Avis n° 144 (2020-2021) de M. Alain MARC , fait au nom de la commission des lois, déposé le 19 novembre 2020

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N° 144

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2020

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la c ommission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2021 ,

TOME VI

ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE

Par M. Alain MARC,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Jacky Deromedi, Agnès Canayer, secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, M. Loïc Hervé, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Mikaele Kulimoetoke, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 3360 , 3398 , 3399 , 3400 , 3403 , 3404 , 3459 , 3465 , 3488 et T.A. 500

Sénat : 137 et 138 à 144 (2020-2021)

L'ESSENTIEL

Après avoir entendu Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice 1 ( * ) , le mardi 17 novembre 2020, la commission des lois, réunie le mercredi 18 novembre 2020 sous la présidence de François-Noël Buffet (Les Républicains - Rhône), a examiné, sur le rapport d' Alain Marc (Les Indépendants - Aveyron), les crédits du programme 107 « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice », inscrits au projet de loi de finances pour 2021.

Les crédits de paiement alloués à ce programme augmentent de 7,8 % pour atteindre un montant de 4,26 milliards d'euros. Hors contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) Pensions (qui retrace les crédits consacrés au financement des pensions versées par l'État), les crédits s'élèvent à 3,33 milliards d'euros , en hausse de 275 millions d'euros par rapport à la loi de finances pour 2020, soit une hausse de 9 % .

Cette augmentation est plus rapide que celle observée ces dernières années : hors CAS Pensions , les crédits alloués à l'administration pénitentiaire avaient progressé (à périmètre constant) de 5,6 % en 2020 et de 5,75 % en 2019. Ces hausses successives doivent cependant être analysées au regard du retard accumulé, depuis plusieurs décennies, en matière de recrutement, d'entretien des locaux ou de construction de nouvelles places de prison . Cet effort budgétaire n'est donc pas excessif au vu de l'ampleur des besoins à satisfaire pour améliorer tant les conditions de travail du personnel que les conditions de détention.

L'analyse de la répartition des crédits par actions montre que l'action n° 1 « Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice » constitue le coeur des missions de l'administration pénitentiaire : 64,3 % des crédits de paiement y sont en effet consacrés. L'action n° 2 « Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice » absorbe 26,8 % des crédits afin de financer les dépenses liées au fonctionnement des établissements pénitentiaires et à la réinsertion des détenus. Le solde (8,8 %) est alloué aux fonctions support (administration et formation du personnel).

Une analyse par titres montre que les dépenses de personnel (retracées dans le titre 2) dominent (64,4 % du total), même si les crédits hors titre 2 devraient connaître une forte progression en 2021 (+ 14 %), destinée à financer notamment le programme immobilier de l'administration pénitentiaire.

Si l'on considère les autorisations d'engagement , le programme est doté de 6,22 milliards en 2021, en progression de presque 75 % par rapport à l'exercice en cours. Cette forte hausse s'explique par le renouvellement de marchés de gestion déléguée « multi-techniques et multi-services » qui permettent d'assurer des missions d'intendance et de logistique dans les établissements pénitentiaires (maintenance, nettoyage, restauration, cantine, accueil des familles, travail en détention...).

Suivant la proposition de son rapporteur, la commission des lois a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice » inscrits au projet de loi de finances pour 2021.

I. DES DÉPENSES DE PERSONNEL DYNAMIQUES JUSTIFIÉES PAR L'IMPORTANCE DES BESOINS

Les crédits consacrés en 2021 aux dépenses de personnel s'élèvent à 2,75 milliards d'euros, en augmentation de 119 millions d'euros par rapport à 2020. Ils doivent permettre de financer des créations d'emplois ainsi que des mesures de revalorisation salariale.

