B. L'INTÉGRATION DANS LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE, UNE POLITIQUE EN SOUFFRANCE
Dans le PLF pour 2018, 240 millions d'euros sont consacrés à l'immigration régulière et à l'intégration (AE=CP), soit une augmentation de 12,5 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2017 12 ( * ) .
Il s'agit toutefois de financer les nouvelles missions de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) et non de combler les lacunes des dispositifs d'intégration.
1. L'OFII, un acteur central dont la mission prioritaire n'est plus l'intégration mais la prise en charge des demandeurs d'asile
La subvention pour charges de service public de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) augmente de 5,56 % par rapport à la LFI pour 2017, pour atteindre 180,9 millions d'euros (AE=CP) .
Dans le même temps, le plafond d'emplois de l'office passe de 1 049 à 1 084 équivalents temps plein (ETP ), soit une hausse de 35 ETP pour un coût estimé à 3,5 millions d'euros.
D'après les informations recueillies par votre rapporteur, le Gouvernement souhaite que l'OFII recrute ces ETP supplémentaires via des contrats à durée déterminée (CDD) d'un an , ce qui complexifie la gestion RH de l'office et ne semble pas cohérent avec la volonté de renforcer durablement ses moyens.
L'Office français de l'immigration et de l'intégration Créé en 2009 pour remplacer l'Office national de l'immigration (ONI), l'OFII est un établissement public administratif de l'État placé sous la tutelle du ministère de l'intérieur. Il est chargé, « sur l'ensemble du territoire, du service public de l'accueil des étrangers titulaires, pour la première fois, d'un titre les autorisant à séjourner durablement en France » 13 ( * ) . L'office est notamment responsable de la mise en oeuvre du contrat d'intégration républicaine (CIR), du contrôle médical des étrangers admis au séjour, du regroupement familial et de l'accompagnement administratif des entreprises recrutant un salarié étranger. Il dispose d'une cinquantaine de directions territoriales réparties sur l'ensemble du territoire 14 ( * ) et est représenté dans huit pays étrangers 15 ( * ) . |
Depuis la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 16 ( * ) , l'OFII est devenu un acteur central de la prise en charge des demandeurs d'asile : il est chargé du premier accueil des demandeurs (77 400 personnes conseillées en 2016), de la gestion de l'allocation pour demandeurs d'asile (75 000 ménages bénéficiaires) et de la gestion du schéma national d'accueil des demandeurs d'asile 17 ( * ) .
Au 30 septembre 2017, près d'un tiers des effectifs de l'OFII (soit 326 ETP) se consacre au droit d'asile , dont 277 ETP affectés au premier accueil des demandeurs, 33 ETP membres de la direction de l'asile et 16 ETP dédiés à la gestion comptable de l'allocation pour demandeurs d'asile.
L'asile est devenu l'axe majeur de l'action de l'OFII, celui qui concentre les réflexions stratégiques et les nouveaux moyens alloués. Les missions de l'office changent de nature, ce qui semble fragiliser sa fonction historique d'intégration des étrangers primo-arrivants (voir infra) .
2. La réduction du périmètre des visites médicales des étrangers primo-arrivants, un enjeu majeur de santé publique
Historiquement, tous les étrangers sollicitant la délivrance d'une carte de séjour temporaire devaient passer une visite médicale auprès de l'Office national de l'immigration (ONI) puis, à compter de 2009, auprès de l'OFII .
Instituée après la Seconde Guerre mondiale pour contrôler les flux migratoires 18 ( * ) , cette visite médicale est devenue un instrument de santé publique et de lutte contre les maladies infectieuses .
Son contenu est précisément défini par un arrêté du 11 janvier 2006 19 ( * ) : il comprend un examen clinique général, une vérification du statut vaccinal, un examen radiographique des poumons (pour diagnostiquer les cas de tuberculose ) et, en fonction des antécédents de la personne, une mesure de la glycémie capillaire (pour les cas de diabète ) ainsi qu'un examen urinaire.
Le périmètre des visites médicales de l'OFII s'est drastiquement réduit ces dernières années . En sont désormais exclus :
- les étrangers sollicitant des cartes de séjour « artiste » , « chercheur » , « salarié en mission » et « passeport talents » , soit environ 7 500 personnes par an (depuis 2014) 20 ( * ) ;
- les étrangers auxquels un titre de séjour est accordé alors qu'ils sont en France depuis plus de six mois, soit environ 90 000 personnes (depuis 2016) ;
- les étudiants étrangers, soit environ 73 000 personnes (depuis la rentrée 2017) 21 ( * ) .
Aujourd'hui, seule une minorité d'étrangers primo-arrivants passent une visite médicale à l'OFII (étrangers admis au titre du regroupement familial ou pour travailler en France principalement). Le nombre de ces visites est passé de 211 949 en 2016 à 50 000 en 2017, soit une baisse de plus de 76 %.
Deux arguments ont été avancés pour justifier la réduction du périmètre des visites médicales de l'OFII.
Il s'agit, en premier lieu, de compenser le transfert d'une nouvelle compétence à l'office : l'instruction des dossiers des « étrangers malades » sollicitant la délivrance d'un titre de séjour pour ce motif 22 ( * ) (6 835 personnes admises au séjour en 2016, pour un stock total de 34 558 personnes).
