EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 22 novembre 2017, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 146 « Équipement des forces » de la mission « Défense » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2018.

M. Cédric Perrin, rapporteur . - Le projet de budget de la défense pour 2018 intervient à un moment « charnière », entre la fin de la programmation militaire actuelle et celle qui est en préparation. C'est le dernier avant la prochaine loi de programmation militaire (LPM).

Ce budget se présente au premier abord, suivant les termes de la ministre des armées, comme « un budget de remontée en puissance ». C'est vrai : tous les indicateurs semblent orientés à la hausse.

Ce budget doit s'élever l'année prochaine à 34,4 milliards d'euros en crédits de paiement, toutes ressources incluses (notamment les recettes de cessions), hors pensions : c'est une augmentation de 1,7 milliard par rapport à la prévision initiale pour 2017. C'est aussi 1,7 milliard de plus que dans la prévision pour 2018 de la LPM actualisée en 2015. L'effort de défense nationale passerait ainsi de 1,77 % du PIB cette année à 1,82 % l'an prochain.

La mission « Défense » elle-même, avec 34,2 milliards d'euros, enregistre une hausse de 1,76 milliard. Sans donner le détail des chiffres, je signalerai notamment que les efforts d'investissement et d'équipement sont en nette augmentation, en particulier dans le programme 146 d'équipement des forces ; ainsi se trouve assurée, a priori, la poursuite des programmes d'armement prévus par la LPM.

Les autres rapporteurs pourront signaler les efforts, réels, prévus en faveur du soutien à l'innovation, du rehaussement de l'activité touchant à la préparation opérationnelle, des recrutements - recrutements qui doivent donner lieu à une augmentation nette des effectifs de 500 équivalents temps plein, l'année prochaine ; les efforts pour la protection des hommes et des emprises, pour l'entretien des infrastructures ; ou encore le début de l'application du plan « familles et conditions de vie des militaires », présenté à la fin du mois dernier.

Néanmoins, à l'analyse, la hausse budgétaire se révèle comme un « trompe-l'oeil » : 90 % de l'augmentation prévue pour la mission « Défense » sont en fait consommés d'avance.

En effet, d'abord, cette augmentation sera en partie absorbée par l'aggravation du report de charges, à hauteur de 420 millions d'euros, qui résulte des mesures prises par le ministère des armées pour faire face à l'annulation de crédits intervenue en juillet dernier - une annulation, je le rappelle, de 850 millions d'euros, intégralement pris sur le programme 146 ; j'y reviendrai.

De plus, la hausse prévue sera entamée de 200 millions d'euros par la première étape d'un « resoclage » budgétaire des dépenses d'opérations extérieures décidé par le Gouvernement. La provision pour surcoûts d'OPEX sera ainsi de 650 millions l'an prochain, et non de 450 comme c'était le cas depuis 2014, conformément à la LPM. En pratique, à cet égard, le Gouvernement procède à un transfert de charge, de l'interministériel vers le ministère de la défense, puisque, jusqu'à présent, les surcoûts d'OPEX qui excédaient les 450 millions prévus en loi de finances initiale étaient pris en charge par la solidarité interministérielle, comme le prévoyait la LPM.

D'autre part, près d'un milliard d'euros - 996 millions exactement - sont requis en 2018 pour le financement de mesures arrêtées en 2016 qui n'avaient pas été inscrites, de fait, dans la LPM actualisée en 2015 - il s'agit de recrutements, d'amélioration des conditions du personnel, d'acquisition d'équipements pour la force opérationnelle terrestre... On doit certes donner acte au Gouvernement actuel de trouver une issue à cette « impasse » budgétaire du précédent Gouvernement, mais la situation réduit fortement l'intérêt de la hausse budgétaire affichée pour l'an prochain.

De la sorte, le projet de loi de finances pour 2018 stabilise les moyens de la défense davantage qu'il ne les accroît.

En outre, il faut souligner que les conditions d'entrée dans la gestion de ce budget 2018 restent subordonnées à la régulation de la fin de l'exercice 2017.

