un rôle essentiel dans l'orientation, méconnaissent encore trop les filières de l'enseignement technique agricole.
La mission d'information du Sénat avait fait plusieurs propositions très concrètes pour renforcer l'information des élèves. Je regrette que celles-ci n'aient pas encore été suffisamment entendues.
C'est pourquoi j'aimerais réitérer mon appel à rendre systématique la présentation de l'enseignement agricole dans les collèges. J'avais déjà formulé ce voeu l'année dernière. Plus que jamais, je suis convaincue que les cursus offerts par l'enseignement agricole doivent être mieux connus par les collégiens pour redynamiser durablement le secteur.
D'autant plus que l'enseignement technique agricole se distingue encore cette année par ses résultats toujours très satisfaisants, et ses taux d'insertion professionnelle très élevés : en situation post-bac, trois ans après l'obtention de leurs diplômes, 86 % des titulaires d'un bac professionnel de l'enseignement agricole et 92 % des titulaires d'un BTSA occupent un emploi !
Le caractère innovant de l'enseignement agricole est également reconnu. Les formations proposées se veulent en prise avec les défis auxquels fait face le monde agricole.
Face aux enjeux climatiques, environnementaux et de souveraineté alimentaire, de nouvelles compétences sont nécessaires pour préparer aux métiers du monde agricole et les besoins en recrutement sont de plus en plus importants. Cette qualité d'enseignement doit être préservée.
Aussi, je souhaiterais terminer mon intervention en attirant votre attention sur la nécessité plus que jamais d'accompagner les établissements de l'enseignement technique agricole face au contexte énergétique tendu et à la hausse globale des coûts de production, notamment dans l'alimentaire.
Lors de leurs auditions respectives, les représentants des établissements se sont dits particulièrement inquiets de la hausse des coûts de fonctionnement des écoles et des fermes pédagogiques, tout comme le disent les collectivités.
Ces établissements sont particulièrement énergivores, d'autant plus que l'enseignement agricole est également caractérisé par un fort taux d'élèves en internat - pour rappel, 57 % des élèves de l'enseignement technique agricole sont internes.
Or, tandis qu'une aide aux établissements en difficulté du fait de la crise du Covid avait été mobilisée en 2020 et en 2021, la DGER et le ministre ont indiqué lors de son audition qu'aucun plan d'urgence n'était envisagé à ce jour. Ce dernier a en effet précisé qu'il était encore au stade l'état des lieux. Cette augmentation des coûts de l'énergie ne pouvant être répercutée sur les familles, la situation financière des établissements risque d'être fortement mise à mal si la crise venait à perdurer.
Il m'apparaît donc essentiel de venir au plus vite soutenir les établissements de l'enseignement technique agricole publics et privés, pour leur permettre d'absorber les retombées de l'inflation, qui mettent gravement en péril leur trésorerie pour les mois à venir.
A minima , les maisons familiales rurales (MFR) et les fédérations de l'enseignement agricole privé du temps plein pourraient être autorisées à utiliser le plafond maximal prévu pour 2022 et 2023 dans le protocole qui encadre leur fonctionnement. Ces sommes, représentant environ 10 millions d'euros pour les maisons familiales rurales et 5 millions d'euros pour les fédérations de l'enseignement agricole privé du temps plein, pourraient ainsi ne pas être rendues, mais conservées dans leurs budgets pour prendre en compte l'impact très négatif de l'inflation sur leurs établissements. Il suffirait pour ce faire d'une autorisation du ministère.
En conclusion, et en raison d'une augmentation satisfaisante du budget consacré à l'enseignement technique agricole, et des propos très impliqués du ministre de l'agriculture auditionné hier, je vous propose de donner un avis favorable aux crédits du programme 143, tout en restant vigilants sur l'évolution des crédits et des ETP de l'enseignement agricole à moyen terme.
Mme Marie-Pierre Monier . - Les examens des crédits alloués à l'enseignement agricole dans le cadre du PLF se suivent et se ressemblent. Nous souhaitons tous préserver cet enseignement vecteur de richesses pour nos territoires, d'autant plus crucial dans un contexte de transition agroécologique et de renouvellement des générations : il faudrait atteindre le chiffre de 20000 nouvelles installations agricoles annuelles et nous n'en sommes qu'à 14 000 à ce jour. Pourtant, comme l'avait souligné notre mission d'information sur l'enseignement agricole, on constate un manque de volontarisme budgétaire pour répondre à la situation matérielle dégradée de l'enseignement agricole. Ainsi, 316 emplois ont été supprimés entre 2017 et 2022 : derrière l'apparente stabilité des effectifs que montre le PLF se cachent en réalité des conditions d'enseignement mises à mal, et une mise en danger de la singularité pédagogique de ces enseignements.