L'OFII dispose, en second lieu, d'un nombre insuffisant de médecins (75 praticiens vacataires en 2017, répartis sur l'ensemble du territoire national). Pour lutter contre cette pénurie de médecins, il est d'ailleurs envisagé de permettre aux praticiens de l'OFII d' exercer jusqu'à 73 ans 23 ( * ) .
Votre rapporteur déplore que la réduction du périmètre des visites médicales de l'OFII ait été réalisée au détriment des enjeux de santé publique, notamment en ce qui concerne les étudiants étrangers .
Théoriquement, le « suivi sanitaire préventif » de ces derniers relève désormais des établissements d'enseignement supérieur 24 ( * ) et, plus précisément, des services interuniversitaires de médecine préventive et de promotion de la santé (SIUMPPS) . Les étudiants étrangers se voient appliquer le droit commun de la médecine préventive universitaire : ils sont convoqués, comme les autres étudiants, à un « examen préventif intégrant une dimension médicale, psychologique et sociale au cours des trois premières années d'études dans l'enseignement supérieur » 25 ( * ) .
Dans les faits, la situation est bien plus préoccupante, l'État n'ayant pas suffisamment organisé le transfert du suivi médical des étudiants étrangers vers les SIUMPPS .
D'un point de vue pratique, tout d'abord, rien n'oblige les étudiants étrangers à se rendre aux convocations des SIUMPPS . Les ressources humaines de ces services sont d'ailleurs aussi contraintes que celles de l'OFII : les établissements d'enseignement supérieur ne comptent qu'environ 150 médecins sur l'ensemble du territoire (soit un ou deux praticiens par établissement).
Les universités rencontrent également des difficultés à recenser les étudiants étrangers qu'elles accueillent : l'OFII refuse désormais de leur communiquer la liste des titres de séjour accordés, alors que les services « relations internationales » et médicaux des facultés ne sont pas suffisamment coordonnés.
D'un point de vue médical ensuite, l'examen préventif réalisé par les services interuniversitaires de médecine préventive et de promotion de la santé est beaucoup moins poussé que celui de l'OFII, notamment en matière de détection de la tuberculose. À l'inverse, les médecins de l'office disposent d'une meilleure connaissance des pathologies des populations migrantes et d'un équipement leur permettant de procéder aux examens radiographiques des poumons.
D'un point de vue financier , enfin, les visites médicales de l'OFII coûtent en moyenne 40 euros. Elles sont assurées à partir d'une taxe payée par l'ensemble des étrangers primo-arrivants et qui s'élève, pour les étudiants, à 60 euros 26 ( * ) .
Le coût du transfert du suivi sanitaire des étudiants étrangers de l'OFII vers les établissements d'enseignement supérieur est ainsi évalué à 2,92 millions d'euros annuels 27 ( * ) . Cette somme n'a toutefois pas été transférée aux universités, l'OFII continuant de percevoir l'intégralité de la taxe payée par les étudiants étrangers primo-arrivants .
Aussi, les étudiants étrangers ne font-ils plus l'objet d'un suivi médical sérieux et coordonné, alors que les enjeux en matière de santé publique restent fondamentaux .
Selon la Conférence des présidents d'université (CPU), deux étudiants étrangers sont morts de tuberculose en 2016. La CPU estime que, chaque année, entre 160 et 320 cas de tuberculose sont constatés dans l'enseignement supérieur, dont la moitié serait des cas de tuberculose active. Or, en moyenne, une personne atteinte d'une tuberculose active en contamine quatre autres.
3. Le contrat d'intégration républicaine, une réforme peu concluante
La loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 28 ( * ) a revu les dispositifs d'intégration des étrangers dans la société française en créant le contrat d'intégration républicaine (CIR) . Il remplace le contrat d'accueil et d'intégration (CAI) avec l'objectif de proposer un accompagnement personnalisé aux étrangers primo-arrivants et d'être mieux articulé avec la délivrance du titre de séjour.
Le contrat d'intégration républicaine (CIR) Prescrit aux étrangers primo-arrivants sur le fondement de l'article L. 311-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), le contrat d'intégration républicaine comprend trois volets : 1° un entretien personnalisé permettant d'orienter l'étranger dans ses démarches administratives et d'évaluer son niveau linguistique ; 2° une formation linguistique déclinée en trois parcours distincts (50, 100 ou 200 heures) en fonction du niveau initial de l'étranger. Cette formation doit permettre à chaque participant d'atteindre le niveau A1 du cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) 29 ( * ) , niveau qui correspond à l'usage et à la compréhension de quelques expressions familières et quotidiennes ; 3° une formation civique qui se déroule sur deux journées. La première journée est consacrée aux « valeurs et institutions de la République française ». La seconde, intitulée « Vivre et accéder à l'emploi en France », est plus opérationnelle et traite de l'accès au logement, à la santé et aux droits. La délivrance d'une carte de séjour pluriannuelle de quatre ans est conditionnée à une participation sérieuse et assidue aux formations du contrat d'intégration républicaine (article L. 313-17 du CESEDA). Dans la même logique, la délivrance d'une carte de résident d'une durée de cinq ans est subordonnée à l'obtention du niveau de langue A2, niveau qui permet de communiquer pour des tâches simples et habituelles ne demandant qu'un échange réduit d'informations (article L. 314-2 du CESEDA) 30 ( * ) . |
Entre le 1 er juillet 2016 et le 30 juin 2017, 101 448 contrats d'intégration républicaine (CIR) ont été conclus (avec une formation linguistique prescrite dans 55,6 % des cas) pour un coût de 56,4 millions d'euros 31 ( * ) . Le PLF pour 2018 prévoit d'abonder ces crédits à hauteur de 5,1 millions d'euros pour que l'OFII puisse prescrire 20 % d'heures de formation linguistique supplémentaires aux stagiaires n'ayant pas obtenu le niveau A1 à la fin de leur formation.