Sont en cause, en premier lieu, les surcoûts nets d'opérations extérieures et intérieures encore à couvrir aujourd'hui : ils représentent un montant de 365 millions d'euros, le reste ayant déjà fait l'objet d'ouverture de crédits en cours d'année. En ce domaine, un équilibre satisfaisant a été trouvé par le projet de loi de finances rectificative de fin d'année, déposé la semaine dernière à l'Assemblée nationale, et le projet de décret d'avance qui lui est associé. En effet, comme le Général Lecointre, chef d'état-major des armées, l'a indiqué devant notre commission la semaine dernière, le financement sera réalisé par la solidarité ministérielle à hauteur de 313 millions, et la couverture du solde (52 millions) sera assurée grâce à l'excédent de crédits de masse salariale du ministère des armées.

Aucune annulation de crédits n'est prévu, dans ce projet de collectif budgétaire, sur les programmes de la mission « Défense ». Il faut s'en féliciter ; mais il convient encore de s'assurer qu'aucun ré-arbitrage de dernière minute ne vienne remettre en cause ce schéma !

Cependant, 700 millions d'euros de crédits se trouvent encore « gelés » sur le programme 146, à titre de réserve de précaution. La situation interdit à la DGA l'exécution normale de ses paiements. Dans la mesure où ces crédits ne sont pas annulés dans le projet de collectif budgétaire, on peut raisonnablement penser qu'ils finiront par être débloqués. Souhaitons-le ! La ministre des armées semble confiante. Mais quand le « dégel » interviendra-t-il ? La décision semble à la main de Bercy.

Déjà, sous les hypothèses les plus favorables incluant ce « dégel » des 700 millions avant la fin de l'année, le report de charges de la mission « Défense », de l'exercice 2017 sur l'exercice 2018, pourrait atteindre un niveau historiquement élevé : au moins 3,5 milliards d'euros. C'est dire l'importance des risques d'entrave auxquels se trouve exposée la remontée en puissance annoncée par le Gouvernement...

La situation est d'autant plus préoccupante que l'exécution du budget 2018 conditionnera l'entrée dans la prochaine période de programmation militaire, à compter de 2019. Je laisserai à Hélène Conway-Mouret le soin de présenter en détail cet aspect.

En ce qui touche plus spécifiquement l'équipement des forces, je voudrais d'abord dire un mot des conséquences de l'annulation des 850 millions d'euros décidée en juillet dernier sur le programme 146.

Pour faire face à cette annulation, le ministère des armées a dû mobiliser la trésorerie de certaines organisations internationales - l'OCCAr, notamment -, auxquelles il ne versera pas cette année les contributions françaises initialement prévues.

Le ministère a dû, également, renégocier certains contrats avec l'industrie. Ces renégociations portent sur les études du standard F4 du Rafale, la première tranche conditionnelle de rénovation des Mirage 2000D, et la chaîne logistique des frégates de taille intermédiaire.

Surtout, le décalage de plusieurs livraisons d'équipements a été organisé. Cela concerne le pod de détection de missile des Rafale Marine, les radars des avions légers de surveillance et de reconnaissance, la charge utile de renseignement d'origine électromagnétique des drones Reaper, certains tourelleaux des véhicules blindés multi-rôles lourds Griffon, ainsi qu'un hélicoptère de manoeuvre Caracal. Les décalages sont de l'ordre de quelques mois, sans incidence a priori sur la protection des soldats ni sur le fonctionnement des entreprises concernées, mais ils entraînent quand même un retard pour les armées.

Pour ce qui concerne 2018, le programme 146 est doté de 10,4 milliards d'euros en crédits de paiement et 13,7 milliards d'euros en autorisation d'engagement, toutes ressources incluses. Par rapport à la prévision initiale pour 2017, c'est une augmentation de 2 % des crédits de paiement et de 35 % des autorisations d'engagement - une hausse remarquable. Néanmoins, il faudra d'emblée que le programme couvre son report de charges issu de l'exécution 2017. Ce report est attendu à environ 1,7 milliard d'euros, sous les meilleures hypothèses, notamment le dégel des 700 millions d'euros que j'évoquais tout à l'heure. Ce niveau de report serait constant, comparé au report constaté fin 2016.

L'année 2018 sera marquée par de nombreuses livraisons et commandes d'équipements, structurantes pour nos forces. Nous ne citerons pas tout de ce qui pourrait constituer une « liste à la Prévert » ! Je me concentrerai pour ma part sur deux sujets ; Hélène Conway-Mouret complètera mon propos.