A. PLUS D'UN MILLIER DE CRÉATIONS DE POSTES

Le plafond d'emplois du programme est fixé à 43 345 ETPT , soit une hausse de 2,4 %. Ce relèvement devrait permettre la création de 1 092 emplois , occasionnant une dépense supplémentaire de 25,4 millions d'euros. Les créations de postes seraient donc plus nombreuses qu'en 2020 (1 000 postes), 2019 (959) et 2018 (832). Il faut remonter à 2017 pour retrouver un niveau de création d'emplois plus élevé (1 255), en lien à l'époque avec le plan de lutte antiterroriste.

La majorité des créations d'emplois est affectée à trois priorités : combler les vacances de postes , renforcer les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) et accompagner l'ouverture de nouveaux établissements .

Répartition des créations d'emplois prévues pour 2021

Combler les vacances de postes des personnels de surveillance

+ 300

Renforcer les services pénitentiaires d'insertion et de probation

+ 300

Ouverture de nouveaux établissements pénitentiaires

+ 415

Compenser la sous-exécution de l'année 2019

+ 90

Suppressions de postes liées au plan de transformation numérique

- 13

Total

+ 1 092

Il reste à s'assurer que l'administration pénitentiaire parviendra à procéder à l'ensemble de ces recrutements : comme l'illustre la sous-exécution du schéma d'emplois pour l'année 2019, elle a rencontré, ces dernières années, des difficultés pour embaucher et fidéliser les surveillants pénitentiaires , notamment, ce qui explique que le comblement des vacances de postes demeure une priorité.

B. DES MESURES DE REVALORISATION SALARIALE

Pour tenter de remédier à ces difficultés de recrutement, l'administration pénitentiaire a adopté des mesures de revalorisation de la rémunération des personnels de l'administration pénitentiaire. Cette politique de revalorisation devrait se poursuivre en 2021, occasionnant un surcroît de dépenses à hauteur de 29,2 millions d'euros.

Certaines mesures, d'un montant de 3,4 millions d'euros, résultent du protocole d'accord conclu le 29 janvier 2018 entre le ministère et le syndicat UFAP-UNSA, qui prévoyait la revalorisation de certaines primes. D'autres, pour un montant de 6,7 millions d'euros, sont la traduction du protocole d'accord relatif aux parcours professionnels, aux carrières et aux rémunérations (PPCR) de 2016, qui a prévu des revalorisations indiciaires. Un montant de 5,5 millions d'euros est par ailleurs consacré à la poursuite de la réforme statutaire de la filière d'insertion et de probation.

Des mesures indemnitaires nouvelles vont intervenir en 2021, pour un montant global de 10,4 millions d'euros. Elles vont concerner principalement les surveillants (5,3 millions d'euros), mais aussi la filière insertion et probation, le personnel d'encadrement, les greffes pénitentiaires et les régisseurs.

II. LA POURSUITE DE L'EFFORT D'INVESTISSEMENT EN FAVEUR DE L'IMMOBILIER PÉNITENTIAIRE

Le projet de loi de finances prévoit d'allouer aux dépenses d'investissement pour l'immobilier pénitentiaire 556 millions d'euros de crédits de paiement, soit un montant en hausse de 41,5 % par rapport à la loi de finances pour 2020 . Ces crédits sont principalement affectés à la poursuite du programme de construction de 15 000 nouvelles places de prison , qui comprend deux tranches : 7 000 places d'ici la fin de l'année 2022 ; puis 8 000 autres places pour lesquelles les procédures doivent être engagées dans les deux ans qui viennent pour une livraison au plus tard fin 2027.

A. UN PROGRAMME DE CONSTRUCTION RALENTI PAR LA CRISE SANITAIRE

La mise en oeuvre du programme « 15 000 » est confiée à l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ) qui disposera à cette fin de 340,5 millions d'euros en 2021. Ces crédits seront, pour l'essentiel, consacrés au financement des 7 000 premières places, axées sur l'ouverture de nouvelles maisons d'arrêt dans les grandes agglomérations, la création de 2 000 places au sein de structures d'accompagnement vers la sortie (SAS) destinées à favoriser la réinsertion, enfin l'expérimentation d'établissements tournés vers le travail (projet INSERRE).

