B. ... MAIS UNE LPM DÉSORMAIS INSUFFISANTE
Contrairement à ce que prévoyait la loi de programmation militaire 2019-2025, l'actualisation par le gouvernement de la Revue stratégique en 2021 a conduit à des ajustements hors cadre législatif , ce que la commission a vivement regretté.
Afin de financer les besoins nouveaux (renseignement, cyber, spatial, protection NRBC, santé, lutte anti-drone...), des décalages ont été opérés dans la réalisation de programmes importants tels que la capacité hydro-océanographique future (CHOF), le système de lutte anti-mine futur (SLAM-F), l'étape 2 du système de drone tactique (SDT) ou encore le programme de véhicules lourds 4-6 tonnes (FTLT).
Pour le programme Scorpion , central pour l'armée de terre, l'actualisation a conduit à réduire les objectifs à 2025 (à 45 % au lieu de 50 % de la cible totale). Un décalage d'un an de la commande et de la livraison des 32 CAESAR (camion équipé d'un système d'artillerie), et de la rénovation de 77 CAESAR, a alors été opéré.
Ajustements opérés en 2021
Programme |
Objet |
Scorpion |
Actualisation de la cible LPM à 45 % au lieu de 50 % de la cible totale à fin 2025 |
Système de lutte anti-mines du futur (SLAM-F) |
Décalage d'un an des livraisons de l'étape 2. |
Capacité hydrographique et océanographique future (CHOF) |
Décalage d'un an de la phase de réalisation (qui sera lancée en 2025) |
Flotte tactique et logistique terrestre (FTLT) |
Décalage de deux ans, commande en 2024, premières livraisons en 2027 |
Système de drones tactiques (SDT) |
Décalage de l'étape 2 de 2024 à 2025 |
Avion de patrouille maritime (PATMAR) |
Décalage d'un an de la commande précédemment prévue en 2025 |
Missile moyenne portée (MMP) |
Étalement des livraisons prévues en 2024-2025 sur 2024-2026 |
CAESAR |
Décalage d'un an de la commande et de la livraison des 32 derniers CAESAR et de la rénovation de 77 CAESAR |
Avion léger de surveillance et de reconnaissance (ALSR) |
Dépassement du jalon (3 ALSR en 2025 au lieu de 2) |
Source : ministère des armées
De nouveaux ajustements ont été réalisés en 2022 , pour financer des éléments de connectivité aéronautique (MRTT, Rafale), l'accélération de la préparation de la rénovation mi-vie des frégates de défense aérienne (synchronisation avec l'Italie) et la mise en place de nouveaux programmes (frappe longue portée et maîtrise des fonds marins). L'équilibre se fait grâce à des décalages sur d'autres programmes :
Ajustements opérés en 2022
Scorpion |
Décalage de commande de véhicules SERVAL sans impact sur le calendrier de livraisons |
Système de lutte anti-mines du futur (SLAM-F) |
Prise en compte du retard de la livraison du module de lutte contre les mines |
Maîtrise de l'espace |
Décalage d'un an de la phase de réalisation pour l'alerte avancée |
Frégates de défense et d'intervention (FDI) |
Prise en compte du nouveau calendrier de livraisons des frégates françaises à la suite de l'export grec. |
Chars Leclerc rénovés |
Ajustement de la répartition du jalon 2025 à 45% de SCORPION entre GRIFFON, JAGUAR, SERVAL et LECLERC |
Système de combat aérien du futur (SCAF) |
Prise en compte de l'impact du décalage en 2022 de la notification du contrat en coopération (NGWS) attendue initialement fin 2021. |
Source : ministère des armées
Plusieurs capacités manqueront le jalon 2025 prévu par la LPM : Rafale (export croate) Eurodrone (report de la commande), drone SDT (crash du Patroller), FDI (export grec), véhicules blindés légers (VBL) régénérés.
L'exécution budgétaire a été marquée, en 2022, par le contexte économique et par la guerre russe en Ukraine.
Depuis le 24 février 2022, la question de la pertinence de la LPM en cours se pose.
