N° 98
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023
Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 novembre 2022
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale , considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour 2023,
Par M. Christian KLINGER,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 16 ème législ.) : |
274 , 336 , 339 et T.A. 25 |
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Sénat : |
96 (2022-2023) |
L'ESSENTIEL
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 porte sur près de 600 milliards d'euros de prélèvements obligatoires et de dépenses publiques. En raison de sa part dans les finances publiques et de son impact macroéconomique, la commission des finances en est saisie pour avis.
I. UN DÉFICIT ENCORE TRÈS ÉLEVÉ EN 2022
La sécurité sociale a enregistré un déficit record de près de 40 milliards d'euros en 2020 . Le déficit cumulé des années 2021 et 2022 représente 42 milliards de déficit supplémentaires .
Déficit des régimes de base de sécurité sociale et du FSV
(en milliards d'euros)
A. APRÈS LE RECUL DE 2020, DEUX ANNÉES DE PROGRESSION DES RECETTES SUR UN RYTHME INÉDIT
Les recettes de la sécurité sociale, en recul en 2020, ont connu un net effet « rebond » , avec une progression inédite de 9,2 % en 2021 et attendue à 5,3 % en 2022, supérieure aux prévisions établies il y a un an. La masse salariale du secteur privé bénéficie de l'effet combiné d'une augmentation de l'emploi salarié et des revalorisations des rémunérations.
B. DES DÉPENSES SOUTENUES MALGRÉ L'ATTÉNUATION DES SURCOÛTS DE LA CRISE SANITAIRE
Les dépenses correspondant aux prises en charge dérogatoires pour faire face à l'épidémie de covid-19 (vaccinations, test, indemnités journalières) représentent encore 30 milliards d'euros sur les années 2021 et 2022 , soit 9 milliards de plus que la prévision établie il y a un an, avant la reprise des contaminations liées au variant omicron.
Après avoir été revalorisées au 1 er janvier (retraites) et au 1 er avril (autres prestations), les prestations sociales ont été majorées de 4 % au 1 er juillet 2022 par la loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat en anticipation des échéances légales de 2023. L' augmentation de 3,5 % du point d'indice de la fonction publique à la même date s'est répercutée sur les dépenses des établissements sanitaires et médico-sociaux.
Au total, les dépenses ont augmenté à un rythme élevé (+ 5,6 % en 2021, + 3,9 % attendus en 2022), bien qu'un peu moins rapide que la progression des recettes .
C. UNE LENTE RÉDUCTION DU DÉFICIT ET UNE DETTE SOCIALE PROCHE DE 160 MILLIARDS D'EUROS FIN 2022
L'essentiel du déficit des deux dernières années se concentre sur la branche maladie (- 26,1 milliards d'euros en 2021 et - 20,3 milliards d'euros en 2022), alors qu'il est plus limité sur la branche vieillesse (- 2,6 milliards d'euros en 2021 et - 1,7 milliard d'euros en 2022, FSV compris). Les branches famille et accidents du travail sont revenues à leur situation traditionnellement excédentaire dès 2021.
La dette sociale , entendue comme la somme des déficits restant à amortir par la Cades et de ceux non repris par celle-ci et maintenus à l'Acoss, atteindrait près de 160 milliards d'euros fin 2022 (contre 115 milliards d'euros fin 2019)
II. EN 2023, UNE DIMINUTION DU DÉFICIT REPOSANT ESSENTIELLEMENT SUR DE MOINDRES DÉPENSES LIÉES À LA CRISE SANITAIRE
A. UNE PROGRESSION DES RECETTES DE 4 % TIRÉE PAR CELLE DE LA MASSE SALARIALE
Hormis le relèvement de la fiscalité des produits du tabac à compter du 1 er mars 2023 (article 8), qui rapporterait 375 millions d'euros à l'assurance maladie en 2023, l'évolution des recettes (+ 4 %) résulte surtout de la progression attendue de la masse salariale du secteur privé , moins rapide qu'en 2022 (+ 4,8 % contre + 8,4 %).