Si le pacte de loi d'orientation agricole promis par le Président de la République retient tout notre intérêt, celui-ci doit être réellement mis en oeuvre. De même, la hausse globale du budget de 4,4 % n'est pas à la hauteur de l'inflation ni des impacts de la crise sanitaire et énergétique qui pèsent sur les établissements.
Je salue la hausse de 10 ,3 millions d'euros des crédits pour l'inclusion scolaire, soit une hausse de 28 %. Je souhaite toutefois émettre une alerte sur la situation des personnels, et notamment des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) qui ont parfois du mal à trouver suffisamment de missions et à parvenir à une quotité travaillée, et donc de rémunération, satisfaisante, en raison de la faible densité d'établissements dans certains départements.
S'agissant de la baisse des crédits en direction des bourses sur critères sociaux évoquée par le ministre, je souhaiterais avoir des explications. Quelles en sont les raisons ?
Pour finir, j'attire votre attention sur l'importance de communiquer dans les collèges, afin d'attirer les élèves en nombre dans l'enseignement agricole. Il faut donc avoir un budget consacré à cette dimension.
Mme Annick Billon . - Si nous pouvons nous réjouir de l'augmentation de 6,5 % des crédits de la mission « Enseignement scolaire », leur ventilation n'en est pas moins déséquilibrée. Ainsi, le programme 143 ne représente que 1,9 % des dépenses de la mission, alors que le programme 141 « Enseignement scolaire public du second degré » est 25 fois supérieur.
L'enjeu est de taille : 55 % des agriculteurs ont plus de 50 ans et un agriculteur sur deux partira à la retraite dans les cinq prochaines années. Or nombre d'installations annuelles ne sont pas suffisantes pour compenser ces départs.
Le secteur agricole est une voie d'excellence tant pour l'enseignement, que l'insertion professionnelle et l'épanouissement des élèves.
L'agriculture fait face à de nombreuses mutations économiques, environnementales et sociétales qui sont autant de défis obligeant les métiers du secteur à se transformer. Pour les relever, la profession doit continuer à conjuguer performance et innovation. Nous serons donc attentifs aux efforts réalisés pour renforcer l'attractivité de la filière, avec la plateforme Horizons 21 par exemple. Un projet de loi d'orientation agricole est aussi annoncé pour le premier semestre 2023.
Par ailleurs, on peut saluer les efforts réalisés pour féminiser certaines professions et pour briser les stéréotypes. Nous serons attentifs à la réforme de l'enseignement professionnel qui aura des conséquences sur l'enseignement agricole. Comme notre rapporteure, nous sommes réservés quant au bilan du « Camion du Vivant » au regard des investissements consentis.
Enfin, je conclus en évoquant plusieurs points de vigilance : la situation des MFR - nous soutenons la proposition de notre rapporteure à cet égard - ; les conditions de travail et de rémunération des AESH, la place des filles dans les filières d'enseignement agricole et la réforme de l'enseignement professionnel à venir.
Mme Céline Brulin . - Ce budget met fin à une spirale délétère qui prévaut depuis plusieurs années, mais il n'enclenche pas pour autant une nouvelle dynamique si l'on pense à la nécessité de recruter de nouveaux enseignants. Le programme 143 est celui dont les crédits progressent le moins au sein de la mission, alors que la baisse des effectifs ces dernières années a été considérable. En outre, plus qu'ailleurs, le secteur nécessite un fort taux d'encadrement et un travail organisé en petits groupes.
Nous rejoignons les propositions de notre rapporteure, afin de mieux faire connaître l'enseignement agricole. Le taux d'insertion dans l'emploi de cette filière est en effet exceptionnel et sa réussite pourrait d'ailleurs éclairer la réflexion générale sur l'insertion professionnelle.
Pour finir, nous soutenons la proposition de notre rapporteure visant à ce que les MFR puissent être autorisées à utiliser le plafond maximal de crédits prévu pour 2022 et 2023 dans le protocole qui encadre leur fonctionnement.
Nous nous abstiendrons sur le vote de ces crédits.
M. Stéphane Piednoir . - Nous pouvons nous féliciter de la hausse des crédits, même si celle-ci est financée par de la dette...
J'ai une question à propos du manque de lisibilité des transferts de crédits. Est-il possible d'avoir des précisions ? Ce n'est jamais un bon signal quand on n'y voit pas clair...
