B. UNE STABILISATION DAVANTAGE QU'UN ACCROISSEMENT DES MOYENS

Malgré les orientations très positives ci-dessus décrites, le niveau et la portée de l'effort pour la défense que représente le PLF 2018 doivent être relativisés. En effet, la hausse budgétaire prévue pour la mission « Défense » s'avère quasi-intégralement consommée d'avance ( à plus de 90 % ) par trois séries de dépenses « imposées » :

- d'une part, un report de charges de la mission aggravé de 420 millions d'euros , conséquence des mesures mises en oeuvre par le ministère des armées pour faire face à l' annulation de crédits intervenue en juillet dernier ;

- d'autre part, un élargissement du périmètre de dépenses de la mission, à hauteur de 200 millions d'euros , première étape d'un processus de « resoclage » budgétaire des surcoûts d'OPEX décidé par le Gouvernement ;

- enfin, le financement par la mission de dépenses programmées, pour près d'un milliard d'euros, par le conseil de défense du 6 avril 2016, dont les décisions, de fait, n'avaient pas été prévues par la PM actualisée en 2015.

Du reste, en toute rigueur, déduction faite du report de charges né de l'annulation de crédits en juillet dernier et de la modification du périmètre de dépenses de la mission pour l'an prochain, la hausse des CP constatée dans le PLF 2018, par rapport à la LFI 2017, à hauteur de 1,76 milliard d'euros (+ 5,4 %), doit être ramenée à 1,14 milliard d'euros (+ 3,5 %).

1. L'aggravation du report de charges (420 millions d'euros) à la suite de l'annulation de crédits décidée en juillet 2017

Le décret du 20 juillet 2017 21 ( * ) , au titre de la révision du budget en cours d'exécution alors effectuée par le Gouvernement à la suite d'un audit demandé à la Cour des comptes, a procédé à l' annulation de 850 millions d'euros de CP sur la mission « Défense », intégralement pris sur le programme 146 « Équipement des forces ». Par rapport à la prévision inscrite en LFI, cette annulation a représenté 2,6 % des CP de la mission hors pensions (32,44 milliards d'euros) et 8,5 % des CP du programme 146 (10,05 milliards d'euros), auxquels elle a laissé pour l'année, respectivement, 31,59 milliards d'euros et 9,2 milliards d'euros.

Pour faire face à cette restriction budgétaire décidée en cours d'exercice, le ministère des armées a pris deux séries de mesures.

En premier lieu, des économies ont été trouvées, sans report immédiat des dépenses , à hauteur de 430 millions d'euros .

Ces économies sont pour partie « de constat », résultant de la réévaluation des besoins de paiement de la direction générale de l'armement (DGA) compte tenu du déroulement des programmes. Mais elles tiennent pour l'essentiel à l' annulation de versements initialement prévus au bénéfice d'organisations internationales - l'OCCAr 22 ( * ) et la Nahena 23 ( * ) - rendue possible par l'état de la trésorerie de ces organisations, dont les besoins se trouvent couverts jusqu'en 2019.

L'opération n'aggrave pas le report de charges du programme 146, au sens comptable de la notion (en synthèse, la somme des paiements dus l'année n mais différés à l'année n+1 ). Toutefois, ces dépenses annulées en 2017 devront être effectuées à partir de 2019 . La mesure vient ainsi alimenter les « restes à payer » imputés sur le programme 146 (les engagements passés sur les années antérieures mais non encore couverts par des paiements à la fin d'une année n - soit près de 36 milliards d'euros fin 2016 ; cf . infra ).

En second lieu, des reports de dépenses sur l'année 2018 ont été décidés, pour 420 millions d'euros au total.

Cette seconde mesure, par définition, aggravera à due concurrence le report de charges du programme 146 , limitant d'autant la disponibilité des crédits prévus dans le PLF 2018. D'après les indications fournies à vos rapporteurs :

- d'une part, près de 100 millions d'euros de dépenses devraient pouvoir être reportées grâce à une renégociation de contrats avec l'industrie. Ces renégociations portent en particulier sur les études de mise au point du standard F4 de l'avion Rafale, la première tranche conditionnelle de rénovation des avions Mirage 2000D, et la chaîne logistique du programme de frégates de taille intermédiaire (FTI) Belh@rra. Vos rapporteurs pour avis espèrent vivement que cette manoeuvre n'induira pas, in fine , un résultat plus coûteux pour la défense , alors que le recours à la renégociation en vue d'étaler les dépenses, pour les contrats de grands programmes d'armement, a déjà été pratiqué au détriment des finances publiques, dès 2014, dans le cadre de l'exécution de la LPM 2014-2019 24 ( * ) ;

