Avis n° 169 (2021-2022) de Mme Muriel JOURDA et M. Philippe BONNECARRÈRE , fait au nom de la commission des lois, déposé le 18 novembre 2021

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N° 169

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 novembre 2021

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2022 ,

TOME II

IMMIGRATION, ASILE ET INTÉGRATION

Par Mme Muriel JOURDA et M. Philippe BONNECARRÈRE,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Agnès Canayer, secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Nadine Bellurot, Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Ludovic Haye, Loïc Hervé, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 4482 , 4502 , 4524 , 4525, 4526 , 4527 , 4597 , 4598 , 4601 , 4614 et T.A. 687

Sénat : 162 et 163 à 169 (2021-2022)

L'ESSENTIEL

Après avoir procédé à l'audition de Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la citoyenneté, la commission des lois a, sur le rapport de Muriel Jourda et de Philippe Bonnecarrère, donné un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » inscrits au projet de loi de finances pour 2022.

Cette mission représente 2 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 1,9 milliard d'euros en crédits de paiement (CP) . Composée de deux programmes1 ( * ), elle porte les crédits de la direction générale des étrangers en France (DGEF) au sein du ministère de l'intérieur, qui met en oeuvre la politique d'asile, d'immigration et d'intégration avec l'appui de deux opérateurs : l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII, 265 M€, 1 187 emplois équivalents temps plein travaillés - ETPT) et l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA, 93 M€, 1 003 ETPT).

Après une augmentation de 2 % sur l'exercice 2021, les CP de la mission poursuivent leur progression en 2022 avec une hausse de + 3,2 % (+ 58 M€). Les AE connaissent, quant à elles, une hausse substantielle de l'ordre de + 14 % (+ 240 M €). La hausse des crédits se concentre principalement sur les actions « garantie de l'exercice du droit d'asile » (+ 2,7 % en CP et + 18% en AE) et « lutte contre l'immigration irrégulière » (+ 12,5 % en CP et + 19 % en CP).

Plus de deux-tiers des crédits sont concentrés sur la prise en charge des demandeurs d'asile pendant l'instruction de leur dossier (1,3 Md€, soit 69 % du total), que ce soit pour le versement de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) ou leur hébergement.

Si les crédits de la mission sont, certes, en augmentation, les rapporteurs considèrent que cette hausse ne modifie qu'à la marge son économie générale et n'apporte aucune réponse crédible aux insuffisances chroniques de la politique migratoire sur la période récente . En outre, la progression des crédits se concentre sur deux pans seulement de la mission et résulte, pour l'essentiel, de contraintes externes :

- une contrainte exogène, la reprise attendue des flux de demandeurs d'asile : le Gouvernement prévoit une augmentation de 10 % des demandes d'asile par rapport à 2019, soit un total de 145 700 demandes. Cette croissance attendue se traduit mécaniquement par une augmentation de la dotation de l'ADA (+ 4 % à 467 M€ et + 8 % à 487 M€ en tenant compte des crédits provisionnés) ;

- une contrainte endogène, la poursuite du plan d'investissement pour les centres de rétention administrative (CRA) : la montée en charge du plan d'investissement en CRA se traduit par une augmentation de 51 % des crédits dédiés en CP (39,4 M€) et explique l'essentiel de la progression des CP. S'il s'agit d'une avancée indéniable, ce plan n'est pas une ambition nouvelle et il ne peut être pleinement efficace que si, en aval, le taux d'exécution des mesures d'éloignement s'améliore.

En définitive, le budget présenté se caractérise par l'absence de ligne directrice, et ce alors même que l'ampleur des défis justifierait des choix politiques forts . La reprise des flux migratoires attendue après la crise sanitaire pourrait mettre l'ensemble des acteurs impliqués sous tension, tandis que les services de l'administration commencent seulement à retrouver un rythme de fonctionnement normal après la période de ralentissement induite par la crise sanitaire. Dans ce contexte, les rapporteurs déplorent que ce budget ne propose des ajustements qu'à la marge, essentiellement contraints et très en-deçà des enjeux.

I. LA LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE : DES DIFFICULTÉS PERSISTANTES, ENCORE ACCENTUÉES PAR LA CRISE SANITAIRE

A. UNE REPRISE DES FLUX D'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE QUI MET LE SYSTÈME SOUS TENSION

Réitérant le constat établi l'année passée, les rapporteurs déplorent l'absence d'indicateur fiable et précis pour évaluer le nombre d'étrangers présents en situation irrégulière sur le territoire national . Il est d'autant plus regrettable qu'aucune action n'ait été engagée pour consolider une telle donnée que le principal indicateur indirect existant, le nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'État (AME), tend à démontrer que l'immigration irrégulière est un phénomène d'ampleur et durable . Au 30 septembre 2020, 368 890 personnes étaient bénéficiaires de l'AME, soit une augmentation de 10 % par rapport à l'année précédente et une multiplication par 2,3 depuis 2004 (154 971) 2 ( * ) .

Nombre de bénéficiaires de l'AME au 31 décembre

2015

2016

2017

2018

2019

2020

316 314

311 310

315 800

314 856

335 483

368 990

Source : CNAMTS

Si les mesures de restriction des déplacements et le renforcement des contrôles aux frontières liés à la crise sanitaire ont diminué la pression migratoire aux frontières, cette période d'accalmie semble s'achever . Auditionnés par les rapporteurs, les services de la direction centrale de la police aux frontières ont fait état d'une augmentation sensible de la pression migratoire aux frontières, attribuée à un « clair effet déconfinement ». En attestent :

- une augmentation de près de 60 % des mesures de non-admission à la frontière : 59 370 sur les neuf premiers mois de 2020 3 ( * ) , contre 94 902 pour la même période en 2021 ;

- une hausse des interpellations d'étrangers en situation irrégulière : 62 951 personnes ont été interpellées entre janvier et juin 2021, contre 107 515 sur toute l'année 2020.

B. LA RÉTENTION : UNE MONTÉE EN CHARGE DES CAPACITÉS DES CENTRES DE RÉTENTION ADMINISTRATIVE

44,54 M€ en AE et 39,72 M€ en CP sont demandés au PLF 2022 pour financer le fonctionnement du parc de rétention administrative, composé principalement de 25 CRA, pour une capacité théorique cumulée de 1 719 places au premier semestre 2021 . L'ouverture de 140 places au sein d'un nouveau CRA à Lyon est, en outre, programmée pour la fin de l'année 2021. Ces places devraient, au moins dans un premier temps, se substituer aux capacités déjà existantes sur le territoire.

Entamé en 2018, le programme pluriannuel de construction et de réhabilitation des centres et des locaux de rétention administrative poursuit sa montée en puissance sur l'année 2022 . Après trois années consécutives d'augmentation des capacités, les crédits ouverts en 2022 financeront de nouvelles opérations d'extension au sein des CRA d'Olivet (90 places) et de Bordeaux (140 places). L'achèvement de ces opérations à la fin de l'année 2023 conjugué à l'extension programmée du CRA de Perpignan (10 places) devrait porter la capacité totale de rétention à 2 099 places dans l'hexagone à cette date, soit une augmentation de près de 70 % par rapport à la fin de l'année 2018 .

Les rapporteurs considèrent cette augmentation de la capacité de rétention comme un ajustement minimum, et ce d'autant plus que le taux d'occupation des CRA métropolitains, qui avait chuté à 61 % en 2020 en raison de la crise sanitaire, est remonté à 79 % au 30 juin 2021, proche de son niveau d'avant-crise (86 % en 2019) .

Places supplémentaires créées ou projetées (*) au sein des CRA hexagonaux

2019

2020

2021

2022-2023*

2023-2025*

389

61

170

240

104

Source : Commission des lois à partir
des données transmises par le ministère de l'intérieur

Un point d'attention demeure enfin sur le plan des ressources humaines. Si les rapporteurs ont noté que des opérations de recrutement associées à l'affectation de personnels dès la sortie d'école ont permis de maintenir le taux d'encadrement à son niveau antérieur, ils demeurent vigilants sur cette problématique. Alors que le bilan de l'expérimentation de l'externalisation de tâches non régaliennes au sein des CRA de Marseille et de Palaiseau est contrasté, l'affectation de personnels d'encadrement suffisants au sein des CRA et leur fidélisation apparaissent d'autant plus comme des enjeux prioritaires .

L'expérimentation de l'externalisation de certaines tâches
non régaliennes au sein des CRA

La DCPAF a engagé le 1 er septembre 2020 une expérimentation d'externalisation de certaines tâches non régaliennes au sein du CRA de Marseille, puis l'a étendu au CRA de Palaiseau. Les quatre tâches concernées sont l'accueil et le filtrage des visiteurs, le gardiennage des abords du site et la conduite des véhicules d'escorte.

Le premier bilan de cette expérimentation est peu concluant. Alors que les personnels sont polyvalents et effectuent indifféremment la plupart des tâches concernées, il est apparu que le recours à des agents externes pouvait, en réalité, alourdir le fonctionnement du CRA en isolant artificiellement certaines tâches. De plus, le Conseil d'État a considéré que l'ensemble des missions d'accompagnement réalisées à l'intérieur du CRA constituaient des missions régaliennes, réduisant d'autant le périmètre de l'expérimentation. Les premières données disponibles permettent de conclure que 143 emplois pourraient ainsi être utilement externalisés, soit 6,4 % des effectifs totaux. Il est néanmoins prévu d'étendre progressivement le dispositif en 2022 avant une généralisation en 2023. Pour l'année 2022, 6 M€ seront consacrés à ce dispositif.

C. L'ÉLOIGNEMENT : DES AVANCÉES PONCTUELLES MAIS DES RÉSULTATS ENCORE TRÈS EN-DEÇÀ DES ATTENTES

a) Des taux d'exécution des décisions d'éloignement qui demeurent minimes

Réalité dénoncée chaque année, la faiblesse chronique des taux d'exécution des mesures d'éloignement prononcées à l'encontre des personnes en situation irrégulière est à nouveau constatée sur la période récente . En particulier, le taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF), qui avait atteint un pic en 2012 (22,3 %), est en diminution continue depuis lors et est inférieur à 10 % depuis le début de la crise sanitaire.

Taux d'exécution des OQTF

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021*

OQTF prononcées

59 998

82 535

89 134

88 225

79 750

81 656

85 268

103 852

122 839

107 488

62 207

OQTF exécutées

10 016

18 441

15 213

14 765

13 518

11 653

11 535

12 884

14 777

7 376

3 501

En %

16,7 %

22,3 %

17,1 %

16,7 %

17 %

14,3 %

13,5 %

12,4 %

12 %

6,9 %

5,6 %

* Sur le premier semestre de l'année 2021.
Source : Ministère de l'intérieur

De la même manière, le nombre de retours forcés exécutés n'a pas connu d'inflexion significative depuis 2010. Si l'année 2019 avait été un point haut avec 18 906 retours forcés exécutés, la pandémie de Covid-19 a, encore une fois, interrompu cette dynamique avec une diminution du taux d'exécution de 51,8 % en 2020 (soit 9 111 retours forcés).

Ce constat trouve également à s'appliquer s'agissant des personnes placées en rétention, puisque le taux d'éloignement à l'issue d'un placement en CRA devrait seulement s'élever à 45 % en fin d'année 2021 .

b) En dépit d'avancées marginales, des obstacles structurels à l'éloignement qui persistent

La faiblesse des taux d'exécution des mesures d'éloignement a des causes structurelles largement documentées, au premier rang desquelles le problème de la délivrance des « laissez-passer » consulaires 4 ( * ) . Une dynamique de coopération avait, certes, pu être enclenchée à partir de 2017 avec les sept principaux pays récalcitrants 5 ( * ) et avait produit de premiers résultats, notamment une augmentation du nombre de laissez-passer délivrés de 50 % en deux ans pour ces pays (+ 110 % pour les laissez-passer délivrés dans les délais). Pour autant, les performances sont inégales entre les pays et demeurent très en-deçà du nécessaire, à peine une demande sur deux donnant lieu, tous pays confondus, à une délivrance du document dans les délais 6 ( * ) . Les éléments transmis par la DGEF mentionnent également le fait que certains pays sont si peu coopératifs qu'aucune demande ne leur est plus adressée, d'autres refusant simplement de coopérer 7 ( * ) . À cet égard, les rapporteurs estiment que la décision de la France du 17 septembre dernier d'imposer des restrictions de visas aux pays du Maghreb est un pas dans la bonne direction pour inciter à davantage de coopération en matière d'éloignement .

De fait, la bonne mise en oeuvre des éloignements repose pour une large partie sur la coopération des pays d'origine . Outre l'exigence de « laissez-passer » consulaires, ces derniers peuvent alourdir les conditions matérielles de mise en oeuvre du processus en refusant, par exemple, le recours à des vols groupés. À titre d'exemple, l'Algérie et le Maroc refusent les vols groupés tandis que la Tunisie limite leur capacité à 5 personnes, sur un rythme hebdomadaire.

Néanmoins, les rapporteurs reconnaissent des avancées ponctuelles , qui ont permis une amélioration à la marge de la maîtrise des frontières et de l'exécution des éloignements :

- des contrôles renforcés aux frontières : le doublement des effectifs mobilisés aux frontières sous l'égide de la PAF (2 400 à 4 800) à partir de novembre 2020 facilite indéniablement le travail des services dans un contexte de progression des flux entrants ;

- les alternatives à la rétention : en 2020, 2 024 personnes ont été hébergées dans les dispositifs de préparation au retour (DPAR), dont 1 552 ont finalement été éloignées. Les assignations à résidence dans un centre d'hébergement en milieu ouvert facilitent ainsi très significativement l'accompagnement au départ ;

- les prolongations de la rétention administrative : la loi du 10 septembre 2018 a ouvert la possibilité de retenir une personne au-delà de 45 jours et de procéder à des prolongations « rebonds » afin de contourner certains comportements d'obstructions. Ces dispositifs ont permis l'éloignement respectivement de 21 % et de 14 % 8 ( * ) des intéressés.

En application de l'instruction du 29 septembre 2020, les préfectures ont également mené une action rigoureuse en matière d'instruction des demandes de titres de séjour, qui a conduit sur les douze derniers mois à 44 049 refus de demande ou de renouvellement et retraits de titres .

En dépit de ces avancées de faible envergure, le constat est sans appel : la politique d'éloignement souffre d'insuffisances manifestes . Si l'augmentation des places en CRA est utile au regard de leur taux d'occupation, elle se trouve privée d'effets si, en aval, les moyens alloués à l'éloignement ne sont pas à la hauteur des enjeux. Quant au manque de coopération des pays d'origine en matière de délivrance de laissez-passer, les rapporteurs estiment qu'il doit pouvoir trouver sa solution dans une conditionnalité des aides et des politiques fermes de restriction des visas.

c) Des difficultés pour procéder aux éloignements encore aggravées par la crise sanitaire

En complément de ces difficultés structurelles, la crise sanitaire est venue encore complexifier la mise en oeuvre des éloignements , notamment par la limitation des capacités de rétention ou la raréfaction des vols commerciaux.