Notre rapporteure nous incite à la vigilance sur le maintien des ETP. L'enseignement technique agricole constitue une spécificité précieuse de notre système éducatif. L'enseignement agricole conserve de petits effectifs dans ses classes. Il s'agit d'un véritable modèle. Lors du récent débat sur l'enseignement professionnel, Carole Grandjean a d'ailleurs pris pour référence l'enseignement technique agricole. Le taux d'insertion après le brevet de technicien supérieur agricole (BTSA) est exceptionnel. Marie-Pierre Monier et Annick Billon ont insisté sur la nécessité de soutenir la création de nouvelles installations agricoles. Il s'agit d'un modèle d'enseignement concret. L'orientation se fait au collège. Les élèves déjà ancrés dans le milieu agricole ne rencontrent aucune difficulté d'accès à l'information. En revanche, comment donner envie aux élèves de collège de rejoindre cette formation quand ils ne la connaissent pas ? On mesure là l'importance de l'orientation et de la charte d'information du professeur. Les professeurs ne connaissent pas toujours ces filières.
En ce qui concerne l'impact de la hausse de l'énergie, notamment pour les internats, l'état des lieux préliminaire du ministre me laisse quelque peu perplexe. Nous manquons de chiffres provenant directement des établissements, afin de pouvoir évaluer les compensations à envisager.
Le groupe Les Républicains suivra l'avis de la rapporteure.
M. Max Brisson . - Je souhaite saluer l'implication du ministre. C'était également le cas lors du récent débat sur Parcoursup de Mme Sylvie Retailleau, qui s'est montrée d'une grande disponibilité.
Nous suivrons l'avis de notre rapporteure puisque ces crédits présentent une situation relativement stabilisée, moins dégradée que par le passé.
Néanmoins, je tiens à souligner une ambivalence. Cela a été dit, notre système est performant, diversifié et très inscrit dans nos territoires ; mais il se caractérise aussi par sa marginalité. Sur le terrain, nous constatons dans les établissements une gestion sous forme de bricolage, qui n'est à la hauteur ni des performances ni, comme le relevait Stéphane Piednoir, du remarquable taux d'insertion qui tient beaucoup au lien avec les professions du secteur. Alors que nous constatons le bon équilibre entre l'enseignement et la formation sur le terrain, nous sommes parfois surpris d'entendre que les équipes pédagogiques doivent gérer, avec beaucoup d'ingéniosité et quelques bouts de ficelle, leurs établissements.
Un budget devrait traduire une politique. Notre rapporteure souligne l'enjeu de l'orientation, or nous aimerions voir la transcription budgétaire des ambitions exprimées. Cela concerne au premier chef le ministère de l'éducation nationale. C'est bien beau de dire que l'orientation est une cause nationale, nous sommes tous d'accord sur le constat, mais concrètement, nous aimerions en voir la transcription budgétaire ; sinon, il ne s'agit que de discours, d'incantations. Nous pourrions, par exemple, inscrire dans le budget des crédits pour accompagner les établissements agricoles dans leur communication, car en la matière, ils doivent agir seuls. Ce serait là une volonté politique traduite par des inscriptions budgétaires.
Enfin je tiens à appeler à la vigilance. L'éducation nationale va entamer la réforme de la voie professionnelle, mais il est à craindre qu'elle la mènera en interne et pour répondre à ses finalités. Je sais comment se conçoivent les règles au sein du ministère de l'éducation nationale, et nous devrons rappeler l'existence de l'enseignement agricole. On pourrait dire la même chose des lycées maritimes rattachés au ministère de la mer : ces voies professionnelles qui ne dépendent pas de l'éducation nationale vont être impactées par la réforme de l'enseignement professionnel. Nous devrons être vigilants pour que ces établissements ne soient pas oubliés.
Mme Sabine Drexler . - Nous devons porter une attention particulière à ces filières, il faut mieux les faire connaître. L'enseignement agricole permet ainsi de mieux répondre aux enjeux de souveraineté alimentaire. Le secteur offre des opportunités à des jeunes qui ne sont pas faits pour l'enseignement classique. Il peut leur éviter de devenir des décrocheurs sans formation, et à terme, sans travail.
Mme Sonia de La Provôté . - Une réforme du contenu des enseignements généraux de l'enseignement professionnel et agricole avait été menée afin d'inclure l'enseignement de disciplines générales et de faciliter les passerelles entre filières. Ces passerelles sont-elles toujours d'actualité ?
Mme Nathalie Delattre, rapporteure pour avis . - La constance de votre implication dans ce dossier fait plaisir. L'attachement du Sénat à l'enseignement agricole fait chaud au coeur des directeurs d'établissements.
