Avis n° 146 (2016-2017) de M. Pierre-Yves COLLOMBAT , fait au nom de la commission des lois, déposé le 24 novembre 2016

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N° 146

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2016

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances pour 2017 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,

TOME I

ADMINISTRATION GÉNÉRALE ET TERRITORIALE DE L'ÉTAT

Par M. Pierre-Yves COLLOMBAT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; Mme Catherine Troendlé, MM. Jean-Pierre Sueur, François Pillet, Alain Richard, François-Noël Buffet, Alain Anziani, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Pierre-Yves Collombat, Mme Esther Benbassa , vice-présidents ; MM. André Reichardt, Michel Delebarre, Christophe-André Frassa, Thani Mohamed Soilihi , secrétaires ; MM. Christophe Béchu, Jacques Bigot, François Bonhomme, Luc Carvounas, Gérard Collomb, Mme Cécile Cukierman, M. Mathieu Darnaud, Mme Jacky Deromedi, M. Félix Desplan, Mme Catherine Di Folco, MM. Christian Favier, Pierre Frogier, Mme Jacqueline Gourault, M. François Grosdidier, Mme Sophie Joissains, MM. Philippe Kaltenbach, Jean-Yves Leconte, Roger Madec, Alain Marc, Didier Marie, Patrick Masclet, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Michel Mercier, Jacques Mézard, Hugues Portelli, Bernard Saugey, Simon Sutour, Mmes Catherine Tasca, Lana Tetuanui, MM. René Vandierendonck, Alain Vasselle, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : 4061, 4125 à 4132 et T.A. 833

Sénat : 139 et 140 à 145 (2016-2017)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le 16 novembre 2016, sous la présidence de M. Philippe Bas, président, la commission des lois a examiné, sur le rapport pour avis de M. Pierre-Yves Collombat 1 ( * ) , les crédits alloués à la mission « Administration générale et territoriale de l'État » par le projet de loi de finances pour 2017.

Le rapporteur a tout d'abord noté la forte hausse des crédits du programme « Vie politique, cultuelle et associative », liée à la tenue des élections présidentielle, législatives et sénatoriales en 2017. Il a approuvé le rejet par les députés du projet de dématérialisation de la propagande électorale, proposé par le Gouvernement pour la troisième fois depuis 2012.

Il a indiqué que la hausse des crédits du programme « Administration territoriale » masquait la suppression de 500 emplois, première partie des 1 300 suppressions prévues dans le cadre du plan « Préfectures nouvelle génération » (PPNG).

Le rapporteur a noté que le PPNG se fondait sur la réforme des procédures de délivrance des titres, qui devrait permettre à la fois la réduction des effectifs et un redéploiement de personnel sur les quatre nouvelles missions prioritaires des préfectures. Il a également relevé que la nouvelle version du fichier TES, vivement critiquée, était une conséquence de la simplification des procédures d'instruction des demandes de titres.

Concernant la réorganisation des directions régionales de l'État dans les nouvelles régions, il a souligné les difficultés pratiques liées à la répartition de ces directions sur plusieurs sites. Sur le déploiement des moyens numériques essentiels au bon fonctionnement des nouvelles directions, il a noté des progrès mais un déploiement inégal selon les régions et les directions.

Le rapporteur a enfin indiqué que la réforme du réseau infra-départemental avait abouti à la modification des limites d'une grande partie des arrondissements, mais n'avait supprimé que très peu de sous-préfectures. Il a constaté que la réforme de la carte des sous-préfectures, annoncée depuis longtemps et très crainte des élus locaux, n'avait finalement pas eu lieu, ce dont il s'est félicité.

Sur proposition du rapporteur pour avis, la commission des lois a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » figurant dans le projet de loi de finances pour 2017.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La mission « Administration générale et territoriale de l'État » retrace les actions du ministère de l'intérieur dans trois domaines :

- la garantie de la présence de l'État et de sa continuité dans tous les territoires, avec les moyens des préfectures et sous-préfectures, issus du programme « Administration territoriale » (programme 307) ;

- l'exercice des droits des citoyens dans le domaine des élections, de la vie associative et de la liberté religieuse, avec le programme « Vie politique, cultuelle et associative » (programme 232) ;

- le pilotage des fonctions supports et la gestion des affaires juridiques et contentieuses du ministère, dont les moyens sont regroupés dans le programme « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur » (programme 216).

L'administration territoriale se réorganise et s'adapte, encore et toujours, au gré des réformes qui lui sont imposées. Son personnel s'engage dans ces changements avec un sentiment mêlant bonne volonté et résignation, tout en nourrissant l'espoir d'une pause dans les réformes.

Dans les sept nouvelles régions, les directions régionales de l'État continuent de remplir leurs missions, malgré la cohérence aléatoire de la réorganisation en multi-sites et les difficultés pratiques que cette dernière pose.

Au niveau départemental, les missions et l'organisation des préfectures s'apprêtent à être profondément remaniées dans le cadre du plan « Préfectures nouvelle génération ». La rationalisation de la délivrance des titres et la fin des missions de guichets pour les titres 2 ( * ) vont permettre un redéploiement de personnel sur le nouveau coeur de métier des préfectures, mais aussi la suppression de 1 300 emplois.

La réorganisation du réseau infra-départemental aboutit à une modification du périmètre d'une grande partie des arrondissements, mais ne supprime que très peu de sous-préfectures. Annoncée depuis longtemps et crainte par de nombreux élus, la réforme de la carte des sous-préfectures n'a pas eu lieu, ce dont on ne peut que se féliciter.

Nous verrons à l'occasion de l'examen du programme « Vie politique, cultuelle et associative » que le Gouvernement continue, malgré les réticences du Parlement, de porter le projet de dématérialisation de la propagande électorale.

I. LES CRÉDITS POUR 2017 DE LA MISSION « ADMINISTRATION GÉNÉRALE ET TERRITORIALE DE L'ÉTAT »

A. LE PROGRAMME « ADMINISTRATION TERRITORIALE »

Le programme « Administration territoriale » voit ses moyens augmenter en 2017, avec 1 708 millions d'euros en autorisations d'engagement - hausse de 3,4 % par rapport à 2016 -, et 1 692 millions d'euros en crédits de paiement - augmentation de 3,1 %. La hausse des dépenses de personnel, qui représentent près de 90 % des crédits du programme, est le principal facteur de cette augmentation. Elle est la conséquence de la hausse des rémunérations d'activité et des cotisations et contributions sociales.

Évolution des crédits du programme
Administration territoriale
(en millions d'euros)

LFI 2016

PLF 2017

Variation 2017/2016

Autorisations d'engagement

1 651

1 708

+ 3,4 %

Crédits de paiement

1 641

1 692

+ 3,1 %

Concernant les emplois rattachés au programme, le schéma d'emploi prévoit pour 2017 la suppression de 500 équivalents temps plein (ETP). Ce schéma prend en compte les renforts liés au pacte de sécurité (+ 185 ETP) et la suppression de 685 ETP dans le cadre du plan « Préfectures nouvelle génération » (PPNG). Ces 500 suppressions d'emploi constituent la première partie des 1 300 suppressions prévues dans le cadre du PPNG, qui se répartiront entre 2017 et 2018.