Le rapporteur s'interroge sur la capacité de l'État à mener à bien cette première tranche de travaux dans les délais prévus . L'an dernier, la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) avait indiqué que des retards étaient imputables à la difficulté de trouver des terrains pour accueillir les nouveaux établissements pénitentiaires, la difficulté étant particulièrement aiguë pour les SAS qui ont vocation à être implantées en ville, à proximité des entreprises, des services publics et des réseaux de transport. Ce retard avait justifié un écart de 153 millions d'euros entre les crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2020 et la trajectoire prévue dans la loi de programmation 2018-2022.

En 2020, le confinement a interrompu provisoirement certains chantiers puis les entreprises ont dû s'approprier les protocoles sanitaires propres au secteur du BTP. Pour ces raisons, l'APIJ envisage seulement un achèvement de la première tranche de 7 000 places au cours du premier semestre 2023 .

La livraison de deux nouveaux établissements pénitentiaires est prévue en 2021, dont un en outre-mer.

Il est à noter que sont pris en compte, parmi les 7 000 places, des projets de construction ou de rénovation lancés avant 2017, tels que Paris-La Santé, Baumettes 2 ou Aix 2, ce qui permet opportunément à l'administration pénitentiaire d'indiquer que près de 2 000 places ont déjà été livrées . Un total de 654 places est actuellement en cours de réalisation, tandis que le marché a été notifié aux entreprises et que les études de conception sont en cours pour 3 450 places supplémentaires. L'an prochain, le centre pénitentiaire de Lutterbach , près de Mulhouse, doté de 520 places , devrait être achevé, de même que celui de Koné , en Nouvelle-Calédonie, qui dispose de 120 places .

Pour la deuxième tranche de 8 000 places, le lancement d'études techniques est prévu dans le courant de l'année 2021 pour les futurs établissements d'Alès, Angers, Chalons-en-Champagne, Melun, Pau et du Var. Une nouvelle vague d'opérations devra être lancée au cours de l'année 2022 en vue de la construction des derniers établissements.

B. L'INDISPENSABLE ENTRETIEN DU PARC PÉNITENTIAIRE

La dotation consacrée aux opérations d'entretien et de maintenance du parc immobilier existant, conduites par les services déconcentrés de l'administration pénitentiaire, s'élève à 110 millions d'euros , soit un montant en progression par rapport aux 101,8 millions prévus en 2020. Ce montant est susceptible d'être augmenté, en cours d'exercice budgétaire, par des redéploiements en fonction du rythme de progression des opérations de construction.

Ces opérations sont indispensables pour prévenir la détérioration prématurée de certains bâtiments ; à long terme, une insuffisance d'entretien rend nécessaire des travaux lourds et onéreux de rénovation, qui ont concerné récemment les établissements de Fleury-Mérogis et de Paris-La Santé. En 2021, l'APIJ prévoit d'élaborer les schémas directeurs de rénovation de deux établissements supplémentaires : Fresnes et Poissy.

C. LA SÉCURISATION DES ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES

Les moyens consacrés à la sécurisation des établissements pénitentiaires s'inscrivent également en augmentation : une dotation de 63,7 millions est prévue en 2021, après 58,1 millions en 2020, soit une hausse de près de 10 %.

Environ la moitié de cette somme (30,6 millions) est destinée à la poursuite du déploiement du système de brouillage des communications téléphoniques illicites . L'introduction de téléphones portables en détention permet parfois de maintenir une activité délinquante à distance, ce qui constitue un facteur d'insécurité majeur. En parallèle, l'ensemble des cellules, hormis dans les quartiers disciplinaires, sont progressivement équipées de téléphones fixes : ces lignes ne peuvent être jointes depuis l'extérieur mais permettent d'appeler des numéros préenregistrés, approuvés par la justice, afin de favoriser le maintien des liens entre les détenus et leur famille.