Je partage les interrogations de Marie-Pierre Monier en ce qui concerne les crédits de transferts. Dans un de ses rapports, la Cour des comptes avait demandé des clarifications sur la codification. La maquette budgétaire a été sensiblement modifiée par rapport au projet de loi de finances pour 2022 pour répondre à ces recommandations.
La question est de connaître la table de conversion de Bercy pour passer du coût unitaire de formation d'un élève (Cufe) au nouvel indicateur. Nous ne disposions pas du montant du Cufe privé, seulement de celui du Cufe public, aux environs de 10000 euros. Or aujourd'hui, le nouvel indicateur donnerait en moyenne un montant de 8000 euros. On en déduit que le Cufe privé était de 6000 euros... On a l'impression que Bercy fait en sorte que l'on ne découvre pas que le Cufe était très bas...
Sachez toutefois que notre avis défavorable de 2019 a permis au Conseil national de l'enseignement agricole privé (Cneap) de négocier de meilleures conditions dans le dernier protocole. Je continuerai à soutenir les maisons familiales et rurales (MFR) dans la discussion pour signer un nouveau protocole qui aura lieu en 2023. Ces chiffres nous fournissent des arguments en faveur d'une augmentation de la participation de l'État. L'enseignement public bénéficie de 50,3 % des subventions alors qu'il représente seulement 40 % des effectifs de l'enseignement agricole, tandis que le privé représente 60 % des effectifs, perçoit moins de subventions et participe largement au succès de la filière.
En ce qui concerne les bourses, il y a un transfert de 25,87 millions d'euros vers le programme 142 pour des raisons de lisibilité de la maquette budgétaire. Mais la baisse parallèle constatée sur les crédits du programme 143 est de 26,92 millions d'euros. Le Gouvernement justifie cet écart par une baisse des effectifs des élèves. Or, il faut mettre en rapport cette baisse avec l'augmentation exponentielle de l'apprentissage. C'est un effet d'aubaine pour l'instant, car, dans la filière apprentissage, les établissements récupèrent 8 000 euros, une somme bien supérieure au Cufe de 6 000 euros.
Le ministre, Marc Fesneau, s'est engagé à ce qu'il ne manque aucun fonds pour financer les bourses des lycéens. Les établissements font une avance remboursée ensuite par le ministère. Le ministre est très impliqué. C'est un signe encourageant. Nous devons le soutenir face à Bercy pour obtenir des arbitrages favorables.
Ce budget met fin à la spirale de la baisse des crédits. Nous pouvons émettre un avis favorable, mais nous devons rester vigilants.
En ce qui concerne la hausse de l'énergie, nous n'avons pas de chiffres précis des établissements. On estime que le coût est multiplié par quatre. Le ministre s'efforce de faire un état des lieux, mais il n'a guère de marge de manoeuvre. C'est ce qui explique la proposition que nous formulons. Il convient aussi que les établissements privés, qui ont beaucoup moins profité des fonds de compensation covid que les établissements publics, ne soient pas oubliés.
Je soutiens la proposition de Max Brisson sur un budget consacré à l'orientation. Ce serait une très bonne idée. D'ores et déjà, nous faisons une proposition qui ne coûte rien : rattacher également l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (Onisep) au ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, et non plus seulement au ministère de l'éducation nationale. Comme le relevait Stéphane Piednoir, ses personnels sont issus de la filière générale et ne connaissent pas toujours bien les autres filières. Un élargissement de la tutelle de l'Onisep pourrait permettre de travailler dans l'orientation de façon plus coordonnée. Il serait sans doute possible d'aller plus loin dans le budget d'orientation de l'éducation nationale.
Notre mission d'information sur l'enseignement agricole a montré que des enfants en situation d'exclusion scolaire ont été sauvés par la découverte de l'enseignement agricole. Mais il y a aussi des enfants dans la filière générale qui aimeraient intégrer l'enseignement agricole et qui sont confrontés à un parcours du combattant. J'ai recueilli le témoignage de parents d'élèves. Ils nous ont raconté que leurs enfants étaient de bons élèves de la filière générale, qu'ils souhaitaient se tourner vers la formation agricole, mais que l'éducation nationale ne voulait pas les lâcher. Or l'enseignement agricole a aussi besoin des bons élèves. Il faut donc souligner que si la filière agricole sauve certains enfants, elle peut également dynamiser la carrière d'élèves déjà brillants.
Enfin, madame de La Provôté, je n'ai pas d'éléments de réponse à votre question. Je la transmettrai à la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER).
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 143 « Enseignement technique agricole » au sein de la mission Enseignement scolaire du projet de loi de finances pour 2023.