TRAVAUX EN COMMISSION
MARDI 10 NOVEMBRE 2020
M. Laurent Lafon , président . - Notre collègue Nathalie Delattre va nous présenter son avis sur l'adoption des crédits alloués à l'enseignement technique agricole au sein de la mission « Enseignement scolaire » du projet de loi de finances (PLF) pour 2021.
Mme Nathalie Delattre , rapporteure pour avis des crédits du programme 143 « Enseignement technique agricole » . - Je voudrais tout d'abord vous remercier de la confiance que vous m'avez accordée en me confiant la tâche de vous rapporter l'avis budgétaire sur l'enseignement technique agricole. Je remercie également les collègues de divers groupes qui ont participé à ces auditions.
L'enseignement agricole concerne près de 194 000 élèves et étudiants, de la quatrième aux études agricoles supérieures, contre 12 millions d'élèves dans l'éducation nationale. L'enseignement privé y joue un rôle important, puisqu'il accueille 60 % des élèves : 61 000 élèves dans les lycées publics agricoles ; 49 000 dans des établissements privés de temps plein ; 48 000 dans des établissements privés à rythmes appropriés, les maisons familiales rurales (MFR), notamment.
Le programme 143 « Enseignement technique agricole » est doté d'une enveloppe d'environ 1,5 milliard d'euros, sur les 76 milliards d'euros de la mission « Enseignement scolaire », soit 2 % des crédits de la mission. Si ce programme est en progression de 0,5 % par rapport à l'année dernière, il l'est uniquement au profit de deux lignes.
La première concerne une augmentation de 3,75 millions d'euros des montants alloués aux bourses et fonds sociaux. Si cette hausse est à saluer, nous pouvons toutefois noter qu'elle fait suite à la forte baisse de l'année dernière. Au final, le montant inscrit dans le PLF 2021 est équivalent à celui qui a été voté dans la loi de finances (LF) 2019.
La proportion de boursiers est plus importante dans l'enseignement agricole. Cette hausse des crédits doit notamment permettre de prendre en compte les difficultés financières que risquent de connaître un certain nombre de parents, en raison de la covid-19. La prime d'internat bénéficie également d'une revalorisation. Alors qu'elle était forfaitaire, elle est liée depuis cette rentrée à l'échelon de bourses de l'élève. L'une des spécificités de l'enseignement agricole réside dans le nombre important d'internes. Ainsi, près de 90 % des établissements d'enseignement agricole disposent d'un internat et 50 % des apprenants sont internes, cette proportion pouvant atteindre 80 % dans certains établissements.
La seconde concerne une augmentation de 2,62 millions d'euros, soit de 18 %, en faveur de l'école inclusive. À celle-ci s'ajoute 0,7 million d'euros pour la prise en charge d'emplois d'accompagnants des élèves en situation d'handicap (AESH), dont les contrats sont transformés en contrats à durée indéterminée (CDI). En deux ans, les crédits en faveur de l'école inclusive ont ainsi augmenté de plus de 5,6 millions d'euros.
Cependant, ce programme compte plusieurs écueils, notamment du fait d'arbitrages financiers perdus par le ministère de l'agriculture face à Bercy. Je vous les signalerai au fur et à mesure de l'exposé.
D'une manière générale, les personnes auditionnées ont fait part de leur vive inquiétude sur cette enveloppe, et plus généralement sur l'avenir de l'enseignement agricole. La crise de la covid-19, qui a fortement touché l'enseignement agricole, bien plus que l'éducation nationale, a amplifié ces craintes. Au moment où l'on parle de produire et de transformer autrement, et alors que la plus-value de l'enseignement agricole en termes d'insertion professionnelle, mais aussi sociale, est reconnue par tous, nous pouvons nous interroger sur les arbitrages malheureux de Bercy et les mauvais signaux ainsi envoyés à la filière agricole.
Premier écueil, la requalification et la revalorisation des agents de catégorie 3 de l'enseignement privé, annoncé en juillet 2019, semblent devoir rester des promesses non financées. Ces agents ont des fonctions d'enseignement. Sur la partie requalification, une divergence d'interprétation entre Bercy et le ministère de l'agriculture empêche le dossier d'avancer et se traduit par un décret qui n'est toujours pas finalisé pour devenir opérant.