- d'autre part, plus de 300 millions d'euros de dépenses devraient pouvoir être reportées du fait du décalage de quelques mois de plusieurs livraisons d'équipements , sans incidence a priori sur la protection des soldats ni sur le fonctionnement des entreprises concernées - comme vos rapporteurs pour avis ont pris soin de s'en assurer, à l'occasion de leurs auditions -, mais entraînant de fait un retard pour les armées . Ces décalages concernent le pod de détection de missile des Rafale Marine, les radars des avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR), la charge utile de renseignement d'origine électromagnétique (ROEM) des drones MALE Reaper , certains tourelleaux des véhicules blindés multi-rôles (VBMR) lourds Griffon, ainsi qu'un hélicoptère de manoeuvre Caracal.

2. La première étape d'un « resoclage » budgétaire des surcoûts d'OPEX (200 millions d'euros)

Depuis 2014, conformément aux dispositions de la LPM 2014-2019 25 ( * ) laissée inchangée, à cet égard, par la loi du 28 juillet 2015, la provision inscrite en LFI au titre des surcoûts d'OPEX se trouve fixée à 450 millions d'euros et les surcoûts nets (hors investissements) effectivement constatés en gestion, au-delà de cette dotation, sont financés de façon interministérielle, en pratique par la voie de décrets d'avance et en LFR de fin d'année. Cependant, le Gouvernement s'est engagé dans un processus de « resoclage » budgétaire des surcoûts d'OPEX , élément de sincérité du budget prévisionnel inscrit en LFI préconisé, notamment, par la Cour des comptes 26 ( * ) , dans la mesure où les surcoûts d'OPEX réels n'ont jamais été inférieurs, depuis 2013, à 1,1 milliard d'euros. La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a apporté son appui à cette « sincérisation » de la provision pour OPEX, au vu du contexte sécuritaire actuel, sous la condition expresse que les autres besoins de la défense soient également budgétés 27 ( * ) .

Le PLF 2018 constitue une première étape du processus : à cet effet, il ouvre sur la mission « Défense », globalement , 200 millions d'euros de plus qu'en LFI 2017 , portant la provision pour surcoûts d'OPEX à 650 millions d'euros. Dans le détail :

- la partie de cette provision inscrite sur le programme 178 « Préparation et emploi des forces » passera, d'une année sur l'autre, de 280 millions d'euros à 405 millions d'euros (+ 125 millions d'euros) ;

- celle du programme 212 « Soutien de la politique de la défense », concernant la masse salariale en cause (dépenses de titre 2), passera de 170 millions d'euros à 245 millions d'euros (+ 75 millions d'euros).

Concrètement, il s'agit d'un transfert de la charge, en la matière, de l'interministériel vers le ministère de la défense . Notons en outre que, comme l'indique l'exposé général des motifs du PLF 2018, ce transfert devrait être augmenté à nouveau dans les PLF 2019 et PLF 2020, « pour atteindre 1,1 milliard d'euros en 2020 » (cf. infra ).

3. La nécessité de financer les mesures hors LPM décidées en 2016 (près d'un milliard d'euros)

Pour faire face aux besoins commandés par l'évolution du contexte, la trajectoire capacitaire et financière de la LPM 2014-2019 actualisée par la loi du 28 juillet 2015 a été révisée par l'Exécutif, sans recourir au législateur cette fois, en plusieurs étapes entre l'automne 2015 et le printemps 2016 ; les décisions en cause - recrutements, amélioration des conditions du personnel et acquisition de nouveaux équipements - ont été entérinées et précisées, pour l'essentiel, lors du conseil de défense du 6 avril 2016 , et leur impact financier a été porté à la connaissance du Parlement à l'automne 2016, par la voie d'un rapport du Gouvernement, d'initiative propre 28 ( * ) . Le coût induit par ces mesures hors LPM représente pour 2018 près d'un milliard d'euros (996 millions d'euros 29 ( * ) ).

La prévision budgétaire actuelle surmonte l'« impasse » que constituaient ces mesures arrêtées, en 2016, sans plan de financement, comme la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées les a dûment critiquées 30 ( * ) ; vos rapporteurs pour avis donnent acte au Gouvernement d'honorer ainsi les engagements passés . Cependant, l'intérêt de la hausse du budget de la défense prévue pour l'année prochaine s'en trouve très sensiblement réduit .