Premièrement, le programme Scorpion. Dans ce cadre, les trois premiers véhicules blindés multi-rôles (VBMR) lourds Griffon seront livrés l'année prochaine, qui donnera également lieu à la commande de 50 chars Leclerc rénovés et de 20 nouveaux VBMR Griffon. Je rappelle que les 319 premiers Griffon et les 20 premiers engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC) Jaguar (qui seront livrés à partir de 2020) ont été commandés au mois d'avril dernier.

Ce programme répond à un besoin prioritaire : les véhicules de l'armée de terre engagés en opérations ne sont réellement protégés, actuellement, qu'à 40 %. En particulier, les VAB, conçus dans les années 1970, ne sont plus au niveau des exigences actuelles en la matière et, sur-sollicités, usés, ils ne sont pas disponibles pour plus de la moitié du parc.

Aussi, nous préconisons l'accélération, autant que possible, du calendrier visant les véhicules du programme Scorpion, en particulier les VBMR Griffon. Je souscris en effet au raisonnement d'optimisation économique et opérationnelle du Général Bosser, chef d'état-major de l'armée de terre : pour un coût similaire, mieux vaut accélérer l'arrivée du Griffon dans les forces que de chercher à reconstruire des VAB dont le niveau de protection, l'action tactique et l'autonomie sont bien inférieurs ! À titre indicatif, la rénovation complète d'un VAB représente un coût de l'ordre de 1,4 million d'euros, et l'acquisition d'un Griffon un coût de 1,5 million.

Les entreprises concernées nous ont confirmé qu'au plan industriel, une accélération des cadences de production des Griffon serait possible à compter de 2020. Cette accélération doit donc être inscrite dans la trajectoire capacitaire associée à la prochaine LPM.

Deuxième point à signaler : deux nouveaux avions de transport A400M seront livrés l'année prochaine.

Je rappelle que, du fait des difficultés annoncées par Airbus au début de l'année 2015, sur 15 avions devant avoir été livrés à l'armée de l'air d'ici à 2019 (dont onze actuellement en service, deux d'ici la fin de l'année 2017 et, donc, deux autres en 2018), huit appareils seront au standard initial, essentiellement logistique. En effet, le plan d'action industriel prévoit la livraison progressive, jusqu'en 2020, des capacités tactiques attendues, c'est-à-dire l'extraction de charges lourdes par la rampe arrière, le parachutage simultané par les portes latérales, l'autoprotection contre des missiles sol-air à très courte portée, le ravitaillement en vol d'hélicoptères et l'atterrissage sur terrain sommaire. Les premiers A400M dotés de capacités tactiques minimales (aérolargage, autoprotection, atterrissage sur terrain sommaire) sont livrés depuis 2016.

Le Général Lanata, chef d'état-major de l'armée de l'air, nous l'a assez clairement dit lors de son audition : l'A400M sera un bon appareil lorsque l'on aura corrigé ses erreurs de jeunesse, mais il faut qu'Airbus travaille pour qu'il atteigne ses capacités opérationnelles ! Airbus en est bien conscient. On a le sentiment, en effet, que les choses s'améliorent.

Incidemment, je mentionne que le premier avion-ravitailleur MRTT sera livré l'année prochaine, tandis que seront commandés les trois derniers des 12 MRTT prévus par la LPM 2014-2019. Compte tenu de l'enjeu majeur qui est en cause, notamment pour les forces nucléaires, la question d'une accélération du calendrier des livraisons des MRTT se pose. L'industriel serait en capacité d'y procéder à partir de 2021. Le choix devra être arrêté dans la prochaine LPM.

Pour le reste, je vais laisser la parole à Hélène Conway-Mouret. D'ores et déjà, j'émets une appréciation positive sur les crédits inscrits au programme 146 dans le PLF 2018 et j'indique que le vote des crédits de la mission « Défense » dans son ensemble me paraît envisageable si - et seulement si - le Gouvernement annonce un dégel effectif des 700 millions d'euros encore bloqués pour 2017. Nous pourrions donc donner sur le projet de budget pour l'année prochaine un avis favorable sous la condition expresse de ce dégel.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure . - On ne peut pas évoquer le budget de la défense prévu pour 2018, le dernier avant la prochaine LPM, sans se projeter, déjà, dans cette future programmation militaire.

La future LPM se trouve d'ores et déjà contrainte par la trajectoire fixée par le projet de loi de programmation des finances publiques, texte adopté en première lecture par le Sénat le 9 novembre dernier, et qui attend à présent la réunion d'une CMP.