Surtout, l'éloignement se heurte aujourd'hui au refus systématique des intéressés de se soumettre à un test PCR, qui conditionne l'admission sur le territoire du pays d'origine . Afin de protéger l'intégrité du corps humain, l'article 16-3 du code civil s'oppose, en effet, à ce qu'un test PCR soit effectué par la contrainte afin d'exécuter une mesure de police administrative. Si la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a incriminé pénalement un tel refus 9 ( * ) , il n'est pas garanti qu'une telle mesure, qui requiert l'intervention de l'autorité judiciaire et les délais qui l'accompagnent, permette réellement de faciliter les éloignements à court terme. La coopération établie avec la Tunisie, qui accepte la production d'un simple certificat médical pour les retours groupés, apparaît de l'avis des rapporteurs plus crédible.

Enfin, l'audition de la DCPAF a mis en lumière que certains pays traditionnellement peu coopératifs ont saisi l'opportunité de la crise sanitaire pour durcir encore les conditions de retour de leurs ressortissants . C'est notamment le cas de l'Algérie qui, outre l'obligation de production d'un test PCR, exige désormais que les personnes intéressées soient inscrites sur une liste spécifique de ressortissants établie de manière discrétionnaire. Cette politique s'apparente, de fait, à un refus de toute réintégration de leurs ressortissants.

En raison de ces difficultés, le volume total d'éloignement a diminué de 49 % en 2020 (12 384) dont une baisse de 62 % pour les retours forcés et de 40 % pour les retours aidés. Une reprise modérée a été observée sur les huit premiers mois de 2021 avec 9 758 éloignements dont une progression de 10 % des retours forcés, qui s'explique par un surcroît de transferts dits « Dublin ». Le nombre de retours forcés de ressortissants de pays tiers vers le pays d'origine a, en réalité, poursuivi sa diminution sur la période (- 4 %).

II. L'EXERCICE DU DROIT D'ASILE : LA NÉCESSITÉ DE PROFITER DU CONTEXTE POUR, ENFIN, GARANTIR UN EXAMEN DES DEMANDES DANS UN DÉLAI RAISONNABLE

A. LA CRISE SANITAIRE : UN CHOC AUX EFFETS PROLONGÉS SUR LA CHAÎNE DE LA DEMANDE D'ASILE

Si les périodes de confinement successifs ont considérablement ralenti le fonctionnement des services de l'OFPRA et de la CNDA, les restrictions aux déplacements internationaux et le renforcement des contrôles aux frontières se sont traduits par une diminution du flux des demandeurs d'asile, qui a permis d'amortir a minima l'impact de la crise sanitaire .

Alors que le nombre de demandes de protection enregistrées à l'OFPRA, en hausse constante sur la dernière décennie, avait atteint un pic à 132 826 sur l'année 2019, une diminution de 27,4 % a été observée pour l'année 2020 (96 424 demandes de protection). Il en va de même s'agissant du nombre de saisines introduites auprès de la CNDA qui, après le pic de 2019 (59 091), a connu une diminution de 22 %. En dépit de l'interruption totale des activités d'accueil et de réception des demandeurs au sein des guichets uniques pour demandeurs d'asile (GUDA) et de l'OFPRA au cours du premier confinement, les services de l'Office ont pu maintenir une activité décisionnelle et rendre environ 11 000 décisions sur la période.

Malgré ces efforts, la sortie de la crise sanitaire s'est traduite, de part et d'autre, par une augmentation sensible du stock de dossiers en attente . S'agissant de l'OPFRA, ce stock s'élevait à 84 655 dossiers au 31 décembre 2020. Du côté de la CNDA, la diminution des recours connue en 2020 n'a que partiellement compensé les multiples interruptions et ralentissements de l'activité avec une diminution de 34 % du nombre de jugements rendus. De ce différentiel a résulté une augmentation mécanique du stock de dossiers en attente, porté à 34 000 en fin d'année 2020 contre 29 000 l'année précédente. Alors que ces stocks sont de nature à peser durablement sur l'activité de l'OFPRA et de la CNDA, leur capacité à les apurer sur la période à venir sera décisive pour respecter l'objectif de réduction des délais d'examen des demandes d'asile fixé en 2017 dans le plan d'action « Garantir le droit d'asile, maîtriser les flux migratoires » à six mois en 2023 (dont 60 jours pour l'examen par l'OFPRA).

Au premier semestre 2021, le délai d'examen des demandes d'asile par l'OFPRA demeure fortement affecté par la crise sanitaire et se porte à 252 jours , contre 262 jours en 2020 et 166 jours en 2019, soit un niveau très supérieur à la cible. Il trouve une explication partielle dans le vieillissement du stock et la priorisation par l'OFPRA des dossiers les plus anciens. S'agissant de la CNDA, le délai moyen constaté à la fin octobre 2021 était de 7 mois et 26 jours, proche de son niveau d'avant-crise (7 mois et 5 jours fin 2019, 8 mois et 8 jours fin 2020).

Le taux global de protection (demandes acceptées) est resté stable sur les trois premiers trimestres 2021 et s'élève à 24,6 % pour l'OFPRA et à 37,9 % après recours devant la CNDA.

B. LA RÉDUCTION DES DÉLAIS DE DEMANDE D'ASILE : UN OBJECTIF PEUT-ÊTRE ENFIN À PORTÉE DE RÉALISATION

L'année 2022 sera décisive pour la mise en oeuvre de l'objectif de réduction des délais d'examen des demandes d'asile. Le contexte apparaît, en effet, doublement propice : d'une part la reprise des flux de demande d'asile est encore inférieure au niveau de l'avant-crise sanitaire et, d'autre part, l'OFPRA comme la CNDA ont bénéficié sur les derniers exercices d'un renforcement considérables de leurs moyens. Il est désormais de leur responsabilité de traduire ce surcroît de moyens par des progrès tangibles en matière de délais de traitement .

a) Une reprise des flux de demandes d'asile encore inférieure au niveau de l'avant-crise sanitaire

Au cours de son audition, le directeur général de l'OFPRA a confirmé que le flux de demandes d'asile en 2021 se situerait probablement au-delà des 100 000 demandes mais à un niveau encore inférieur au pic de 2019. Si la tendance haussière sur l'année est claire, le premier trimestre 2021 a, en effet, vu une diminution d'un tiers des demandes d'asile enregistrées par rapport à 2019. Dans ce contexte, le directeur général de l'OFPRA estime « prudente » l'hypothèse d'une augmentation de 10 % des demandes d'asile par rapport à 2019 sur laquelle est construit le PLF pour 2022 .

b) Une augmentation significative des moyens à la disposition de l'OFPRA et de la CNDA qui commence à produire des effets

Le PLF pour 2022 prévoit le versement à l'OFPRA d'une subvention pour charges de service public d'un montant de 93,2 M€, en progression de 0,4 M€ par rapport à l'exercice précédent. Le plafond d'emplois est constant (1 003 ETPT). Cette stabilisation de la dotation accordée à l'OFPRA fait suite à plusieurs années de forte croissance, en particulier en LFI 2020 où 200 ETPT supplémentaires avaient été accordés à l'Office, dont 150 fléchés vers le traitement de l'asile . Si les rapporteurs entendent mettre en avant la bonne réalisation de ces recrutements en 2021, ils renouvellent toutefois leur préoccupation quant au niveau élevé du taux de rotation annuelle des effectifs (20 %) qui réduit l'efficacité des services de l'OFPRA.

Conjuguée à la diminution du flux de demandes d'asile, cette augmentation des moyens a commencé à produire des effets . L'OFPRA rend aujourd'hui 12 500 décisions mensuelles, soit un niveau supérieur à 2019, ce qui a permis de porter le stock de dossiers à la fin octobre à 52 000 et d'effacer l'effet volume de la crise sanitaire sur cet indicateur 10 ( * ) . Le directeur général de l'OFPRA a ainsi indiqué que, les capacités décisionnelles de ses services permettant d'absorber la quasi-intégralité des flux entrants, l'objectif d'une réduction à 60 jours du délai d'examen d'ici 2023 n'était pas hors de portée pourvu que le stock soit ramené à son niveau incompressible de 30 000 dossiers en cours d'année 2022 . Cette condition pourrait être satisfaite si le rythme d'apurement du stock actuel de 2 500 dossiers par mois est maintenu.

S'agissant de la CNDA, les recrutements programmés pour les années 2018, 2019 et 2022 ont été finalisés en 2021 à la faveur d'un report de ces créations de postes au PLF pour 2021. Ils ont permis de porter le nombre de rapporteurs de la CNDA à un niveau inédit de 339 . Si le délai moyen de jugement a, certes, été réduit difficilement de moitié en dix ans (13 mois en 2010) et que la proportion des affaires supérieures à un an a été plus que divisée par deux depuis 2019 (28 % en 2019 contre 12 % fin octobre 2021), les délais cibles semblent toujours difficilement atteignables à moyen terme. Les rapporteurs reconnaissent les contingences externes auxquelles est confrontée la Cour, en particulier le nombre réduit d'avocats spécialisés et la limitation du nombre de dossiers journaliers par cabinet et par audience. Ils estiment néanmoins que ces moyens supplémentaires doivent lui permettre de réduire significativement les délais de jugement. À cet égard, ils seront attentifs aux conclusions du premier comité de suivi de décembre sur l'expérimentation de la vidéo-audience .

L'expérimentation la vidéo-audience

L'article L. 532-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit la possibilité de recourir à la visio-conférence pour la tenue des audiences devant la CNDA. Utilisée depuis 2014 dans les outre-mer, cette possibilité se diffuse difficilement dans l'hexagone, où elle suscite une opposition importante des barreaux. L'accord de médiation conclu avec la profession le 12 novembre 2020 qui prévoit l'expérimentation de la vidéo-audience sur deux barreaux (Lyon et Nancy) peine à monter en puissance. À l'heure actuelle, seules une dizaine de vidéo-audiences ont été tenues depuis septembre 2021 pour le barreau de Nancy et aucune pour celui de Lyon. Les rapporteurs regrettent le faible dimensionnement de cette expérimentation de même que la nature de l'accord, qui rétablit en pratique l'obligation de consentement de l'intéressé que n'avait pas prévu le législateur.

C. UNE AMÉLIORATION INCERTAINE DES CONDITIONS MATÉRIELLES D'ACCUEIL

a) Une augmentation importante mais pas nécessairement suffisante de la dotation prévue pour l'allocation pour demandeur d'asile

Les crédits budgétaires alloués au financement de l'ADA par le PLF pour 2022 demeurent très importants (467 M€) 11 ( * ) , en augmentation de 4 % (+ 18 M€) par rapport à l'exercice précédent et de 8 % (468 M€) si l'on tient compte d'une provision exceptionnelle constituée pour couvrir un éventuel dépassement.

Créée par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, l'ADA est versée, pendant toute la durée de la procédure d'instruction, aux demandeurs d'asile ayant accepté les conditions matérielles d'accueil et dont les ressources financières mensuelles sont inférieures au RSA. On dénombre 129 101 bénéficiaires de l'ADA sur la première moitié de l'année 2021, pour des dépenses cumulées de près de 240 M€. Alors que cette prestation était chroniquement sous-évaluée depuis plusieurs années, les rapporteurs saluent le fait que, pour l'année 2021, la dotation initiale de l'ADA permette de couvrir les besoins sans recourir à des ouvertures supplémentaires de crédits. Si elle ne peut être qualifiée d'insincère, la projection pour 2022 demeure toutefois incertaine. Elle dépendra, d'une part, de la dynamique de la demande d'asile et, d'autre part, de la capacité de l'OFPRA à réduire ses délais d'instruction et à apurer le stock de dossiers en attente.

b) La mobilisation de la provision pour l'ADA pour la création de places d'hébergement : une hypothèse sujette à caution

Le PLF pour 2022 prévoit une dotation de 826 M€ en AE (contre 635 M€ en 2021) et de 741 M€ en CP (contre 730 M€ en 2019) pour le financement de l'accueil et de l'hébergement des demandeurs d'asile. Cette augmentation s'explique à la fois par la progression prévue de la demande d'asile et par la mise en service des 6 000 places d'hébergement supplémentaires autorisées en LFI 2021, pour porter la capacité du parc à 103 269 places au 31 décembre contre 98 500 en 2020 . Les structures d'hébergement sont désormais structurées en trois catégories : l es centres d'accueil et d'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (CAES) permettent la mise à l'abri avant une orientation vers la structure d'hébergement adéquate, le parc d'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA) est dédié en priorité aux demandeurs d'asile en procédure accélérée et en procédure Dublin, tandis que les centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) sont destinés à l'hébergement des demandeurs d'asile en procédure normale.

Le parc d'hébergement des demandeurs d'asile

CAES

HUDA

CADA

Nombre de places autorisées au PLF pour 2022

4 136

51 796

46 632

Crédits alloués au PLF pour 2022

AE

CP

AE

CP

AE

CP

47,96 M€

45,17 M€

433,48 M€

351,51 M€

345,88 M€

345,88 M€

Source : Commission des lois, à partir du projet annuel de performance
de la mission « Immigration, asile et intégration »

Sous réserve de l'évolution de l'ADA, la provision exceptionnelle de 20 M€ précitée pourrait être mobilisée pour financer 4 900 places d'hébergement supplémentaires (3 400 en CADA et 1 500 en CAES). La réalisation de cette hypothèse, qui permettrait de porter le parc d'hébergement à 108 169 places en fin d'exercice, n'est toutefois pas garantie .

Si les rapporteurs notent qu'un investissement considérable a été réalisé dans ce domaine, ils relèvent néanmoins la faiblesse persistante du taux d'hébergement des demandeurs d'asile. Sur les trois premiers quadrimestres de l'année 2021, la part des demandeurs hébergés a, certes, progressé de 9 points (64 %) . Permise par la déconcentration de la gestion du parc d'hébergement depuis mars 2020 et la montée en charge du dispositif d'orientation régionale (11 901 personnes orientées sur la période), cette amélioration ne permet toutefois pas d'entrevoir la cible de 90 % pour 2023 12 ( * ) régulièrement réaffirmée par le Gouvernement.

III. L'INTÉGRATION : MALGRÉ UNE MODESTE AUGMENTATION DES CRÉDITS, UNE PROGRAMMATION BUDGÉTAIRE QUI N'EST TOUJOURS PAS À LA HAUTEUR DES ENJEUX

La gestion de l'immigration régulière et le financement des actions d'intégration reposent sur les crédits du programme 104 « Intégration et accès à la nationalité » qui représentent 438,66 M€ en AE et 438,72 M€ en CP en 2022, soit une augmentation mesurée de 1,8 % par rapport à 2021.

A. APRÈS LA CRISE SANITAIRE, UNE REPRISE PROGRESSIVE DES FLUX D'IMMIGRATION LÉGALE

Avec la délivrance de 277 406 titres de séjours aux primo-arrivants de pays tiers à l'Union européenne, l'année 2019 s'était caractérisée par un flux d'annuel d'immigration régulière jamais atteint, dans la lignée d'une augmentation continue sur la dernière décennie (+ 6,1 % en 2019, + 4,6 % en 2018). La crise sanitaire a, au moins temporairement, interrompu cette dynamique : 219 302 primo-délivrances de titres ont été effectuées, soit une réduction moyenne de 20,9 %. Si la totalité des motifs de délivrance ont été affectés, l'immigration pour motif économique a connu la plus forte diminution avec une réduction d'un tiers du nombre de titres délivrés. A contrario , la diminution du motif familial est deux fois moins élevée (16,6 %).