Sur la partie revalorisation, une avancée a été faite par le Gouvernement, qui a déposé à l'Assemblée nationale un amendement au PLF 2021, permettant de faire un premier pas vers le changement de corps de référence. Toutefois, il est à noter que cette modification législative n'est pas accompagnée de crédits supplémentaires pour financer cette mesure. Il s'agit là du premier arbitrage défavorable, perdu par le ministère de l'agriculture face à Bercy.
Deuxième écueil, l'application stricte du schéma d'emplois pluriannuel 2018-2021, qui prévoit la suppression, à terme, de 300 équivalents temps plein (ETP).
En 2019, 50 ETP ont été supprimés, 60 ETP en 2020, et 80 ETP seront supprimés en 2021 et 110 en 2022. Les postes d'enseignants sont particulièrement touchés, puisqu'ils représentent, cette année, 58 des 80 ETP supprimés.
Le dialogue social est aujourd'hui très tendu. La situation est telle que, pour ouvrir une nouvelle filière dans un établissement, il faut en fermer une autre. Or, à côté de pratiques traditionnelles, de nouvelles formations sont nécessaires pour apprendre à produire et à transformer autrement. Mais surtout, si le schéma d'emploi continue à s'appliquer, des suppressions de classes sont à envisager à compter de la rentrée 2021, entraînant l'enseignement agricole dans un cercle vicieux : par l'absence de formations innovantes, la fermeture de classes entraîne un transfert des élèves potentiellement intéressés vers les formations proposées par l'éducation nationale, qui précipite une chute des effectifs dans l'enseignement agricole et donc la fermeture supplémentaire de classes.
Troisième écueil, des établissements fragilisés par la crise. Le groupe de travail du Sénat sur les conséquences de la crise de la covid-19 sur l'enseignement agricole, en juin 2020, piloté par notre ancien collègue Antoine Karam, pointait avec justesse les conséquences financières importantes de la crise de la covid-19 sur l'enseignement agricole.
Les auditions menées la semaine dernière confirment cette triste tendance. L'impact financier global à ce jour s'élève à 46,1 millions d'euros, les établissements publics étant les plus touchés. Le ministère a diligenté une enquête qui a permis d'identifier trois groupes d'établissements en difficulté financière plus ou moins grave : d'abord, les établissements dits P1, qui sont proches de la faillite et doivent impérativement être soutenus avant la fin de l'année 2020 au risque de fermer - 42 d'entre eux ont été identifiés en priorité absolue - ; ensuite, les établissements dits P2, qui rencontrent de graves difficultés et dont l'aide doit parvenir en début d'année 2021 - ils sont au nombre de 65 - ; et, enfin, les établissements dits P3 - ces 160 « petits » établissements disposent d'un budget faible et peuvent donc facilement basculer en raison des répercussions des crises sanitaire et économique.
Au total, un tiers des établissements d'enseignement agricole aurait besoin d'une aide financière du fait de la crise de la covid-19. Un certain nombre d'entre eux connaissaient déjà une situation financière fragile, que la crise sanitaire a renforcée.
Dans le cadre du quatrième projet de loi de finances rectificative (PLFR4), que devrait prochainement examiner le Parlement, le ministère de l'agriculture et de l'alimentation a chiffré le besoin à 11,74 millions d'euros, pour aider 42 établissements classés en P1. Au final, ce sont seulement 6 millions d'euros qui pourraient être ouverts pour soutenir les établissements. C'est le deuxième arbitrage que le ministère de l'agriculture a pour partie perdu face à Bercy.
En ce qui concerne les établissements P2 et P3, aucun crédit supplémentaire n'est pour l'instant porté à ma connaissance dans ce PLF. Le seront-ils par voie d'amendements ? Je n'ai reçu aucune assurance en ce sens.
Quatrième écueil, les spécificités de l'enseignement agricole sont mal prises en compte par Bercy, et plus généralement par les autres ministères, ce qui peut avoir un impact direct sur les budgets des structures, mais aussi sur le nombre d'élèves inscrits dans le cadre du programme 143.