B. LE PROGRAMME « VIE POLITIQUE CULTUELLE ET ASSOCIATIVE »

Avec 311,6 millions d'euros en autorisations d'engagement et 307,6 millions en crédits de paiement, le programme 232 connaît une forte augmentation de ses crédits, de plus de 200 % par rapport à 2016.

Évolution des crédits du programme
« Vie politique, cultuelle et associative »
(en millions d'euros)

LFI 2016

PLF 2017

Variation 2017/2016

Autorisations d'engagement

99,4

311,6

+ 213 %

Crédits de paiement

99,3

307,6

+ 209 %

Cette très forte augmentation s'explique par la tenue des élections présidentielle, législatives et sénatoriales en 2017, alors qu'il n'y a pas eu d'élections générales en 2016.

Pour la deuxième année consécutive, l'action « Cultes » du programme est dotée de crédits dans le cadre de la mise en oeuvre du plan anti-terrorisme. Ces crédits, d'un montant de 800 000 euros (en hausse de 33 % par rapport à 2016), financent :

- des diplômes universitaires (DU) sur le fait religieux et la laïcité, à hauteur de 500 000 euros. L'obtention de ce DU sera, à partir de 2017, obligatoire pour être recruté en tant qu'aumônier dans les secteurs hospitalier, militaire et pénitentiaire ;

- des actions de recherche en islamologie et sur l'Islam de France, destinées à répondre aux besoins de connaissance du ministère de l'intérieur, à hauteur de 300 000 euros.

C. LE PROGRAMME « CONDUITE ET PILOTAGE DES POLITIQUES DE L'INTÉRIEUR »

Les crédits de ce programme sont affectés aux fonctions support du ministère de l'intérieur (ressources humaines, achats, affaires immobilières) et à la gestion des affaires juridiques et contentieuses. Le projet de loi de finances pour 2017 prévoit, pour ce programme, 898,1 millions d'euros en autorisations d'engagement et 934,6 millions d'euros en crédits de paiement.

Évolution des crédits du programme
« Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur »
(en millions d'euros)

LFI 2016

PLF 2017

Variation 2017/2016

Autorisations d'engagement

788,0

898,1

+ 13,9 %

Crédits de paiement

808,0

934,6

+ 15,7 %

L'augmentation des crédits du programme 216 s'explique notamment par le transfert, depuis le programme 122 « Concours spécifiques et administration » de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), représentant 80,4 millions d'euros de crédits (+ 16 % par rapport aux crédits accordés en 2016). Ce fonds comprend deux volets : le financement de la vidéoprotection et celui d'autres actions de prévention, axées en priorité sur les jeunes, ainsi que les luttes contre les violences faites aux femmes et la radicalisation.

La hausse des crédits du FIPD lui permettra d'assurer le financement du groupement d'intérêt public (GIP) « réinsertion et citoyenneté » 3 ( * ) , qui représente 22 millions d'euros et 93 ETPT. Ce GIP doit assurer le pilotage des nouveaux centres de déradicalisation, dans lequel il sera proposé aux jeunes en voie de radicalisation un accompagnement psychologique, médico-social et éducatif et des moyens pour leur insertion ou réinsertion sociale.

Les crédits du FIPD ont été dirigés, en trois ans, sur trois programmes différents : ils étaient en effet rattachés dans le cadre du projet de loi de finances 2015 au programme 147 « Politique de la ville » (mission « Politiques des territoires ») dont le principal opérateur était alors l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé), dissoute au 1 er janvier 2016. Pour votre rapporteur, ces transferts successifs de programme en programme, pour des motifs peu évidents, nuisent à la lisibilité du budget de l'État.

II. L'ADMINISTRATION TERRITORIALE RÉFORMÉE À TOUS LES ÉCHELONS

Les services de l'État sont engagés dans d'importantes réformes aux niveaux régional, départemental et infra-départemental. Chacune de ces réformes met en avant les nécessités de modernisation et d'adaptation des services de l'État au nouveau contexte territorial et aux besoins des usagers. Elles contribuent incontestablement au recul de la présence de l'État dans les territoires et des crédits qui y sont affectés.

A. LA RÉORGANISATION DES SERVICES RÉGIONAUX DE L'ÉTAT DANS LES NOUVELLES RÉGIONS

La mise en place des sept nouvelles régions au 1 er janvier 2016 a entraîné la réorganisation des secrétariats généraux aux affaires régionales (SGAR) et des directions régionales de l'État. Dans les deux cas, la logique appliquée est très différente : si les SGAR ont été fusionnés et centralisés, les directions régionales doivent maintenant fonctionner en multi-sites.

1. La fusion des SGAR

Les SGAR des anciennes régions ont fusionné au 1 er janvier 2016 et leurs effectifs ont été centralisés à la nouvelle préfecture de région. Cependant, sont maintenues provisoirement dans les anciens chefs-lieux :

- les équipes dédiées aux plates-formes régionales d'appui interministériel à la gestion des ressources humaines, afin d'assurer le suivi des agents concernés par la réforme régionale ;

- les équipes en charge de la clôture des programmes opérationnels européens 2007-2013, jusqu'au transfert de la mission aux conseils régionaux.

En termes de ressources humaines, cette fusion a abouti à la suppression de 95 ETPT 4 ( * ) . Les agents concernés par la réorganisation des SGAR ont pu bénéficier d'un accompagnement individuel et des outils d'accompagnement spécifiques mis en place dans le cadre de la réforme régionale (autorisation d'absence pour reconnaissance de l'environnement de la nouvelle affectation et droit à une période d'adaptation notamment). Comme prévu, certains agents des SGAR ont intégré les effectifs des préfectures de département.

L'organisation des SGAR a été adaptée au contexte des régions fusionnées. Le décret du 29 décembre 2015 5 ( * ) a établi une organisation en deux pôles, placé chacun sous la responsabilité d'un adjoint au secrétaire général pour les affaires régionales. Le premier est chargé de l'animation des politiques publiques, mission initiale des SGAR. Le second pôle est en charge des mutualisations et des projets de modernisation. Il a pour mission d'assurer la coordination interministérielle pour la mise en oeuvre de la charte de la déconcentration et des actions de modernisation, d'organiser les fonctions mutualisées des services de l'État en région (achats, informatique, immobilier) et d'animer la plate-forme d'appui interministériel à la gestion des ressources humaines.