En revanche, le stock de titres valides poursuit son augmentation pour s'établir en 2020 à 3 454 816 (+ 1,2 %). Sur le plan des nationalités, le Maroc et l'Algérie demeurent les deux principaux pays d'origine, avec une primo-délivrance de titres qui a connu une diminution nettement inférieure à la moyenne (respectivement - 14 % et - 13 %). La Tunisie est à nouveau le troisième pays d'origine, avec une diminution de la délivrance de titres dans la moyenne (- 21,6 %). À eux trois, ces États concentrent 30 % de l'immigration légale.

Les rapporteurs réitèrent le constat établi l'année précédente sur la prégnance des régularisations d'étrangers dans le dynamisme des chiffres de l'immigration régulière. En 2020, 28 859 personnes ont bénéficié d'une admission exceptionnelle au séjour au titre de la « circulaire Valls » du 28 novembre 2012. La barre des 250 000 admissions exceptionnelles cumulées a ainsi été franchie cette année 13 ( * ) et les rapporteurs ne peuvent que regretter que les appels répétés du Sénat à durcir les conditions de régularisation ne soient pas entendus.

B. LES CRÉDITS ALLOUÉS À L'INTÉGRATION : LA POURSUITE DU STATU QUO

Les objectifs d'intégration ambitieux issus du comité interministériel à l'immigration et à l'intégration du 5 juin 2018 se sont notamment traduits par le déploiement d'une version renforcée du contrat d'intégration républicaine (CIR) à partir du 1 er mars 2019 . Cette montée en puissance repose sur trois piliers : le doublement du nombre d'heures de formation linguistique et de formation civique, ainsi qu'un renforcement de l'insertion professionnelle (actions de formation et d'accompagnement et mise en place d'un entretien en fin de contrat pour permettre l'orientation vers l'acteur adéquat du service public de l'emploi).

Si 2020 devait être la première année de déploiement intégral du CIR, cette ambition a été percutée de plein fouet par la crise sanitaire, de sorte qu'il apparaît toujours délicat de tirer un premier bilan de la version renforcée du CIR . Ainsi, le nombre de CIR signés a diminué d'un quart entre 2019 (107 402) et 2020 (78 674) et le directeur général de l'OFII a indiqué au cours de son audition que l'année 2021 n'avait pas encore permis de retrouver un rythme de croisière.

Si la subvention allouée à l'OFII connaît une hausse de 3,1 %, de même que son plafonds d'emplois (+ 19 ETPT), cette progression s'explique en réalité principalement par l'ouverture d'une nouvelle direction territoriale à Mayotte destinée à piloter la mise en place du CIR (9 ETPT) 14 ( * ) et des conditions matérielles d'accueil (10 ETPT) 15 ( * ) sur le territoire. Les craintes exprimées l'année précédente quant à l'insuffisance des moyens attribués à l'OFII pour faire face à l'extension de son périmètre d'intervention, en particulier en matière d'insertion professionnelle - ce qui ne correspond pas à son coeur de métier - sont toujours d'actualité . Il en va de même s'agissant du taux de rotation annuel chroniquement élevé des effectifs (entre 30 et 40 % la première année), dont le directeur général de l'OFII a confirmé au cours de son audition qu'il tendait à devenir un problème structurel pour le fonctionnement de l'Office.

Enfin, les rapporteurs entendent insister sur les problématiques liées à la récurrence des violences commises à l'encontre des personnels d'accueil de l'OFII, majoritairement féminins , qui leur ont été rapportées par le directeur général, Didier Leschi. S'ils saluent le fait qu'un dépôt de plainte soit systématiquement effectué, ils estiment néanmoins indispensable de mieux armer l'OFII pour sanctionner ces violences, si besoin en étendant les possibilités d'interrompre le versement de l'ADA.

*

En dépit de la hausse des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », les rapporteurs estiment que ce budget est dépourvu d'ambition réelle et ne permet en rien de répondre à l'ampleur des défis, aux besoins croissants des services et à la nécessité de protéger dans de bonnes conditions les personnes concernées . Loin de s'attaquer à la source de la pression migratoire ou aux facteurs qui favorisent le dévoiement de nos procédures, ce budget est, encore une fois, une simple adaptation aux fluctuations de la pression migratoire . Tout juste permet-il de se conformer, a minima , aux normes juridiques internes et aux engagements internationaux de la France.

Les rapporteurs appellent, une nouvelle fois, à engager des réformes de fond de nos politiques migratoires plutôt que de sans cesse pallier les insuffisances d'une politique structurellement sous-dimensionnée . La mise en place d'actions fortes pour parvenir à une « immigration choisie », avec un rôle accru du Parlement dans la définition des orientations de la politique migratoire, apparaît ainsi indispensable. La conditionnalité des aides, la poursuite de la restriction de visas aux pays non coopératifs en matière d'éloignement, ainsi que la simplification du contentieux de l'éloignement devraient également être des chantiers prioritaires.

*

* *

La commission des lois a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » inscrits au projet de loi de finances pour 2022.

Cet avis sera examiné en séance publique le 1 er décembre 2021.

EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 17 NOVEMBRE 2021

Mme Muriel Jourda , rapporteur pour avis de la mission « Immigration, asile et intégration » . - L'appréciation de la situation en 2020 est difficile du fait de la pandémie, qui a influé sur les entrées et les sorties du territoire, ainsi que sur l'instruction des procédures administratives et judiciaires.

Ce projet de budget est en hausse, et la ministre Marlène Schiappa que nous avons auditionnée hier soir s'en réjouit. Toutefois, cette hausse ne traduit, à notre sens, que la difficulté à suivre la situation existante en termes d'immigration, qui n'est nullement maîtrisée, contrairement aux propos de la ministre. Je le redis cette année, ce budget est le tonneau des Danaïdes, par manque de véritable politique migratoire. Cela nous conduit à vous proposer le rejet des crédits de cette mission.

La mission représente 2 milliards en autorisations d'engagement (AE), soit une hausse de 14 %, et 1,9 milliard en crédits de paiement (CP), soit une hausse de 3,2 %. La hausse des crédits concerne principalement la prise en charge de l'asile et l'augmentation des places dans les centres de rétention administrative (CRA).

Un mot sur l'immigration régulière.

En 2019, plus de 277 000 titres de séjour de primo-arrivants ont été délivrés. On constate une baisse de 21 % en 2020.

Le stock de titres en cours de validité est de l'ordre de 3,455 millions : 30 % des immigrés viennent du Maghreb. 250 000 régularisations ont été prononcées depuis la mise en oeuvre de la circulaire de 2012 de Manuel Valls qui prévoit des régularisations exceptionnelles - la majorité du Sénat demande régulièrement qu'elle ne soit pas appliquée telle qu'elle l'est aujourd'hui.

La version renforcée du contrat d'intégration républicaine (CIR) n'a pas trouvé toute sa force en 2020 pour les raisons que l'on connaît. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) va voir son budget augmenter de 3,1 % en 2022. Cette augmentation est, en réalité, très largement liée à l'ouverture d'une antenne à Mayotte avec 9 équivalents temps plein (ETP).

L'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), dont le budget avait baissé de 1,57 % en 2021, est confronté à des difficultés sérieuses dans l'exercice de ses missions. D'abord, il s'est vu confier une mission qui n'est pas la sienne : l'accompagnement à l'insertion professionnelle. Se pose aussi un problème de personnels, avec un taux de rotation de 30 à 40 % la première année. Enfin, il nous a été indiqué que les usagers essentiellement masculins ne considèrent pas le personnel d'accueil, essentiellement féminin, comme un personnel sachant. Des agressions régulières donnent lieu à des plaintes systématiques.

J'en viens à l'immigration irrégulière.

Nous regrettons chaque année l'incapacité dans laquelle nous sommes d'avoir des indicateurs plus fiables que ceux qui existent, puisque, je le rappelle, aucun indicateur consolidé n'est déployé. Nous pouvons nous fier à l'aide médicale de l'État (AME) pour déduire une estimation du nombre de personnes en situation irrégulière. En 2015, nous comptions 316 000 bénéficiaires de l'AME et 369 000 en 2020. Il est cependant difficile de donner des chiffres plus précis, sinon pour énoncer que l'immigration irrégulière a été moins importante en 2020 en raison de la fermeture des frontières.

Les aspects budgétaires sont essentiellement en lien avec l'augmentation du nombre de places dans les CRA. Comme vous le savez, un plan pluriannuel d'investissement a été mis en place. La capacité de rétention est aujourd'hui de 1 719 places. Du fait du plan d'investissement, elle devrait être portée à 2 099 places fin 2023, soit une augmentation de 70 % par rapport à fin 2018. Ce chiffre correspond à un ajustement minimum, puisque nous ne maîtrisons pas cette immigration irrégulière que nous n'arrivons pas à éloigner suffisamment. Cela répond à une réalité qui nous contraint et sur laquelle nous n'avons pas de marge de manoeuvre.

Cette augmentation est justifiée par la remontée du taux d'occupation des CRA. Avant la crise sanitaire, le taux d'occupation était de 86 %, après être tombé à 61 % en 2020, il est de 79 % aujourd'hui, et il va probablement continuer à augmenter.

S'agissant de l'éloignement, quelques avancées sont à noter. Je signalerai notamment le fait que la rétention administrative a été étendue à 90 jours par la loi du 10 septembre 2018, ce qui a permis des éloignements complémentaires - même s'ils ne sont pas significatifs.

Comme vous le savez, l'éloignement administratif est essentiellement constitué par les obligations de quitter le territoire français (OQTF). Depuis 2012, leur taux d'exécution n'a cessé de diminuer, en pourcentage comme en valeur absolue.

Le ministre de l'intérieur nous dit que nous n'avons jamais autant procédé à des OQTF, ce qui est totalement faux - en pourcentage comme en valeur absolue. En 2012, le taux d'exécution était d'un peu plus de 22 %
- en 2020, ce taux n'est pas significatif pour les raisons que j'ai expliquées plus haut -, contre 12 % en 2019, et 5,6 %, un taux extrêmement faible, au premier semestre 2021. La raison principale est la mauvaise coopération des pays dont les ressortissants sont en situation irrégulière en France, notamment du Maroc et de l'Algérie.

Ces deux pays sont les premiers pourvoyeurs de l'immigration régulière et l'Algérie est le premier pourvoyeur de l'immigration irrégulière. Nous avons constaté, lors de nos auditions, que la pandémie a entraîné un durcissement des conditions de retour. Par exemple, un test PCR est aujourd'hui exigé pour que les migrants puissent être expulsés. Or nous ne pouvons pas les obliger à effectuer ce test. L'Algérie en a également profité pour ajouter une autre condition : les Algériens en situation irrégulière en France doivent figurer sur une liste dressée discrétionnairement par l'Algérie pour pouvoir revenir dans leur pays d'origine.

Je vous donnerai les chiffres si vous le souhaitez, mais l'Albanie, qui est le huitième pourvoyeur de l'immigration irrégulière, compte plus de ressortissants revenus au pays que l'Algérie, premier pourvoyeur de cette immigration irrégulière.

Nous rencontrons donc des difficultés significatives pour procéder aux éloignements avec un budget qui n'augmente pas significativement. Mais pour être honnête, même si ce budget augmentait, nous voyons mal comment les résultats pourraient être meilleurs, au regard de la situation qui nous est imposée par les principaux pays pourvoyeurs d'immigration irrégulière.

Encore une fois, c'est la politique du tonneau des Danaïdes, dans lequel nous continuons et continuerons à déverser le budget de l'État si nous ne mettons pas en place une véritable politique migratoire.

Une immigration choisie, avec un rôle accru du Parlement dans la définition des orientations de la politique migratoire, nous paraît indispensable. La conditionnalité des aides, la poursuite de la politique de restriction des visas aux pays non coopératifs et la simplification des contentieux devraient être des axes de travail pour arriver à faire face à l'immigration et pour pouvoir parler d'une politique migratoire maîtrisée.

Vous l'aurez compris, notre avis est donc défavorable à l'adoption des crédits de cette mission.

M. Philippe Bonnecarrère , rapporteur pour avis de la mission « Immigration, asile et intégration » . - Avec l'asile, nous nous situons, à l'intérieur du dispositif qui vous a été présenté, dans le cadre d'une chaîne qui comprend essentiellement l'Ofpra, qui traite les demandes, et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), qui examine les recours.

Le point essentiel est de se poser la question de savoir comment cette chaîne a réagi pendant la crise sanitaire. Nous avons, en quelque sorte, deux dynamiques qui se sont entrechoquées. D'un côté, nous avons noté une diminution du flux des demandeurs d'asile. Le flux des demandes se réduisant, l'activité de l'Ofpra et de la CNDA a elle aussi diminué. En revanche, du fait de la crise sanitaire, il a été quasiment impossible d'assurer les rendez-vous à l'Ofpra, l'intervention des officiers de protection instructeurs (OPI) ainsi que les audiences de recours devant la CNDA. La conséquence est que, fin 2020, l'Ofpra et la CNDA ont enregistré une augmentation de leurs stocks. À l'Ofpra, 84 655 dossiers étaient en attente à la fin 2020 et une augmentation mécanique des dossiers a également eu lieu à la CNDA.

La question est de savoir comment le flux des demandes de 2021 et 2022 va pouvoir être traité. Je rappellerai l'objectif fixé en 2017 par la France : traiter une demande d'asile en six mois - deux mois par l'Ofpra et quatre mois par la CNDA d'ici 2023. Or nous en sommes encore loin, puisque le traitement d'un dossier est environ de huit mois par chacune de ces institutions, soit un total de seize mois.

Est-ce à dire que cet objectif est hors de portée ? Pas nécessairement. Il est d'ailleurs intéressant de constater que c'est, en quelque sorte, maintenant que les choses se jouent. Des moyens très importants ont tout d'abord été alloués à l'Ofpra et à la CNDA. Plus de 200 agents y ont été recrutés en 2020, ce qui nous donne un total de 1 003 équivalents temps plein (ETP). La CNDA, quant à elle, a reçu des moyens supplémentaires qui ont été échelonnés sur 2018, 2019 et 2020. En 2021, tous les recrutements ont été réalisés. Ces moyens ont permis à l'Ofpra de rendre aujourd'hui 12 500 décisions par mois et à la CNDA de prononcer 70 000 décisions annuelles.

En 2019, nous avons ensuite atteint un pic, avec 140 000 demandes d'asile. En 2020, ce chiffre a nettement diminué en raison à la fermeture des frontières. Une remontée progressive est attendue, mais elle restera en dessous du niveau de 2019. Cette situation permettrait à l'Ofpra, sur la base de 12 500 décisions mensuelles, de traiter en flux les demandes de 2021 et de 2022, et de résorber une partie de son stock antérieur.

