B. UN BUDGET INSUFFISANT AU REGARD DE L'ÉTAT DÉGRADÉ DES CONDITIONS DE TRAVAIL DES FORCES DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE

En raison d'un sous-investissement chronique, les équipements et moyens matériels des forces de l'ordre se sont profondément dégradés au fil du temps, mettant aujourd'hui en péril tant leur efficacité que leur sécurité.

Malgré les annonces, le projet de loi de finances pour 2019 n'apporte aucune réponse budgétaire satisfaisante à ces difficultés.

1. La formation en souffrance

En 2019, les crédits alloués au financement de la formation des forces de sécurité intérieure s'élèveront à 19,01 millions d'euros dans la police nationale et à 13,01 millions d'euros dans la gendarmerie nationale . Ces crédits sont destinés à couvrir le financement de la formation initiale et de la formation continue des fonctionnaires de police et des militaires de la gendarmerie.

Par rapport aux crédits adoptés en loi de finances initiale pour 2018, ces crédits sont en baisse de 15 % pour la police et stagnent pour la gendarmerie . Ils ont diminué, depuis 2017, de 23 % pour la police nationale et de 1,7 % pour la gendarmerie.

Alors même que le volume d'effectifs ne cesse d'augmenter au sein des deux forces, votre rapporteur s'interroge sur la capacité du ministère de l'intérieur à former les nouvelles recrues et, plus globalement, l'ensemble de ses forces, avec un budget moyen de formation par agent en baisse continue, notamment pour la police nationale.

Évolution du budget moyen de formation par agent (en euros)

Source : commission des lois du Sénat
sur la base des réponses aux questionnaires budgétaires

Cette évolution des dépenses de formation apparaît d'autant plus surprenante que le ministère envisage, dans le même temps, de densifier les modules de formation continue . Il est ainsi annoncé, pour 2019, la mise en place de formations spécifiques destinées à la prise en charge des outils numériques en déploiement (nouveau logiciel de rédaction des procédures pénales, logiciel de traitement des contraventions, etc. ), ainsi qu'au maniement des nouvelles armes dont les forces ont été équipées depuis 2017 (HK-G36 et HK-UMP). Des sessions de formation adaptée sont par ailleurs programmées afin d'accompagner la mise en place, dans les territoires, de la police de sécurité du quotidien.

À contrepied de cette orientation, votre rapporteur observe qu'eu égard au contexte sécuritaire dégradé et aux défis auxquels les forces de sécurité intérieure sont confrontées, la formation continue, jugée aujourd'hui largement insuffisante par les policiers et gendarmes, devrait constituer une priorité budgétaire . Dans son rapport publié en juin 2018, la commission d'enquête sénatoriale sur l'état des forces de sécurité intérieure, dont le rapporteur était notre collègue François Grosdidier, déplorait ainsi un réel déficit de formation, en dépit des constats alarmant dressés par plusieurs rapports d'inspection 14 ( * ) . En 2017, moins des deux tiers des agents actifs de la police nationale avaient par exemple effectué leurs séances réglementaires de tir. Par ailleurs, si des progrès en termes de formation continue peuvent être observés au sein de la gendarmerie, le nombre de stagiaires ayant progressé de près de 40 % entre 2013 et 2017, tel n'est pas le cas dans la police nationale, qui n'a connu, au cours des dernières années, aucune évolution majeure du nombre annuel d'agents formés, stabilisé aux deux tiers des personnels actifs.

Évolution du nombre d'agents de la police nationale
ayant suivi un stage de formation continue dans l'année

Source : Rapport fait au nom de la commission d'enquête sénatoriale
relative à l'état des forces de sécurité intérieure, juin 2018

2. L'équipement des forces de sécurité intérieure : des efforts qui doivent être maintenus dans la durée

Eu égard à l'état de la menace terroriste sur le territoire national, le ministère de l'intérieur a procédé, à compter de 2016, à une modernisation de l'armement et des équipements des forces de sécurité intérieure , grâce notamment aux crédits exceptionnels débloqués dans le cadre des plans de lutte contre le terrorisme et du plan pour la sécurité publique.

Dans une enquête récente réalisée à la demande de la commission des finances du Sénat, la Cour des comptes relève que les dépenses d'habillement, de moyens de protection, d'armes et de munitions ont fait l'objet d'un effort significatif entre 2012 et 2017.

Entendus par votre rapporteur, les syndicats représentatifs de la police nationale comme les associations professionnelles nationales de militaires ont confirmé que des progrès importants avaient été réalisés , en la matière, au cours des dernières années.