2. Les débuts difficiles des directions régionales en multi-sites

Les principes, complexes, qui ont guidé la réorganisation des directions régionales de l'État rendent peu aisée sa mise en oeuvre. Les difficultés de cette période de transition affectent le quotidien des agents.

a) Une réorganisation complexe

Pour rappel, le maintien d`un certain équilibre entre les territoires et le choix de préserver l'essentiel des effectifs dans les chefs-lieux des anciennes régions ont conduit à réorganiser les directions régionales dans les nouvelles régions selon deux principes :

- d'une part, les anciennes directions régionales ont été fusionnées, mais leur siège n'ont pas tous été implantés au nouveau chef-lieu de région ;

- d'autre part, pour chaque direction, des implantations ont été maintenues dans les anciens chefs-lieux de régions, chaque site étant à terme amené à être spécialisé sur certaines missions.

D'où une organisation multi-sites, différenciée selon les régions.

Les organigrammes ont été établis fin 2015, et seront progressivement mis en oeuvre jusque fin 2018. L'évolution de ces organigrammes se fait notamment au gré des mobilités fonctionnelles et géographiques des agents. Toutefois, dans un tiers des directions régionales, les organigrammes-cibles sont déjà en place, les agents n'ayant pas souhaité attendre 2018 pour effectuer leur mobilité.

Pour permettre aux agents de continuer à travailler dans de bonnes conditions et de manière efficace malgré les distances créées par cette organisation multi-sites, l'accent devait être mis sur le développement des moyens numériques. Un autre aspect essentiel de réussite de la réforme est sa gestion en termes de ressources humaines. Votre rapporteur, en tant que rapporteur délégué de la mission de suivi et de contrôle des dernières lois de réforme territoriale, a pu avoir un aperçu assez concret, sur ces deux points, de la mise en place de cette organisation multi-sites lors des sept déplacements effectués par la mission.

b) Un déploiement inégal des moyens numériques

La réorganisation des directions régionales de l'État en multi-sites devait être l'occasion de moderniser leurs méthodes de travail, notamment par le recours à divers moyens numériques. Afin de permettre aux agents de travailler dans de bonnes conditions avec les collègues et interlocuteurs désormais éloignés, un investissement important devait être fait sur les logiciels de visioconférence et web-conférence, la dématérialisation des documents et courriers, les transferts de fichiers informatiques volumineux, et les solutions permettant aux agents d'accéder à toutes leurs données (messagerie, documents, agendas) depuis différents sites.

Lors des déplacements de la mission de suivi des dernières lois de réforme territoriale, nous avons pu constater que le déploiement des solutions numériques variait d'une région à l'autre et selon les directions. Nous avons vu avec M. Nevache, coordonnateur national de la réforme des services déconcentrés, que l'avancement du déploiement de ces différentes solutions dépendait largement de la volonté de l'encadrement. Le ministère de tutelle des directions constitue aussi, dans certains cas, un frein à la mise en place de solutions communes permettant la communication, non seulement à l'intérieur d'une direction mais avec les autres. Il considère en effet que celle qu'il utilise déjà vaut mieux qu'une solution commune, même proposée au niveau national.

Parmi les moyens déployés, celui qui donne incontestablement le plus de satisfaction est l'application de web-conference : JITSI. Issue de l' open source 6 ( * ) donc gratuite, elle a été expérimentée par les services de l'État en Bourgogne-Franche-Comté et est en cours de déploiement au niveau national. Cette application ne nécessite que l'installation d'une webcam et de hauts-parleurs et quelques minutes de formation. Elle permet aux agents d'échanger en visio mais aussi de travailler et de modifier des documents simultanément.

Les résultats sont moins satisfaisants pour la visioconférence 7 ( * ) . Dans ce domaine, chaque ministère a développé son propre système, qui n'est pas toujours compatible avec celui des autres. Dans certaines directions, les problèmes sont réguliers et compromettent fréquemment le bon déroulement des réunions.

Des progrès doivent aussi être faits concernant le parapheur et la signature électronique. La répartition des directions régionales entre plusieurs sites a rendu essentielle la dématérialisation des courriers. Le logiciel de gestion électronique des documents donne satisfaction pour la circulation des courriers, mais pas sur le paraphe et la signature. Les contraintes juridiques liées à la signature électronique rendent la réalisation de cette dernière beaucoup trop longue. Si bien que la solution adoptée pour le moment consiste à imprimer le document, le faire signer et le scanner...

On peut comprendre que des contraintes techniques freinent le déploiement des solutions numériques. Mais il est urgent que l'encadrement et les administrations centrales dépassent leurs réticences et s'impliquent pleinement dans la mise en oeuvre de ces moyens numériques, car ils sont essentiels au bon fonctionnement des nouvelles directions régionales.

c) Un bilan mitigé en termes de ressources humaines

Diverses mesures d'accompagnement en matière de ressources humaines ont été mises en oeuvre dans le cadre de la réforme 8 ( * ) . En premier lieu, les agents dont le poste a été concerné par la réorganisation ont pu bénéficier d'un accompagnement individuel et de divers dispositifs indemnitaires et statutaires, comme l'autorisation d'absence pour reconnaissance de l'environnement de la nouvelle affectation ou le droit à une période d'adaptation. Rappelons qu'il a été décidé que l'on n'imposerait pas de mobilité géographique à ces derniers. En outre, afin de compenser la réduction du nombre de postes de cadres, un dispositif de maintien des rémunérations et des garanties statutaires a été mis en place pour ces derniers.

Cet accompagnement s'est aussi traduit par le développement de formations à la conduite d'équipes en situation de changement ainsi qu'à l'encadrement et au travail à distance. Ces formations doivent permettre aux cadres et agents d'adapter leurs méthodes et leurs relations de travail à la nouvelle organisation des services, dans laquelle la culture de l'encadrement est profondément modifiée. Le coordonnateur national de la réforme des services déconcentrés, M. Nevache, est très conscient que ce passage d'un mode de travail hiérarchique à un mode plus collaboratif prendra du temps.

Ces efforts sur le plan des ressources humaines ne compensent cependant pas les effets de la complexité et du manque de cohérence de la réorganisation des directions régionales de l'État. Comme il fallait s'y attendre, le nombre de déplacements et leur importance kilométrique ont fortement augmenté. Avec pour conséquence une fatigue croissante des agents, et moins de temps à pouvoir consacrer à l'exercice effectif de leurs missions. Ce phénomène est marqué chez les cadres, dont les déplacements sont essentiels pour garder le contact avec les équipes réparties sur le territoire.

Pour réduire le nombre de ces déplacements et la fatigue qu'ils induisent, plusieurs interlocuteurs ont indiqué à la mission de suivi des lois de réforme territoriale qu'une des solutions privilégiées consistait à envoyer sur le terrain l'agent le plus proche, et non l'agent le plus compétent sur le sujet traité. Cette solution réduit l'intérêt des agents pour leurs missions, mais elle prive surtout les interlocuteurs des services régionaux de l'État de l'expertise de ces derniers. Elle résume ce que l'on pouvait redouter des effets de la réforme : perte de proximité pour les services de l'État et perte de sens pour les missions de leurs agents.