Dotés de ces nouveaux moyens, et si les demandes n'atteignent pas le chiffre de 2019, ces deux organismes pourront rendre un nombre de décisions supérieur au flux des demandes à traiter, ce qui pourrait permettre, en 2023, d'atteindre l'objectif fixé en 2017, à savoir le traitement d'une demande d'asile en six mois.

Si nous ne voyons pas très bien quelles pourraient être les possibilités d'amélioration du fonctionnement de l'Ofpra, notre opinion est plus nuancée pour la CNDA. Nous proposerons donc de faire un focus sur cette question.

Aujourd'hui, la CNDA compte 700 agents, 23 sections, 30 salles d'audience et 339 rapporteurs. Dans chaque salle d'audience sont réunis un président, des rapporteurs, un interprète, l'intéressé et son avocat ; c'est donc une très grande machine

Par ailleurs, un barreau s'est spécialisé dans le droit d'asile et est parvenu à imposer certaines conditions de fonctionnement à la CNDA : pas plus de sept dossiers traités par jour notamment. Si cela ne paraît pas poser de problème, dans les faits, chaque communauté de demandeurs d'asile a créé son propre barreau, avec des avocats spécialisés. Si, par exemple, une audience est consacrée uniquement à des demandeurs d'asile afghans, outre l'interprète, une dizaine d'avocats seront nécessaires pour traiter les dossiers et, très vite, la limite de sept dossiers est atteinte. À Mayotte - autre exemple -, seuls deux avocats sont spécialisés en droit d'asile, d'où une limite dans la tenue des audiences.

Par ailleurs, les audiences commencent tard le matin pour laisser le temps aux demandeurs résidant en province de venir jusqu'à Montreuil et s'achèvent à 15 heures 30 pour leur permettre de regagner leur lieu d'habitation.

En outre, la vidéoconférence est une méthode toujours contestée et le consentement de l'intéressé est obligatoire. Une expérimentation était prévue dans les barreaux de Nancy et de Lyon. Mais si, à Nancy, quelques vidéoconférences se sont tenues depuis fin septembre, l'expérimentation n'a pas pu être mise en place à Lyon.

Le système est donc sous contrainte.

Je terminerai par les conditions matérielles d'accueil. S'agissant de l'aide aux demandeurs d'asile, une augmentation de 4 % est proposée, pour atteindre 467 millions d'euros. Cependant, il s'agit d'un jeu de balance : plus il y a de demandeurs d'asile, plus les allocations augmentent ; et plus les dossiers sont vite traités, moins le montant des allocations versées est élevé, puisqu'elles ne sont versées que pendant la durée d'examen du dossier. Ces deux variables régulent le montant des aides qui seront consommées.

Le Gouvernement indique que si la consommation n'est pas totale, la provision prévue en cas de dépassement serait attribué au budget de l'hébergement. La capacité d'hébergement en France n'a jamais été aussi importante, puisqu'en 2020, nous comptions 98 500 places et 103 269 en 2021.

Le taux d'hébergement des demandeurs d'asile dans ces structures spécialisées a, il est vrai, augmenté de 9 points en 2021, passant à 64 %. En revanche, nous sommes encore loin de l'objectif fixé par le Gouvernement, de 90 % pour 2023.

En conclusion, je dirai que, pour 2 milliards d'euros, la France respecte ses obligations administratives et juridiques au regard des standards internationaux, mais ne possède pas de politique migratoire.

M. Jean-Yves Leconte . - Ce rapport comporte deux aspects. D'une part, la politique migratoire et, d'autre part, la manière dont nous répondons à nos obligations en matière de droit d'asile.

Concernant la politique migratoire, je m'inscris en faux contre les propos de notre rapporteur. La question n'est certainement pas de dire que rien n'est sous contrôle, que rien n'est maîtrisé et que nous n'avons pas de chiffres. Notre échec ne se situe pas là. Notre échec, c'est l'intégration. Notre échec n'est pas le contrôle des frontières ou le fait de distribuer trois fois moins de premiers titres de séjour par an que la Pologne. Non, nous faisons le minimum syndical et nous n'avons aucune marge de manoeuvre. Nous n'avons même pas la possibilité d'avoir une immigration choisie, puisque 250 000 régularisations, c'est le chiffre minimum absolu pour permettre l'intégration. Par ailleurs, une bonne partie des premiers titres de séjour sont des visas.

Aussi, 250 000 régulations sur neuf ans, ce n'est pas énorme. Et les conditions d'intégration sont lourdes. Je ne vois donc pas comment vous pouvez nous présenter un rapport qui alimente le pire du populisme. Notre échec, c'est l'intégration. À part la Chine et le Japon, le dynamisme d'une économie est totalement lié à la capacité d'un pays d'intégrer des personnes qui sont nées dans un autre pays.

Nous devons le dire et le répéter : tant que nous ne mettrons pas en place de bonnes politiques d'intégration, nous serons en échec. Et avec le type de discours que vous tenez - ainsi que le Gouvernement -, nous irons d'échec en échec. De ce point de vue, l'OFII joue un rôle essentiel et ne peut être chargé à la fois de l'intégration et des prestations allouées aux demandeurs d'asile, notamment dans une période où la demande croît.

S'agissant de la lutte contre l'immigration irrégulière, le « tout CRA » ne fonctionne pas. Selon le directeur général des étrangers en France, les taux de réussite des OQTF ne veulent rien dire, puisque tout dépend à qui cette sanction est attribuée et dans quelles conditions elle l'est. Et les comparaisons d'un pays à l'autre ne valent pas plus, car les motivations ne sont pas les mêmes.

Plutôt que de multiplier les places en CRA pour éloigner des Roumains qui reviennent deux jours après, il serait préférable de faire un focus sur les réussites de l'OFII en matière de retours volontaires et de proposer de les développer.

S'agissant de l'asile, je partage vos propos, monsieur le rapporteur, même si la CNDA n'a pas cette vocation. Toutefois, tout ne peut pas être concentré sur les délais, même s'ils sont essentiels, à la fois pour des raisons d'humanité et de coût. Je rappelle en effet que le montant des prestations versées pendant trois à quatre semaines représente à peu près le budget annuel de l'Ofpra.

Une fois protégé, un immigré peut arriver à s'intégrer correctement - de fait la question de l'hébergement est primordiale. Mais lui trouver un travail le plus vite possible et lui donner l'occasion d'apprendre la langue sont également des conditions indispensables. Il est plus difficile de s'intégrer quand, pendant six mois ou un an, on vous a demandé de ne rien faire.

Par ailleurs, lorsqu'un migrant est protégé, il a la possibilité de faire venir ses enfants et son conjoint. Et pour commencer à vivre une nouvelle vie en France, il faut lui reconstituer son état civil. Or ces sujets sont les absents du contrôle parlementaire sur l'asile, actuellement. Nous l'avons d'ailleurs vu au moment de la crise afghane : des centaines d'enfants et de conjoints d'Afghans protégés n'ont pas pu rejoindre la France.

Il est donc important d'allouer plus de moyens à l'Ofpra pour les questions de reconstitution d'état civil et de mettre en place une réelle politique permettant à une personne protégée de faire venir son conjoint et ses enfants.

Mme Nathalie Goulet . - Je souhaiterais, pour ma part, aborder le sort des interprètes et des auxiliaires de l'armée française en Afghanistan, dont le Gouvernement nous dit que l'affaire est réglée. Car il n'en est rien : nous recevons, les uns et les autres, des demandes urgentes. Cette question a été traitée en dépit du bon sens, alors que le sujet des interprètes remonte à au moins sept ou huit ans. Ces gens sont menacés, la situation est scandaleuse, et je souhaiterais que nous demandions des comptes au Gouvernement.

S'agissant des OQTF, au moment de l'assassinat du père Olivier Maire, nous avons pu remarquer un certain nombre d'incohérences dans notre droit, notamment entre la procédure administrative et la procédure judiciaire, puisqu'un certain nombre de personnes frappées d'OQTF sont en plus soumises à des travaux d'intérêt général : au lieu d'être expulsés, ils sont retenus en France pour exécuter la sanction prononcée à leur encontre.

Monsieur le rapporteur, je souhaiterais savoir si, dans le cadre du rapport de suivi, nous pourrions avoir un état des lieux de l'application de l'article 729-2 du code de procédure pénale, qui permet une libération conditionnelle en cas de retour dans le pays d'origine. L'application de cette disposition permettrait non seulement d'exécuter les OQTF, mais aussi de libérer des places en prison.

Mme Brigitte Lherbier . - Je voudrais attirer votre attention sur la situation actuelle dans le nord de la France. Un nombre important de migrants qui souhaitent gagner la Grande-Bretagne échouent et restent alors sur notre territoire. Hier encore, un camp à Sangatte a été détruit. Habituellement, il s'agit d'hommes jeunes, seuls, mais nous voyons beaucoup en ce moment de femmes et d'enfants.

Par ailleurs, monsieur Bonnecarrère, savons-nous combien de ressortissants afghans demandent à bénéficier du droit d'asile ?

M. Thani Mohamed Soilihi . - Malgré la réalité du rapport, mon groupe ne suivra pas la position des rapporteurs sur les crédits.

Madame la rapporteure, contrairement à ce que vous avez indiqué, le premier pays pourvoyeur d'immigrés clandestins est non pas l'Algérie, mais les Comores. Encore une fois, je déplore que les chiffres de l'outre-mer ne soient pas intégrés dans les chiffres globaux présentés chaque année à la représentation nationale, alors que plus de la moitié des reconduites à la frontière se font à partir de Mayotte. Les chiffres de la Guyane cumulés à ceux de Mayotte ne sont, en aucune mesure, comparables aux chiffres de l'Hexagone.

Mme Éliane Assassi . - Ces sujets sont sensibles et mériteraient que nous puissions dépasser un certain nombre de postures pour regarder avec une grande attention une situation qui n'existe pas uniquement en France.

Nous ne pouvons que saluer la hausse continue du budget en matière d'immigration et d'asile. Les mesures prises sont d'abord des choix politiques. Nous pourrons augmenter tous les budgets possibles, si nous ne changeons pas de posture ou de lecture de ce que sont l'immigration et l'asile, nous ne changerons pas grand-chose.

La hausse du budget ne peut masquer, par exemple, les conditions d'accueil et d'accompagnement des migrants, les atteintes à des lois fondamentales et les traitements dégradants des mineurs isolés.

Il est important de rappeler que l'asile est un droit qui ne saurait être soumis aux vicissitudes de la politique migratoire. Nous pourrions nous satisfaire de la réduction des délais de la procédure d'asile, mais il faut rappeler que la situation des personnes vulnérables s'inscrit dans une temporalité adaptée.

Le problème en matière d'asile est lié non pas aux délais d'instruction qui ont diminué, mais aux délais d'enregistrement des demandes. En effet, de nombreux migrants n'ayant pas réussi à se faire enregistrer sont interpellés et traités comme des personnes en situation irrégulière.

S'agissant des CRA, les problématiques restent les mêmes. Les conditions de détention continuent de se dégrader. Je rappellerai par ailleurs qu'ils n'ont pas cessé de recevoir des migrants en 2020, ce qui confirme la volonté du Gouvernement de poursuivre sa politique d'éloignement. Il me semble nécessaire de changer le regard que nous avons sur ces lieux d'enfermement, qui accueillent aussi des enfants. Nous devons être attentifs aux cris d'alarme poussés par de nombreuses associations, qui ne peuvent être taxées de gauchistes, et par la Défenseure des droits. Tous dénoncent la banalisation de la privation de liberté des personnes étrangères. Nous ne devons pas oublier qu'il s'agit d'êtres humains - des femmes, des enfants, des familles.

M. Philippe Bas . - Je voudrais d'abord dire que je n'ai jamais rencontré de populistes à la commission des lois ; un populisme à rebours nourri de misérabilisme ne vaut guère mieux qu'un populisme que certains stigmatisent.

Quant aux postures politiciennes qui nous empêcheraient d'avoir un regard humain sur des situations émouvantes, je répondrai qu'il existe aussi des situations humaines dramatiques liées à la confrontation du mode de vie des immigrés clandestins et d'un certain nombre de nos concitoyens, y compris d'ailleurs de ceux qui sont issus de l'immigration.

J'ai eu la chance de présider l'OFII et je trouve que nos débats comportent parfois des termes excessifs. Pour moi, il est très important que notre pays remplisse ses devoirs. Le droit d'asile est un devoir constitutionnel, et ce n'est pas parce que nous avons constaté un afflux massif de demandes d'asile que nous sommes contre le droit d'asile. Bien au contraire, le droit d'asile doit s'appliquer dans des conditions qui ne pénalisent pas les véritables réfugiés politiques.

Quant à l'exigence de l'intégration, elle est quand même beaucoup plus facile à mettre en oeuvre quand nous avons affaire à des étrangers en situation régulière plutôt qu'à des déboutés du droit d'asile ou à des immigrés clandestins.

Il est important de prendre du recul afin d'essayer d'aborder cette question dans toute sa complexité et d'une manière qui ne soit pas simplement le reflet d'un point de vue qui, dans certains cas, est celui de ceux qui donnent des cours du soir dans notre système et qui fragilisent, qu'ils le veuillent ou non, l'intégration.

J'entends que les délais de l'instruction des dossiers diminuent, mais ils sont encore beaucoup trop longs. Un effort est encore nécessaire et nous devrons nous mobiliser pour changer de paradigme dans notre politique d'accueil des étrangers pour, justement, mettre en place une politique d'intégration et d'assimilation qui soit d'une meilleure qualité.

Mme Valérie Boyer . - Je souhaiterais tout d'abord remercier les rapporteurs pour la rigueur de leur travail et la précision de leurs données. Les chiffres cités aujourd'hui sont particulièrement importants pour nourrir le débat.

La France - comme l'Europe - ne peut pas être prise en défaut de générosité. Nous sommes tous d'accord aujourd'hui pour défendre le droit d'asile et pour dire qu'il est dévoyé. De fait, cela empêche les personnes qui ont besoin du droit d'asile de voir leur demande instruite correctement.

Avant le départ des Américains de Kaboul, j'ai lu à plusieurs reprises que 100 000 Afghans étaient présents sur le territoire français, et que la grande majorité d'entre eux avaient été déboutés du droit d'asile, notamment en Allemagne. Qu'en est-il réellement ?

Ma seconde question concerne la sinistre affaire des traducteurs. Tout le monde s'accorde à dire que tous les interprètes et leurs familles n'ont pu être exfiltrés. Que sont devenues les personnes qui sont encore en Afghanistan ? Et qui sont celles qui sont sur le territoire français et qui n'entrent pas dans cette catégorie ?

M. André Reichardt . - Je trouve inacceptable d'affecter, année après année, des sommes importantes pour faire face à une situation que nous ne maîtrisons pas. La France n'a pas de stratégie migratoire, il faut le dire. Hier, j'ai demandé au ministre des affaires étrangères et de la défense comment la présidence française de l'Union européenne comptait mettre en oeuvre le pacte européen sur la migration et l'asile, alors que les pays de première entrée ou de relocalisation n'en veulent pas. Sa réponse a été la suivante : nous mènerons une politique des petits pas. Clairement, nous n'avons pas de politique migratoire. J'aurais aimé qu'il me réponde : nous allons tout faire pour tarir la source de l'immigration.