Ce projet de loi décrit pour la mission « Défense » une progression a priori significative : hors pensions, après la hausse de 1,76 milliard d'euros prévue pour 2018, ce seraient 1,7 milliard supplémentaire en 2018 puis à nouveau en 2019. Et la ministre des armées a précisé que l'augmentation se poursuivrait au même rythme jusqu'en 2022. Entre 2018 et 2022, 190 milliards d'euros seraient ainsi consacrés à la défense.

Cette programmation financière s'inscrit dans l'objectif d'affecter l'équivalent de 2 % du PIB à la défense en 2025, suivant un engagement du Président de la République pendant la campagne de son élection.

On peut certes se féliciter d'une orientation positive pour l'ensemble de notre outil de défense. Mais on doit aussi rappeler que notre commission, dans son rapport d'information sur les moyens de la défense, au printemps dernier, avait évalué les besoins d'accroissement des moyens des armées, pour faire face à leurs missions, à 2 milliards d'euros par an, dès 2018. Cette trajectoire devait permettre de régénérer, dans un premier temps, les forces conventionnelles, avant de moderniser, dans un second temps, les forces nucléaires. Ce qu'annonce aujourd'hui le Gouvernement s'avère sensiblement en-deçà, en termes de montants comme de calendrier.

En outre, en prévoyant que les crédits de la mission « Défense » soient portés à 41 milliards d'euros en 2022, la programmation envisagée reporterait à la prochaine législature, et concentrerait sur trois années, de 2023 à 2025, plus de la moitié de l'effort à accomplir pour atteindre, à l'horizon fixé, un budget représentant 2 % du PIB, c'est-à-dire 50 milliard d'euros. Le doute semble permis quant à la soutenabilité d'une hausse si rapide, prévue en fin de période !

Par ailleurs, deux séries d'éléments paraissent dès à présent risquer de contrarier, peu ou prou, l'effort annoncé.

Les premières difficultés tiennent au financement des surcoûts d'opérations.

D'une part, comme l'a signalé Cédric Perrin, le Gouvernement a décidé un « resoclage » budgétaire des surcoûts d'OPEX. La mesure serait progressive : la provision pour OPEX, fixée à 450 millions d'euros depuis 2014 conformément à la LPM, passera à 650 millions l'année prochaine puis augmenterait encore de 200 millions en 2019 et de 250 millions en 2020, pour atteindre alors 1,1 milliard d'euros.

De fait, les surcoûts d'OPEX réels n'ont jamais été inférieurs, depuis 2013, à 1,1 milliard d'euros. Au nom du principe de sincérité budgétaire, la Cour des comptes, notamment, avait préconisé une inscription de crédits pour OPEX en loi de finances initiale qui soit, à tout le moins, plus réaliste.

Cependant, il s'agit en pratique d'un transfert de la charge d'OPEX, de l'interministériel vers le ministère de la défense, dans la mesure où, jusqu'à présent, les surcoûts d'OPEX dépassant la provision initiale de 450 millions étaient pris en charge par la solidarité interministérielle, comme le prévoyait la LPM. Donc, à périmètre « 2017 » constant, et toutes choses égales par ailleurs, la hausse de la mission « Défense » figurant dans le projet de loi de programmation des finances publiques doit être ramenée à 1,5 milliard d'euros en 2018 et en 2019, et à 1,45 milliard en 2020. On peut s'interroger sur la suffisance de cette programmation budgétaire, au regard des besoins des armées. Et on peut redouter, par conséquent, les impasses financières auxquelles risque de se trouver acculée la LPM en préparation...

D'ailleurs, la trajectoire sur laquelle le Président de la République s'était engagé pour affecter à la défense 2 % du PIB en 2025 avait été tracée, de façon expresse, « hors surcoûts OPEX » : ce n'est pas le cas dans la programmation actuelle du Gouvernement.

Au demeurant, nous souscrivons aux propos du Général Lecointre, chef d'état-major des armées : dans le financement de ces surcoûts, le maintien d'un complément interministériel est important pour montrer que ce ne sont pas les armées qui décident de leurs engagements.

D'autre part, une relative incertitude pèse sur les modalités de financement, à l'avenir, des surcoûts d'opérations intérieures.