Le solde permet de financer les autres mesures de sécurisation, notamment la rénovation du système de vidéo-surveillance (à hauteur de 5,6 millions d'euros) et la lutte contre les drones malveillants (3,2 millions d'euros).

III. DES INVESTISSEMENTS NÉCESSAIRES POUR AMÉLIORER LES CONDITIONS DE DÉTENTION

La crise sanitaire a entraîné, au premier semestre de l'année 2020, une baisse historique du nombre de personnes détenues . Il est cependant vraisemblable que la population carcérale augmente à nouveau dans les prochains mois du fait de la reprise de l'activité des juridictions pénales. Il serait donc malvenu de renoncer à l'effort de construction et de rénovation de places de prison qui a été entrepris.

A. UNE BAISSE PROVISOIRE DE LA POPULATION CARCÉRALE LIÉE À LA CRISE SANITAIRE

Entre avril 2018 et mars 2020, le nombre de personnes détenues est resté supérieur à 70 000, alors que le nombre de places de prison est de l'ordre de 61 000. Il en a résulté une surpopulation carcérale chronique, avec un taux d'occupation particulièrement élevé dans les maisons d'arrêt (138 % au 1 er janvier 2020), ce qui a contraint plus de 1 600 détenus à dormir sur un matelas au sol.

Sous l'effet de la crise sanitaire, le nombre de détenus a considérablement baissé au cours du premier semestre de l'année : il n'était plus que de 58 695 au 1 er juillet (-16,9 %). Cette diminution s'explique, pour moitié, par la baisse de l'activité des juridictions pénales, et pour le solde par les mesures de libération anticipée qui ont concerné des détenus en fin de peine. Ces libérations avaient pour objectif de réduire la densité carcérale afin de diminuer le risque de transmission du virus en détention. En conséquence, le taux d'occupation est passé pour la première fois depuis plusieurs décennies sous la barre des 100 % (97 % au 1 er juillet 2020) .

Évolution de la population détenue
(sur trois ans)

Source : graphique réalisé à partir des statistiques mensuelles
de l'administration pénitentiaire

La reprise progressive de l'activité des juridictions à la sortie du confinement a cependant déjà entraîné une remontée de ce taux d'occupation, qui atteignait 106 % le 30 septembre 2020.

Sans être fermé à une réflexion sur la mise en place de mécanismes de régulation de la population carcérale, le rapporteur considère que le programme de construction de nouvelles places de prison conserve sa pertinence : face à la délinquance, nos concitoyens attendent des réponses fermes de la part des juridictions pénales et ils ne comprendraient pas que les décisions de ces juridictions soient subordonnées à des contraintes immobilières résultant d'un parc pénitentiaire sous-dimensionné.

L'administration pénitentiaire face à l'épidémie de covid

En ce qui concerne tout d'abord l'exécution du budget pour 2020 , la crise sanitaire a occasionné pour l'administration pénitentiaire un surcroît de dépenses à hauteur d'une vingtaine de millions d'euros. Ces dépenses supplémentaires ont notamment résulté des mesures sociales décidées au printemps en faveur des détenus (forfait téléphonique de 40 euros, augmentation de l'aide aux indigents, gratuité de la télévision), de prestations de nettoyage destinées à combattre le virus et de l'achat d'ordinateurs portables afin de faciliter le travail à distance du personnel pénitentiaire.

Mais la crise sanitaire a aussi permis de réaliser des économies, d'un montant équivalent : les loyers versés aux titulaires des marchés de gestion déléguée dépendent du nombre de personnes détenues et ont donc baissé à la faveur de la diminution de la population carcérale ; pour les établissements en gestion publique, des économies ont été réalisées sur les dépenses d'alimentation, minorées cependant par la hausse du prix de certaines denrées. La suspension des activités en détention ainsi que la fermeture de l'école nationale de l'administration pénitentiaire (ENAP) entre le 17 mars et le 25 mai 2020 ont également réduit les dépenses.

