N° 141

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2016

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le projet de loi de finances pour 2017 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

TOME III

ÉCOLOGIE, DÉVELOPPEMENT ET MOBILITÉ DURABLES
(PÊCHE ET AQUACULTURE)

Par M. Michel LE SCOUARNEC,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Claude Lenoir , président ; Mmes Élisabeth Lamure, Delphine Bataille, MM. Alain Bertrand, Martial Bourquin, Gérard César, Alain Chatillon, Daniel Dubois, Joël Labbé, Michel Le Scouarnec, Yannick Vaugrenard , vice-présidents ; M. Marc Daunis, Mme Valérie Létard, M. Bruno Sido , secrétaires ; MM. Gérard Bailly, Jean-Pierre Bosino, Henri Cabanel, François Calvet, Roland Courteau, Alain Duran, Mmes Frédérique Espagnac, Dominique Estrosi Sassone, M. Daniel Gremillet, Mme Annie Guillemot, MM. Michel Houel, Serge Larcher, Jean-Jacques Lasserre, Daniel Laurent, Philippe Leroy, Mmes Marie-Noëlle Lienemann, Anne-Catherine Loisier, MM. Michel Magras, Franck Montaugé, Robert Navarro, Jackie Pierre, Ladislas Poniatowski, Mme Sophie Primas, MM. Yves Rome, Henri Tandonnet .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : 4061, 4125 à 4132 et T.A. 833

Sénat : 139 et 140 à 146 (2016-2017)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Après une dizaine d'années de crise, marquée par la faiblesse des revenus des pêcheurs et la réduction de la taille de notre flottille, la conjoncture s'est nettement améliorée depuis un peu plus de deux ans en matière de pêche maritime. De nombreux éléments attestent de cette amélioration : les revenus des pêcheurs se sont améliorés et de nouveaux investissements sont réalisés dans la modernisation des navires et le renouvellement de la flotte.

En matière de conchyliculture et d'aquaculture marine, le bilan est plus contrasté : premier producteur européen d'huîtres, deuxième producteur européen de moules, la France connaît depuis quelques années des phénomènes de surmortalité des huîtres mais aussi plus récemment des moules. En dehors de l'ostréiculture et de la mytiliculture, l'aquaculture marine, et en particulier la pisciculture reste marginale sur le littoral français et ne se développe absolument pas.

Les crédits nationaux en faveur de la pêche et de l'aquaculture figurent, dans le projet de loi de finances pour 2017, comme dans les projets présentés depuis le début du quinquennat 2012-2017, au sein d'une action identifiée dans le programme n° 205 « S écurité et affaires maritimes, pêche et aquaculture » de la mission « Ecologie, développement et mobilité durable ». Ils sont de nouveau en légère baisse par rapport au budget précédent , avec 45,6 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) comme en crédits de paiement (CP), contre 46,8 millions d'euros prévus dans le précédent projet de loi de finances, soit une baisse de 2,64 %. En cinq ans, les crédits dédiés à la pêche et à l'aquaculture dans le budget de l'État, qui étaient de 52 millions d'euros en 2013 auront baissé d'un peu plus de 14 % .

Mais ils sont loin de représenter la totalité des moyens consacrés par les autorités publiques au soutien à la pêche et à l'aquaculture : d'autres sources de financement proviennent du budget de l'État : ainsi, le contrôle des pêches repose sur des moyens transversaux retracés dans d'autres actions, programmes ou missions et la recherche halieutique repose aussi sur les crédits de l'Ifremer, provenant en grande partie de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».

Surtout, la pêche et l'aquaculture sont éligibles à des aides européennes reposant sur le fonds européen des affaires maritimes et de la pêche (FEAMP), doté pour la France pour la période 2014-2020 de 588 millions d'euros, soit en moyenne 84 millions d'euros par an.

Enfin, un acteur interprofessionnel, France filière pêche , intervient pour mettre en oeuvre une véritable politique de soutien à la filière, avec un budget de 31 millions d'euros par an, qui va toutefois connaître une baisse importante à partir de l'année prochaine.

Au-delà des soutiens financiers, la pêche et l'aquaculture ont besoin de perspectives pour assurer le développement durable du territoire littoral. La loi n° 2016-816 du 20 juin 2016 pour l'économie bleue, a poursuivi cet objectif en prévoyant quelques dispositions en faveur de la pêche et de l'aquaculture, comme l'assouplissement du statut de la société de pêche artisanale, la possibilité de créer des fonds de mutualisation agréés pour indemniser les pêcheurs. Réuni à Marseille le 4 novembre 2016, le comité interministériel de la mer (Cimer) s'est inscrit dans le sillage du comité de 2015, proposant notamment d'encourager l'installation des jeunes à travers le nouveau décret sur les permis de mise en exploitation , attendu très prochainement, et de faciliter le renouvellement de la flotte.