Votre rapporteur constate que la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 n'a pas eu les effets escomptés et s'interroge sur l'efficacité du dispositif . Comme l'a indiqué notre collègue Roger Karoutchi, la formation civique demeure trop scolaire, « sa densité (est) bien trop importante et (son) contenu éloigné des préoccupations des migrants ». De même, le parcours moyen de la formation linguistique « s'élève aujourd'hui à 148 heures, alors qu'il atteignait en moyenne 240 heures en 2012 » 32 ( * ) .
Ainsi, à l'issue de la formation linguistique du contrat d'intégration républicaine, seuls 61,4 % des stagiaires ont acquis le niveau A1, 26,9 % ne l'ont acquis que partiellement et 11,7 % ne l'ont pas du tout acquis . La situation est particulièrement préoccupante pour les publics les plus éloignés de la langue française et se voyant prescrire le maximum de 200 heures de formation : moins de la moitié d'entre eux (43,28 %) ont obtenu le niveau A1, 37,25 % ne l'ont obtenu que partiellement et 19,48 % ne l'ont pas du tout obtenu.
Dès lors, sans un changement de méthode et un renforcement conséquent des moyens, la politique d'intégration se trouve dans une impasse. Les objectifs du projet annuel de performance (65 % des signataires du CIR acquérant le niveau A1 en 2018 et 75 % en 2020) semblent d'ailleurs hors d'atteinte .
* 12 Budgétairement, ces fonds sont répartis entre une action du programme 303 (« Circulation des étrangers et politique ») et quatre actions du programme 104 (« Accueil des étrangers primo-arrivants », « Actions d'intégration des étrangers en situation régulière », « Accès à la nationalité française », « Accompagnement du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants » ).
* 13 Article L. 5223-1 du code du travail.
* 14 En prenant en compte la fermeture de huit sites au 31 août 2016 (Pau, Bourg-en-Bresse, Valence, Saint-Étienne, Avignon, Toulon, Nîmes et Chambéry) dans un objectif de rationalisation administrative.
* 15 Maroc, Tunisie, Turquie, Roumanie, Mali, Sénégal, Cameroun et Arménie.
* 16 Loi relative à la réforme du droit d'asile.
* 17 Source : Rapport d'activité 2016 de l'OFII, consultable à l'adresse suivante :
http://www.ofii.fr/IMG/pdf/OFII_RA_2016_PAGES.pdf .
* 18 Décret n° 46-1574 du 30 juin 1946 réglementant les conditions d'entrée et de séjour en France des étrangers.
* 19 Arrêté relatif à la visite médicale des étrangers autorisés à séjourner en France.
* 20 Décret n° 2014-921 du 18 août 2014 modifiant diverses dispositions relatives au droit au séjour et au travail des étrangers.
* 21 Article 5 de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.
* 22 Article L. 313-11 (11°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
* 23 Le Gouvernement a obtenu une habilitation à légiférer par ordonnance sur ce point (article 3 de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social). Cette ordonnance est en cours de rédaction.
* 24 Article L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
* 25 Article D. 714-21 du code de l'éducation.
* 26 Article D. 311-18-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
* 27 Estimation obtenue en multipliant le coût moyen de la visite médicale de l'OFII (40 euros) par le nombre d'étudiants primo-arrivants accueillis chaque année (environ 73 000 personnes).
* 28 Loi relative au droit des étrangers en France.
* 29 Sur une échelle allant de A1.1 (pour les connaissances les plus rudimentaires de la langue) à C2 (pour les connaissances les plus poussées).
* 30 Créée par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 précitée, la carte de séjour pluriannuelle peut être délivrée au terme d'une première année de séjour en France pour une durée de quatre ans renouvelables. La carte de résident peut être octroyée après cinq ans de séjour régulier en France, pour une durée de dix ans renouvelables.
* 31 Source : réponses au questionnaire budgétaire. Les étrangers dispensés de formation linguistique avaient atteint le niveau A1 avant leur arrivée en France.
* 32 Rapport n° 660 (2016-2017) fait au nom de la commission des finances du Sénat sur la mise en oeuvre de la réforme de la formation linguistique et civique des étrangers primo-arrivants, p. 27 et 31. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/r16-660/r16-6601.pdf .