EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Votre commission des lois s'est saisie pour avis du projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN), déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 4 avril 2018 6 ( * ) et transmis au Sénat le 13 juin 2018.
Construire plus, plus vite et moins cher. Personne ne peut être en désaccord avec ce défi que le président de la République et le Gouvernement veulent relever, dans le contexte de crise du logement et de l'hébergement que traverse notre pays, jamais égalée ces dernières années, tant par son intensité que par son ampleur, puisqu'elle touche la totalité de notre territoire.
Plusieurs gouvernements ont tenté de combattre cette crise, avec plus ou moins de succès, à l'aide de lois cadres ou de programmation. Ceux qui y ont réussi partiellement le doivent souvent aux méthodes employées.
Ce fut le cas en 2005 avec la loi de cohésion sociale 7 ( * ) , qui utilisait simultanément les leviers des politiques de l'emploi, de l'égalité des chances et du logement pour restaurer la cohésion nationale, alors que la situation économique était tout aussi préoccupante qu'actuellement puisqu'il y avait 10,3 % de chômeurs. Malgré ce contexte défavorable, deux ans après la promulgation de la loi, le financement annuel du logement social avait été triplé et la construction de bâtiments neufs avait augmenté de 50 %, alors que parallèlement le taux de chômage s'établissait à 7,6 %.
Ce fut également le cas, en 2014, lorsque Mme Sylvia Pinel, alors ministre du logement, proposa des mesures pragmatiques de relance du logement 8 ( * ) , à l'issue d'une importante concertation avec les professionnels et les élus locaux.
Il n'y a donc pas de fatalité à la crise du logement.
Bien sûr les deux crises mondiales que nous avons traversées nous ont ramené à des étiages qui nécessitent des mesures fortes. C'est pourquoi, sous l'impulsion du président du Sénat, M. Gérard Larcher, en parfaite association avec M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires, le processus d'élaboration de ce texte a été enrichi par une démarche originale : la mise en débat de l'intégralité de l'avant-projet de loi, à travers une conférence de consensus sur le logement, associant parlementaires de toutes les sensibilités politiques, ministères, élus locaux et acteurs du logement.
À l'issue de ce cycle de concertation, le président du Sénat a mis en exergue deux axes forts devant guider les travaux du Parlement 9 ( * ) , qui rejoignent pleinement les préoccupations de votre commission et de son rapporteur :
- « la nécessité d'adopter une approche pragmatique, qui prenne mieux en compte les besoins, les spécificités et les contraintes des territoires, qui prenne mieux en compte les expériences des acteurs de terrain, et en particulier des maires » ;
- « l'urgence de simplifier [...] y compris [l] es nouveaux dispositifs envisagés par le Gouvernement, comme les grandes opérations d'urbanisme ou les projets partenariaux d'aménagement ».
Votre commission, sous l'impulsion de son rapporteur, s'est donc attachée à vérifier que les attentes exprimées lors de cette conférence étaient bien satisfaites par le projet de loi.
Or, premier constat, ce texte n'est pas une loi de décentralisation, puisque dès ses premiers articles, il propose de créer de nouveaux outils permettant de dessaisir le maire de ses prérogatives, notamment en matière de permis de construire, dans le cadre des grandes opérations d'urbanisme (GOU), dont l'utilité reste à démontrer après l'échec retentissant du précédent outil créé par la loi sur le même modèle : les opérations d'intérêt national (OIN).
D'autres articles du texte dénotent également une méfiance certaine du Gouvernement à l'égard des élus locaux, comme en témoignent les dispositions relatives à l'intervention du préfet à tous les niveaux de décision, au détriment du rôle du maire. S'opposant à cette tentative claire de recentralisation, votre commission, à l'initiative de son rapporteur, s'est employée à restaurer les missions essentielles du maire concernant l'utilisation et la régulation du droit du sol.
Deuxième constat, ce texte n'est pas non plus une loi de simplification. Initialement composé de 65 articles, le projet de loi soumis au Sénat en compte désormais 179. Ces articles créent de nouveaux outils, toujours plus complexes, qui s'ajoutent à ceux existants, alors même que toutes les potentialités de ces derniers n'ont pas été pleinement exploitées.
Quant à la mise en place d'un mécanisme autoritaire de regroupement et de financement des bailleurs sociaux, elle est particulièrement inquiétante, car guidée par des considérations financières plutôt que territoriales.
Troisième et dernier constat, ce texte ne s'attaque pas véritablement aux deux contraintes majeures qui font obstacle à l'augmentation de la construction dans le pays :
- la contrainte financière, résultant de lois de finances qui privilégient les zones tendues au détriment des autres territoires ;
- la contrainte urbanistique, qui découle des prescriptions environnementales toujours plus lourdes, lesquelles obèrent considérablement le faisceau des possibles pour l'avenir.
Le projet de loi examiné par le Sénat est structuré en plusieurs grands axes : construire plus, mieux et moins cher (titre I er ), évolutions du secteur du logement social (titre II), répondre aux besoins de chacun et favoriser la mixité sociale (titre III) et améliorer le cadre de vie (titre IV).
Malgré une saisine au périmètre très large, tenant au grand nombre de dispositions entrant dans son champ de compétence, votre commission a fait le choix, suivant son rapporteur, de concentrer son avis sur les mesures nécessitant une intervention de sa part, sans s'attarder sur celles qui n'appelaient aucun commentaire particulier. Ainsi, alors même que la saisine de votre commission concernait 71 articles, elle a décidé de ne présenter que 34 amendements.