En outre, parce que cette organisation multi-sites n'est pas toujours cohérente et parce qu'il est probable que le jeu des départs et des mobilités du personnel va déséquilibrer les effectifs des différents sites au profit de ceux du siège, les agents des directions régionales s'inquiètent de la probable centralisation, à plus ou moins long terme, de tous les effectifs aux sièges.

Pour le préfet de région, qui coordonne l'action des directions régionales, l'organisation multi-sites s'avère difficile à gérer, comme en a témoigné la préfète de Normandie 9 ( * ) .

Au niveau départemental, les préfectures sont appelées à se transformer en profondeur d'ici 2020, suite à la mise en oeuvre du plan « Préfectures nouvelle génération ».

B. LE PLAN « PRÉFECTURES NOUVELLE GÉNÉRATION »

Pour rappel, le plan « Préfectures nouvelle génération » (PPNG) poursuit deux objectifs : améliorer les services rendus aux usagers et faire évoluer les missions des services préfectoraux. Celles-ci doivent être recentrées autour de quatre priorités : la gestion des crises, la lutte contre la fraude documentaire, l'expertise juridique et le contrôle de légalité, et la coordination territoriale des politiques publiques. Le PPNG s'inscrit dans une logique de réduction des effectifs, mais qui se veut rompre avec une « logique purement comptable » 10 ( * ) et s'appuyer sur l'adaptation aux attentes des usagers et des élus locaux. On peut toujours espérer et le dire.

Le PPNG se fonde sur la réforme de l'instruction et de la délivrance des titres. Il s'agit de libérer des effectifs qui viendront renforcer les quatre missions prioritaires évoquées ci-dessus. Un dispositif de formation et d'accompagnement est mis en place pour permettre aux agents de faire évoluer leurs missions et leur carrière.

1. La réforme de la délivrance des titres

Les procédures de délivrance des titres sont engagées dans une profonde mutation de simplification et de modernisation. Cette mutation a commencé en 2016, mais elle produira ses effets les plus importants dans les deux prochaines années. La réforme doit marquer la fin de la mission de guichet des préfectures et sous-préfectures en matière de délivrance des titres 11 ( * ) .

Un des éléments majeurs de la réforme est la dématérialisation des procédures de délivrance des titres. Les demandes de permis de conduire et de cartes grises se feront désormais en ligne, ou par le biais de bornes interactives ou de tiers (auto-écoles, concessionnaires de véhicules). Les usagers n'auront donc plus à se déplacer en préfecture ou sous-préfecture.

Parallèlement, l'instruction et la validation des titres vont être confiées à des plates-formes spécialisées. La mise en place de 47 « centres d'expertise et de ressource des titres » (CERT) a été annoncée : 21 plateformes dédiées aux cartes d'identité et aux passeports, 20 aux permis de conduire, 5 aux cartes grises et une aux permis de conduire étrangers. Les CERT seront implantés dans les locaux de préfectures ou de sous-préfectures, et seront composés de 30 à 50 agents. Leur déploiement effectif est prévu pour la fin de l'année 2017.

Un sous produit du PPNG : le fichier TES 12 ( * )

Dans le cadre de la réforme des modalités de délivrance des titres, le Gouvernement a décidé la création d'un traitement commun aux cartes nationales d'identité (CNI) et aux passeports dans le fichier TES, afin de rationaliser le travail des services de l'État et de mieux lutter contre la fraude identitaire. Un décret daté du 28 octobre 2016 a donc autorisé le regroupement des données à caractère personnel collectées lors des demandes et renouvellements de passeports, d'une part, et de cartes nationales d'identité (CNI), d'autre part.

Rappelons que la loi n° 2012-410 du 27 mars 2012 relative à la protection de l'identité, issue d'une proposition de loi de nos collègues Jean-René Lecerf et Michel Houel, avait déjà prévu la conservation des données requises pour la délivrance d'une carte nationale d'identité électronique (CNIe) dans une base centralisée regroupant également les données requises pour la délivrance des passeports. Le Conseil constitutionnel avait censuré la disposition créant le fichier qui réunissait ces données. Il avait considéré que le fichier portait atteinte de manière disproportionnée au droit au respect de la vie privée, car « il [« était] destiné à recueillir les données relatives à la quasi-totalité de la population de nationalité française ; [que] les données biométriques enregistrées dans ce fichier, notamment les empreintes digitales, étant par elles-mêmes susceptibles d'être rapprochées de traces physiques laissées involontairement par la personne ou collectées à son insu, sont particulièrement sensibles ; [que] les caractéristiques techniques de ce fichier définies par les dispositions contestées [permettaient] son interrogation à d'autres fins que la vérification de l'identité d'une personne ; [que] les dispositions de la loi déférée [autorisaient] la consultation ou l'interrogation de ce fichier non seulement aux fins de délivrance ou de renouvellement des titres d'identité et de voyage et de vérification de l'identité du possesseur d'un tel titre, mais également à d'autres fins de police administrative ou judiciaire » 13 ( * ) .

Après la censure du Conseil constitutionnel et le vif débat parlementaire qui l'avait précédée, le choix de la voie règlementaire pour la création d'un traitement fondé sur le même principe de regroupement de données à caractère personnel a soulevé de nombreuses critiques. Le I de l'article 27 de la loi Informatique et libertés 14 ( * ) prévoit toutefois la possibilité d'autoriser par décret en Conseil d'État, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, « les traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre pour le compte de l'État qui portent sur des données biométriques nécessaires à l'authentification ou au contrôle de l'identité des personnes ». Le fichier TES, dans sa version initiale, c'est-à-dire contenant les données personnelles des titulaires de passeport, a d'ailleurs été créé par décret 15 ( * ) . D'un point de vue juridique, l'adoption de sa nouvelle version par décret n'est donc pas contestable.

On doit par ailleurs noter que le fichier a pour objet de permettre l'authentification de l'identité d'une personne à partir de ses données biométriques, c'est-à-dire de vérifier que la personne demandant ou renouvelant son titre est bien titulaire de l'identité qu'elle revendique, mais qu'il ne permet pas l'identification d'une personne à partir de données biométriques.

Toutefois, il est ressorti des auditions tenues par la commission des lois le mardi 15 novembre 2016, consacrées au fichier TES, qu'aucune technique ou technologie ne pouvait garantir l'impossibilité de pirater le fichier, ou de le détourner de sa finalité (et ainsi passer d'une logique d'authentification des personnes à une logique d'identification).