La reprise de l'épidémie au cours de l'automne concerne aussi les établissements pénitentiaires, même si le nombre de contaminations demeure à ce jour réduit.

A la date du 13 novembre 2020, on dénombrait ainsi 460 agents testés positifs à la covid-19, dont quatre étaient hospitalisés ; 972 agents étaient confinés, soit parce qu'ils avaient été testés positifs, soit parce qu'ils présentaient des symptômes sans avoir été testés, soit parce qu'ils étaient cas contacts.

Du côté des détenus, on dénombrait 166 personnes testées positives, dont seize hospitalisées, et 463 détenus confinés.

À la différence du confinement du printemps, les parloirs sont restés ouverts, à l'exception toutefois des parloirs familiaux et des unités de vie familiale dans lesquels la distanciation physique ne peut être garantie, et certaines activités compatibles avec la sécurité sanitaire ont été maintenues. Les détenus se sont par ailleurs vus attribuer un forfait téléphonique de 30 euros par mois afin de favoriser le maintien des liens familiaux.

L'exigence de conditions de détention dignes plaide également pour la construction de nouvelles places afin d'assurer au plus grand nombre de détenus un encellulement individuel.

B. L'EXIGENCE DE CONDITIONS DIGNES DE DÉTENTION

L'année 2020 a été marquée par plusieurs décisions de justice qui ont consacré l'obligation de garantir à tout détenu des conditions dignes de détention.

Le 30 janvier 2020, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a condamné la France en raison des conditions indignes de détention de trente-deux personnes incarcérées dans les établissements pénitentiaires de Fresnes, Nîmes, Nice, Ducos (Martinique), Baie-Mahault (Guadeloupe) et Faa'a Nuutania (Polynésie française). Elle a notamment recommandé à l'État de prendre des mesures visant à résorber la surpopulation carcérale.

Le 8 juillet 2020, la chambre criminelle de la Cour de cassation en a tiré les conséquences en énonçant qu'il appartient au juge judiciaire de faire vérifier les allégations de conditions indignes de détention formulées par un détenu sous réserve que celles-ci soient crédibles, précises, actuelles et personnelles . Puis le Conseil constitutionnel a décidé, le 2 octobre 2020, que le code de procédure pénale devait être modifié d'ici au 1 er mars 2021 afin de garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine afin qu'il y soit mis fin.

Sans qu'il s'agisse d'un critère exclusif, l'appréciation des conditions de détention tient compte de l'espace personnel dont dispose chaque détenu et de la salubrité des cellules. Assurer un encellulement individuel constituerait donc une importante avancée au regard de ces exigences jurisprudentielles. Au 1 er octobre 2020, le taux d'encellulement individuel s'élevait à 52 %, en progression de dix points par rapport à 2019 en raison de la baisse de la population carcérale.

Pour 2021, le programme annuel de performance envisage prudemment un taux d'encellulement individuel de 43 %. À plus long terme, la poursuite du programme de construction, combinée aux effets escomptés de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, censée réduire le recours aux courtes peines d'emprisonnement, devrait entraîner un relèvement de ce taux.

C. LE DÉVELOPPEMENT DES ALTERNATIVES À L'INCARCÉRATION

Le projet de budget prévoit enfin de financer des dispositifs d'aménagement de peine et des alternatives à l'incarcération, notamment le placement à l'extérieur (8 millions d'euros) et la surveillance électronique (31,5 millions d'euros).