Les difficultés financières de certains lycées agricoles publics sont la conséquence d'une mauvaise interprétation de Bercy. En effet, des centres de formation d'apprentis (CFA) et des centres de formation professionnelle et de promotion agricole (CFPPA) ayant recours à des agents de droit privé sont accolés à certains de ces établissements d'enseignement public. Alors que ces CFA et CFPPA interviennent dans un milieu concurrentiel, les agents de droit privé n'ont pas pu bénéficier des mesures de chômage partiel pendant le confinement, à la différence des CFA et CFPPA privés. En effet, Bercy a considéré que, étant lié à un lycée agricole public, l'ensemble avait le statut d'établissement public administratif, et n'était pas éligible aux mesures exceptionnelles de chômage partiel. Les établissements ont donc dû maintenir les salaires sur leurs fonds propres.
Un autre exemple se trouve dans la méconnaissance du rôle des MFR. En effet, au-delà de l'insertion professionnelle, celles-ci jouent un rôle d'insertion sociale auprès d'un public souvent en difficulté avec l'institution scolaire. Aussi, le ministère de l'agriculture souhaitait revaloriser le protocole le liant aux MFR pour être plus incitatif en termes d'effectifs d'élèves et primer cette excellence pédagogique. Il a demandé des moyens supplémentaires dans la perspective de la discussion du nouveau protocole des MFR avec l'Union nationale. Toutefois, cette demande n'a pas été acceptée. C'est le troisième arbitrage de Bercy en défaveur de l'enseignement agricole.
Or, je constate que la subvention versée par l'État, par élève dans un établissement d'enseignement agricole privé, est inférieure au coût unitaire de formation par élève (CUFE), tel que calculé dans le bleu budgétaire : il est de 9 970 euros, dans les établissements publics, de 7 605 euros dans les établissements privés de temps plein et de 4 556 euros dans les établissements à rythme approprié. Certes, il existe des spécificités, par exemple le recours à l'alternance dans les MFR, mais l'écart est important.
Aujourd'hui, l'enseignement agricole est concurrencé par des formations équivalentes ou proches, proposées par l'éducation nationale. Ainsi, sur un territoire, dans un rayon de 50 kilomètres, nous trouvons des filières similaires, où ni l'une ni l'autre ne font le plein d'élèves, et affaiblissent les classes concernées.
Les établissements d'enseignement agricole, dans le décompte des effectifs des apprenants, sont en concurrence avec l'apprentissage. Or les mesures fortes en faveur de l'apprentissage, avec une aide de 5 000 à 8 000 euros pour les entreprises, ont conduit un certain nombre de jeunes à choisir cette voie. Cela explique d'ailleurs en partie la baisse des effectifs, sur le papier, dans les MFR : un certain nombre d'apprenants le sont sous statut d'apprentis, et n'apparaissent plus comme élèves dans les chiffres du ministère.
Enfin, la désaffection des directeurs d'établissement d'enseignement agricole témoigne de la crise de l'enseignement agricole, dont pourtant tous les acteurs s'accordent pour louer sa grande qualité.
En effet, malgré une charte au 1 er janvier 2020 permettant aux directeurs d'établissement de disposer d'un statut d'emploi, nous constatons que, par défaut de candidats, 30 % des chefs d'établissement public sont des contractuels.
Tous ces signaux, qui ne sont plus faibles, mais deviennent forts, me conduisent à partager avec vous ma vive inquiétude sur la survie de l'enseignement agricole, tel que nous le connaissons aujourd'hui. Pourtant, cet enseignement connaît l'un des plus forts taux d'insertion professionnelle. Il me paraîtrait d'ailleurs important de pouvoir mener ici une mission d'information sur l'état actuel de l'enseignement agricole et sa capacité à muter pour répondre aux enjeux sociétaux et économiques à venir, tant pour la filière que pour assurer à la France résilience et sécurité sanitaire.
En attendant, et vous n'en serez pas étonnés, je vous propose d'émettre un avis défavorable sur le programme 143 présenté en l'état, afin de tirer la sonnette d'alarme et d'essayer ainsi de geler les baisses d'ETP prévues pour 2021, mais surtout d'obtenir les financements qui manquent actuellement à la revalorisation des agents de catégorie 3 et l'aide aux établissements classés P2 et P3.