Ces auditions ont surtout montré que le choix du Gouvernement d'étendre l'utilisation du fichier TES aux demandes relatives aux CNI a été motivé par la recherche d'économies. La solution de la nouvelle version du fichier TES a été privilégiée car elle ne nécessitait pas de dépenses d'investissement. Les solutions alternatives (fichiers décentralisés, carte d'identité munie d'une puce électronique notamment) n'ont, elles, pas vraiment été examinées par le Gouvernement, ou en tous cas rapidement écartées en raison de leur coût. On aurait pu penser, s'agissant d'un traitement de données biométriques concernant la quasi-totalité de la population, qu'une étude approfondie des avantages et inconvénients des différentes solutions techniques était nécessaire. Cela n'a semble-t-il pas été le cas.

Comme l'administration territoriale, le traitement des données à caractère personnel des Français doit se soumettre à la rigueur budgétaire...

Nous suivrons attentivement la mise en place des CERT : une telle mutation des procédures d'instruction des demandes de titres, en moins de trois ans, n'ira probablement pas sans difficulté, et il ne faudrait pas que le service aux usagers en souffre. À cet égard, les résultats des plates-formes d'instruction des passeports, récemment mises en place, ne sont pas encourageants. Le sous-dimensionnement de la plate-forme de Saint-Etienne a amené cette dernière à afficher un délai moyen de délivrance du passeport à 27 jours, contre 12,5 jours en moyenne nationale... Des délais de délivrance plus longs sont également constatés pour les plates-formes de Nevers et Montpellier, récemment mises en place.

L'installation des bornes interactives permettant l'accès aux procédures dématérialisées devra également être suivie. Prévues dans les préfectures et les maisons de services au public, ces bornes permettront l'accompagnement du public non familiarisé avec la procédure dématérialisée de demandes de titres ou ne possédant pas d'accès à Internet.

Aujourd'hui, environ 4 000 agents sont affectés aux missions d'instruction et de validation des titres. Avec la dématérialisation et la mise en place du réseau de plates-formes spécialisées, il est prévu de libérer 2 000 emplois, dont 700 seront budgétairement supprimés sur les deux prochaines années. Les 700 emplois restants seront redéployés au niveau des préfectures de département, essentiellement sur les missions prioritaires. Les préfectures devraient donc bénéficier à double titre de la mise en oeuvre du PPNG, qui, à la fois, dégage des marges de manoeuvre en termes d'effectifs et resserre leurs missions. Ce « renfort » de 700 emplois doit néanmoins être relativisé et comparé aux près de 4 000 emplois perdus par le programme « Administration territoriale » depuis 2007.

Ainsi, même si on peut saluer l'effort d'optimisation des ressources dans le cadre d'une politique générale de réduction des personnels, on constate, une fois de plus, la mise à l'épreuve de leur capacité d'adaptation et de celle de l'administration territoriale... D'autant que les services des préfectures devront être réorganisés autour des quatre missions prioritaires.

2. Un recentrage sur les missions prioritaires

Le PPNG a pour objet de réorienter les préfectures et sous-préfectures sur quatre missions : la gestion des crises, la lutte contre la fraude documentaire, l'expertise juridique et le contrôle de légalité, et la coordination territoriale des politiques publiques. D'où la nécessité d'adapter l'organisation des services préfectoraux. Quatre organisations cibles ont ainsi été définies par une circulaire du 8 juillet 2016 16 ( * ) : elles ont été modulées en fonction de la population des départements et de l'implantation ou non d'un CERT.

Concernant la gestion des crises, la directive nationale d'orientation (DNO) des préfectures et sous-préfectures 2016-2018 vise la constitution d'un vivier de personnels dédiés à cette mission, permettant une meilleure anticipation et une réactivité accrue des services préfectoraux. Des agents de sous-préfectures seront également formés à la gestion de crise et ainsi amenés à renforcer leur mission de soutien de proximité.

Dans le cadre de la lutte contre la fraude documentaire, un référent fraude à temps complet sera affecté à toutes les préfectures et des cellules de lutte contre la fraude vont être rattachées auprès de chaque CERT.

Il est également prévu de conforter la mission du contrôle de légalité, notamment par le renforcement des moyens des préfectures, en termes d'effectifs et de compétences. Les rapports pour avis sur le programme « Administration territoriale » des années précédentes l'ont tous souligné : ce renforcement est un besoin essentiel. Rappelons que le contrôle de légalité est une mission confiée au préfet par la Constitution 17 ( * ) . Or entre 2009 et 2013, les effectifs affectés à cette mission ont été fortement réduits : ils sont passés de 1 173 à 852 équivalents temps plein travaillé (ETPT), soit une baisse de 27 %. La centralisation du contrôle de légalité en préfecture et l'allègement du nombre d'actes à contrôler 18 ( * ) étaient censés compenser les conséquences de cette réduction drastique des effectifs. Or, le constat est unanime sur le manque d'effectifs et de compétences des personnels dans les services chargés du contrôle de légalité. Ainsi, malgré la baisse du nombre d'actes à contrôler, le taux des actes prioritaires contrôlés reste systématiquement inférieur à l'objectif ciblé par l'indicateur de performance, qui est de 100 % depuis 2013 19 ( * ) . Le renforcement prévu des effectifs sera-t-il suffisant pour atteindre cet objectif ? On peut en douter. À moins que l'ajustement prévu de la stratégie nationale de contrôle « autour d'un socle de priorités correspondant aux domaines à enjeux » 20 ( * ) contribue à réduire, encore, le nombre d'actes devant être contrôlés. La récente présentation d'un amendement, par le Gouvernement, sur le projet de loi relatif au statut de Paris et à l'aménagement métropolitain a confirmé cette volonté, puisqu'il visait expressément à réduire la liste des actes à transmettre au contrôle de légalité 21 ( * ) .

La mission d'expertise juridique des services préfectoraux est également mise en avant dans le cadre du PPNG : huit pôles d'appui juridique, chacun spécialisé dans un type de contentieux, sont en cours de déploiement. Ils auront un rôle de conseil, d'appui dans les contentieux et de formation auprès de l'ensemble des personnels préfectoraux. Sur le plan de l'organisation des services, la nouvelle « direction de la citoyenneté et de la légalité » doit permettre de mutualiser les compétences juridiques.

Pour ce qui concerne la coordination des politiques publiques, il est prévu de mettre en place, au sein de chaque préfecture, une structure dédiée à la coordination interministérielle. Son rôle consistera à améliorer le dialogue entre les services, avec les sous-préfectures et avec les directions départementales interministérielles.

3. Un important dispositif de requalification et de formation des personnels

Le volet ressources humaines du PPNG comporte un plan de repyramidage des effectifs et un plan de formation spécifique, dont l'objectif est la requalification des emplois des agents préfectoraux.

a) Le repyramidage des personnels de préfectures

Le PPNG va entraîner la réaffectation d'un certain nombre d'agents sur les missions prioritaires. Il a été souhaité que ces réaffectations soient aussi l'occasion d'augmenter le niveau de qualification des agents. Ce plan concerne plus particulièrement les personnels de catégorie C, qui représentent aujourd'hui une part importante des services traitant les demandes de titres.