Alors que plusieurs pays ont annoncé des efforts conséquents, la France n'a pas encore modifié une programmation fondée sur la Revue stratégique de 2017, actualisée en 2021.
Or, en premier lieu, l'impact de l'inflation sur le budget de la mission défense, estimé à 1 Md€, représente un tiers de la hausse des crédits. C'est considérable.
Depuis le début de l'année, l'inflation a généré des surcoûts de 80 M€ sur le P146.
Pour 2023, cet effet est évalué à 460 M€. Il est pris en compte dans le PLF 2023. Ces surcoûts seront couverts :
Ø D'une part, par des retards exogènes (export de frégates, Eurodrone, SCAF) ;
Ø D'autre part, par une augmentation du report de charges au-delà de ce que prévoit la LPM. Le report de charge s'élèverait ainsi à 15 % des crédits en 2023 (soit trois points de plus que la cible de 12 % fixée par la LPM). C'est le retour de la « bosse » budgétaire, c'est-à-dire un tour de passe-passe pour boucler le budget au détriment des créanciers du ministère.
Le projet de loi de finances rectificatives , en cours d'examen, prévoit des ouvertures nettes de 1,3 Md€ en AE et près de 1,2 Md€ en CP, pour l'ensemble de la mission défense.
-Les ouvertures se décomposent de la façon suivante :
Ø 100 M€ pour le fonds spécial Ukraine (montant porté par l'Assemblée nationale à 200 M€) ;
Ø 255 M€ pour tirer les premiers enseignements de la guerre en Ukraine et financer la mise en cohérence des moyens des forces (activité, matériels de déploiement, munitions) dont 29 M€ sur le P146 ;
Ø Près de 700 M€ en AE et près de 600 M€ en CP pour financer le renforcement du flanc oriental de l'OTAN ;
Ø Près de 400 M€ en AE et en CP de surcoûts OPEX-MISSINT au-delà de la provision de 1,2 Md€ et déduction faite des financements externes ;
Ø Près de 200 M€ en AE et en CP pour les carburants opérationnels.
-Les annulations s'élèvent à 149,6 M€ sur la mission. Sur le P 146, on observe :
Ø d'une part, une ouverture de 229 M€ afin de financer le fonds spécial permettant à l'Ukraine d'acquérir des équipements de défense et de sécurité (200 M€) et l'acquisition par la DGA de munitions pour les forces françaises (29 M€) ;
Ø d'autre part, 321,4 M€ sont annulés sur des crédits mis en réserve.
Crédits 2022 modifiés par le PLFR (M€)
Mission Défense |
AE ouvertes 1450 |
CP ouverts 1326 |
AE annulées 149,6 |
CP annulés 149,6 |
Environnement et prospective de la politique de défense (P144) |
25,8 |
25,8 |
||
Préparation et emploi des forces (P178) |
1450 |
1326 |
||
Soutien de la politique de la défense (P 212) |
31,4 |
31,4 |
||
Équipement des forces (P146) |
92,4 |
92, 4 |
Source : PLFR (texte adopté par l'Assemblée nationale)
Les livraisons d'équipements et d'armements français à l'Ukraine impliquent des recomplètements. Le ministère des armées a ainsi commandé, en juillet dernier, 18 CAESAR pour remplacer les 18 exemplaires donnés à l'Ukraine (et prélevés sur un stock total de 76 unités). Leur livraison est prévue en 2024. Le ministre des armées a déclaré y consacrer une enveloppe de 85 millions d'euros, qui n'aurait pas d'impacts sur d'autres programmes. L'acquisition de 109 CAESAR de nouvelle génération (avec cabine blindée) a par ailleurs été lancée en janvier 2022.
L'actuelle LPM n'est plus adaptée au contexte économique et géostratégique. La prochaine devra prévoir une indexation sur l'inflation , un rehaussement de la provision OPEX qui se révèle, chaque année, sous-dimensionnée.
La guerre en Ukraine bouleverse le contexte stratégique européen, ce qui nécessite de repenser notre modèle d'armée, de mobiliser la base industrielle et technologique de défense. Au-delà, cet effort implique un engagement de l'ensemble de la société sur les enjeux de souveraineté.