B. UN ÉPARPILLEMENT DES CRÉDITS DE PRÉVENTION ET DE SÉCURITÉ SANITAIRE, EN L'ABSENCE DE VISION STRATÉGIQUE

1. Un financement de plus en plus marginal des agences sanitaires par le budget de l'État

Depuis 2015, un mouvement de décroisement du financement des agences sanitaires a conduit au transfert de l'État vers l'assurance maladie du financement d'un grand nombre d'opérateurs et de programmes de la politique sanitaire. L a commission s'était opposée l'an dernier au transfert intégral 9 ( * ) du financement de Santé publique France vers l'assurance maladie alors que l'agence exerce, pour le compte de l'État, des missions d'importance vitale pour la nation en matière de sécurité sanitaire 10 ( * ) , dont le caractère régalien a été mis en lumière par la crise liée à la covid-19.

Alors qu'il captait près de 48 % des crédits du programme 204 en 2014, le financement des opérateurs du champ sanitaire en représente désormais moins du quart 11 ( * ) .

Le programme 204 ne contribue désormais plus qu'au financement de deux agences sanitaires :

- l' institut national du cancer (INCa), dont les moyens s'établissent à 40,52 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2021, en légère diminution par rapport à 2020 (41,27 millions d'euros) ;

- l' agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSéS), dont les crédits issus du ministère de la santé s'élèvent à 22,55 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2021, en légère augmentation par rapport à 2020 (21,9 millions d'euros) 12 ( * ) .

Le financement par l'assurance maladie autorise le Gouvernement à fixer le montant des dotations des opérateurs sanitaires par arrêté, sans possibilité pour le législateur d'en prendre connaissance lors de l'examen du PLFSS.

L'annexe 8 du projet de loi de financement de la sécurité sociale , à la différence des projets annuels de performances des projets de loi de finances, prive en effet le législateur de toute visibilité sur les subventions et emplois prévisionnels qui seront consentis l'année prochaine par l'assurance maladie aux opérateurs financés par l'objectif national de dépenses de l'assurance maladie (Ondam) .

Convaincue que la veille et la sécurité sanitaires constituent des missions régaliennes, la commission plaide pour le « rapatriement » sur le budget de l'État des crédits non seulement de Santé publique France mais également de l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) , qui exerce des missions de police sanitaire au nom de l'État, et de l'école des hautes études en santé publique (EHESP) , qui assure la formation des cadres de notre politique de santé publique, établissements qui n'ont pas vocation à être financés par l'assurance maladie.

En première lecture, le Sénat a introduit, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 , un article 6 bis A posant le principe d'une compensation par l'État du coût réel du transfert à la branche maladie de Santé publique France au titre de l'année 2020, selon des modalités définies en loi de finances.

2. Un effort de prévention résiduel, fragmenté, dépourvu de toute portée stratégique

Un document de politique transversale annexé au projet de loi de finances pour 2020 évaluait le montant total des crédits participant à la politique de prévention en santé inscrits sur le budget de l'État à 2,95 milliards d'euros en crédits de paiement, dont seulement un peu plus de 53 millions d'euros au titre du programme 204 de la mission « Santé ».

Les crédits de prévention inscrits sur le programme 204 ne représentent qu'1,8 % de l'effort budgétaire consenti par le budget de l'État à la prévention en santé.

L'annexe 7 au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 rappelle, pour sa part, que les dépenses de prévention institutionnelle supportées par l'assurance maladie se sont établies à 6,2 milliards d'euros en 2018 .

En tout état de cause, les dépenses de prévention en santé portées par le programme 204 ne représentent qu'une part minime de l'effort total de la nation dans ce domaine et n'obéissent à aucune cohérence stratégique. Elles sont ainsi fragmentées en une multitude de sous-actions avec des montants dépassant rarement le million d'euros. Les seules sous-actions envisagées pour un montant supérieur à un million d'euros sont ainsi :

- la prévention des addictions , pour un montant de trois millions d'euros, inchangé par rapport à 2020 mais en diminution de près de 31 % par rapport à 2016. Ces moyens restent résiduels par comparaison avec les ressources du fonds de lutte contre les addictions liées aux substances psychoactives 13 ( * ) qui devrait disposer, en 2021, de 130 millions d'euros 14 ( * ) (contre 116 millions d'euros en 2020 et 120 millions d'euros en 2019) ;

- la santé sexuelle , pour un montant de 4,8 millions d'euros, en très légère baisse par rapport à 2020, pour la prévention des infections sexuellement transmissible s. Deux amendements adoptés en première lecture à l'Assemblée nationale tendent à revaloriser pour un total de 110 000 euros 15 ( * ) les moyens consacrés aux actions en faveur de la santé sexuelle , notamment dans la lutte contre le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) ;

- la santé environnementale , pour un montant de 2,8 millions d'euros, en légère hausse par rapport à 2020, mais dont les crédits seront répartis entre une multitude de plans et d'instruments 16 ( * ) , avec un fort risque de saupoudrage ;

- la prévention de maladies chroniques , pour un montant d'1,1 million d'euros, inchangé par rapport à 2020, pour le financement d'actions diverses, notamment portées par des associations.