Le plan de repyramidage vise à réduire le nombre d'agents de catégorie C et augmenter ceux des catégories B et A. On ne peut que s'en féliciter.

Le repyramidage des effectifs des préfectures

Au 1 er décembre 2015, le pyramidage des effectifs se décomposait ainsi :

- 17,57 % d'agents de catégorie A ;

- 29,53 % d'agents de catégorie B ;

- 52,90 % d'agents de catégorie C.

L'objectif du plan de repyramidage est de modifier la répartition des effectifs des différentes catégories de la manière suivante :

- 23 % d'agents de catégorie A, soit une augmentation de 1 000 agents ;

- 35 % d'agents de catégorie B, soit une augmentation de 900 agents ;

- 42 % d'agents de catégorie C, soit une diminution de 2 800 agents.

Pour permettre ce repyramidage, des concours et examens professionnels sont organisés en parallèle des procédés de recrutement habituels. En 2016, deux examens professionnels ont permis le passage de 80 agents de catégorie C en catégorie B et de 40 agents de catégorie B en catégorie A. Un concours exceptionnel a aussi permis le recrutement de 82 attachés (catégorie A), dont 42 en interne. Ces trois dispositifs seront reconduits jusque 2020.

Parallèlement au repyramidage des effectifs, le PPNG prévoit un volet formation afin d'accompagner les agents dans l'évolution de leurs missions.

b) Un plan de formation spécifique

Le dispositif de formation attaché au PPNG se décline en deux étapes.

En 2016, les formations dispensées ont eu pour objectif de préparer l'ensemble des agents aux changements induits par le PPNG. Les formations destinées aux cadres de tout niveau hiérarchique ont eu pour objet de les préparer à l'accompagnement au changement. Pour les agents, la consolidation des compétences de base et leur préparation à la mobilité fonctionnelle devait être assurée par un parcours de huit modules : être chef de projet, l'environnement professionnel, droit public appliqué aux préfectures, budget et marchés publics, le droit des collectivités territoriales, les droits et obligations des fonctionnaires, la bureautique et le français en situation professionnelle. Afin de former rapidement un grand nombre d'agents, ces formations ont été essentiellement dispensées à distance.

Pour 2017 et 2018, des parcours de formation seront mis en place pour chacune des nouvelles missions prioritaires, ainsi que pour les agents ayant demandé à être affectés dans des CERT.

C. LA RÉORGANISATION DE LA CARTE DES SOUS-PRÉFECTURES

1. Une réforme annoncée depuis 2009

L'idée d'une réorganisation du réseau infra-départemental avait été évoquée lors du quinquennat précédent, mais elle ne s'était traduite que par des mesures mineures. Reprise en 2012 par M. Manuel Valls, alors ministre de l'intérieur, elle visait à faire évoluer le réseau des sous-préfectures 22 ( * ) , afin de l'adapter aux évolutions démographiques, sociales et institutionnelles. La mission chargée de conduire cette réflexion n'a cependant pas rendu de conclusions. Ses travaux ont été repris par la mission animée par MM. Rebière et Weiss, qui, dans leur rapport sur la stratégie d'organisation à cinq ans de l'administration territoriale de l'État, n'ont évoqué aucune piste concrète de réforme pour le réseau infra-départemental.

Une première expérimentation, en 2013 en Alsace et Moselle, avait abouti à la suppression de 8 arrondissements et à la fermeture de 6 sous-préfectures 23 ( * ) . Cette expérimentation devait à l'origine préfigurer une réforme générale de la carte des sous-préfectures en 2014 qui a depuis été systématiquement reportée.

En attendant, les sous-préfectures ont dû continuer de remplir leurs missions avec des moyens de plus en plus restreints et un personnel maintenu dans l'incertitude... Et les sous-préfets ont été régulièrement interpellés par des élus locaux inquiétés par ces projets de réforme.

Par une lettre du 16 février 2016, le ministre de l'intérieur a demandé à l'ensemble des préfets de lancer des concertations visant à réformer l'échelon infra-départemental de l'État. Etant précisé que cette réforme devait s'inscrire dans l'adaptation « non plus seulement de l'organisation des sous-préfectures mais bien plus globalement de l'offre de services publics dans les territoires ».

Dans ce cadre, il a d'abord été demandé aux préfets d'étudier la pertinence des périmètres des arrondissements par rapport aux nouveaux schémas de coopération intercommunale. Ils ont également été chargés de rechercher les possibilités de spécialisations thématiques et de mutualisations. Le ministre a également sollicité des propositions de fusions et de jumelages d'arrondissements, cette dernière forme d'évolution étant privilégiée 24 ( * ) . Les préfets ont enfin été invités à implanter des Maisons de services au public et des Maisons de l'État 25 ( * ) et à repositionner les agents des sous-préfectures sur l'ingénierie territoriale.

Le retour de l'État dans l'ingénierie territoriale ?

La réforme du réseau des sous-préfectures procède de « la volonté résolue du Gouvernement de développer l'accompagnement des collectivités territoriales pour porter les projets de territoires et pour aider les acteurs locaux à trouver l'expertise et les financements dont ils ont besoin ».

Alors que l'inquiétude liée au recul de la présence de l'État dans les territoires était relayée depuis des années par nombre d'élus locaux et nationaux, les concertations menées dans le cadre de la revue des missions de l'État ont enfin, semble-t-il, fait prendre conscience au Gouvernement de l'importance du rôle de l'État dans l'ingénierie territoriale.

En mars dernier, une directive nationale d'orientation (DNO) relative à l'ingénierie territoriale de l'État 26 ( * ) , cosignée par le ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales et le ministre de l'intérieur, a précisé les axes de cette nouvelle priorité du Gouvernement. Le préambule de cette DNO annonce que, dans le cadre de la réorganisation territoriale de ses services, « l'État entend [...] réaffirmer sa place et préciser son rôle » dans ce domaine. Toutefois, quelques paragraphes plus bas, il est précisé qu'« il n'est plus question [que l'État] se substitue aux collectivités territoriales : l'ingénierie technique concurrentielle est définitivement de leur responsabilité ».

La DNO précise les trois rôles que l'État entend jouer :

- un rôle d'expert, c'est-à-dire de coordination des capacités d'expertise et d'ingénierie des différents services et établissements publics de l'État, pour mettre en oeuvre les politiques publiques prioritaires ;

- un rôle incitateur, qui comprend la coordination des différents acteurs, publics et privés de l'ingénierie dans les territoires et l'initiation de synergies locales pour permettre la réalisation des projets. Il s'agit aussi pour les préfets d'identifier les priorités d'interventions en matière d'ingénierie territoriale, par la prise en compte des différents besoins des territoires ;

- un rôle de facilitateur, par la veille des évolutions juridiques, le suivi des bonnes pratiques, la sécurisation des porteurs de projets : position unique de l'administration et orientation vers les partenaires et les financements pertinents.