Évolution des dépenses d'équipement, en exécution, de la police et de la gendarmerie (crédits de paiement en millions d'euros)

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Variation 2012/2017

Armes et munitions

12,1

8,4

6,6

19,6

50,4

40,4

233,9 %

Habillement

52,8

68,2

54,3

52,4

67,9

78,2

48,1 %

Moyens de protection

2,2

6,7

3,74

24

74,2

82,7

3659,1 %

Total

67,1

83,3

64,64

96

192,5

201,3

200 %

Source : commission des lois du Sénat sur la base du rapport de la Cour des comptes relatif à l'équipement des forces de l'ordre (mai 2018)

En 2019, les crédits destinés à financer les équipements des forces de sécurité intérieure devraient connaître une légère baisse par rapport aux crédits adoptés en loi de finances initiale pour 2018.

Pour la police nationale, ils s'élèveront à 112,2 millions d'euros, soit une réduction de 1,52 % par rapport à 2018. La gendarmerie nationale devrait connaître la même évolution : le programme 152 voit ses crédits diminuer de 1,36 % par rapport à 2018, pour s'établir à 80 millions d'euros en crédits de paiement.

En comparaison avec l'exercice 2017, les crédits alloués à l'équipement seront en diminution de 8 % pour la police et de 11 % pour la gendarmerie nationale.

Entendus par votre rapporteur, le DGPN et le DGGN ont indiqué que le budget alloué en 2019 était suffisant pour poursuivre le renouvellement des dotations de fonctionnement courant des unités opérationnelles et couvrir les dépenses liées à l'acquisition de l'armement et des équipements de protection des nouvelles recrues ainsi que des réservistes (coût de « sac à dos »). Pour la police nationale, les crédits budgétés couvrent également une revalorisation des achats de munitions, ainsi que l'acquisition de matériels d'analyse, de détection et de contrôle.

Pour autant, votre rapporteur souligne qu'il est indispensable que l'effort réalisé au cours des dernières années en matière d'équipements soit maintenu dans le temps , de manière à garantir le renouvellement régulier des équipements acquis au titre des dotations exceptionnelles allouées entre 2015 et 2017.

À cet égard, il regrette, à l'instar de la Cour des comptes, qu'aucun critère de réforme n'ait été à ce jour défini pour les dotations d'équipement des forces de sécurité intérieure. La définition de tels critères apparaît pourtant indispensable pour assurer une programmation budgétaire adaptée aux besoins du terrain et se prémunir contre un vieillissement de l'équipement et de l'armement, qui ne manquerait de mettre en péril la sécurité des agents.

3. Un investissement insuffisant pour infléchir le vieillissement des moyens mobiles
a) Des parcs automobiles vieillissants, en dépit des efforts budgétaires engagés

En raison d'un sous-investissement chronique, les parcs automobiles de la police et de la gendarmerie nationales ont connu un vieillissement important au cours des dix dernières années.

Dans la police, l'âge moyen des véhicules légers est ainsi passé, entre le 1 er janvier 2012 et le 1 er janvier 2018, de 3 ans et 8 mois à 6 ans et 4 mois .

Évolution du parc automobile de la police nationale

Source : commission des lois du Sénat
sur la base des réponses aux questionnaires budgétaires

Le parc automobile de la gendarmerie a quant à lui vieilli d'un an entre 2015 et 2017 (de 7 ans et 4 mois à 8 ans et 2 mois). Son âge moyen s'établissait, au 1 er janvier 2018, à 7 ans et 4 mois .

Évolution des réformes et acquisitions de véhicules
par la gendarmerie nationale 15 ( * )

Nombre de véhicules réformés

Nombre de véhicules acquis

2012

-

385

2013

-

1 357

2014

-

1 444

2015

2 541

2 099

2016

2 178

3 030

2017

1 443

3 040

2018 (Prévisions)

556

1 742

Source : commission des lois du Sénat
sur la base des réponses aux questionnaires budgétaires

Eu égard à l'état des parcs automobiles et à ses conséquences opérationnelles sur le terrain, l'État a engagé un effort budgétaire conséquent à compter de 2015, qui s'est traduit, au sein des deux forces, par une augmentation des acquisitions de véhicules.

Cet investissement accru n'a, pour l'heure, pas permis de stabiliser l'âge moyen du parc automobile de la police, qui continue d'augmenter. Selon les informations communiquées à votre rapporteur, 8 320 véhicules légers, sur les 19 070 composant le parc de la police, sont maintenus en service alors même qu'ils remplissent les critères de réforme 16 ( * ) .