Dans cette enveloppe, sont inclus 4,7 millions d'euros pour financer le déploiement du bracelet anti-rapprochement prévu par la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, cette dotation ayant vocation à être complétée par une contribution de 2,7 millions en provenance du fonds de transformation de l'action publique. Utilisé dans cinq juridictions (Pontoise, Bobigny, Douai, Aix-en-Provence et Angoulême) depuis le mois de septembre 2020 afin de mieux protéger les victimes de violences conjugales, ce bracelet sera généralisé en 2021 à l'ensemble du territoire. Grace à un dispositif de géolocalisation, il permet de prévenir la victime si le conjoint violent se rapproche tout en déclenchant une alerte dans un centre de surveillance.

Un moindre recours à l'incarcération suppose aussi de développer les peines de travail d'intérêt général (TIG), exécutées avec l'appui de l'Agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice (ATIGIP), ou le travail non rémunéré, mesure alternative aux poursuites qui peut être mise en oeuvre par les parquets. Dans cette perspective, 2 millions d'euros supplémentaires sont prévus afin d'augmenter le nombre de ces mesures.

*

* *

La commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire » inscrits au projet de loi de finances pour 2021.

Ces crédits seront examinés en séance publique le 4 décembre 2020.

EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 18 NOVEMBRE 2020

M. Alain Marc , rapporteur . - En 2021, les crédits du programme consacré à l'administration pénitentiaire représentent le premier poste de dépenses, soit 42%, de la mission « Justice », laquelle dépasse pour la première fois la barre des 10 milliards d'euros.

Les crédits alloués à l'administration pénitentiaire s'inscrivent en forte hausse par rapport à la loi de finances pour 2020, puisqu'ils progressent de 7,8 % et même de 9 % si l'on met de côté les crédits affecté au compte d'affectation spéciale Pensions. À titre de comparaison, la hausse des crédits avait été de seulement 5,6 % en 2020 et de 5,7 % en 2019. Cet effort budgétaire n'est cependant pas excessif compte tenu de l'importance des besoins en matière de personnel, d'entretien des locaux ou de construction de nouvelles places de prisons.

Le projet de budget va permettre de financer les deux priorités de l'administration pénitentiaire : l'augmentation des effectifs avec la création de plus d'un millier d'emplois et la poursuite du programme 15 000, qui vise à livrer 7 000 nouvelles places de prison d'ici à la fin de l'année 2022 et 8 000 autres à l'horizon 2027.

Concernant tout d'abord les créations d'emplois, trois cents vont servir à combler les vacances de postes constatées chez les surveillants pénitentiaires. Le métier de surveillant est peu attractif, ce qui explique que les recrutements soient parfois difficiles et que les vacances de postes demeurent nombreuses. La question de l'attractivité des métiers de la pénitentiaire est d'ailleurs un sujet sur lequel j'aimerais travailler dans les prochains mois. Trois cents agents supplémentaires vont renforcer les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP). Et plus de 400 créations de postes sont prévues pour constituer les équipes ayant vocation à travailler dans les futurs établissements pénitentiaires. L'attractivité du métier de surveillant pénitentiaire est un sujet qui nous importe car les auditions, cette année, comme l'année dernière ont révélé que le niveau de recrutement des derniers admis aux concours était parfois trop faible. Ce métier n'est donc pas très attractif et nous souhaiterions qu'il le devienne de façon à rehausser le niveau de ceux qui réussissent.

En parallèle, des mesures de revalorisation salariale vont occasionner un surcroît de dépenses de l'ordre de 29 millions d'euros. Certaines résultent de la mise en oeuvre d'accords conclus entre le ministère et les syndicats il y a quelques années, d'autres de mesures nouvelles qui entreront en application l'an prochain.

En ce qui concerne le programme immobilier, je vous rappelle que son objectif est d'abord de réduire la surpopulation carcérale, en construisant de nouvelles maisons d'arrêt, mais aussi de favoriser la réinsertion, en créant des structures d'accompagnement vers la sortie (SAS) et en expérimentant des établissements tournés vers le travail.