Enfin la DNO définit l'organisation renouvelée sur laquelle se fondera l'ingénierie d'Etat. Elle précise notamment que les préfets mobiliseront les différentes entités étatiques compétentes dans le cadre de délégations ou missions interservices ou encore de pôles de compétences. L'organisation en mode projet devra être privilégiée pour les projets complexes.

La lecture de ce document laisse une impression d'accumulation de principes abstraits sans portée pratique autre que déclamatoire. On est donc sceptique sur la capacité de cette DNO à relancer la dynamique des services de l'État en matière d'accompagnement au développement des projets locaux.

2. Et qui n'aura pas vraiment lieu...

Les projets territoriaux de réforme de l'échelon infra-départemental ont été remis fin mai 2016. La mise en cohérence du périmètre des arrondissements avec celui des nouvelles intercommunalités va aboutir à la modification des limites de 229 arrondissements sur 335. Les arrêtés préfectoraux nécessaires seront pris avant la fin de l'année, afin de permettre une entrée en vigueur au 1 er janvier 2017, date de mise en oeuvre des nouveaux schémas départementaux de coopération intercommunale.

Concernant les jumelages et fusions d'arrondissements, le résultat des concertations est beaucoup plus modeste : il se résume à deux fusions et six jumelages... La carte des sous-préfectures n'évolue donc quasiment pas. Si on ne peut que s'en féliciter, on s'interroge sur les raisons d'un tel écart entre les ambitions initiales de la réforme et les résultats : aurait-on enfin réalisé l'importance du maintien de la présence de l'État au niveau infra-départemental et le rôle essentiel du sous-préfet ? Ou l'approche des échéances électorales de 2017 aurait-elle freiné une réforme qui ne pouvait que contrarier un peu plus les élus locaux et les électeurs ?

Sous-préfet, sous-préfectures et maires ruraux

Nous avons demandé à l'Association des maires ruraux de France de nous faire part de l'avis de ses adhérents concernant le rôle des sous-préfets et la place des sous-préfectures dans la vie locale 27 ( * ) .

Principal enseignement de ces remontées : la perception du sous-préfet par les élus dépend pour beaucoup de la personnalité de celui-ci et de la conception qu'il a de son métier. Là où certains se contentent d'appliquer les politiques publiques au niveau infra-départemental ou d'être le relai du préfet, d'autres partent des besoins et des projets du terrain pour les défendre auprès des différents services de l'État ; d'autres encore s'impliquent fortement dans le développement local, et constituent une véritable force de proposition en la matière.

Deux autres constats :

- les maires ruraux dont les communes dépendent de l'arrondissement chef-lieu regrettent la moindre disponibilité de leur sous-préfet. Étant également directeur de cabinet du préfet ou secrétaire général de la préfecture, celui-ci privilégie, largement, cette dernière fonction ;

- la spécialisation des sous-préfets sur des missions d'envergure départementale ou interdépartementale est bien perçue et même valorisée par les élus.

Parallèlement, les projets territoriaux des préfets ont prévu la création de 41 Maisons de l'État et de 179 Maisons de services au public. Rappelons que les Maisons de l'État sont des regroupements, au niveau infra-départemental, de services de proximité de l'État et/ou d'opérateurs nationaux sur un même site. La plupart des Maisons de l'État sont des sous-préfectures accueillant d'autres services, souvent ceux de la direction départementale des territoires (DDT). Ce regroupement permet différentes mutualisations (accueil, gestion du courrier, salles de réunion...). Les Maisons de services au public regroupent quant à elles différents services, assurés par l'État, les collectivités ou des entreprises privées de service public (poste, gaz, électricité).

III. UNE NOUVELLE TENTATIVE DE DÉMATÉRIALISATION DE LA PROPAGANDE ÉLECTORALE DÉJOUÉE PAR LE PARLEMENT

Avec l'article 52 du projet de loi de finances pour 2017, le Gouvernement a proposé pour la troisième fois depuis le début de la législature la dématérialisation de la propagande électorale. Cette mesure a été proposée par le Gouvernement en prévision de l'élection des députés l'an prochain. Une même tentative avait été faite pour les élections organisées en 2014 et en 2015.

Dans le même mouvement, le Gouvernement envisage de procéder, par la voie règlementaire, à la même dématérialisation pour l'élection du Président de la République. Si les règles d'envoi de la propagande électorale pour les élections législatives relèvent de l'article L. 166 du code électoral, pour les circonscriptions françaises, et de l'article L. 330-6 du même code, pour les circonscriptions situées à l'étranger, elles sont fixées pour l'élection présidentielle par l'article 17 du décret n° 2001-213 du 8 mars 2001.

Pour le Gouvernement, il s'agit de « réduire le coût économique et environnemental des dépenses liées à la propagande électorale en s'adaptant aux nouveaux modes d'informations » 28 ( * ) . En effet, les frais d'envoi, le coût du papier, l'impression et la mise en place des bulletins de vote et des circulaires électorales incombent à l'État.

Le Gouvernement met en avant le coût important de la propagande électorale dans le coût d'organisation des élections. Il estime ainsi ce coût à 143 millions d'euros pour l'élection présidentielle - soit 60,66 % du coût total de l'élection - et à 96,7 millions d'euros pour les élections législatives - soit 52,99 % du coût total de ces élections. Déduction faite des mesures compensatoires à la dématérialisation, le Gouvernement espérait ainsi une économie nette de 168,9 millions d'euros pour 2017 et se dispenser de l'envoi de près de 9 000 tonnes de papier pour la seule élection présidentielle.

L'obstination du Gouvernement s'est toutefois heurtée à un refus constant du Parlement de mettre fin à l'envoi de la propagande électorale et des bulletins de vote aux électeurs à leur domicile. Adoptant 9 amendements présentés par les différents groupes politiques, l'Assemblée nationale a supprimé, en première lecture, l'article 52 du projet de loi de finances pour 2017.

Votre rapporteur pour avis salue cette décision, ayant lors de la précédente tentative de dématérialisation de la propagande électorale, marqué son opposition à cette réforme. Les arguments avancés par ses promoteurs éludent une question fondamentale s'agissant de scrutins : la dématérialisation de la propagande électorale et des bulletins de vote favorise-t-elle la participation électorale ?

Le Gouvernement feint de le croire en avançant, sans le démontrer, que « cette mesure est susceptible d'améliorer l'information des jeunes en matière électorale, ce public étant particulièrement au fait des nouvelles technologies, et éventuellement d'avoir un impact positif sur leur participation aux scrutins. » 29 ( * ) Selon un postulat tout aussi invérifiable, « la propagande électorale imprimée fait de façon croissante l'objet de critiques de la part des électeurs et des parlementaires ».