Je rappelle que la LPM actuelle ne comporte pas, pour ces OPINT, des dispositions équivalentes à celles qui visent les OPEX ; l'initiative que notre commission avait prise en ce sens, en 2015, n'a pas prospérée à l'Assemblée nationale. Les régulations budgétaires de fin 2015 et fin 2016, certes, ont établi un précédent favorable pour la défense, en assurant la couverture des surcoûts d'OPINT par la solidarité interministérielle, comme tend à le faire, à nouveau, le projet de collectif de la fin 2017. Mais, en dehors de cette pratique répétée, il n'y a pas de règle.

Le Général Lecointre, que j'ai interrogé ici même la semaine dernière, a affirmé que - je le cite - « le financement des OPINT relève des mêmes modalités de financement que les OPEX ». Le recours à la solidarité interministérielle serait donc maintenu pour l'avenir. C'est essentiel, alors notamment que l'opération « Sentinelle », même révisée dans son mode opératoire, se trouve pérennisée. Le cas échéant, il nous faudra veiller à inscrire la règle du financement interministériel dans la prochaine LPM, afin d'éviter un financement par la défense qui, par définition, limiterait d'autant les hausses budgétaires annuelles prévues.

Une seconde série de difficultés pour la prochaine LPM tient aux capacités d'investissement de la défense.

À cet égard, le premier problème est lié à l'accroissement des engagements non couverts par des paiements.

En effet, parmi les mesures prises par le ministère des armées afin de faire face à l'annulation de 850 millions d'euros sur le programme 146 en juillet dernier, et comme Cédric Perrin l'a mentionné, les trésoreries de certaines organisations internationales ont été mises à contribution. Concrètement, les versements prévus en 2017 pour l'OCCAr et la Nahena ont été annulés et reportés à 2019, les besoins étant couverts jusques là. Plus de 400 millions d'euros ont ainsi été économisés pour 2017, mais c'est une simple mesure de « cavalerie budgétaire » : in fine, les versements à l'OCCAr et à la Nahena devront bel et bien être effectués.

L'opération n'aggrave pas le report de charges, au sens comptable de la notion, c'est-à-dire la somme des paiements dus l'année n mais différés à l'année n+1. En revanche, elle vient alimenter les « restes à payer », c'est-à-dire les engagements passés mais non encore couverts par des paiements. Or ces restes à payer, fin 2016, s'élevaient déjà à près de 36 milliards d'euros pour le programme 146, et à plus de 50 milliards pour l'ensemble des programmes de la mission « Défense » (soit près de la moitié du total des restes à payer de l'État).

Ces montants extrêmement importants sont bien sûr inquiétants, parce qu'ils mettent en cause la soutenabilité même des engagements et, par voie de conséquence, celle de la trajectoire financière de la programmation militaire en préparation pour les années 2019 et suivantes.

Un second problème, pour le maintien des capacités de la défense à investir, résulte de la nouvelle règle de stabilisation des restes à payer, que tend à introduire à partir de 2018, pour l'ensemble des missions de l'État, l'article 14 du projet de loi de programmation des finances publiques. Ces engagements non encore couverts par des paiements devraient ainsi être contenus, sur la période 2018-2022, à leur niveau de fin 2017 ; en d'autres termes, chaque année, le montant des engagements ne devrait plus excéder celui des crédits de paiement ouverts.

Cette disposition pourrait entraîner des effets particulièrement handicapants pour la défense, dans un moment annoncé comme celui de la « remontée en puissance » des moyens. En effet, la Cour des comptes estime que le modèle d'armée défini à l'horizon 2025 appelle, d'ici là, des dépenses d'équipement neuf à hauteur de 10 milliards d'euros. Il s'agit des besoins de la dissuasion - notamment, à partir de 2020, le programme de sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de nouvelle génération, nécessaire à la modernisation de la composante océanique -, mais aussi d'autres grands besoins, par exemple le renouvellement du porte-avions.

Or ces investissements sont effectués sur des marchés d'équipement par nature pluriannuels, qui impliquent nécessairement un décalage entre les engagements requis par les commandes et les paiements auxquels donnent lieu les livraisons.

Pour éviter la paralysie du ministère des armées, deux amendements identiques ont été adoptés par le Sénat, à l'initiative notamment de la quasi-totalité des rapporteurs pour avis sur la mission « Défense » et du président de notre commission, et avec l'avis favorable de la commission des finances. Ces amendements soustraient, à la règle du plafonnement des restes à payer de l'État, les investissements qui entrent dans le périmètre de la LPM. Espérons qu'ils survivent à la CMP qui doit se réunir !

