EXAMEN EN COMMISSION
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Mme Agnès Canayer , rapporteur pour avis sur les crédits des programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » de la mission « Justice ». - Cette année encore, le budget global de la justice augmente de 8 % par rapport à 2021, dont 3,4 % pour le programme « Justice judiciaire ». Cet effort de rattrapage, du retard accumulé depuis de nombreuses années, devrait permettre de combler un certain nombre de déficits.
On observe toutefois une sous-exécution chronique, qui s'amplifie chaque année. En 2021, on a ainsi relevé près de 10 millions d'euros de crédits annulés par voie réglementaire. Par ailleurs, le second projet de loi de finances rectificative (PLFR) prévoit d'annuler 135 millions d'euros de crédits de paiement supplémentaires, ce qui correspond à 1,3 % du total de la mission « Justice ».
Ces annulations posent de nombreuses questions et relativisent l'appréciation de l'augmentation du budget de la justice.
La hausse de ce budget ne doit pas nous exempter d'une réflexion de long terme, notamment sur les ressources humaines et les frais de justice. Pour ce qui concerne l'augmentation du personnel, le projet de loi de finances prévoit le recrutement de 50 magistrats, 50 agents d'encadrement et 47 greffiers, avec pour contrepartie la suppression de 107 emplois parmi les personnels administratifs et techniques. Le rythme des recrutements est moins soutenu que les années précédentes, puisque, à titre de comparaison, avaient été créés 50 postes de magistrat et 100 de greffier en 2021, ainsi que 100 postes de magistrat et 413 de greffier en 2020. Ces créations de postes s'ajoutent aux fameux « sucres rapides » dont nous parle régulièrement le garde des sceaux, à savoir les contractuels qui viennent renforcer les effectifs des juridictions.
En outre, malgré ces recrutements, le délai de traitement des affaires est toujours trop long. En matière civile, il est passé de 11,4 mois en 2019 à 13,8 mois en 2020 ; et la prévision de 13 mois pour 2021 n'augure pas d'une nette amélioration. En matière pénale, le délai de jugement des crimes est stable autour de 41 mois en 2021, mais demeure excessif.
Se pose toujours le problème de l'évaluation de la charge de travail des magistrats, qui permettrait de mieux apprécier les besoins en personnels. La commission des lois réclame cette évaluation depuis longtemps ; il semblerait qu'elle soit prévue pour l'année 2022.
L'autre enjeu est celui de « l'équipe autour du magistrat ». Pour faire face au volume croissant des affaires, arrivent de nombreux renforts, principalement des contractuels, avec des missions peu claires. Ils sont censés épauler les magistrats et les greffiers, mais une véritable organisation avec une meilleure définition des rôles de chacun, permettrait d'obtenir de meilleurs résultats.
L'augmentation des crédits alloués aux frais de justice s'explique par l'évolution de la dépense moyenne des frais de justice en matière pénale, passée de 374 euros en 2019 à 461 euros en 2021, en raison notamment de la mise en oeuvre des nombreuses réformes structurelles qui ne permettent pas de faire des économies d'échelle.
Les crédits consacrés aux frais de justice auront ainsi augmenté de près de 25 % entre 2017 et 2021. Le ministère vise toutefois un objectif de 330 euros en moyenne par affaire pénale en 2023 ; nous voyons mal comment l'économie envisagée pourra être réalisée.
Mme Dominique Vérien , rapporteure pour avis sur les crédits des programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » de la mission « Justice ». - Le budget consacré au numérique connaît une forte augmentation de 27 % par rapport à l'année dernière. Les crédits s'élèvent à 340 millions d'euros en 2022, contre 268 millions en 2021. Le plan de transformation numérique était prévu de 2018 à 2022 ; on sent bien qu'il faut avancer pour atteindre l'objectif de 2022.
Le retard pris par le ministère dans l'équipement informatique des juridictions semble en passe d'être comblé. Selon les chiffres de la Chancellerie, 99 % des magistrats sont désormais dotés d'ordinateurs ultraportables, ainsi que 70 % des greffiers et autres agents, soit tous ceux dont les tâches peuvent être effectuées à distance.
Reste la question de l'accès aux réseaux ; des travaux sont en cours pour pouvoir équiper les sites en fibre.
Au sujet des logiciels, notre attention se porte, cette année, sur le projet Portalis. Seulement 2,6 % des justiciables ont fait le choix d'accéder à leur dossier en ligne, alors qu'on en attendait plutôt 10 %. La communication sur le sujet n'est pas très dynamique. Ce projet Portalis, dont la progression a pu être perçue comme lente et erratique, a fait l'objet en 2020 d'un audit de la direction interministérielle du numérique (Dinum) ; depuis, sa gouvernance a été modifiée et un calendrier plus progressif d'avancement a été défini jusqu'en juin 2025. Estimé à l'origine à 57,5 millions d'euros, le coût de ce projet devrait finalement s'établir à 77,5 millions d'euros - soit une hausse de 35 % - pour une durée totale de 135 mois et non de 120 comme cela était initialement prévu.
Dans ce budget pour 2022, on observe également une augmentation continue des crédits dédiés à l'aide juridictionnelle et à l'aide aux victimes. Pour ce qui concerne l'aide juridictionnelle, cette hausse contribue à l'amélioration de la rétribution des avocats. L'unité de valeur passe ainsi, cette année, de 34 à 36 euros, même si nous sommes encore en-deçà des 40 euros préconisés par le rapport Perben.
Pour l'accès au droit et l'aide aux victimes, l'augmentation des crédits est significative, de l'ordre de 29,6 % par rapport à 2021. Ces crédits alloués aux structures de proximité concernent notamment les conseils départementaux de l'accès au droit (CDAD), ainsi que les 148 maisons de justice et du droit (MJD) et les 414 « point-justice » de France Services ; pour ce dernier cas, il conviendra de mieux former les personnels des maisons France Services.
Enfin, le budget de l'aide aux victimes s'élève désormais à 40,2 millions d'euros, soit une augmentation de 25,7 %, dans la continuité de celle de 11,38 % qui est intervenue en 2020 et 2021. L'objectif est notamment de mobiliser des ressources en faveur des victimes de violences conjugales, avec les développements attendus du dispositif Téléphone grave danger et du bracelet anti-rapprochement.
En conclusion, nous nous proposons d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature ».
M. Jean-Pierre Sueur . - L'augmentation des crédits, dont on ne peut que se réjouir, n'a qu'un effet mesuré sur la justice judiciaire. Alors que, l'an dernier, l'augmentation des crédits du programme « Justice judiciaire » s'élevait à 6 %, celle-ci n'est plus cette année que de 3,4 %.
On constate un certain nombre de carences qui, je crois, doivent être mises en évidence ; je pense, en particulier, à la situation des greffiers. L'évolution de la situation des greffiers ne suit pas le même rythme que celle, déjà limitée, des magistrats.
Les frais de justice constituent un éternel problème, qui n'est toujours pas pris en compte de manière satisfaisante. Certains magistrats nous disent qu'ils sont obligés de choisir entre les affaires ; la priorité se décide en fonction des moyens matériels dont on dispose.
Concernant l'accès au droit, l'aide aux victimes et l'aide juridictionnelle, la hausse des crédits reste limitée. Nous appellerons, une fois encore, à un changement d'échelle, en espérant que nous serons entendus par les futurs gouvernants que se donnera notre pays. Il faut poursuivre cet effort budgétaire et ne pas le consacrer majoritairement à la question pénitentiaire.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature ».de la mission « Justice ».