En parallèle, une réflexion est en cours avec notre collègue Jacques Grosperrin, chargé de l'avis budgétaire des autres programmes de la mission « Enseignement scolaire », pour le dépôt d'un amendement au programme 143, visant à augmenter, si vous en êtes d'accord, les crédits alloués aux MFR, comme le souhaitait le ministère de l'agriculture.
M. Jacques Grosperrin . - Je vous félicite pour cet exposé brillant. Alors que nous célébrons le cinquantenaire de la disparition du général de Gaulle, je dirai, non pas « Europe, Europe, Europe », mais « Bercy, Bercy, Bercy » - et surtout pas : « merci, merci, merci. »
En effet, vous avez bien démontré les difficultés que nous rencontrons avec le ministère de l'économie et des finances qui ne sort pas de sa vision comptable, ce qui pose un vrai problème, non seulement pour l'éducation, mais pour beaucoup d'autres domaines.
L'enseignement agricole concerne près de 200 000 élèves, qui bénéficient d'un service extraordinaire.
Je ne reviendrai pas sur l'histoire de l'enseignement agricole, chacun ici la connaît, mais je soulignerai son intérêt, les méthodes pédagogiques, et la révolution copernicienne, où l'élève est remis au centre du système éducatif, notamment par le biais de l'internat. C'est pourquoi je regrette cette approche financière très mécanique de Bercy, qui l'emporte à chaque fois. Bien entendu, nous vous suivrons dans votre avis défavorable, notamment à une période où la crise de la covid-19 a marqué le paysage français, mais aussi européen et mondial.
À un moment où nous parlons de circuit court, vous avez parfaitement démontré la qualité de la formation de l'enseignement technique agricole. Nous marchons vraiment sur la tête, en allant à l'encontre de ce que nous pensons.
Les conséquences financières sont très lourdes pour l'enseignement technique agricole, bien plus que pour l'éducation nationale, avez-vous dit. Les pertes financières sont, en effet, estimées à 46,1 millions d'euros. Quelles en sont les causes ? Pourquoi les lycées agricoles publics sont-ils plus touchés que les autres ? Enfin, quelle est la répartition des lycées publics et privés, entre P1, P2 et P3 ?
Nous sommes tous convaincus de l'outil extraordinaire qu'est l'enseignement technique agricole en matière d'insertion pour les jeunes - vous avez évoqué l'insertion sociale par les MFR. Nous serons à vos côtés, car chaque département possède au moins une MFR, nous connaissons donc tous le travail qu'elles réalisent. Ce potentiel de l'enseignement agricole a-t-il été pris en compte par le plan de relance et les différentes mesures mises en place ?
Mme Céline Brulin . - Je remercie notre rapporteure, dont je salue la qualité du travail. Je me retrouve complètement, comme la majorité d'entre nous, me semble-t-il, dans ce rapport et la proposition d'émettre un avis défavorable sur les crédits de ce programme. Je fais miens les termes que vous avez utilisés : outre nos « vives inquiétudes », c'est bien « la survie » même de l'enseignement agricole qui est aujourd'hui remise en question.
Les débats à l'Assemblée nationale prouvent que ces inquiétudes sont très largement partagées par nos collègues députés. Nous assistons sans doute à une prise de conscience. La création d'une mission d'information me paraît pertinente, elle pourra ainsi être force de propositions.
L'enseignement agricole, déjà fragilisé, a été extrêmement ébranlé par la crise sanitaire. Je pense aux exploitations, qui ne sont plus accessibles, à l'injustice - c'est le terme approprié - concernant les personnels de droit privé qui n'ont pas bénéficié du chômage partiel, ou encore à la nécessité de dédoubler les classes, notamment pour des mesures de sécurité. Aujourd'hui, les moyens qui lui sont attribués ne lui permettent pas de mettre en oeuvre les réformes du baccalauréat et du lycée, promues par le Gouvernement. Les enseignants nous ont en effet expliqué que les triplettes de première et les doublettes de terminale ne pouvaient pas être proposées par les établissements.