S'agissant de l'asile, si les délais diminuent, monsieur le rapporteur, je doute qu'ils puissent continuer à baisser avec les moyens qui sont affectés, puisque nous savons que les flux migratoires, loin de se tarir, vont augmenter.

Enfin, la non-exécution des OQTF est un véritable scandale. À quoi sert d'allouer autant de moyens à l'Ofpra si les décisions ne sont pas appliquées ?

Mme Esther Benbassa . - J'étais mardi à Calais et j'ai pu à nouveau constater ce qui s'y passait. Les propositions de M. Leschi, directeur général de l'OFII, à l'encontre des migrants qui sont dans les rues et qui n'aspirent qu'à traverser la Manche ne me conviennent pas du tout.

En cette période électorale, nous constatons une augmentation du nombre des expulsions. Nous avons d'ailleurs assisté, mardi dernier, à l'expulsion d'un millier de migrants à Grande-Synthe. Au cours de l'année 2021, les expulsions des camps et des abris informels ont augmenté de 23 %, la majorité concernant les villes du Calaisis et Grande-Synthe.

Dans un rapport publié par l'Assemblée nationale à la suite d'une commission d'enquête sur l'immigration, les députés appelaient l'État à renoncer à la politique du zéro point de fixation sur le littoral nord, au vu des conséquences massives sur le quotidien des migrants.

L'État distribue 800 repas à Calais, alors que l'on recense 1 500 migrants. Que peut-on faire ? Il faudrait d'abord décréter un moratoire en ce début de période hivernale, afin d'abriter tous ces gens qui ne pourront pas traverser la Manche. La concentration des migrants dans les rues crée des problèmes auprès des habitants. C'est un problème à la fois humain et humanitaire.

M. Guy Benarroche . - Je souhaite amplifier les propos exprimés précédemment par André Reichardt, en y apportant quelques précisions. Philippe Bas déplore l'utilisation de termes comme « populisme » et « posture » ; je le comprends très bien, mais ces termes sont utilisés, car, sur ces questions, nous dépendons d'une politique stratégique de l'État ; or, cette politique n'existe pas, et cela ouvre fatalement la porte à des postures ou des positionnements populistes. Par ailleurs, nous savons tous que la question migratoire jouera un rôle dans la campagne électorale.

Aucun choix politique n'est plus important aujourd'hui. Cela a été rappelé, nous ne sommes pas prêts de voir la fin des migrations au niveau mondial. Au-delà des problèmes géopolitiques, n'oublions pas les migrations liées aux changements climatiques ; des millions de personnes vont être déplacées de leur territoire, car elles ne pourront plus y vivre.

L'augmentation de moyens est nécessaire, mais elle ne résoudra pas tous les problèmes. Les juges administratifs, tous les gens qui sont sur le terrain, aux polices des frontières ou dans les centres d'accueil, ont l'impression de travailler pour rien et sont découragés.

Le fait de ne pas avoir de politique migratoire digne de ce nom a aussi des effets négatifs sur l'idée que l'on peut se faire de la France et de sa tradition d'accueil.

Nous voterons contre le budget pour toutes ces raisons.

Mme Muriel Jourda , rapporteur pour avis . - Un certain nombre de déclarations exposent nos différends sur la politique migratoire. Certaines de ces déclarations ne justifient pas de réponses et d'autres ne les méritent pas.

Madame Goulet, vous nous avez demandé une appréciation sur la mise en oeuvre de l'article 729-2 du code de procédure pénale ; nous allons nous pencher sur la question.

Monsieur Mohamed Soilihi, les chiffres dont nous parlons sont transmis par la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF).

M. Philippe Bonnecarrère , rapporteur pour avis . - Jean-Yves Leconte a insisté sur le rôle de l'Ofpra en matière de reconstitution des éléments d'état civil. C'est une vieille règle de droit : à partir du moment où la demande d'asile d'une personne a été acceptée, celle-ci ne peut plus se tourner vers son pays d'origine pour réclamer des documents d'état civil. L'Ofpra a donc, entre autres missions, la responsabilité d'être l'officier d'état civil des demandeurs d'asile ; le directeur est très conscient de cette responsabilité.

Les missions de l'Ofpra concernent, selon son directeur, plus de 500 000 personnes aujourd'hui. Ce chiffre différant de celui présenté par Mme Schiappa - légèrement supérieur à 400 000 -, nous essaierons de comprendre les raisons de cet écart.

Nathalie Goulet nous a demandé des précisions sur la question afghane, en particulier sur la situation des traducteurs. Nous ne pouvons que relayer les conclusions de l'Ofpra. Ces conclusions précisent que notre pays et notre ambassade ont effectué un important travail pour déterminer les droits des personnes devant être protégées. Au total, 2 700 personnes afghanes ont été ramenées en France dans le cadre de l'opération organisée par notre pays ; ce chiffre n'est pas neutre, et je vous laisse imaginer le nombre de traducteurs sollicités par notre armée.

Pour répondre à Brigitte Lherbier, les ressortissants afghans constituent, depuis trois ans, avant même donc les événements liés à la prise de pouvoir des talibans, le premier contingent des demandes d'asile. En 2019, on recensait 10 175 demandes d'asile pour des personnes de nationalité afghane, et ce chiffre a légèrement augmenté en 2020
- 10 364 demandes -, dans un contexte où la demande d'asile a fortement diminué.

Doit-on imaginer une crise plus importante ? Les points de vue sont divergents, et les délais d'inertie restent importants. Cela dépend de beaucoup d'éléments, dont la capacité des pays limitrophes - notamment l'Iran et le Pakistan - à accueillir cette population ; la politique de ces pays fixera la règle du jeu. Je rappelle qu'en Iran, on estime à 3 ou 4 millions le nombre de ressortissants afghans sur le territoire. Par ailleurs, nous savons que beaucoup d'hommes utilisés par l'armée de Bachar al-Assad en Syrie étaient de nationalité afghane ; ils combattaient dans l'espoir d'obtenir une régularisation.

Monsieur Mohamed Soilihi, nous vérifierons la question des données concernant la Guyane et Mayotte.

Éliane Assassi a évoqué la durée pour obtenir un rendez-vous dans les préfectures. On a connu quelques difficultés en région Île-de-France, mais la situation semble aujourd'hui maîtrisée. Un bémol toutefois : ces moyens supplémentaires engagés pour favoriser l'accueil concernent le plus souvent des personnels contractuels, avec donc un important taux de rotation.

Concernant Calais, je rappelle que le président de la commission des lois participe à une mission sur le sujet.

Enfin, monsieur Benarroche, nous partageons votre constat sur l'absence de politique migratoire. En raison de cette absence, tout élément nouveau devient compliqué à gérer. Je n'ose imaginer la situation que pourrait connaître notre pays si nous étions confrontés à des choses aussi horribles que ce que l'on appelle aujourd'hui les « guerres hybrides ».

En résumé, je retiens de la bonne volonté, mais aucun axe directeur.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

COMPTE RENDU DE L'AUDITION
DE MME MARÈNE SCHIAPPA, MINISTRE DÉLÉGUÉE AUPRÈS DU MINISTRE DE L'INTÉRIEUR

M. François-Noël Buffet , président . - Madame la ministre, en l'absence du ministre de l'intérieur, il vous revient de nous présenter les crédits portés par le ministère dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2022, pour trois missions budgétaires.

Concernant la mission « Sécurités », les rapporteurs pour avis sont Françoise Dumont, au titre de la sécurité civile, et Henri Leroy, pour les autres programmes - ce dernier, souffrant, ne peut malheureusement pas participer à cette audition.

S'agissant de la mission « Immigration, asile et intégration », Muriel Jourda et Philippe Bonnecarrère sont les rapporteurs pour avis.

Enfin, Cécile Cukierman est rapporteure pour avis de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

Par ailleurs, Philippe Dominati et Sébastien Meurant sont respectivement rapporteurs spéciaux de la mission « Sécurités » et de la mission « Immigration, asile et intégration », au nom de la commission des finances, saisie au fond.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté . - C'est un honneur pour moi d'être avec vous aujourd'hui pour vous présenter le budget du ministère de l'intérieur. Permettez-moi, tout d'abord, d'excuser M. Gérald Darmanin, retenu par d'autres obligations.

Ce budget est porté dans le projet de loi de finances pour 2022 au travers de trois missions : « Administration générale et territoriale de l'État », « Sécurités », ainsi que le compte d'affectation spéciale (CAS) « Contrôles de la circulation et stationnement routiers » qui lui est rattaché, et « Immigration, asile et intégration ».

Vous me permettrez tout d'abord de me réjouir que, conformément à la volonté du Président de la République et du Premier ministre, le budget du ministère de l'intérieur connaisse dans son ensemble une augmentation exceptionnelle de ses crédits à hauteur de 1,5 milliard d'euros.

Avec ces moyens nouveaux, le budget du ministère de l'intérieur aura enregistré une augmentation depuis le début du quinquennat de 3,5 milliards d'euros. Cet effort budgétaire historique doit naturellement s'incarner dans des résultats sur le terrain, au bénéfice des Français et visibles par les agents du ministère.

Tout d'abord, la mission « Administration générale et territoriale de l'État » enregistre cette année une progression de 351 millions d'euros, plan de relance inclus. Cette mission, en partie financée sur le programme 354, est au coeur des priorités gouvernementales.

Premier axe majeur de ce budget : pour la seconde année consécutive, les effectifs des préfectures, sous-préfectures et secrétariats généraux communs seront maintenus au même niveau, afin de soutenir l'administration déconcentrée et renforcer son action de proximité au coeur des territoires.

Cette décision inédite marque le terme de la forte déflation entamée depuis plus de dix ans, qui avait conduit le réseau à perdre 25 % de ses effectifs. Cette mesure sur les effectifs des préfectures permettra, en particulier, de renforcer les services des étrangers dans les préfectures, pour accompagner notre action résolue dans ce domaine.

Second axe important : rapprocher les services des citoyens dans les départements. Deux actions déjà engagées concourent à cet objectif. D'une part, le ministre de l'intérieur a engagé un chantier de « relocalisations » pour 1 500 emplois d'administration centrale, qui seront installés dans des villes - hors grandes métropoles et hors l'Île-de-France - qui seront candidates pour les accueillir.

Vingt-trois postes d'experts de haut niveau et de directeurs de projet sont créés auprès des préfets. Ils sont en cours de recrutement et prendront leurs fonctions au plus tard en janvier 2022.

Le budget de fonctionnement et d'investissement est également centré sur l'accompagnement de la réforme de l'administration territoriale. Il permettra d'engager une convergence sur l'action sociale et le financement des chantiers immobiliers liés à la nouvelle organisation territoriale de l'État et à la sécurisation des préfectures.

Outre l'administration territoriale, la mission « Administration générale et territoriale de l'État » retrace également les crédits nécessaires aux politiques transversales et de soutien aux missions du ministère.

Le ministère de l'intérieur continue d'investir dans le domaine du numérique et conduit des projets de grande ampleur, en priorité au bénéfice des forces de sécurité intérieure. C'est le cas, par exemple, du réseau Radio du futur (RRF) ou encore de France-Alerte pour permettre l'alerte en temps réel des populations.

Les systèmes d'information sont aussi essentiels pour la modernisation et la transformation des autres missions régaliennes. C'est le cas naturellement du déploiement de la nouvelle carte nationale d'identité, débuté en 2021. Entre le 15 mars et le 30 août, plus de 1,3 million de demandes de ce nouveau titre ont été recueillies, plus de 1 million ont été validées et 950 000 titres ont été produits.

Deuxième budget central sur lequel je voudrais insister : le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD).

Priorité annoncée par le Président de la République lors de la clôture du Beauvau de la sécurité, la vidéoprotection bénéficiera d'une augmentation significative. Sa progression sera de 10 millions d'euros, ouverts au titre du plan de relance, qui portera la dotation du FIPD à 79,4 millions d'euros l'année prochaine.

C'est dans cette action également que les préfets investiront le champ de la lutte contre l'islamisme et contre les différentes atteintes aux principes républicains, en veillant à déployer sur leur territoire les outils prévus par la loi du 24 août dernier.

Enfin, la mission « Administration générale et territoriale de l'État » retrace les crédits nécessaires à l'organisation des élections, au sein d'un programme dédié. Le ministère de l'intérieur a tenu compte des recommandations de la mission d'information de votre commission pour sécuriser les importantes opérations électorales de 2022. Afin que les dysfonctionnements constatés lors des élections départementales et régionales de juin dernier ne se reproduisent pas, des mesures correctives ont dès à présent été engagées.

Le 13 août dernier, par exemple, les différents lots qui liaient le ministère de l'intérieur à la société Adrexo ont été résiliés et sont en cours d'attribution. La mise sous pli ne sera plus assurée par l'administration si les conditions de sa délégation à un prestataire ne sont pas jugées suffisamment sûres. Les contrôles tout au long de la chaîne logistique seront fortement accrus.

J'en viens à la mission « Sécurités ».

L'engagement du Président de la République et du Premier ministre, à l'issue des travaux menés dans le cadre du Beauvau de la sécurité, s'est traduit par la progression des crédits pour cette mission de plus de 1 milliard d'euros, en tenant compte du plan de relance. Cela porte l'augmentation du budget de la mission « Sécurités », depuis le début du quinquennat, à 2,3 milliards d'euros.

Ces crédits permettront de mettre en oeuvre une partie importante des conclusions du Beauvau de la sécurité. Ils concourent également à mettre en place nos priorités pour la protection des Françaises et des Français. Je n'en citerai que deux : notre priorité dans la lutte intense contre les stupéfiants et notre priorité pour lutter contre les violences faites aux femmes et aux enfants. Le Président de la République en a fait la grande cause du quinquennat et, depuis un an et demi, nous déployons avec le ministre de l'intérieur un certain nombre de mesures nouvelles pour toujours mieux protéger les femmes face aux violences.

L'évolution des dépenses de personnels pour la police et la gendarmerie sera marquée par l'achèvement de la tenue de l'engagement du Président de la République de créer 10 000 postes supplémentaires sur le quinquennat. Ils permettront de renforcer la présence de policiers et de gendarmes sur le terrain, comme l'a souhaité le Président de la République. Ainsi, toutes les circonscriptions de sécurité publique connaîtront une progression des effectifs qui leur sont alloués sur la durée du quinquennat.

Nos autres priorités, notamment le renseignement, bénéficient également de ce plan de création de postes de policiers et de gendarmes.

Concernant l'augmentation des crédits de fonctionnement et d'investissement, nous avons souhaité qu'une première traduction rapide soit donnée aux axes de progrès identifiés dans le cadre du Beauvau de la sécurité.