En 2021, 340 millions d'euros sont alloués à ce programme, essentiellement pour mener à bien les travaux de construction des 7 000 premières places. Je précise que ce programme de 7 000 places intègre en réalité des programmes engagés avant 2017, comme Paris-La Santé ou Baumettes II à Marseille, ce qui permet opportunément à l'administration pénitentiaire d'afficher que près de 2 000 places ont d'ores-et-déjà été livrées. Actuellement, un total de 654 places est en cours de réalisation, tandis que le marché a été notifié aux entreprises et que les études de conception sont en cours pour 3 450 places supplémentaires. L'an prochain, deux établissements devraient être livrés : le premier à Lutterbach, près de Mulhouse, comportera 520 places, et le deuxième, à Koné, en Nouvelle-Calédonie, qui en comptera 120.

Même si les opérations sont bien engagées, je doute que le calendrier initialement prévu puisse être tenu : l'an dernier, les travaux avaient pris du retard en raison de la difficulté de trouver des terrains pour accueillir les nouvelles constructions - il est vrai que les municipalités comme les riverains ne sont pas toujours enthousiasmés par l'idée d'accueillir un établissement pénitentiaire ; en 2020, les travaux ont été provisoirement interrompus par le premier confinement puis les entreprises ont dû s'habituer aux nouveaux protocoles sanitaires propres au secteur du BTP. Dans ce contexte, l'agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ), en charge du programme, estime que la première tranche de 7 000 places pourrait être livrée au cours du premier semestre 2023.

En complément du programme de construction, une enveloppe de 110 millions d'euros est affectée à l'entretien et à la maintenance des bâtiments, étant précisé que cette enveloppe pourra être abondée en cours d'exercice en fonction de l'avancement des travaux de construction. Je ne saurais trop insister sur l'importance d'un entretien régulier des bâtiments : un manque d'investissement rend nécessaire, à plus long terme, de coûteux travaux de rénovation, tels que ceux conduits par exemple à Fleury-Mérogis. En 2021, l'APIJ prévoit d'élaborer les schémas directeurs de rénovation de deux grands établissements d'Ile-de-France : Fresnes et Poissy.

L'année 2020 a été marquée, comme vous le savez, par une baisse historique de la population carcérale, ce qui conduit à s'interroger sur l'opportunité de poursuivre inchangé le programme de construction de nouvelles places de prison.

Au cours du premier semestre, le nombre de détenus a baissé de 16 % en raison de deux phénomènes liés à la crise sanitaire : d'une part, le ralentissement du fonctionnement des juridictions pénales a conduit à un nombre plus réduit de condamnations ; d'autre part, des mesures exceptionnelles de libération anticipée ont été décidées afin de réduire la densité carcérale. Au 1 er juillet, on ne comptait plus que 58 700 détenus, soit un taux d'occupation carcérale inférieur à 100 % pour la première fois depuis trente ans.

Je considère cependant que le programme de construction conserve sa pertinence pour deux raisons principales.

D'abord, on observe depuis quelques mois, avec la reprise de l'activité des juridictions, une remontée rapide du nombre de détenus : le taux d'occupation carcérale est passé de 97 % à 106 % entre le 1 er juillet et le 30 septembre 2020. La baisse observée au premier semestre était donc provisoire, et liée à la crise sanitaire.

Ensuite, l'administration pénitentiaire doit tenir compte de la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l'homme, de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel, relative à l'exigence de conditions dignes de détention.

Le 30 janvier 2020, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France en raison des conditions indignes de détention de 32 personnes incarcérées dans six établissements pénitentiaires en métropole et en outre-mer. Le 8 juillet 2020, la chambre criminelle de la Cour de cassation en a tiré les conséquences en énonçant qu'il appartient au juge judiciaire de faire vérifier les allégations de conditions indignes de détention formulées par un détenu, sous réserve que celles-ci soient crédibles, précises, actuelles et personnelles. J'ai interrogé hier le garde des sceaux sur l'opportunité d'élaborer un référentiel pour préciser si les conditions de détention sont dignes ou non. Il a bien sûr évoqué les matelas au sol mais j'imagine qu'il y aura d'autres éléments permettant de constater si les conditions de détention sont dignes ou bien indignes. Enfin, le Conseil constitutionnel a décidé, le 2 octobre dernier, que le code de procédure pénale devrait être modifié, d'ici au 1 er mars 2021, afin de garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, afin qu'il y soit mis fin.