C'est un enjeu essentiel pour la défense : il s'agit ainsi de sécuriser la trajectoire prévisionnelle des investissements de la LPM actuelle et de la LPM future. C'est aussi un enjeu économique et technologique : l'industrie de défense représente pour la France plus de 1 000 entreprises et 200 000 emplois directs et indirects qui, parce qu'ils répondent à des besoins de souveraineté, dépendent directement de la commande publique. Je rappelle que les crédits d'investissement de la défense représentent le premier budget d'investissement de l'État : plus de 80 % des crédits d'investissement prévus dans le PLF 2018.

Brièvement, quelques mots sur l'avancement de certains programmes d'armement, en fonction des développements prévus pour 2018, en complément de ce qu'a exposé Cédric Perrin.

L'année prochaine seront livrés, notamment, 8 000 fusils d'assaut HK 416 F de nouvelle génération, « arme individuelle future » destinée à remplacer le FAMAS. Mais les opérations seront longues : il restera encore près de 95 700 nouveaux fusils à commander et de 103 700 à livrer ! Ces livraisons ont en effet été étalées de 2017 jusqu'à 2028, sur un rythme d'environ 10 000 fusils par an.

L'année prochaine, par ailleurs, seront livrés à l'armée de l'air trois avions Rafale neufs. Il s'agit de la fin de la livraison de six avions qui avait été décalée, en 2016, afin d'honorer la commande de l'Égypte ; les trois premiers ont été livrés en 2017. Cette réalisation permettra de respecter, en volume à défaut du calendrier, la prévision de la LPM en matière de Rafale, et de donner corps avant la fin 2018 à un second escadron nucléaire Rafale, en remplacement des Mirage 2000N.

J'ajoute que le développement du standard F4 du Rafale devrait être lancé fin 2018. L'objectif, notamment, est de disposer d'une flotte dont tous les appareils auraient, à terme, le même standard, ce qui faciliterait le soutien logistique et la formation des pilotes.

Il convient aussi de rappeler que le conseil des ministres franco-allemand qui s'est tenu le 13 juillet dernier, à Paris, a annoncé une coopération en vue d'un nouveau système de combat aérien. La France et l'Allemagne ont en effet convenu de développer un système pour remplacer, sur le long terme, leurs flottes actuelles de Rafale et d'Eurofighter ; une feuille de route conjointe en la matière est prévue d'ici mi-2018. Cette annonce est intervenue dans un contexte où le Royaume-Uni a décidé d'acquérir des avions F-35, produits par le groupe américain Lockheed Martin, ce qui semble de fait entraver une éventuelle coopération franco-britannique pour la réalisation du successeur du Rafale... alors même que Londres est engagé avec Paris, depuis 2014, dans un projet de recherche pour le futur système de combat aérien.

Je noterai pour finir la commande, l'an prochain, d'un cinquième sous-marin d'attaque (SNA) Barracuda. La livraison du premier sous-marin de la série est aujourd'hui prévue pour 2020, la livraison du second en 2021. Il s'agira d'un retard de plus de deux ans par rapport aux prévisions initiales, imputable à un problème de qualité du travail industriel. Naval Group nous a confirmé que les problèmes rencontrés, en dernière analyse, relèvent de la difficulté de reconstituer les savoir-faire propres au domaine nucléaire sur le site de Cherbourg.

Pour conclure, j'indique que j'émets, moi aussi, une appréciation positive sur les crédits inscrits au programme 146 dans le PLF 2018, avec la même réserve que mon collègue, tenant à la condition que l'on pourrait mettre à notre votre de la mission « Défense ».

M. Christian Cambon, président . - Merci, chers collègues, pour cette présentation. Place aux questions.

Mme Sylvie Goy-Chavent . - Merci aux rapporteurs pour leur exposé très précis.

Nos visites sur le terrain, dans les bases militaires, nous permettent de mesurer la vétusté de certains des matériels dont disposent les soldats déployés en opération, qui représente pour eux un danger. On se croirait parfois en présence de véhicules de collection ! La nécessité du renouvellement de ces équipements est une évidence.

Cependant, les prix qui ont été évoqués tout à l'heure par Cédric Perrin me semblent vertigineux, pour un parc somme toute limité. Ma question sera volontairement un peu naïve : comment le choix des entreprises fournissant ces armements et assurant leur entretien est-il réalisé ? Y a-t-il vraiment mise en concurrence ? J'espère que l'on privilégie les entreprises nationales ou européennes.