Outre l'enjeu de l'enseignement agricole, n'oublions pas l'enjeu alimentaire - nous nourrir d'aliments de qualité est important - et celui de la transition écologique, que nous devons relever.
Concernant les MFR, si notre groupe est favorable à la présentation d'amendements, le Sénat s'honorerait - nous ne pouvons pas faire moins que l'Assemblée nationale - de réfléchir à d'autres propositions visant à abonder l'enseignement public agricole.
Mme Annick Billon . - Je vous remercie pour cet excellent rapport, rédigé à la suite des auditions organisées la semaine dernière.
Depuis plusieurs années, l'enseignement agricole est l'objet de déclarations d'amour, avec une volonté d'accueillir de plus en plus d'élèves. Or nous constatons, dans ce PLF, que les budgets proposés ne permettront pas d'accueillir 20 000 élèves supplémentaires sur l'ensemble du quinquennat, - objectif fixé par le ministère de l'agriculture - mais, au contraire, auront pour conséquences de fermer des classes et de supprimer des postes d'enseignants. Les conditions d'exercice se dégradent dans tous les établissements agricoles et la situation est extrêmement préoccupante pour les MFR. Lors d'une audition, nous avons appris que quatre MFR avaient été identifiées comme étant en grand péril et dix en très grande difficulté. Pourquoi toutes ces MFR n'ont-elles pas été classées en P1, alors qu'elles sont un maillon important de l'enseignement agricole ?
S'agissant des assistants d'éducation (AED), l'écart se creuse par rapport à ceux de l'éducation nationale. Pouvons-nous envisager une position commune en faveur d'une revalorisation de ces postes ?
Je partage, bien entendu, les conclusions de notre rapporteure.
M. Jacques-Bernard Magner . - Je félicite également notre rapporteure pour la présentation exhaustive de ce budget. Il était particulièrement important de souligner les différents écueils de l'enseignement agricole, notamment dans le contexte actuel.
Si le nouveau ministre a perdu beaucoup d'arbitrages face à Bercy concernant le programme 143, il en a aussi perdu face au ministère de l'éducation nationale, puisque les 80 ETP supprimés vont dans le sens d'une baisse d'effectifs redoutable dans l'enseignement agricole. Ainsi, nous revenons à la situation de 2007-2012, quand, par le biais de la révision générale des politiques publiques (RGPP), la baisse des effectifs dans l'enseignement - agricole et générale - était automatique.
Après une augmentation des effectifs et une déprécarisation des personnels, entre 2012 et 2017, on est en train de précariser à nouveau les personnels, puisque 300 ETP seront supprimés pendant le quinquennat - 80 cette année et 110 en 2021. Je ne comprends pas pourquoi nous maintenons un enseignement agricole public, si nous lui supprimons ses moyens.
Par ailleurs, le nombre important des MFR sur le territoire pose, en temps de crise, de réels problèmes. Des économies d'échelle pourraient être réalisées, notamment en évitant les doublons. Toutefois, il est important de soutenir ces structures, qui ont tout leur intérêt dans la formation des jeunes dans les secteurs ruraux, non seulement pour les métiers d'agriculture, mais aussi pour tous les métiers de service.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain souhaite donc faire part de son mécontentement face à cette nouvelle chute de l'enseignement agricole public, en espérant que les arbitrages ne sont pas terminés et que, grâce aux amendements et au débat en séance publique, de nouveaux moyens lui seront alloués.
Mme Nathalie Delattre , rapporteure . - Tout d'abord, je vous remercie de vos éloges.
Si les conséquences financières sont aujourd'hui aussi lourdes pour l'enseignement agricole, c'est parce que les fruits de nombreuses prestations de service qui lui sont normalement attribués n'ont pu l'être depuis le début de la crise sanitaire. Je pense aux ventes réalisées par les exploitations horticoles, qui n'ont pas pu se dérouler normalement, alors même qu'elles représentent un budget important pour les lycées ; aux centres de formation pour adultes ; ou encore à la location par les MFR, de leurs structures, l'été, au profit de colonies de vacances. Par ailleurs, les établissements ont dû procéder au remboursement des frais de leurs internes, absents du fait de la crise.
