C. ADOPTER UNE POSITION PRAGMATIQUE SUR LES HABILITATIONS À LÉGIFÉRER PAR ORDONNANCES
Votre commission est traditionnellement réservée à l'égard de la tendance des gouvernements successifs à vouloir recourir à des ordonnances, en application de l'article 38 de la Constitution, pour réformer des pans entiers de notre droit, au prétexte que ces réformes seraient trop techniques ou que les services ne seraient pas prêts à déposer un projet de loi « en dur ».
À ces raisons, le Gouvernement ajoute souvent celle de l'urgence des réformes à engager. Or, le recours à l'ordonnance ne fait pas forcément gagner de temps. Si l'on prend l'exemple de l'ordonnance récente qui a réformé le droit des contrats, il s'est écoulé près de trois ans entre le moment où le Gouvernement a été habilité à engager cette réforme par ordonnance et l'adoption définitive des dispositions prises, par la ratification de l'ordonnance. L'examen du projet de loi de ratification, lui-même, a pris près d'un an 23 ( * ) . En comparaison, la réforme du droit des successions, seule réforme d'une dimension semblable à la refonte du droit des obligations, enseigne que l'examen parlementaire « classique » ne dure pas forcément plus longtemps. Il s'était en effet écoulé un an entre le dépôt du texte par le Gouvernement, le 29 juin 2005 et son adoption définitive le 13 juin 2006.
Outre ce doute sur l'efficacité du procédé, d'autres raisons justifient les réticences du Sénat à user de cette méthode et notamment le fait que la ratification prend souvent la forme d'un article noyé dans un projet de loi, voire même d'un simple amendement adopté au détour d'un texte, privant ainsi le Parlement de sa capacité d'examiner sérieusement les dispositions prises par ordonnance.
Par ailleurs, au stade de la ratification, l'office du législateur est souvent limité à la correction de quelques imperfections. Dès lors que l'ordonnance est entrée en vigueur, le Parlement ne dispose pas de la même latitude pour modifier les dispositions qui en sont issues, et, éventuellement, revenir sur certaines d'entre elles, pour des motifs tant juridiques que pratiques, sauf à transformer cette ordonnance en droit intermédiaire, au détriment de l'exigence légitime de stabilité du droit.
Pour autant, votre commission n'a pas proposé la suppression systématique de toutes les habilitations entrant dans son champ de compétence.
La seule suppression proposée par votre commission concerne une partie de l'habilitation prévue à l' article 58 du projet de loi, en lien avec les pouvoirs de police administrative des maires, car cette ordonnance relève d'un domaine trop sensible pour qu'il soit soustrait à l'examen du Parlement (amendement COM-242 précité) 24 ( * ) .
Quant aux autres habilitations, votre commission a précisé leur champ d'habilitation et leurs modalités de ratification et d'entrée en vigueur.
1. Préciser le champ de l'habilitation donnée au Gouvernement en ce qui concerne les liens de compatibilité entre SCoT et PLU.
L' article 13 du projet de loi a pour objet d'habiliter le Gouvernement à prendre diverses ordonnances, en lien avec les différents documents d'urbanisme afin, notamment, de faciliter leur articulation. Il est notamment prévu de réduire le nombre de documents qui sont actuellement opposables aux documents d'urbanisme, de modifier les conditions de l'opposabilité et, en conséquence, les règles applicables aux schémas de cohérence territoriale (SCoT) et aux schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET). Il est également prévu que les ordonnances puissent modifier le périmètre et le contenu des SCoT pour tirer les conséquences de la création du SRADDET et du transfert de la compétence en matière de plan local d'urbanisme aux établissements publics de coopération intercommunale.
Afin d'assurer la pérennité des documents d'urbanisme locaux, votre rapporteur pense qu'il est également souhaitable que les ordonnances à venir procèdent à une clarification de la définition du lien de compatibilité entre SCoT et PLU.
Votre commission a donc adopté l' amendement COM-221 de son rapporteur qui tend à préciser et encadrer l'habilitation donnée au Gouvernement à un triple titre :
- préciser le contenu des pièces du SCoT afin de rendre plus clair le lien de compatibilité entre ledit schéma et le plan local d'urbanisme ;
- prévoir que les obligations de compatibilité d'un PLU avec un SCoT ne concerneront que le document d'orientation et d'objectifs du SCoT, d'une part, et que le projet d'aménagement et de développement durable du PLU ainsi que les orientations d'aménagement et de programmation du PLU qui concernent l'ensemble du territoire couvert par ledit PLU ;
- prévoir que les autres pièces du PLU n'auront à être compatibles qu'avec le projet d'aménagement et de développement durable du PLU ainsi que les orientations d'aménagement et de programmation du PLU qui concernent l'ensemble du territoire couvert par ledit PLU.
2. Préciser les modalités de ratification et d'entrée en vigueur des ordonnances relatives au droit de la copropriété
S'agissant de la réforme par ordonnance du droit de la copropriété, votre commission a choisi de ne pas supprimer l'habilitation donnée au Gouvernement à l' article 60 , mais de s'inspirer de l'expérience récente de la ratification de l'ordonnance « droit des contrats », pour prévoir expressément que la ratification de l'ordonnance modifiant le fond de ce droit, prévue au II de l'article, devrait passer par l'examen du projet de loi déposé à cet effet ( amendement COM-244 ).
En effet, lors de la ratification de l'ordonnance « droit des contrats », le Gouvernement avait fait le choix de soumettre au Parlement un véritable projet de loi de ratification. Si, dans un premier temps, il s'est montré réticent à l'idée que les dispositions de l'ordonnance puissent être modifiées à cette occasion, il s'est finalement félicité du travail accompli à l'initiative du Sénat, celui-ci ayant permis de lever d'importantes incertitudes qui inquiétaient les praticiens, tout en respectant la philosophie générale du texte.
Par ailleurs, pour éviter que les modifications adoptées lors de l'examen du projet de loi de ratification n'aient pour conséquence la coexistence de trois droits différents (le droit de la copropriété antérieur à l'ordonnance, le droit de la copropriété en vigueur à compter de la publication de l'ordonnance et le droit de la copropriété faisant suite aux modifications des dispositions issues de l'ordonnance au moment de la ratification), votre commission a proposé, à l'initiative de son rapporteur, de différer l'entrée en vigueur des dispositions de fond modifiées par l'ordonnance, au jour de leur ratification par le Parlement (amendement COM-244 précité).
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Sous réserve de l'adoption de ses amendements, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption des articles du projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique dont elle s'est saisie pour avis.
* 23 L'article 8 de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures a habilité le Gouvernement à réformer le droit des contrats par ordonnance. L'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations est entrée en vigueur le 1 er octobre 2016. Le projet de loi tendant à la ratifier a ensuite été déposé au Sénat le 9 juin 2017 et le texte a été définitivement adopté le 11 avril 2018 puis promulgué le 20 avril (loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations).
* 24 Voir a) du A du II.