L'un des axes forts du Beauvau de la sécurité, et que nous traduisons dès ce projet de budget pour 2022, est l'effort fait en faveur de la formation, avec deux mesures phares : l'augmentation du temps de formation initiale et continue ainsi que le lancement des travaux pour la création d'une académie de police, dans laquelle tous les policiers auront vocation à passer à un moment de leur carrière.

En termes d'équipement et d'investissement, le budget pour 2022 nous permettra de mieux répondre aux besoins de protection de la population, mais aussi d'investir dans les matériels de protection de nos policiers et gendarmes.

Avec 11 000 nouveaux véhicules en 2022 pour les forces de l'ordre, c'est la moitié du parc automobile qui aura été renouvelée au cours du quinquennat. Le budget relatif au matériel et à l'équipement est également en augmentation, principalement grâce aux crédits du plan de relance. Un effort particulier est fait pour les équipements de protection.

Le déploiement des caméras-piétons se poursuivra en 2022 afin que chaque agent sur la voie publique en bénéficie.

Le lancement de grands chantiers immobiliers et d'une remise à niveau pour l'immobilier permettra de mieux accueillir les victimes, mais aussi d'améliorer le quotidien de la police et de la gendarmerie. En plus des grands chantiers immobiliers, il nous faut engager un effort visible sur l'entretien des commissariats et des casernes.

Sur la sécurité civile, notre objectif est de renforcer notre capacité de prévention, d'anticipation et d'adaptation.

La saison de feux que nous avons connue cet été nous montre la nécessité de poursuivre ce soutien aux moyens de la sécurité civile. Je rappelle, par ailleurs, l'investissement majeur des forces de sécurité civile dans la lutte contre l'épidémie de la covid-19.

Les crédits de la sécurité civile augmenteront de 54,2 millions d'euros - relance incluse -, ce qui permet de financer, là aussi, un effort sur l'équipement et l'investissement, notamment en faveur des aéronefs de la sécurité civile.

Pour la sécurité routière, le budget pour 2022 prévoit l'achat d'un nombre important de kits de détection de stupéfiants pour la mise en oeuvre d'un grand plan de contrôle débuté dès cet automne ; la poursuite des projets numériques essentiels, dont le projet « Rendez-vous permis », qui permet de réserver en ligne les places d'examen ; et la poursuite de l'externalisation de la conduite des voitures radars, étendue dans trois nouvelles régions - Bretagne, Pays de la Loire et Centre-Val de Loire.

Enfin, j'évoquerai la mission « Immigration, asile et intégration ». Le projet de loi de finances pour 2022 autorise une augmentation des crédits à hauteur de 58,4 millions d'euros, soit une augmentation de 3,2 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI) de 2021. Ces crédits sont complétés par 16 millions d'euros en crédits de paiement (CP) au titre du plan de relance, portant ainsi les crédits pour 2022 à 1,92 milliard d'euros, en hausse de 3,9 % par rapport à la LFI de 2021.

C'est donc un effort budgétaire important au service d'une politique migratoire que nous voulons maîtrisée et équilibrée, au travers des deux programmes de la mission : le programme 303, « Immigration et asile », et le programme 104, « Intégration et accès à la nationalité française ».

Le programme 303 illustre la volonté résolue du Gouvernement de mieux accueillir les migrants, mais aussi de mieux lutter contre l'immigration irrégulière.

À ce titre, 143,9 millions d'euros sont inscrits au PLF pour 2022, soit une hausse de 12,5 %, pour l'ouverture de nouvelles places en centres de rétention administrative (CRA), tant en investissement qu'en fonctionnement après ouverture.

Je précise que l'armement des CRA existants et futurs pourra être optimisé grâce à l'externalisation des fonctions non régaliennes - comme le gardiennage des abords, la gestion des visiteurs, la bagagerie - exercées aujourd'hui par les fonctionnaires actifs en leur sein. Cela permettra, à terme, soit après 2023, un gain d'effectifs de l'ordre de 140 policiers.

Dès l'année 2022, avec le déploiement de l'externalisation dans les CRA de Marseille, Nîmes, Toulouse et Lyon - y compris le nouveau CRA livrable mi-janvier 2022 -, ce sont 39 policiers qui seront libérés de ces tâches.

Les autres dépenses de ce programme portent sur l'accueil et l'hébergement des demandeurs d'asile, avec notamment une hausse significative du budget consacré à l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) : + 18,2 millions d'euros par rapport à la LFI de 2021, ce qui porte le budget à 473 millions d'euros. Cette hausse illustre à la fois l'effort de la Nation pour l'accueil des demandeurs d'asile et la sincérité de cette construction budgétaire.

La progression du parc d'hébergement pourrait être de 5 700 places en 2022, si l'évolution des dépenses d'allocation pour demandeur d'asile, dont le niveau demeure soumis à des aléas, n'excède pas les prévisions.

Le parc d'hébergement pour demandeurs d'asile et réfugiés atteindrait ainsi le niveau historique de 118 087 places réparties comme suit : 6 341 places en centres d'accueil et d'examen des situations (CAES), avec 1 500 places supplémentaires l'an prochain ; 50 032 places en centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA), avec 3 400 places supplémentaires l'an prochain ; 51 796 places d'hébergement d'urgence - un chiffre stable par rapport à 2021 - ; et 9 968 places en centres provisoires d'hébergement (CPH), soit 800 places de plus l'an prochain.

Je voudrais également mentionner l'amélioration des délais de traitement de la demande d'asile, pour lesquels nous observons une tendance encourageante, aussi bien au niveau de l'enregistrement du dossier en préfecture que de l'instruction de la demande par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).

Cette amélioration des délais de traitement de la demande d'asile aura un impact sur le montant de l'ADA, mais également sur la fluidité du parc d'hébergement ; d'où un effort particulier en termes de moyens en direction de l'Ofpra.

Au titre du PLF pour 2022, la subvention qui lui est accordée s'élève à 93,2 millions d'euros, en hausse de 0,4 million d'euros, et le plafond d'emplois est consolidé à 1 003 équivalents temps plein travaillé (ETPT).

Les crédits du programme 104, « Intégration et accès à la nationalité française », illustrent la refonte de la politique d'intégration engagée par le Gouvernement depuis 2018.

L'État se donne les moyens de mener une politique ambitieuse à travers les mesures prises par le comité interministériel sur l'immigration et l'intégration (C3I) en 2018 et 2019, grâce à un budget dédié qui se maintient à haut niveau et progresse même de 1,8 %.

L'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) verra ainsi ses effectifs augmenter de 19 ETPT par rapport à la LFI de 2021, pour s'élever à 1 187 ETPT, tandis que ses subventions pour charges de service public connaîtront une hausse de 7,8 millions d'euros par rapport à la LFI de 2021. Si nous y ajoutons les 11 millions d'euros de crédits d'intervention - un montant identique à celui de 2021 -, cela porte les crédits de l'OFII à 256,8 millions d'euros dans ce projet de budget.

Illustrant notre volontarisme en matière d'intégration, un programme Accompagnement global et individualisé des réfugiés (AGIR) sera déployé à partir de 2022. L'objectif est de mieux accompagner quelque 8 000 réfugiés dans 27 départements via un guichet unique départemental mandaté par l'État, avec un accompagnement global et individualisé vers le logement et l'emploi, s'articulant avec le contrat d'intégration républicaine.

Le programme AGIR reposera sur trois piliers : premièrement, un accompagnement global des réfugiés grâce à la mise en oeuvre d'un binôme de référents sociaux ; deuxièmement, une coordination de tous les acteurs locaux de l'intégration ; et, troisièmement, des partenariats locaux pour garantir l'accès effectif aux droits.

Porté en interministériel afin de prendre en compte les différents volets de l'intégration, AGIR sera financé sur la mission « Immigration, asile et intégration » par redéploiement et adjonction.

En définitive, sous ce quinquennat, les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » seront passés de 1,056 milliard d'euros dans le PLF pour 2017 à 1,92 milliard d'euros dans le PLF pour 2022, illustrant la crédibilité et la solidité des réformes que je viens de vous présenter.

Ce projet de budget du ministère de l'intérieur marque donc à la fois l'achèvement des engagements du quinquennat, qui sont tenus, et la prise en compte des travaux du Beauvau de la sécurité.

Nous préparons aussi l'avenir, à la demande du Président de la République, en élaborant un projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi), dont ce budget constitue, d'une certaine façon, une première marche.

Mme Cécile Cukierman , rapporteure pour avis de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». - Concernant les moyens de l'administration territoriale de l'État, qui constitue un appui pour les élus locaux et les populations, aucune baisse n'est à constater. Cependant, des remontées nous signalent des difficultés à effectuer, dans les territoires, un certain nombre de missions. C'est le cas, par exemple, pour la mission prioritaire du contrôle de légalité. Comment préserver, voire augmenter les effectifs pour répondre à cet objectif de sécurisation de l'action des élus locaux ?

Par ailleurs, il avait été annoncé en janvier 2020 que 100 sous-préfectures seraient labellisées « France Services », d'ici à la fin de l'année 2022. Cet objectif ne sera pas, me semble-t-il, atteint, puisque seules 21 sous-préfectures sont à ce jour labellisées. Quels moyens entendez-vous engager pour renforcer les dispositifs existants dans les sous-préfectures qui souhaiteraient intégrer ce réseau, mais qui ne peuvent y consacrer les deux ETP nécessaires, faute de ressources suffisantes ? J'entends ce que vous nous dites, mais un grand nombre de sous-préfectures manquent cruellement de personnels pour instaurer et animer les différentes politiques publiques.

S'agissant de l'organisation des élections - l'année 2022 est une année importante, avec l'élection présidentielle et les élections législatives -, quelles mesures le ministère de l'intérieur entend-il prendre pour assurer le bon déroulement des élections ? Quelles recommandations de la mission d'information sénatoriale sur les dysfonctionnements constatés lors des élections départementales et régionales de juin 2021 seront suivies d'effet ?

Le ministère de l'intérieur a décidé d'internaliser la mise sous pli de la propagande électorale qui sera désormais réalisée, soit par la préfecture en régie, soit par les communes via une convention liant la préfecture et la mairie. Est-ce toujours la position du ministère de l'intérieur ? Si oui, les préfectures disposent-elles des ressources humaines et matérielles suffisantes pour assurer cette mission ? Si tel n'est pas le cas, des exceptions sont-elles prévues ?

Dans le contexte mondial actuel, nous devons faire face à une pénurie de papier. Des difficultés logistiques peuvent donc entraver le bon déroulement de la mise sous pli et de la distribution de la propagande électorale. Envisagez-vous des mesures préventives pour assurer le bon déroulement des élections ?

Mme Françoise Dumont , rapporteure pour avis du programme « Sécurité civile » . - Les hasards du calendrier font que la proposition de loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile, déposée par notre collègue député Fabien Matras, est aujourd'hui même examinée à l'Assemblée nationale, afin d'être définitivement adoptée. Les évolutions législatives que ce texte contient sont à souligner. Elles doivent toutefois s'accompagner des moyens nécessaires, notamment les moyens aériens qui sont devenus des outils incontournables. Alors que la moyenne d'âge de nos 12 canadairs dépasse vingt-trois ans, pouvez-vous faire un point sur les perspectives de renouvellement de cette flotte et sur la piste d'un financement européen ?

En outre, nous savons qu'un effort est en cours pour agrandir la flotte d'hélicoptères. Pouvez-vous également faire un point sur cette démarche et préciser quelles mesures ont été prises pour améliorer le taux de disponibilité de cette flotte et plus généralement son maintien en condition opérationnelle ?

Mme Muriel Jourda , rapporteure pour avis de la mission « Immigration, asile et intégration » . - S'agissant de la politique migratoire maîtrisée que vous avez évoquée, nous avons coutume de solliciter les différentes personnes auditionnées sur le nombre d'obligations de quitter le territoire français (OQTF) prononcées annuellement et sur le taux d'exécution de celles-ci.

Il est apparu que, sur les six premiers mois de 2021, le taux d'exécution était extrêmement bas : 5,6 %. Il nous a été répondu qu'il fallait se fier non pas au taux d'exécution, mais au nombre, en valeur absolue, d'OQTF prononcées. Confirmez-vous qu'il est pertinent d'évaluer la politique du Gouvernement sur le nombre d'OQTF prononcées sans jamais se soucier de savoir si elles ont été exécutées ?

Par ailleurs, nous avons découvert, au cours de nos auditions, qu'à l'occasion de la crise sanitaire l'Algérie avait renforcé les conditions de retour de ses ressortissants en situation irrégulière sur notre territoire. En effet, elle exige désormais que ses ressortissants soient inscrits sur une liste qu'elle établit discrétionnairement. Quelles sont les mesures que vous entendez prendre pour que nous puissions - enfin ! - avoir une politique de retour normalisée avec l'Algérie ?

M. Philippe Bonnecarrère , rapporteur pour avis de la mission « Immigration, asile et intégration » . - Ma première question concerne notre faculté à mesurer le niveau d'immigration régulière en France. Le chiffre qui est donné par votre ministère concernant ce qui est appelé le « stock de titres valides » - je vous prie de m'excuser de parler de stock, mais nous utilisons tous un langage technocratique, alors qu'il s'agit de personnes - continue d'augmenter. Fin 2020, il s'établissait à 3 454 816 titres.

Lors de l'audition du directeur général de l'Ofpra, ce dernier nous a rappelé que ses services assuraient la fonction d'officier d'état civil pour les personnes admises au droit d'asile. Ce n'est donc plus le pays d'origine, mais l'Ofpra qui établit leurs documents d'état civil. Le nombre de personnes protégées par cet office dépasse aujourd'hui les 500 000. Il s'agit de personnes qui sont en situation régulière dans notre pays, leur droit à l'asile leur ayant été reconnu.

Ne connaissant pas les modalités de construction de vos statistiques, dois-je comprendre que le nombre d'immigrés en situation régulière en France est de 3 454 816, dont 500 000 bénéficiaires d'asile, reconnus et protégés ? Ou dois-je comprendre qu'aux 3 454 816 immigrés s'ajoutent les 500 000 bénéficiaires d'asile ?

Ma seconde question est relative à la circulaire Valls de 2012. En 2020, le nombre de personnes admises au séjour au titre cette circulaire s'établissait à 28 859. Depuis l'application de celle-ci, nous avons franchi la barre des 250 000 admissions exceptionnelles. Quelles sont les intentions du Gouvernement à cet égard ? Envisagez-vous de modifier, ou non, la circulaire Valls ?

M. Philippe Dominati , rapporteur spécial de la commission des finances sur les crédits de la mission « Sécurités » . - La commission des finances a constaté, s'agissant de la mission « Sécurités », un début de réponse aux questions que nous posons depuis un certain nombre d'années, notamment sur le titre II relatif aux frais de personnels, puisque, pour la première fois depuis de nombreuses années, leur part part diminue par rapport aux dépenses de fonctionnement et d'investissement. Il s'agissait d'une revendication forte de notre commission qui avait entraîné plusieurs rejets des budgets précédents. Cette année, nous constatons une inversion, une inversion qui correspond à une demande de la Cour des comptes pour montrer le retard que nos forces de sécurité, aussi bien la police que la gendarmerie, avaient dans les domaines du fonctionnement et de l'investissement. Ce retard a été comblé, cette année, notamment par l'achat de voitures. Le manque de formation des agents a également été comblé par une augmentation de leur temps de formation, même si nous ne savons pas encore comment les agents seront formés pour devenir officiers de police judiciaire (OPJ), à partir du 1 er mai. Enfin, nous constatons un réel investissement dans l'immobilier.