D'ailleurs, s'il est fait état d'une consultation des formations politiques en 2014 pour recueillir leur avis sur cette mesure, le document d'évaluation préalable de cette disposition se garde d'en indiquer le sens.

En l'absence d'envoi papier aux domiciles des électeurs, le Gouvernement proposait la mise en ligne sur un site internet des bulletins de vote et circulaires électorales ainsi que la mise à disposition d'un exemplaire de la circulaire électorale de chaque candidat à la mairie, au consulat ou à l'ambassade de la circonscription électorale.

Cette mesure fait fi de l'absence d'accès ou de l'accès limité à Internet pour certains foyers, rendant illusoire la substitution numérique à l'envoi papier. D'ailleurs, conscient de cette difficulté, le Gouvernement avait renoncé à étendre cette mesure aux collectivités ultramarines au motif que « la couverture internet y est moindre que sur le territoire métropolitain ». Votre rapporteur pour avis s'interroge sur cette différence de traitement, rendant possible en métropole, y compris en zone rurale, ce qui ne le serait pas outre-mer.

Enfin, le Gouvernement met en avant l'expérimentation d'une plate-forme de dématérialisation de la propagande par le ministère de l'intérieur pour les élections de décembre 2015. Si cette expérience a pu être un succès sur le plan technique, le taux de participation électorale alors enregistré n'est pas de nature à rassurer sur la capacité de la dématérialisation à lutter contre l'abstention.

Votre rapporteur pour avis souhaite donc que le Gouvernement, prenant acte du refus constant et unanime du Parlement de mettre fin à l'envoi papier aux électeurs, n'engage pas cette réforme, au niveau règlementaire, pour l'élection présidentielle.

*

* *

Sur proposition du rapporteur, la commission des lois a donné un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » figurant dans le projet de loi de finances pour 2017.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

AUDITIONS

Ministère de l'intérieur :

- M. Alain ESPINASSE, secrétaire général adjoint, directeur de la modernisation de l'administration territoriale

- M. Pierre MAITROT, sous-directeur de la synthèse et du pilotage budgétaire

- M. Simon BERTOUX, chef du bureau de la performance et des moyens de l'administration territoriale

- Mme Sylvie CALVÈS, cheffe du bureau des élections et études politiques

- Mme Emmanuelle DARMON, chef de la mission de gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences

- M. Sébastien CREUSOT, chargé de mission - Dossiers budgétaires transversaux

Secrétariat général du Gouvernement :

- M. Jean-Luc NEVACHE, coordonnateur national de la réforme des services déconcentrés

- Mme Alane LE DÉ, chargée de mission sur la réforme territoriale

CONTRIBUTIONS ÉCRITES


Association des maires ruraux de France


* 1 Le compte rendu de cette réunion est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20161114/lois.html#toc10

* 2 Hors titres délivrés aux étrangers et demandes d'asile.

* 3 Le GIP « réinsertion et citoyenneté » a été créé par l'arrêté du 20 janvier 2016 portant approbation de la convention constitutive du groupement d'intérêt public dénommé « Réinsertion et citoyenneté ».

* 4 Ce nombre ne prend pas en compte le transfert des emplois FEDER aux conseils régionaux.

* 5 Décret du 29 décembre 2015 modifiant le décret du 25 mai 2009 relatif aux missions des secrétariats généraux aux affaires régionales.

* 6 La désignation open source (traduction en français : code source ouvert) s'applique aux logiciels dont la licence permet une libre redistribution, un accès au code source et la possibilité de créer des travaux dérivés.

* 7 La visioconférence utilise du matériel spécifique et correspond à une conversation téléphonique dont les interlocuteurs se voient en vidéo ; la web-conférence peut se faire avec un ordinateur standard équipé pour le multimédia (haut-parleurs et caméra) et permet le partage de documents.

* 8 Ces mesures sont détaillées dans la feuille de route accompagnement RH de la réforme des services régionaux de l'État, annexée à une lettre de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique du 9 septembre 2015.

* 9 Dans l'article « Le bi-site perdurera après 2018 », La lettre d'écoNormandie, 20 mai 2016.

* 10 Compte rendu du conseil des ministres du 16 décembre 2015.

* 11 Sauf pour les titres délivrés aux étrangers et les demandes d'asile .

* 12 Le fichier TES (Titres électroniques sécurisés), créé par le décret n° 2008-426 du 30 avril 2008, conserve les données recueillies dans le cadre de la délivrance des passeports. Les données recueillies dans le cadre de la délivrance des cartes d'identité étaient auparavant conservées dans le fichier national de gestion (FNG) des CNI. Le décret n° 2016-1460 du 28 octobre 2016 autorisant la création d'un traitement de données à caractère personnel relatif aux passeports et aux cartes nationales d'identité crée un traitement commun aux cartes nationale d'identité (CNI) et aux passeports, en regroupant les données dans le fichier TES.

* 13 Décision n° 2012-652 DC du 22 mars 2012.

* 14 Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

* 15 Décret n°2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports.

* 16 Circulaire du 8 juillet 2016 relative aux organisations cibles des préfectures, BO ministère de l'intérieur, 2016-8 p. 1.

* 17 Art. 72.

* 18 Décidés dans le cadre de la réforme de l'administration territoriale de l'État (RéATE), conduite entre 2009 et 2012.

* 19 Le taux d'actes prioritaires contrôlés pour 2015 est de 89,6 %.

* 20 Directive nationale d'orientation des préfectures et des sous-préfectures 2016-2018.

* 21 L'amendement (http://www.senat.fr/amendements/2016-2017/83/Amdt_131.html) a été déclaré irrecevable au titre de l'article 48 alinéa 3 du Règlement du Sénat (défaut de lien, même indirect, avec le texte en discussion).

* 22 Lettre de mission datée du 19 septembre 2012 au Conseil supérieur de l'administration territoriale, au délégué interministériel à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale et à l'inspection générale de l'administration.

* 23 Les enjeux de la réorganisation du réseau infra-départemental dans ces territoires étaient toutefois limités dans la mesure où la réorganisation consistait, d'une part, à revenir sur une sur-administration pour des raisons historiques et, d'autre part, à acter une situation de fait, deux sous-préfectures étant déjà jumelées et deux arrondissements n'ayant pas de sous-préfectures.

* 24 Un jumelage d'arrondissements consiste à confier à un sous-préfet la responsabilité de deux arrondissements voisins. Dans le cas d'une fusion d'arrondissements, une sous-préfecture se voit confier la gestion de deux arrondissements.

* 25 Voir infra p. 24.

* 26 Directive nationale d'orientation sur l'ingénierie d'Etat dans les territoires 2016-2018, 10 mars 2016.

* 27 Une soixantaine de contributions nous ont été transmises.

* 28 Évaluations préalables des articles du projet de loi de finances pour 2017, p. 298.

* 29 Évaluations préalables des articles du projet de loi de finances pour 2017, p. 301.

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