L'attrition du poids des agences sanitaires et l'émiettement des crédits de prévention dans le programme 204 posent la question de sa cohérence stratégique et, à terme, de son maintien dans l'architecture du budget de l'État.

Afin de mieux faire correspondre la maquette budgétaire avec les priorités stratégiques des politiques publiques, la commission appelle en conséquence à envisager :

- la création d'un programme dédié au financement des opérateurs sanitaires qui permettrait de rapatrier sur le budget de l'État les crédits des agences chargées de la sécurité et de la police sanitaires (Santé publique, ANSM) et de l'EHESP, aux côtés des subventions versées par l'État à l'INCa et à l'ANSéS. Ce programme pourrait être créé au sein de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » qui comporte déjà un programme 124 « Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative » ;

- le transfert des crédits gérés par l'administration centrale sur le programme 204 en matière de prévention en santé aux opérateurs intervenant dans ce domaine (Santé publique France, INCa, ANSéS...) et à l'assurance maladie, ainsi que le transfert des crédits dédiés aux comités de protection des personnes (CPP) à l'ANSM et des crédits de soutien à la recherche à l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ;

- le transfert des crédits de l'aide médicale de l'État (AME) à un programme dédié au sein de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

L'administration considère, pour sa part, essentiel de maintenir le programme 204 afin de lui permettre de disposer d'un support budgétaire l'autorisant à financer au nom de l'État d'éventuelles actions de sécurité sanitaire en cas de situation sanitaire exceptionnelle.

3. Un financement des comités de protection des personnes toujours insuffisant

4,1 millions d'euros seront consentis aux CPP , un montant inchangé par rapport à 2020 alors même que les CPP ont été soumis à une charge de travail intense pour accompagner l'effort de recherche clinique déployé pendant la crise sanitaire.

En dépit des promesses de la ministre des solidarités et de la santé fin 2018, 34 CPP sur 39 continuent de fonctionner avec seulement un ETP.

Avec un seul ETP, les CPP ne sont pas en capacité d'assurer la permanence administrative que requiert la gestion d'un flux croissant de dossiers, alimentée par le tirage au sort pour l'attribution de l'examen des projets de recherche. La commission se félicite néanmoins de l'introduction, dans le PLFSS pour 2021 17 ( * ) , d'une disposition tendant à élever le taux de la contribution sur le chiffre d'affaires des industries pharmaceutiques en vue d'en affecter le rendement supplémentaire 18 ( * ) au financement des CPP .


* 9 Le transfert du financement de ces deux agences vers l'assurance maladie a été permis par l'article 45 de la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020.

* 10 Dont l'équipement des professionnels de santé en matériel de protection face à une catastrophe sanitaire.

* 11 329,8 millions d'euros de crédits pour les opérateurs sanitaires (HAS, InVS, EHESP, INPES, INCa, ANSéS, Éprus, ABM, ANSM) sur 693,4 millions d'euros de crédits de paiement dans le projet de loi de finances pour 2014, soit 48 %, contre 63 millions d'euros (INCa et ANSéS) sur 260 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2021.

* 12 La subvention pour charges de service public de l'ANSéS (106,6 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2021) est éclatée entre six programmes, le financement de l'agence restant principalement assuré par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation au travers du programme 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation ».

* 13 Qui a absorbé en 2019 le fonds de lutte contre le tabac et est géré par la caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM).

* 14 Prévision de la convention d'objectifs et de gestion État-CNAM pour 2021.

* 15 Redéployés du programme 183 vers le programme 204.

* 16 Actions du futur plan national santé-environnement, du plan national pour la gestion du risque lié au radon, du plan d'action interministériel amiante, du prochain plan chlordécone, du plan eau dans les DOM...

* 17 Article 17 ter du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021.

* 18 Évalué à 3,2 millions d'euros en base 2019.

Page mise à jour le

Partager cette page