On notera au surplus que la décision, annoncée en octobre dernier par le Gouvernement, de reporter d'un an la suite de l'application du protocole relatif aux parcours professionnels, aux carrières et aux rémunérations des fonctionnaires (PPCR) ne donnera aucune marge budgétaire nouvelle au ministère des armées 31 ( * ) , dans la mesure où elle vise à permettre de compenser, pour les fonctionnaires, la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG) prévue par le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2018.

Coût des mesures hors LPM arrêtées en conseil de défense le 6 avril 2016

(CP, en millions d'euros)

2017

2018

2019

Total

2017-2019*

Total

775

996

1 222

2 993

Ressources humaines

Effectifs

216

960

1 176

- Armée active

Masse salariale

75

159

360

594

1 072

Fonctionnement

41

178

219

Infrastructures

73

186

259

- Réserve opérationnelle (masse salariale)

27

39,5

37,5

104

Condition du personnel

287

366

351

1 005

- Mesures spécifiques**

90

178

268

- Mesures interministérielles

197

540

737

Total Ressources humaines

503

1 678

2 181

Capacitaire

- Munitions

80

225

305

739

- Sécurisation du territoire national et équipement des renforts opérationnels

94

164

258

- Cyberdéfense et renseignement

24

152

176

Total Capacitaire

271***

541

812

(*) : Montants donnés par le rapport du Gouvernement relatif à la programmation militaire pour les années 2017-2019. Les distorsions arithmétiques du présent tableau résultent de l'utilisation d'arrondis.

(**) : Hors effet de la revalorisation de l'indemnité pour sujétion d'alerte opérationnelle décidée en conseil de défense le 16 août 2016.

(***) : Ce montant intègre un besoin de 73 millions d'euros complétant la couverture en CP des AE ouvertes en LFI 2016 par l'adoption d'un amendement du Gouvernement (56,5 millions d'euros pour les munitions, 10 millions d'euros pour l'EPM terrestre et 6,5 millions d'euros pour le renseignement).

Source : rapport du Gouvernement relatif à la programmation militaire pour les années 2017-2019


* 21 Décret n° 2017-1182 du 20 juillet 2017 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance.

* 22 Organisation conjointe de coopération en matière d'armement.

* 23 Agence de gestion OTAN pour les hélicoptères.

* 24 La Cour des comptes, dans son référé n° S2017-2172 de juillet 2017relatif à la mise en oeuvre de la programmation militaire 2014-2019 et aux perspectives financières de la mission « Défense », a notamment relevé que « le seul étalement des livraisons pour les trois programmes de frégates européennes multi-missions (FREMM), des sous-marins Barracuda et des avions de transport A400M a induit des coûts additionnels dépassant 1 Md€. Ces renégociations, dont les effets se sont cumulés avec celles déjà menées en 2009, ont eu pour résultat une envolée des coûts unitaires des matériels. Le coût unitaire des FREMM françaises a ainsi été majoré de 67 % par rapport aux devis initiaux. »

* 25 Article 4 de la LPM 2014-2019, premier alinéa.

* 26 Cf . notamment l'enquête demandée par la commission des finances du Sénat, en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur les opérations extérieures du ministère de la défense, objet du rapport d'information n° 85 (2016-2017) de notre collègue Dominique de Legge, « Le financement des opérations extérieures : préserver durablement la capacité opérationnelle de nos armées » , octobre 2016.

* 27 Cf . le rapport d'information précité de nos anciens collègues Jean-Pierre Raffarin et Daniel Reiner, « 2 % du PIB : les moyens de la défense nationale », mai 2017. Le raisonnement est cité in extenso plus avant dans le présent rapport.

* 28 Rapport au Parlement « relatif à la programmation militaire pour les années 2017-2019 », 18 octobre 2016.

* 29 Montant confirmé par le Gouvernement interrogé, dans le cadre de la préparation du PLF 2018, sur le fondement de l'article 49 de la LOLF

* 30 Cf . notamment le rapport d'information susmentionné, « 2 % du PIB : les moyens de la défense nationale ».

* 31 L'application du PPCR sera suspendue pour les personnels civils du ministère des armées comme pour les autres ministères et différée pour les militaires, qui n'étaient pas encore entrés dans ce dispositif. Cf . le rapport pour avis de nos collègues Joël Guerriau et Gilbert Roger.

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