Ce budget est atypique, car il a les allures d'un budget de début de quinquennat. Le Gouvernement a-t-il enfin pris conscience de l'importance de la mission « Sécurités » ?

Le Gouvernement a connu trois ministres de l'intérieur en cinq ans
- je ne reviendrai pas sur l'intérim du Premier ministre pendant plus d'un mois ; le Livre blanc n'a pas eu les mêmes effets que pour le ministère des armées ; et le Beauvau de la sécurité a été décidé à la suite du malaise ressenti par les forces de l'ordre. Le budget répond donc en partie à une crise. Telle est l'analyse de la commission des finances. Cependant, le budget est là et la réponse est positive.

C'est la raison pour laquelle la commission des finances donne un avis favorable à ce budget, dont les crédits, nous l'espérons, perdureront. Il nous faut cependant rester attentifs. Par rapport à la population, nous avons plus d'effectifs que la moyenne européenne et que nos grands voisins, et en termes d'effectifs par rapport aux moyens de fonctionnement, nous sommes encore en retard même si nous progressons. En Allemagne et en Grande-Bretagne, le ratio des dépenses de personnel par rapport aux autres dépenses est de 75 %. Or dans le budget qui nous est présenté par le Gouvernement, il est de 82 %, contre 88 % l'année dernière.

M. Sébastien Meurant , rapporteur spécial de la commission des finances sur les crédits de la mission « Immigration, asile, intégration » . - Permettez-moi de commencer par une remarque désobligeante. Lorsque nous avons examiné cette mission, nous avons reçu 15 % de réponses, ce qui est tout à faire anormal. Nous sommes tombés à un niveau de contrôle du Gouvernement qui est proprement inacceptable et qui ne respecte par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), puisque nous aurions dû recevoir les réponses le 10 octobre dernier. Je ne considère donc pas que nous ayons reçu un début de réponse, contrairement à mon collègue Philippe Dominati.

Concernant l'immigration maîtrisée et la lutte contre l'immigration irrégulière, le Gouvernement a prévu, en 2022, un nombre de migrants et de réfugiés supérieur à l'année 2019. C'est une drôle de façon de maîtriser les flux entrants de personnes provenant d'autres pays. L'illustration en est que plusieurs dizaines de milliers de personnes essaient de traverser la Manche. Pour la seule journée du 11 novembre, ils étaient plus de 1 000.

Par ailleurs, je m'interroge, comme notre collègue Philippe Bonnecarrère, sur les chiffres. Pour des territoires tels que la Guyane et Mayotte, les chiffres sont-ils consolidés ?

Une bonne maîtrise de l'immigration passe aussi par la bonne application des décisions d'expulsion. Et nous avons aussi sur cette question une vraie difficulté à obtenir des chiffres, pays par pays. En outre, l'application de ces décisions ne se traduit pas financièrement, puisque, depuis des années, le budget pour l'exécution des OQTF stagne aux alentours des 30 millions d'euros.

Concernant les forfaits visant à mettre à l'abri les personnes pauvres provenant de l'étranger - pour la lutte contre le trafic d'êtres humains -, les nuitées d'hôtel ont été multipliées par sept depuis une quinzaine d'années. J'ai posé la question à mon collègue des finances pour savoir combien de ces personnes étaient des réfugiés ou des migrants. Or nous constatons une absence totale de consolidation concernant ce triptyque immigration-asile-intégration. Le Parlement rencontre une vraie difficulté à contrôler, à évaluer cette mission qui devrait être divisée en trois missions : immigration, asile et intégration.

Enfin, je m'interroge sur le programme 177 : ne devrait-il pas être consolidé dans la mission « Immigration, asile, intégration » ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée . - Concernant la mission « Administration générale et territoriale de l'État », la mobilisation dans les territoires se traduit par plus d'effectifs dans le réseau des préfectures et des sous-préfectures. Il s'agit d'un axe de travail important du ministre de l'intérieur. Le schéma d'emplois ne comptera aucune suppression d'emplois en 2022 dans les préfectures, pour la seconde année consécutive ; c'est inédit. Le Gouvernement a par ailleurs étendu cette vigilance aux effectifs des services déconcentrés des autres ministères, au-delà des préfectures et des sous-préfectures. Cela fait d'ailleurs partie des conclusions du comité interministériel de la transformation publique (CITP), qui s'est tenu en juillet dernier.

Autre mesure permettant de positionner les effectifs là où des renforts sont nécessaires : chaque préfet peut désormais décider de redéployer jusqu'à 3 % de ses effectifs d'un programme budgétaire entre les services déconcentrés de son département. Cette souplesse permet aux préfets d'ajuster leurs ressources humaines au plus près des territoires afin de poursuivre les objectifs fixés par le Gouvernement.

Cette année, nous avons créé 30 postes de sous-préfets à la relance. Les 23 experts de haut niveau que j'évoquais dans mon propos liminaire sont directement rattachés aux préfets et sont prévus dans ce budget.

Concernant la propagande électorale, je ne peux que partager vos propos, madame la rapporteure, s'agissant des dysfonctionnements dans les mises sous pli et les distributions lors des dernières élections régionales et départementales. Ces dysfonctionnements ont conduit le ministère de l'intérieur à prendre des décisions, concernant notamment l'acheminement des plis. Le 13 août dernier, les différents lots qui liaient le ministère de l'intérieur à la société Adrexo ont été résiliés. Un appel d'offres a été lancé.

Par ailleurs, une partie des problèmes liés à l'acheminement de la propagande électorale provenait de défaillances en amont, certains routeurs ayant distribué des enveloppes en retard, d'autres n'étant pas parvenus à terminer leur travail de mise sous pli, de sorte que le ministre de l'intérieur a demandé aux préfets de prendre des mesures très concrètes.

D'abord, la règle est de ré-internaliser la mise sous pli, à savoir la faire effectuer par des agents de l'État ou passer des conventions avec des communes afin de maîtriser au mieux le processus. Des exceptions existent bien évidemment, notamment si le prestataire n'est pas défaillant ou si des conditions de contrôle strictes peuvent être mises en place et diligentées au niveau de la préfecture.

Par ailleurs, un plan de contrôle et un plan de secours en cas de défaillance ont été demandés à chaque préfet pour que, quel que soit le cas de figure, nous ne nous retrouvions plus jamais dans la situation que nous avons connue lors des dernières élections régionales et départementales.

Pour répondre à Françoise Dumont, je voudrais d'abord rappeler que la flotte aérienne de la sécurité civile compte aujourd'hui 20 avions et 33 hélicoptères. La flotte des hélicoptères comptait 34 appareils du même type, mais, vous le savez, l'un a connu en Isère un tragique accident en septembre dernier, durant lequel, hélas, un mécanicien est décédé. Nous avons engagé la reconstitution de cette flotte, deux hélicoptères ayant déjà été acquis en début d'année grâce au plan de relance. De plus, comme l'a annoncé le Président de la République à Marseille, lors du Congrès national des sapeurs-pompiers de France en octobre dernier, une commande de deux autres hélicoptères sera passée avant la fin de l'année, afin que nous puissions atteindre le chiffre de 37 appareils, tout en poursuivant une cible historique de 38 hélicoptères. De plus, au vu de l'âge de la flotte, la question de la poursuite du renouvellement a vocation à être examinée, notamment dans le cadre de la future loi de programmation pour les sécurités intérieures, précédemment évoquée.

Par ailleurs, l'activité de la flotte des hélicoptères ayant connu une hausse considérable de 70 % depuis 2002, passant de 10 000 à 17 000 missions par an, la question de l'entretien devient cruciale. Ainsi, le ministère de l'intérieur consacrait 75 millions d'euros à la maintenance des aéronefs de la sécurité civile et, cette année, ce chiffre s'élève à 84,5 millions d'euros, sachant que 6 millions d'euros sont consacrés à la modernisation de ces appareils.

Pour améliorer la maintenance et l'entretien de la flotte de la sécurité civile, une politique de mutualisation est également mise en oeuvre. En effet, le marché de maintien en conditions opérationnelles des hélicoptères est mutualisé entre la gendarmerie nationale et la sécurité civile. La base aérienne de sécurité civile de Nîmes accueille ainsi deux emplacements au profit de la gendarmerie pour l'entretien de ses hélicoptères et, par ailleurs, les deux directions mutualisent pièces, outils et savoir-faire des techniciens.

Enfin, nous avons tenu à revaloriser dans ce PLF la rémunération des pilotes d'avions et d'hélicoptères, comme celle des mécaniciens opérateurs, afin de les fidéliser, mais aussi parce que, au vu des risques encourus, nous considérons qu'un rattrapage leur était dû. Dans ce budget, le Gouvernement accorde donc une importance majeure aux moyens aéroportés de la sécurité civile, qui sont absolument fondamentaux.

En ce qui concerne les OQTF, je voudrais d'abord évoquer les chiffres. En 2020, on constate une diminution de 12,5 % du nombre d'OQTF prononcées par rapport à 2019 - soit 107 488 en 2020 et 122 839 en 2019. En outre, parmi les OQTF prononcées, la catégorie enregistrant la plus forte diminution est celle des déboutés du droit d'asile, pour laquelle on observe une baisse de 23,5 % en 2020. Par ailleurs, 19 957 éloignements ont été enregistrés, ce qui représente une diminution de 36,6 % par rapport à 2019. Celle-ci s'explique essentiellement par l'impact de la crise sanitaire, la fermeture des frontières et les dispositifs mis en oeuvre par certains pays ayant rendu plus difficile l'exécution des OQTF.

Sur la question de la pertinence des calculs, il est effectivement très difficile de comparer ce qui se passe dans les différents pays, y compris au niveau européen, tant les méthodes varient. Cependant, quand on considère en France le nombre d'OQTF prononcées, il faut aussi prendre en compte le nombre d'éloignements réalisés, qu'ils soient forcés ou aidés.

Par ailleurs, je voudrais rappeler qu'une politique ferme est mise en oeuvre par le ministre de l'intérieur à l'égard des pays qui refusent de délivrer des laissez-passer consulaires. Cette politique de fermeté a d'ores et déjà commencé à porter ses fruits et sa mise en oeuvre se poursuivra au cours des mois qui viennent.

Pour répondre à la question de M. Bonnecarrère sur les stocks de titres en cours de validité autorisant accès au territoire français, je voudrais commencer par rappeler que les bénéficiaires de la protection internationale détiennent des cartes de résidence valides dix ans, et que les bénéficiaires de la protection subsidiaire disposent quant à eux de cartes de séjour pluriannuelles. Les uns comme les autres sont donc inclus dans les calculs et les chiffres que nous partageons avec vous, en tant que possesseurs de titres en cours de validité. Le nombre total de ces titres s'élève aujourd'hui à 417 903 - 60 145 pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire, et 357 758 pour les réfugiés et apatrides.

Par ailleurs, au sujet de la circulaire Valls, qui a conduit à 28 859 admissions exceptionnelles au séjour en 2020, je répondrai simplement que, à ce stade, le Gouvernement ne prévoit ni de modifier ni d'abroger la circulaire, mais plutôt de l'appliquer de façon à la fois stricte et mesurée. À cet égard, j'ajoute qu'une circulaire a été adressée aux préfets en septembre par le ministre de l'intérieur, sur la question des anciens mineurs non accompagnés (MNA), l'objectif étant de mieux prendre en compte leur situation dans leur parcours d'insertion professionnelle.

Pour répondre à Philippe Dominati, la sécurité a toujours été une priorité du Gouvernement, et le Président de la République a notamment annoncé, dès 2017, sa volonté de recruter 10 000 policiers et gendarmes. Je vous remercie pour vos propos, pour votre avis sur le budget que je présente au nom du Gouvernement et sur les solutions apportées par le ministre de l'intérieur.

À ce titre, je voudrais rappeler que dès l'été 2020, le ministre a pris à bras-le-corps le problème du manque de moyens, notamment la question des véhicules. J'étais cette semaine avec le Premier ministre à La Duchère, à Lyon, et la semaine précédente dans l'Orne, à Alençon, et je peux vous dire à quel point on se réjouit dans les commissariats, d'avoir enfin reçu des véhicules, et de bénéficier du déploiement du plan Poignées de porte, qui oeuvre à rendre les conditions de travail des forces de l'ordre plus dignes, et à leur permettre d'exercer leur difficile mission dans les meilleures conditions matérielles possibles.

M. Jérôme Durain . - Madame la ministre, vous avez évoqué le plan de relance et le Beauvau de la sécurité comme les éléments centraux de l'effort budgétaire qui nous est présenté. Pour revenir brièvement sur le Beauvau de la sécurité, il me semble que son objectif ne résidait pas seulement dans sa dimension financière, mais aussi dans sa capacité à agréger, autour de nos forces de l'ordre, des citoyens, des associations et des ONG. Qu'en est-il de cet objectif ?

Vous avez également indiqué que 2,3 milliards d'euros supplémentaires auraient été consacrés à cette mission durant le quinquennat, et je voudrais souligner que cela n'est pas linéaire. Philippe Dominati a relevé qu'en matière de formation on avait pu observer, sinon des errements, en tout cas des choix en évolution. Nous prenons acte du rattrapage des crédits de fonctionnement et d'investissement par rapport aux dépenses de personnel, mais ces dépenses ne font pas tout.

J'en viens donc à la nécessité de dépenser mieux. En effet, ces dernières années, deux commandes publiques ont conduit à des naufrages. Tout d'abord, les caméras-piétons, que même le Président de la République a raillées en disant qu'elles ne fonctionnaient que quatre heures par jour... Pourtant, 5 millions d'euros ont été investis pour les 10 000 premières caméras. Aujourd'hui, on prévoit à nouveau d'investir dans ces appareils : 17 millions d'euros pour la police et 8 millions d'euros pour la gendarmerie. Toutes les précautions ont-elles été prises afin que nous ne rencontrions pas les mêmes difficultés ?

L'abandon du logiciel Scribe pose lui aussi de nombreuses questions. En effet, la facture s'élève à 11,7 millions d'euros. Le prestataire de service a vu le contrat dénoncé, mais y a-t-il eu des pénalités ? En outre, que deviennent les fonctionnalités qui étaient adossées à ce logiciel, comme la plateforme Thésée ou le compte rendu d'enquête après identification ? Le déploiement d'un nouveau logiciel est annoncé pour 2024 ; est-ce vraiment nécessaire d'attendre trois ans ?

Enfin, un dernier sujet qui n'est pas tout à fait budgétaire. Le président de la Fédération nationale des chasseurs a récemment évoqué la possibilité de confier à ses adhérents un rôle de police de proximité. La secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, Bérangère Abba, a déclaré ne pas fermer la porte à cette proposition. Il me semble pourtant que plusieurs lois ont récemment été promulguées - dont la loi pour une sécurité globale préservant les libertés -, qui permettent une meilleure articulation des acteurs de la sécurité. Par conséquent, cette proposition est-elle toujours sur la table et la considérez-vous avec autant d'intérêt que votre collègue ?