S'agissant des lycées publics, Bercy s'est tiré une balle dans le pied, puisque les établissements ont dû assurer le versement des salaires aux personnels des CFA et CFPPA, alors qu'aucun travail n'a été effectué.
En ce qui concerne l'impact financier, il est le suivant : 26,4 millions d'euros pour les établissements publics et environ 20 millions d'euros pour les établissements privés. Sachant que si 100 % des établissements publics ont fait remonter leurs chiffres à la Direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER), seuls 52 % des établissements privés l'ont fait. Nous ne sommes donc pas à l'abri d'une ardoise plus lourde pour ces établissements.
S'agissant de la situation des établissements P1, P2 et P3, 142 établissements publics sont en difficulté, sur 174. En outre, 13 % des établissements privés se sont déclarés en difficulté - mais tous les établissements agricoles privés ne se sont pas manifestés - et 24 % des MFR.
Des jeunes sont aidés dans le cadre du PLFR4, par le biais de l'apprentissage, avec le versement d'une somme pouvant aller de 5 000 à 8 000 euros par élève. Cependant, il ne s'agit pas de la même ligne budgétaire, ce n'est donc pas le programme 143 qui en a bénéficié. Au contraire, cette mesure a sorti des jeunes du programme, qui sont allés en apprentissage. Il s'agit cependant d'un effet d'aubaine pour les MFR, qui s'en sortent mieux grâce à cette aide.
Si nous obtenons, par un amendement, une aide pour les établissements P1, elle sera inscrite dans le projet de loi de finances rectificative.
Nous aurions pu imaginer que les MFR puissent bénéficier d'une contribution dans le cadre du dispositif « Un jeune, une solution », doté de 6,5 milliards d'euros, contenu dans le plan de relance. Nous pourrions demander à ce qu'ils puissent bénéficier de cette mesure.
Par ailleurs, le plan de relance consacre 10 millions d'euros à un plan de communication, dans la continuité de la campagne de promotion de l'enseignement agricole, intitulée « L'aventure du vivant ». Dans ce cadre, le ministère de l'agriculture a investi dans un camion qui devait traverser la France entière et faire des étapes dans les villes pour y accueillir et renseigner les parents et élèves sur l'enseignement agricole. Il a remporté un grand succès lors de ses premières haltes, de nombreux jeunes et de nombreuses familles s'étant déplacés. Cependant, cette tournée a été arrêtée en raison du reconfinement. En outre, les journées portes ouvertes ont été annulées. Je crains que ce plan de communication ne puisse jouer le rôle qui lui était assigné.
Il nous paraît dommage, alors que des moyens ont été alloués à un plan de communication, que des mesures qui nous paraissent indispensables telles que le recrutement d'enseignants ou d'encadrants - ou en tout cas leur maintien - n'aient pas été prises.
Madame Brulin, je vous remercie d'avoir pointé le problème du dédoublement des classes qui ne peut être effectué, le nombre d'enseignements proposés étant réduit. Par ailleurs, des cours ne peuvent être dispensés par classe entière. En effet, partir en forêt avec des tronçonneuses avec un groupe important pose des problèmes de sécurité - cela s'est déjà produit. L'enseignement agricole a besoin de fonctionner en petits groupes, ce que Bercy n'arrive pas à comprendre.
S'agissant de la réforme du baccalauréat, c'est là aussi une méconnaissance de ce qu'est l'enseignement agricole que de ne pas comprendre que les structures ont énormément de mal à entrer dans les cases de cet examen nouvelle mouture.
Si nous déposons un amendement sur les MFR, il serait intéressant d'en déposer un sur l'enseignement public agricole ; mais pour ce faire, il nous faudra trouver des crédits dans les autres programmes de la mission « enseignement scolaire » - nous n'avons pas le droit de procéder à des transferts de crédits entre missions.
Concernant les AED, leur revalorisation coûterait 1,7 million d'euros.
S'agissant des établissements prioritaires, trois MFR ont été identifiées en grande précarité, et inscrites à ce titre dans les priorités P1. Toutefois, je m'inquiète des financements car le ministre de l'agriculture demandait 11 millions d'euros ; seuls 6 millions ont été acceptés.