Par ailleurs, qu'il me soit permis d'avoir une pensée particulière pour les militaires argentins actuellement bloqués dans un sous-marins dont on reste sans nouvelles.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Merci beaucoup aux rapporteurs pour leur travail. Ont-ils pu avoir des informations sur le contrat signé par le ministère des armées avec Microsoft Irlande, en dépit des recommandations des experts et sans appel d'offres à ma connaissance ? J'aimerais en connaître le montant, alors que les questions précises que j'ai posées n'ont pour l'heure abouti qu'à des réponses vagues.

Des emplois sont en jeu, et j'aurais préféré que ce contrat soit passé conformément aux procédures d'appel d'offres et avec une entreprise nationale. La souveraineté numérique constitue en effet un enjeu extrêmement important pour notre pays.

Du reste, des appels d'offres en faveur de logiciels libres de droits ont été lancés déjà : la gendarmerie, pour sa part, s'est engagée dans cette voie.

M. Cédric Perrin, rapporteur . - Pour répondre à Sylvie Goy-Chavent, les matériels militaires sont chers, en effet. Au demeurant, le coût de 1,4 million d'euros que j'ai cité pour la rénovation d'un VAB doit s'entendre pour un réaménagement complet du véhicule ; le prix varie selon ce que l'on fait exactement. Mais nous sommes comptables des deniers publics : ne vaut-il pas mieux acheter, pour 100 000 euros de plus, un Griffon neuf, mieux protégé, qui sera plus longtemps opérationnel ? Je le pense. Les décisions de l'armée de terre tendant à renouveler les équipements plutôt qu'à les rétrofiter me semblent donc judicieuses.

Ce que je dis là des VAB et des Griffon vaut également pour les fusils d'assaut : il est économiquement plus rationnel d'acheter le nouveau HK 416 F que de maintenir en condition opérationnelle, à un coût élevé, les vieux FAMAS. Même raisonnement si l'on considère les véhicules P4 : rénover ces derniers ne coûte pas beaucoup moins cher que l'acquisition des nouveaux VT4.

J'ajoute que les coûts des équipements de l'armée de terre, en général, sont moins élevés que ceux des avions de l'armée de l'air ou des bâtiments de la marine nationale.

Les contrats correspondants sont bien sûr très encadrés. À cet égard, la DGA procède dans les règles, avec des appels d'offres le cas échéant, tout en favorisant l'industrie nationale dans la mesure du possible. Je crois d'ailleurs qu'il existe, aujourd'hui, une volonté du délégué général pour l'armement et de la ministre des armées de mieux organiser le fonctionnement de la DGA. Cela dit, venant d'une circonscription de construction automobile, je ne comprends pas que les Allemands, en respectant leurs appels d'offres, arrivent à acheter du matériel Mercédès, alors que les VT4 français que j'évoquais à l'instant, par exemple, ont une base Ford !

La préservation de notre base industrielle et technologique de défense est évidemment un sujet majeur. Tout un écosystème est en cause, et sa physionomie s'avère évolutive. Par exemple, aujourd'hui, c'est largement dans le champ civil que surgit l'innovation, qui trouve à s'appliquer dans les domaines militaires, et non l'inverse comme dans un passé encore récent ; l'adaptation à la défense de ces technologies civiles entraîne naturellement un coût spécifique.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure . - Choqués par la vétusté de certains équipements de nos armées, soyons aussi admiratifs de leur longévité !

Le marché de l'armement reste un marché assez restreint : il n'y a pas pléthore d'entreprises produisant les matériels dont nous parlons. D'où la récurrence des mêmes prestataires, d'un programme à l'autre... Par ailleurs, ces programmes sont parfois fragmentés : on peut ainsi se trouver en présence de véhicules Griffon achevés, auxquels manque cependant leur tourelleau, dont la livraison a été décalée.

En ce qui concerne la question de Joëlle Garriaud-Maylam, question qu'il est en effet important que le Parlement soulève, nous n'avons pas d'informations.

*

* *

À l'issue de cette réunion, la commission, tout en considérant indispensable le déblocage rapide des 700 millions d'euros encore gelés sur le programme 146 pour l'exercice 2017, a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Défense » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2018, le groupe CRCE s'abstenant .

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