M. Thani Mohamed Soilihi . - J'interviendrai sur les missions « Sécurités » et « Immigration, asile et intégration », et commencerai par saluer la dynamique de ces deux missions, qui connaissent une nouvelle hausse, conformément aux engagements pris lors de ce quinquennat.

Tout d'abord, face au niveau de délinquance que connaissent certains territoires, une réforme expérimentale de l'organisation déconcentrée de la police nationale a été lancée au 1 er janvier 2020 en Guyane, en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte, sous la forme de directions territoriales de la police nationale (DTPN). Alors que la généralisation de ces directions est prévue pour 2022, pourriez-vous, madame la ministre, en dresser un bilan, s'agissant notamment de Mayotte, mais aussi des autres territoires ?

En matière d'immigration, le contrat d'intégration républicaine (CIR), instrument important de la politique du Gouvernement, sera déployé à Mayotte en 2022. Pourriez-vous préciser les modalités de ce déploiement ? Quels en sont les effets attendus s'agissant de la situation migratoire spécifique et très difficile que connaît Mayotte ?

Mme Brigitte Lherbier . - Permettez-moi de poser une question au nom d'Henri Leroy, qui me tient également beaucoup à coeur.

J'étais à Roubaix lors de la conclusion du Beauvau de la sécurité, et j'ai constaté chez les jeunes un véritable espoir qu'il serait grave de décevoir. L'année 2022 devrait être l'année de la création de la réserve opérationnelle de la police nationale qui, à terme, emploiera environ 30 000 réservistes. Parallèlement, la réserve de la gendarmerie devrait être renforcée, passant de 30 000 à 50 000 réservistes. Chacun ici connaît la grande motivation et la disponibilité de ces réservistes opérationnels, dont nous avons besoin. Cependant, les crédits alloués à ces postes de dépenses par le PLF pour 2022 ne sont pas en augmentation ; comment expliquez-vous, madame le ministre, le différentiel entre les annonces et les crédits effectivement budgétés ? Comment votre ministère envisage-t-il la montée en charge des réserves de nos deux forces, afin qu'elles soient pleinement opérationnelles pour les événements sportifs de 2023 et 2024 ?

Mme Catherine Di Folco . - Madame la ministre, je voudrais aussi me faire porte-parole d'Henri Leroy, qui ne peut être présent, et qui est rapporteur pour avis de la mission « Sécurités ». Il note que, pour la première fois, les crédits prévus sont de nature à redonner des marges de manoeuvre en matière de dépenses d'investissement et de fonctionnement. Cependant, il observe un net déséquilibre entre l'augmentation des crédits alloués à la police nationale et ceux alloués à la gendarmerie nationale. En effet, les dépenses d'investissement augmenteront de 193 % en autorisations d'engagement (AE) et de 80 % en crédits de paiement (CP) pour la police nationale, mais uniquement de 65 % en AE et de 45 % en CP pour la gendarmerie. De même, les dépenses de fonctionnement augmenteront pour les deux forces, mais moins rapidement dans la gendarmerie que dans la police. Comment expliquez-vous un tel déséquilibre, alors même que la gendarmerie fait face à davantage de besoins, tant en matière d'immobilier que de véhicules ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée . - En ce qui concerne le Beauvau de la sécurité, les tables rondes ont été constituées par le ministre de l'intérieur conformément aux annonces faites par le Président de la République. Effectivement, l'objectif était de réunir un certain nombre de parties prenantes, notamment de la société civile, et cela a bien été le cas. J'ai moi-même participé, et présidé un certain nombre de tables rondes, notamment sur des questions sensibles telles que la place des familles des forces de l'ordre dans leur métier et leur quotidien, la prévention face au suicide, ou la qualité de vie au travail. Des associations, des médiateurs et des parlementaires ont bien été associés aux travaux du Beauvau de la sécurité qui, par nature, étaient centrés sur les forces de l'ordre elles-mêmes, pour répondre à un certain nombre de difficultés qu'elles rencontraient ou rencontrent encore.

Le Beauvau de la sécurité s'est inscrit dans la continuité du Livre blanc et a été un temps démocratique, un temps de débat, mais il a surtout été conçu comme un temps concret, et a débouché sur un certain nombre de décisions, qui ont été annoncées par le Président de la République et ont permis d'obtenir des avancées bien réelles pour les forces de l'ordre. Celles-ci nous disent d'ailleurs leur satisfaction d'avoir été entendues sur des questions difficiles, notamment sur les questions de sécurité. Je rappelle qu'il s'agit de l'un des seuls métiers dans lequel lorsqu'on part de chez soi, on ignore ce que l'on va affronter dans la journée, et j'ai une pensée pour les membres des forces de l'ordre qui sont attaqués dans l'exercice de leur métier.

Sur la question du logiciel Scribe, le projet a effectivement rencontré des difficultés majeures et c'est la raison pour laquelle le ministre de l'intérieur a pris la décision de mettre fin au déploiement du logiciel, pour le relancer sur de nouvelles bases. En attendant, les ressources sont mutualisées, notamment avec le ministère de la justice, afin de pouvoir bénéficier de tels logiciels.

En ce qui concerne la chasse, je voudrais rappeler que la police de la chasse est assurée par les agents assermentés de l'Office français de la biodiversité. Je ne sais pas ce que ma collègue Bérangère Abba a répondu précisément ni dans quel cadre la question lui a été posée, mais je pense qu'elle ne dirait pas autre chose. Il a été fait mention du fait que les parlementaires ont réalisé un certain nombre d'avancées, qui permettent d'aller plus loin dans les modalités de sécurité aujourd'hui offertes, et d'innover à cet égard. À ce stade, nous avons déjà accompli un travail important, qui permettra notamment à la loi pour une sécurité globale préservant les libertés d'être appliquée partout sur le territoire.

Je voudrais rappeler que la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a institué le contrat d'intégration républicaine (CIR), notamment pour les étrangers primo-arrivants, désireux de s'installer en France. Ses dispositions devaient faire l'objet d'une mise en oeuvre progressive à Mayotte, à compter du 1 er janvier 2018, date qui a été repoussée au 1 er janvier 2020. L'entrée en vigueur de ces dispositions apparaissant toujours prématurée, eu égard aux caractéristiques et aux contraintes particulières de l'île, un nouveau report a été décidé à l'occasion de la loi de finances pour 2020, afin de concevoir un dispositif mieux adapté aux spécificités de ce département.

Les travaux interservices relatifs au déploiement du CIR à Mayotte ont enfin été lancés fin 2020 par la direction générale des étrangers en France, en concertation avec l'OFII, la direction générale de l'outre-mer et la préfecture de Mayotte. La prise en compte du contexte social et migratoire mahorais, mais aussi des contraintes logistiques et budgétaires liées à l'insularité, a donc conduit à retenir un dispositif adapté. Un décret en Conseil d'État doit ainsi paraître dans les prochaines semaines, et deux arrêtés viendront compléter le dispositif réglementaire, qui prévoit un entretien personnalisé d'accueil, un test de positionnement linguistique initial, une formation linguistique de 100 heures et une formation civique de deux jours. Les marchés publics des formations linguistiques et civiques de l'OFII pour Mayotte ont été publiés le 4 août 2021, les locaux ont déjà été loués pour accueillir la nouvelle direction territoriale de l'Office et je peux vous annoncer que les recrutements d'agents de l'OFII ont été lancés, afin d'assurer l'effectivité du dispositif au 1 er janvier 2022. Pour la mise en place du CIR à Mayotte, 5,6 millions d'euros sont prévus dans ce PLF pour 2022.

Pour ce qui est de la mission « Sécurités » à Mayotte, la mise en place de la DTPN a permis de meilleures synergies et un véritable pilotage unifié sur l'île, en optimisant les moyens pour renforcer les capacités opérationnelles sur le terrain. Je voudrais évoquer deux éléments pour illustrer ce constat. Tout d'abord, les dernières violences urbaines ont été gérées sans renfort d'unités de gendarmerie mobile, contrairement à ce qui s'était produit l'année précédente. De plus, la filière investigation s'est professionnalisée et, au premier semestre de l'année 2021, le taux d'élucidation des affaires a augmenté de 7,84 %, passant à 50,34 %. L'augmentation la plus sensible concerne le taux des atteintes contre les personnes - 57,41 % en 2021 contre 47,75 % en 2020. Nous observons d'ailleurs des éléments similaires en Nouvelle-Calédonie et en Guyane - je suis un peu longue, mais il me semble que la situation des outre-mer mérite qu'on s'y arrête.

Au regard du bilan très positif de cette expérimentation, cette organisation sera généralisée à l'ensemble des territoires d'outre-mer en 2022. Une expérimentation, qui vise à préfigurer des directions départementales de la police nationale dans des départements de métropole, est en cours dans le Pas-de-Calais, la Savoie et les Pyrénées-Orientales. La poursuite de cette réforme et la réorganisation en profondeur des services qu'elle entraînera constitueront une modernisation majeure de la police nationale, qui était attendue.

Pour répondre à la question des moyens de la gendarmerie, je souhaiterais rappeler que la France s'appuie sur ses deux forces de l'ordre, et que nous les traitons avec la même volonté de protéger les Français, quel que soit l'endroit où ils vivent. Chacune de ces forces à une histoire particulière, des singularités, une identité et, à cet égard, nous veillons à préserver le statut militaire de la gendarmerie. J'étais hier en déplacement à la direction générale de la gendarmerie nationale, et j'ai pu observer à quel point les spécificités de l'organisation de la gendarmerie, notamment en matière de gestion des crises, sont importantes, comme le sont celles de la police nationale.

Je ne peux laisser entendre que la gendarmerie serait moins bien traitée que la police et il me semble que les chiffres parlent d'eux-mêmes.

Le plan de remise à niveau du parc automobile, par exemple, prévoit une répartition parfaitement équitable et, sur les 11 000 nouveaux véhicules, la moitié bénéficiera à la police, l'autre moitié à la gendarmerie. De la même manière, les 50 millions d'euros du plan Poignées de porte pour 2022, seront répartis équitablement entre les deux forces. Enfin, répondant à une véritable demande des gendarmes, le Gouvernement a lancé la commande de blindés pour la gendarmerie, la commande de dix nouveaux hélicoptères et des chantiers immobiliers majeurs, comme la caserne Balma de Toulouse. Ces questions sur le traitement réservé à la gendarmerie au sein du ministère de l'intérieur appartiennent au passé, et cela fait maintenant plus de dix ans que cette force majeure a rejoint le ministère, dont elle fait aujourd'hui pleinement partie.

M. François-Noël Buffet , président . - Une dernière question peut-être, à laquelle j'associe Henri Leroy : à quel moment pensez-vous que la loi de programmation annoncée par le ministère sera présentée au Parlement ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée . - Je vous répondrai avec plaisir, monsieur le président, même s'il me semble qu'il ne s'agit pas là d'une question budgétaire.

M. François-Noël Buffet , président . - C'est un complément...

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée . - J'y réponds bien volontiers : les travaux ont d'ores et déjà été lancés et le ministre de l'intérieur a commencé à travailler sur la Loppsi, et sur la manière dont nous pourrons concrétiser un certain nombre d'annonces faites par le Président de la République. Comme vous le savez, le Gouvernement n'a pas l'entière maîtrise du calendrier parlementaire, et le ministre de l'intérieur vous présentera, en temps voulu, l'avancée de ses travaux. Je ne suis pas en mesure de vous donner une date précise à ce stade.

M. Sébastien Meurant , rapporteur spécial . - J'aurais voulu poser une question sur le programme 177, qui couvre la politique d'hébergement et d'accès au logement et l'insertion des personnes vulnérables. Quel est le contenu de ce programme qui explose depuis des années ? Combien de migrants réfugiés font partie des mises à l'abri prévues par ce programme ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée . - Si ma mémoire est bonne, le programme 177 ne fait pas partie des programmes du ministère de l'intérieur, mais de ceux du ministère délégué au logement. Il n'appartient donc pas au budget que je vous présente aujourd'hui.

M. François-Noël Buffet , président . - Vous allez décevoir monsieur Meurant, madame la ministre...

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée . - J'en suis navrée, mais je ferai volontiers l'intermédiaire avec le ministère du logement pour vous apporter une réponse dans les meilleurs délais, monsieur le sénateur.

M. François-Noël Buffet , président . - Il me reste à vous remercier, madame la ministre.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Ministère de l'intérieur

Direction générale des étrangers en France (DGEF)

M. Claude d'Harcourt , directeur général

Direction centrale de la police aux frontières (DCPAF)

Mme Brigitte Lafourcade , directrice centrale adjointe

Mme Lydie Aragnouet , sous-directrice de l'immigration et de l'éloignement

Cour nationale du droit d'asile (CNDA)

Mme Dominique Kimmerlin , présidente

M. Olivier, Massin , secrétaire général

Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII)

M. Didier Leschi , directeur général

Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA)

M. Julien Boucher , directeur général


* 1 Le programme 104 Intégration et accès à la nationalité française et le programme 303 Immigration et asile.

* 2 Cet indicateur est toutefois imparfait dans la mesure où il ne permet pas de mesurer l'immigration transitoire et où l'AME est délivrée sous condition de ressources.

* 3 Le nombre de mesures de non-admission était déjà en progression de 39,6 % en 2019 du fait de la crise sanitaire.

* 4 Documents fournis par les autorités du pays d'origine et indispensables pour renvoyer un étranger en situation irrégulière de la France.

* 5 Dans le cadre de la « Feuille de route 6+1 » : Maroc, Tunisie, Sénégal, Mali, Guinée, Côte d'Ivoire, Algérie.

* 6 51,9 % sur le premier semestre 2021 et 55,9 % en 2020.

* 7 C'est notamment le cas de l'Irak, de l'Iran, de l'Érythrée ou de l'Éthiopie.

* 8 Respectivement 410 et 115 éloignements sur 1989 et 800 personnes concernées.

* 9 Créant ainsi un délit réprimé par trois ans d'emprisonnement et dix ans d'interdiction du territoire français.

* 10 Le vieillissement des dossiers en attente est, en revanche, encore problématique à ce stade.

* 11 Hors frais de gestion (6 M€).

* 12 La cible de 90 % est fixée par le PAP pour 2021. Le PAP 2022 fixe la prévision pour 2023 à 68 % et la cible à 89 %.

* 13 Total cumulé estimé à 253 058 admissions exceptionnelles depuis la diffusion de la circulaire.

* 14 L'article 240 de la LFI pour 2020 a reporté la date d'entrée en vigueur du parcours personnalisé d'intégration républicaine sur le territoire de deux ans, pour la fixer au 1er janvier 2022.

* 15 Il résulte de l'arrêt du Conseil d'État du 12 mars 2021 (n° 448453) que l'État a obligation d'assurer les conditions matérielles d'accueil sur le territoire mahorais.

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