De même, dans la gendarmerie, en dépit d'un léger rajeunissement du parc, 507 véhicules ayant atteint les critères de réforme sont encore en circulation .

b) Une programmation financière qui demeure en-deçà des besoins

En 2019, les crédits d'investissement destinés à l'acquisition de moyens mobiles s'élèvent, pour la police, à 71,85 millions d'euros, soit une baisse de 5,8 % par rapport aux crédits annoncés lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018 . Il est prévu que ces crédits financent le remplacement de 3 000 véhicules légers ainsi que la poursuite du renouvellement des véhicules lourds du parc des compagnies républicaines de sécurité.

L'effort budgétaire engagé par la gendarmerie nationale devrait également se poursuivre en 2019, les crédits d'investissement alloués à l'acquisition de moyens mobiles s'élevant à 65 millions d'euros (+ 8,3 % par rapport aux crédits annoncés lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018), dont 61 millions d'euros pour l'acquisition de 2 800 véhicules légers. Il est par ailleurs prévu deux enveloppes de 2 millions d'euros chacune, l'une pour le renouvellement des moyens nautiques devenus obsolètes, l'autre pour engager le renouvellement des véhicules de maintien de l'ordre.

En dépit d'un effort maintenu, ces projections budgétaires se révèlent toutefois insuffisantes pour assurer une mise à niveau des parcs automobiles des deux forces.

Selon les informations communiquées à votre rapporteur, l'acquisition de 3 580 véhicules par an serait en effet nécessaire, au cours des cinq prochaines années, pour assurer un renouvellement du parc léger de la police nationale conforme aux critères de réforme tout en rattrapant le retard accumulé au cours des dernières années, objectif bien supérieur aux prévisions inscrites dans le projet de loi de finances pour 2019 .

De la même manière, il a été indiqué à votre rapporteur qu'en ne retenant que le critère lié à l'âge, l'acquisition de 3 000 véhicules par an était nécessaire pour assurer un renouvellement du parc léger de la gendarmerie tous les huit ans. Cette estimation ne tenant toutefois pas compte du sous-investissement des années passées, l'effort nécessaire pour assurer une réelle remise à niveau du parc mobile serait en réalité bien plus important, et en tout état de cause supérieur aux crédits alloués dans le projet de loi de finances pour 2019 .

Au demeurant, il peut être relevé que les prévisions budgétaires établies par le Gouvernement n'intègrent pas les besoins de remplacement de véhicules pouvant survenir avant même qu'ils n'aient atteint les critères de réforme . Or, comme l'ont indiqué plusieurs représentants syndicaux à votre rapporteur, les conditions d'usage d'un véhicule ont une influence certaine sur son état de fonctionnement et contribuent au vieillissement du parc. Il apparaît dès lors souhaitable, comme le recommande la Cour des comptes dans son rapport précité sur l'équipement des forces de l'ordre, que soit étudiée la possibilité d'étendre, à l'avenir, les critères de réforme au niveau d'usage effectif des véhicules.

4. Une réponse seulement partielle aux difficultés immobilières criantes de la police et de la gendarmerie

L'état des parcs immobiliers de la police et de la gendarmerie nationales constitue l'une des préoccupations majeures des forces de sécurité intérieure.

En raison d'une insuffisance budgétaire chronique, ceux-ci n'ont en effet cessé de se dégrader. L'état des logements des familles de gendarmes, qui, en moyenne, n'ont pas été rénovés depuis 45 ans, est, à ce titre, révélateur du déficit d'investissement de l'État en matière immobilière.

Les parcs immobiliers de la police et de la gendarmerie nationales

Principalement domanial, le parc immobilier de la police nationale inclut l'ensemble des bâtiments occupés par les services de police (commissariats, hôtels de police, cantonnements et casernements, etc. ) ainsi que certains locaux annexes (stands de tir, ateliers). Il est constitué de 1 866 sites, pour une superficie totale occupée de 3 millions de m 2 .

La gendarmerie nationale dispose d'un parc immobilier d'ampleur, composé de locaux administratifs et techniques, à usage professionnel, et de logements pour les familles de militaires. L'attribution d'un logement de fonction constitue en effet un élément essentiel du statut des militaires, conçu comme la contrepartie de l'obligation de disponibilité en tout temps et en tout lieu qui leur est faite.

Au 1 er juillet 2018, il comprenait 75 608 logements, répartis dans 3 775 casernes (664 domaniales et 3 111 locatives), 119 ensembles immobiliers locatifs et 9 623 prises à bail individuelles.

Face à ce constat déploré à tous les niveaux, le ministère de l'intérieur a initié, au cours des dernières années, dans le cadre de programmations triennales, un redressement des dotations allouées à l'entretien et aux opérations de réhabilitation immobilière .