Les apports de votre commission se veulent complémentaires de ceux de la commission des affaires économiques, saisie au fond du projet de loi, sous l'égide de sa rapporteure, notre collègue Dominique Estrosi-Sassone, ainsi que ceux de nos collègues Patrick Chaize, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.
Ils sont également inspirés par les travaux du groupe d'études « Mer et Littoral », présidé par notre collègue Michel Vaspart, et par ceux déjà réalisés par votre commission, sous l'autorité de son président, notre collègue Philippe Bas.
En conclusion, ce texte, qui comprend plusieurs avancées positives pour accélérer la construction, à travers notamment la lutte contre les recours abusifs, manque d'un ingrédient essentiel : la confiance dans les territoires et les élus locaux. C'est cette confiance que votre commission, sous l'impulsion de son rapporteur, propose de restaurer par le dépôt de plusieurs amendements.
I. LES ARTICLES DONT VOTRE COMMISSION S'EST SAISIE POUR AVIS
Entrent traditionnellement dans le champ de compétence de votre commission, au fond ou pour avis, les dispositions des projets et propositions de loi relevant du droit de l'urbanisme, relatives à la propriété et à la commande publiques, en matière de polices administratives ainsi que dans le domaine des relations contractuelles entre bailleurs et locataires ou au titre du droit de la copropriété.
Parmi les principales dispositions du texte dont votre commission s'est saisie pour avis 10 ( * ) , votre rapporteur tient à signaler :
- l' article 1 er , qui crée deux nouveaux outils, le projet partenarial d'aménagement (PPA) et la grande opération d'urbanisme (GOU), permettant aux acteurs publics locaux de travailler de concert pour la mise en oeuvre de projets d'aménagement d'envergure ;
- l' article 2, qui apporte des précisions sur le régime applicable aux opérations d'intérêt national (OIN) ;
- l' article 6, qui a pour objectif, d'une part, de faciliter la cession à l'amiable, par l'État, de son foncier à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ou au bénéfice de la réalisation d'une GOU, d'autre part, de simplifier le dispositif dit de « cession avec décote » ;
- l' article 9 , qui vise à faciliter la transformation de bureaux en logements en prévoyant notamment un « bonus de constructibilité » pour ces locaux ;
- l' article 11 , qui étend la procédure de réquisition de locaux vacants avec attributaire, pour permettre l'hébergement d'urgence de personnes sans abri ;
- l' article 13 , qui tend à habiliter le Gouvernement à prendre diverses ordonnances en lien avec les différents documents d'urbanisme afin, notamment, de faciliter leur articulation ;
- l' article 23 , qui a pour objet de renforcer la protection des locaux à usage d'habitation, dans le cadre d'opérations de contrôle de la conformité au code de l'urbanisme de travaux en cours ou achevés, en confiant la supervision de ces contrôles au juge des libertés et de la détention et en fixant notamment les horaires durant lesquels ils peuvent intervenir ;
- l' article 24 , qui modifie les procédures applicables devant le juge administratif pour rendre plus efficace le traitement du contentieux de l'urbanisme et lutter contre les recours abusifs, en prévoyant notamment la limitation des effets des annulations et des déclarations d'illégalité des documents d'urbanisme, l'extinction de la possibilité d'introduire une requête en référé suspension à l'encontre d'une autorisation d'urbanisme postérieurement à la « cristallisation » des moyens devant le juge saisi en premier ressort, ou l'extension des possibilités de régularisation des autorisations d'urbanisme pendant et à l'issue de l'instance. La procédure administrative contentieuse relevant du domaine réglementaire, ces dispositions seront complétées par un décret ;
- l' article 40 , qui propose une meilleure articulation des procédures de surendettement et d'expulsion locative, en prévoyant que le juge saisi d'une demande tendant à constater la résiliation de plein droit du contrat de location en raison d'une dette locative statue dans des conditions prenant en compte la procédure de surendettement engagée par le locataire, dès lors que celui-ci a repris le paiement du loyer et des charges au jour de l'audience ;
- l' article 46 , qui tend à porter de cinq à dix ans la durée pendant laquelle les logements sociaux vendus continuent à être comptabilisés dans le quota de logements sociaux que les communes doivent accueillir sur leur territoire en application de la loi n ° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi « SRU » ;
- les articles 56 quinquies à 56 sexies , qui renforcent l'arsenal pénal en matière de lutte contre les « marchands de sommeil » ;
- l' article 58 , qui tend à habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi destinée à améliorer et renforcer la lutte contre l'habitat indigne, en modifiant notamment les pouvoirs de police administrative générale et spéciale ;
- l' article 60 qui tend à habiliter le Gouvernement à codifier et réformer par ordonnance le droit de la copropriété.
L'ensemble des articles dont votre commission s'est saisie pour avis est présenté dans le tableau annexé au présent rapport.
* 6 Le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce texte le 4 avril 2018.
* 7 Loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale.
* 8 Loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015.
* 9 Le discours de clôture de la conférence de consensus sur le logement, prononcé par le président du Sénat, M. Gérard Larcher, le 8 février 2018, est consultable à l'adresse suivante : http://conferenceconsensuslogement.senat.fr/15/ .
* 10 Votre commission s'est saisie pour avis des articles suivants : 1 er à 5, 5 bis B à 5 septies , 6 à 9 bis , 11 à 14 bis A, 16 à 17 ter , 20, 23, 24, 28 septies , 34 ter , 40, 40 bis , 41, 41 bis , 46, 47 à 47 bis , 51, 53 bis , 56 bis , 56 quater à 56 sexies C, 56 sexies , 57, 58 à 59, 60, 63 quater et 64 bis .