Lorsque nous avons interrogé le ministère de l'agriculture, nous avons senti une tension, s'agissant des MFR, même si l'excellence de leur pédagogie est reconnue. Il est difficile, pour la Girondine que je suis, d'entendre l'argument selon lequel une difficulté réside dans le fait qu'il y a autant d'associations que de MFR - je le soupçonne d'être atteint de jacobinisme. Oui, bien sûr, c'est toute l'histoire des MFR, qui sont au plus près de leur territoire. Le ministère souhaite les transformer en une grosse structure unique, notamment pour ne plus avoir à conventionner une multitude de MFR - avoir un interlocuteur unique. Il existe une fédération, mais il semble qu'elle n'ait pas la main sur toutes les problématiques. Je crains que la crise sanitaire ne serve de prétexte pour les faire entrer dans des cases.
Enfin, monsieur Magner, oui, les personnels sont à nouveau précarisés, des postes sont supprimés, au moment où les enjeux sont importants. Nous avons noté qu'il n'y avait que peu d'échanges au niveau régional entre la direction régionale de l'agriculture et de la forêt (DRAF) et le directeur académique des services de l'éducation nationale (DASEN) pour justement établir des cartes complémentaires d'enseignement, et éviter ce système concurrentiel.
M. Pierre Ouzoulias . - Je souhaiterais faire part de ma grande tristesse, à la présentation de votre rapport, madame Delattre. Nous sentons bien que c'est le diagnostic vital de l'enseignement agricole qui est engagé. Vous avez indiqué que le ministère avait investi dans un camion pour faire la promotion de l'enseignement agricole ; or aujourd'hui, c'est un corbillard qu'il faudrait ; nous en sommes là, malheureusement.
Voilà des années que le ministère de l'agriculture demande aux établissements d'enseignement agricole de trouver des fonds propres par la vente de produits. Un grand nombre de régions ont déjà instauré des mesures en ce sens, notamment en fournissant la restauration collective en légumes bio. Mais c'est cette activité qui les pénalise aujourd'hui. Les personnes concernées doivent vivre une forme de schizophrénie insupportable, puisque lorsqu'elles font des efforts, expressément demandés par Bercy, elles sont pénalisées. C'est scandaleux.
Le budget général de l'enseignement supérieur agricole n'a pas été doté de moyens supplémentaires. Or nous savons tous, ici, que, pour faire face au réchauffement climatique et aux enjeux environnementaux, il conviendra d'investir massivement dans la connaissance et l'apprentissage. L'éducation est le levier essentiel de cette transformation. Si le Gouvernement ne s'engage pas de façon forte sur cette question, nous serons en très grande difficulté à court et moyen termes.
Enfin, les lycées agricoles sont des outils d'aménagement du territoire extrêmement précieux. Par leur biais, les élus peuvent promouvoir des politiques novatrices, y compris en matière sociale.
Pour toutes ces raisons, nous devrons exprimer, dans l'hémicycle, notre attachement à l'enseignement agricole, afin qu'il ne disparaisse pas.
M. Max Brisson . - Je n'ai pas grand-chose à ajouter à ce qu'ont dit mes collègues. Je remercie Mme Delattre pour l'avis circonstancié, et défavorable, qu'elle a exprimé de manière à la fois politique et technique. Le groupe Les Républicains partage entièrement cet avis.
Je suis en colère, car cette filière de notre enseignement a toujours récupéré des élèves en grande difficulté. Elle a pu, par des pédagogies souvent innovantes, différenciées, raccrocher un certain nombre de jeunes. Il s'agit d'une filière - avec d'autres, bien sûr - qui est en marge de la grande maison Éducation nationale, mais chaque élève compte. D'ailleurs, le ministre le dit souvent : ces élèves comptent autant que ceux de l'enseignement général. Il s'agit souvent d'élèves issus d'un milieu défavorisé, d'élèves en échec scolaire qui retrouvent un chemin de réussite.