Dans la police, les crédits d'investissement immobilier, qui se sont élevés, en moyenne, à 117,4 millions d'euros en autorisations d'engagement sur le quinquennat 2007-2012 et à 120,4 millions d'euros sur le quinquennat 2012-2017, ont atteint 153 millions d'euros en 2017 et 151,53 millions d'euros en 2018 (en autorisations d'engagement).

Eu égard au délabrement d'une partie de son parc de logements, un plan d'urgence a par ailleurs été débloqué au profit de la gendarmerie nationale pour la période 2015-2020 afin de ralentir la dégradation des immeubles. Entre 2015 et 2017, 70 millions d'euros annuels ont, dans ce cadre, été inscrits en lois de finances en vue de réhabiliter 13 000 logements. L'investissement a été supérieur en 2018, avec 105 millions d'euros de crédits en autorisations d'engagement consacrés à l'investissement immobilier.

Annoncée au mois de janvier 2018, la programmation immobilière 2018-2020 du ministère de l'intérieur poursuit l'effort engagé. Est programmé, sur le triennat, le lancement de 76 opérations immobilières nouvelles, dont 29 pour la police et 47 pour la gendarmerie . Pour la gendarmerie, il est prévu de procéder à la réhabilitation de 10 000 logements supplémentaires de gendarmes.

Ces annonces ne se traduisent toutefois par aucun effort significatif sur le plan budgétaire :

- pour la police nationale, de 165,47 millions d'euros en autorisations d'engagement, soit une très légère augmentation de 0,6 % par rapport aux chiffres annoncés au moment de la discussion du projet de loi de finances pour 2018 (164,44 millions d'euros en autorisations d'engagement) ;

- pour la gendarmerie nationale, de 105 millions d'euros en autorisations d'engagement, soit une stagnation par rapport aux chiffres annoncés au moment de la discussion du projet de loi de finances pour 2018.

Votre rapporteur s'inquiète par ailleurs, au vu des exécutions passées, que les crédits alloués à la police et à la gendarmerie soient conformes aux enveloppes annoncées. En effet, alors même que le Gouvernement avait annoncé, dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances pour 2018, un effort budgétaire significatif en faveur de l'immobilier, les crédits alloués aux opérations de réhabilitation immobilière ont fait les frais, dans le cadre de la répartition définitive des crédits des programmes 176 et 152, de l'application de mesures d'économies. Les crédits effectivement alloués se sont élevés à 151,5 millions d'euros en autorisations d'engagement pour la police et 101 millions d'euros en autorisations d'engagement pour la gendarmerie, soit des baisses respectives de 14,1 et de 4 millions d'euros par rapport aux montants annoncés dans le cadre de la discussion budgétaire au Parlement.

Au demeurant, force est de constater que cet investissement, certes conséquent, ne paraît pas à la hauteur des besoins réels de rénovation .

Une étude réalisée en 2016 par la direction générale de la police nationale a identifié, pour assurer une mise à niveau du parc domanial de la police, 80 grands projets immobiliers, pour un coût total estimé à 1,1 milliard d'euros. Avec un montant annuel d'investissement de 150 millions d'euros, la programmation immobilière 2018-2020 demeure, de l'avis de votre rapporteur, insuffisamment ambitieuse pour combler le retard accumulé dans le passé et enrayer la dégradation du parc.

La direction générale de la gendarmerie nationale estime quant à elle à 300 millions d'euros la dépense annuelle nécessaire pour assurer le maintien à niveau de son parc domanial , dont 200 millions d'euros pour couvrir des opérations de construction ou de réhabilitation et 100 millions d'euros pour la maintenance lourde. Les crédits d'investissement alloués par le projet de loi de finances pour 2019, de 105 millions d'euros, apparaissent dès lors largement inférieurs aux besoins .


* 14 Rapport de l'inspection générale de la police nationale relatif à la formation dans la police nationale, décembre 2015, et rapport de l'inspection générale de la gendarmerie nationale relatif à la formation continue en gendarmerie nationale, n° 991, 26 février 2016.

* 15 En raison d'une réforme informatique, les données relatives aux véhicules réformés avant 2015 n'ont pu être communiquées à votre commission.

* 16 La réforme des parcs automobiles de la police et de la gendarmerie repose sur deux critères alternatifs : le kilométrage et l'âge du véhicule. Dans la police, pour les véhicules légers, ces critères s'élèvent à 170 000 km et 8 ans. Pour la gendarmerie, ils sont de 200 000 km et 8 ans.

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