Sans qu'il s'agisse d'un critère exclusif, l'appréciation des conditions de détention tient compte de l'espace personnel dont dispose chaque détenu. Assurer un encellulement individuel constituerait donc une importante avancée au regard de ces exigences jurisprudentielles. Au 1 er octobre, le taux d'encellulement individuel s'élevait à 52 %, en progression de dix points par rapport à 2019 en raison de la baisse de la population carcérale. À plus long terme, je crois indispensable de poursuivre le programme de construction de nouvelles places de prison si nous voulons faire augmenter significativement ce taux.

Il nous faut aussi, en parallèle, développer les alternatives à l'incarcération, comme le sursis probatoire, le travail d'intérêt général ou la surveillance électronique. Ces mesures alternatives ne sont pas négligées dans le projet de budget, avec notamment un accent mis sur la surveillance électronique afin de généraliser l'an prochain, sur l'ensemble du territoire, le bracelet anti-rapprochement, destiné à protéger les victimes de violences conjugales.

Je vous proposerai donc d'émettre cette année un avis favorable à l'adoption des crédits de l'administration pénitentiaire. Il faut convenir qu'un effort substantiel est réalisé tant sur les recrutements que sur l'immobilier. Cet effort est pleinement justifié par le retard accumulé et il devra être maintenu dans la durée si nous voulons réellement remettre à niveau notre service public pénitentiaire. Cet avis favorable serait donc un encouragement mâtiné de vigilance et d'une invitation à prolonger cette trajectoire au cours des prochaines années.

M. François-Noël Buffet , président . - L'objet de vos futurs travaux d'information, au titre de rapporteur de ces crédits, pourrait donc être l'attractivité des métiers de l'administration pénitentiaire ?

M. Alain Marc , rapporteur . - Oui, je crois important de travailler sur ce sujet car j'ai été frappé depuis que je travaille sur cet avis budgétaire par le faible niveau de certaines personnes recrutées. Or, pour recruter des personnes de meilleur niveau, il faut retrouver de l'attractivité. Il n'y a pas d'étude qui montrerait une corrélation entre le niveau de recrutement et les dérapages éventuels qui peuvent survenir dans les prisons, mais il me semble, pour avoir connu à titre personnel des surveillants pénitentiaires, que ce phénomène pose problème : il nous faut par conséquent nous saisir de cette question, analyser les causes de ce manque d'attractivité et réfléchir à des mesures de revalorisation.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - Lors de son audition, le garde des sceaux nous a indiqué hier qu'il était opposé à la privatisation d'un certain nombre de prestations, par exemple les escortes, piste envisagée dans le Livre blanc de la sécurité intérieure. Il s'agit là d'une prise de position importante à mes yeux.

J'aimerais ajouter que j'ai été surprise de la façon dont le garde des sceaux a semblé considérer que la notion de conditions indignes de détention était au fond assez subjective, sujette à appréciations, comme si finalement les choses n'étaient pas réellement établies.

M. François-Noël Buffet , président . - Je crois que l'idée de définir des critères afin d'objectiver cette réalité est essentielle.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits alloués par le programme « administration pénitentiaire » de la mission justice du projet de loi de finances pour 2021.

LISTE DES PERSONES ENTENDUES

Ministère de la justice, direction de l'administration pénitentiaire

M. Pierre Azzopardi , chef du service de l'administration

M. Romain Peray , chef du service des métiers

Agence publique pour l'immobilier de la justice

M. Sébastien Faure , directeur


* 1 Le compte rendu de cette réunion est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/lois.html

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