J'entends bien le discours du ministre de l'éducation nationale sur des parcours de réussite ; il en existe d'exemplaires dans l'enseignement agricole. Certains sont d'ailleurs devenus d'excellents sénateurs. Preuve que l'enseignement agricole, dans notre pays, a su participer à l'émancipation républicaine, à la promotion républicaine, à la méritocratie républicaine par une pédagogie adaptée à son public.
Il s'agit maintenant, pour reprendre l'expression de l'historien Peter Laslett, d'un monde que nous avons perdu, ou du moins, qui est en train de disparaître.
Je m'associe aux propos de tous les orateurs, et vous invite à être présents dans l'hémicycle le jour de la discussion du programme 143, pour manifester notre colère et notre volonté de préserver et de doter de moyens un enseignement qui a fait ses preuves.
M. Olivier Paccaud . - Je suis issu d'un département dans lequel un réseau de MFR a fait ses preuves et qui, comme vient très bien de l'exprimer Max Brisson, a su « remettre dans le droit chemin » des enfants laissés sur le bord de la route.
L'enseignement agricole est depuis longtemps le parent pauvre de l'éducation, mais aujourd'hui, il est en train de sortir des radars. Nous ne pouvons que nous en émouvoir.
J'insisterai sur la contradiction des discours ambiants gouvernementaux sur l'attachement au territoire ; la République, c'est avant tout l'égalité des chances. C'est la raison pour laquelle, il est profondément regrettable qu'une attention particulière n'est pas été portée aux MRF et à l'enseignement agricole dans le cadre du dispositif « Un jeune, une solution ». Je suis donc également défavorable à l'adoption des crédits qui nous sont proposés par le Gouvernement.
Mme Laure Darcos . - Bien évidemment, je souscris à tout ce qui a été dit. Madame la rapporteure, connaissez-vous l'impact de la crise sanitaire sur les jeunes des lycées agricoles, s'agissant notamment des stages ? Y a-t-il, dans les territoires, une souplesse de la part des préfets pour que les jeunes puissent effectuer leur stage dans les exploitations agricoles ou forestières ? Cette question me taraude depuis le premier confinement, la crise sanitaire étant pour eux une véritable punition.
Mme Nathalie Delattre , rapporteure. - Effectivement, nos établissements ont trouvé des solutions innovantes pour diversifier leurs recettes et répondre aux enjeux de demain, notamment avec les magasins mutualisés. Non seulement ils produisent autrement, mais transforment autrement. Or, plus ils innovent, moins ils sont aidés ; c'est une véritable double peine. Il est donc important, à travers notre avis, de souligner et d'encourager leurs efforts.
Situées dans les territoires les plus ruraux, les MFR sont au coeur de notre pays ; elles créent un écosystème. Leur disparition serait un non-sens, alors même que nous soutenons la ruralité par le biais de politiques publiques.
Concernant le dispositif « Un jeune, une solution », nous n'avons rien à perdre à tenter d'en faire bénéficier l'enseignement agricole.
Je tiens à remercier Max Brisson pour ses propos et son soutien.
Enfin, madame Darcos, la filière fait de gros efforts pour trouver un stage à ces jeunes et faire en sorte qu'ils subissent le moins possible la crise sanitaire.
Je rappellerai que 45 % des exploitants agricoles feront valoir leurs droits à la retraite d'ici à 2024, soit 215 000 exploitants. La filière a donc bien conscience qu'elle doit former et préparer la relève.
Mme Monique de Marco . - Je remercie Mme Delattre pour son rapport très clair et intéressant.
Le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires soutiendra l'avis émis, car, si nous voulons relever les enjeux de la transition écologique, il nous faut absolument soutenir l'enseignement agricole, qui, non seulement est ancré sur le territoire, mais a une pédagogie de projet auprès des enfants.
M. Laurent Lafon , président. - Madame la rapporteure, je vous remercie de votre investissement sur cette mission de l'enseignement agricole, un sujet auquel notre commission a toujours été très attachée. Les représentants de nos groupes politiques partagent l'inquiétude exprimée dans votre rapport et ont tenu à exprimer leur incompréhension devant les arbitrages réalisés.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme « Enseignement technique agricole » au sein de la mission « Enseignement scolaire » du projet de loi de finances pour 2021.