B. LES DÉPENSES : UN RALENTISSEMENT SURTOUT IMPUTABLE À DE MOINDRES DÉPENSES LIÉES À LA CRISE SANITAIRE
Les prises en charge dérogatoires pour faire face au covid ne représentent plus qu' 1 milliard d'euros dans la prévision de dépenses pour 2023, alors qu'elles sont estimées à 11,5 milliards d'euros pour 2022.
Une telle décrue permettrait de limiter à 2 % l'augmentation globale des dépenses, mais hors dépenses liées à la crise sanitaire , elles progressent de 4 %, comme les recettes .
Malgré des hypothèses de revalorisation sensiblement inférieures à l'inflation, les dépenses de retraite et les prestations familiales progresseraient davantage que la moyenne , en raison principalement de l'augmentation du nombre de pensionnés d'une part, de la revalorisation de 50 % de l'allocation de soutien familial d'autre part. La création de 3 700 emplois dans les Ehpad et le renforcement des moyens des services de soins infirmiers à domicile entraîne une augmentation de 5,6 % des dépenses de la branche autonomie .
Les dépenses d'assurance maladie sont artificiellement allégées par un transfert de charge de 2 milliards d'euros à la branche famille (article 10) qui supporterait désormais 62,5 % des dépenses d' indemnités de maternité . Des économies sont en outre prévues sur les médicaments et produits de santé, pour 1,1 milliard d'euros, et sur les dépenses de biologie médicale (article 27) pour 250 millions d'euros.
Enfin, le texte comporte plusieurs dispositions renforçant la lutte contre les fraudes et les abus (articles 41 à 44).
C. UN SOLDE 2023 PROCHE DE CELUI DE 2022 HORS DÉPENSES DE CRISE SANITAIRE
Le déficit de la sécurité sociale serait ramené de 17,8 à 7,2 milliards d'euros de 2022 à 2023 , soit une amélioration égale à la diminution annoncée des surcoûts liés à la crise sanitaire. Hors crise sanitaire, le déficit resterait identique à celui de 2022 , sous réserve de la réalisation des hypothèses de progression de l'emploi et de la masse salariale.
III. UNE REMONTÉE DES DÉFICITS DÈS 2024
Selon les prévisions pluriannuelles associées au projet de loi, le déficit repartirait à la hausse dès 2024 , puis s'aggraverait pour atteindre autour de 12 milliards d'euros en 2025 et 2026 .
Évolution du solde des différentes
branches de la sécurité sociale
jusqu'en 2026
(en milliards d'euros)
Le déficit persiste et s'accentue alors que les hypothèses de croissance, d'emploi et de recettes sont jugés optimistes par le Haut Conseil des finances publiques et le consensus des économistes.
La prévision de dépenses d'assurance maladie , avec un quasi-retour à l'équilibre de la branche à l'horizon 2026, repose sur une progression de l'ONDAM de 2,6 à 2,7 % par an de 2024 à 2027 , soit moins que le PIB en valeur. Cet objectif paraît particulièrement ambitieux alors que les instruments pour y parvenir ne sont pas définis.
La trajectoire des dépenses de retraite , avec une nette dégradation des comptes dès 2024 , est d'autant plus préoccupante que le Gouvernement indique avoir en partie pris en compte, à un niveau qu'il n'a pas révélé, les effets d'une nouvelle réforme. En tout état de cause, celle-ci serait engagée trop tardivement pour avoir un effet sensible sur le rythme de progression des dépenses de retraites d'ici 2027.
Évolution des recettes et des dépenses de la branche vieillesse jusqu'en 2026
(en milliards d'euros)
La perspective de comptes sociaux durablement dégradés, malgré des prévisions de recettes reposant sur des hypothèses optimistes , conduira inévitablement à reposer dès 2024 la question de leur financement, seule étant prévue actuellement la reprise par la Cades des déficits de 2020 à 2023, avec une date butoir d'amortissement fixée à 2033 par la loi organique du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l'autonomie.