Votre rapporteur insiste sur la nécessité de promouvoir une pêche et une aquaculture durables, reposant sur ses trois piliers : économique, environnemental et social . Sur le plan économique, la pêche est essentielle à l'équilibre de communes littorales : un emploi en mer génère trois à quatre emplois à terre. Sur le plan environnemental, il est indispensable de poursuivre les efforts de maîtrise de la ressource halieutique et de préserver les écosystèmes marins. Enfin, sur le plan social, l'amélioration de la situation des marins à bord des navires et la lutte contre le dumping social doivent être des priorités.

L'examen du budget 2017 constitue donc l'occasion de rappeler ces objectifs de la politique des pêches et de l'aquaculture, portés au niveau national mais aussi au niveau européen, tant la politique commune de la pêche (PCP) a pris de l'importance pour la filière.

Mais cette politique doit faire face à une difficulté nouvelle : la perspective du Brexit inquiète légitimement les pêcheurs français : ceux de Bretagne, de Normandie ou encore des Hauts de France déploient une grande partie de leur activité dans les eaux britanniques et seraient très pénalisés en cas de renégociation à la baisse des quotas de pêche entre l'Union européenne et la Grande-Bretagne. Une vigilance s'impose dès maintenant dans la préparation des négociations du Brexit pour ne pas sacrifier les intérêts de nos pêcheurs .

Lors de sa réunion du 9 novembre 2016, la commission des affaires économiques a examiné les crédits relatifs à la pêche et à l'aquaculture inscrits dans le projet de loi de finances pour 2017 au sein de la mission : « Écologie, développement et mobilité durables ». Elle s'en est remise à la sagesse du Sénat lors de sa réunion du 30 novembre 2016.

I. LA SITUATION CONTRASTÉE DE LA PÊCHE ET DE L'AQUACULTURE EN FRANCE

A. LA CONSOMMATION DE PRODUITS DE LA MER EN PROGRESSION CONSTANTE.

1. Une demande mondiale et européenne forte.
a) Une tendance mondiale à la hausse de la consommation.

Selon les données de l'Organisation des Nations-Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), la consommation mondiale de poissons n'a cessé de croître depuis une cinquantaine d'années, et ce, pas seulement sous l'effet de l'augmentation de la population mondiale. Dans son dernier rapport publié en juillet 2016, la FAO notait que pour la première fois, la consommation mondiale dépassait les 20 kilos par habitant et par an 1 ( * ) , contre 10 kilos environ en 1960. La production halieutique et aquacole mondiale est passée de moins de 40 millions de tonnes en 1960 à plus de 160 millions de tonnes aujourd'hui. Depuis une vingtaine d'années, la pêche est stable autour de 85 à 90 millions de tonnes, alors qu'à l'inverse, l'aquaculture se développe très rapidement depuis les années 1990, en particulier en Asie .

Les poissons fournissent 6,7 % de l'ensemble des protéines consommés par la population mondiale, et sont recherchés pour leurs apports nutritionnels, notamment en acides gras-oméga 3, vitamines, zinc, fer ou encore calcium.

La croissance rapide de la consommation de poissons n'est pas sans poser problème : la FAO indique que près d'un tiers des stocks de poissons commerciaux sont à présent pêchés à des niveaux biologiquement non viables , soit trois fois plus qu'en 1974, même si ce taux se stabilise depuis 2007.

Alternative à la pêche pour répondre à la demande des consommateurs, l'aquaculture peut également poser des problèmes environnementaux importants de pollution des eaux littorales.

Certaines zones géographiques se sont dotées de règles strictes de gestion de la ressource halieutique. Ainsi, l'Europe, qui a connu l'épuisement de nombreux stocks surexploités, a renforcé sans cesse les exigences de maîtrise de la ressource dans le cadre de la PCP. La dernière réforme interdit les rejets à la mer des poissons non souhaités (prises accessoires), durcit les conditions de définition des totaux admissibles de capture (TAC) afin d'atteindre rapidement le rendement maximum durable (RMD) des stocks. Des règles techniques ont été adoptées pour encadrer l'effort de pêche, ou encore pour adapter les engins de pêche ou la taille des mailles des filets afin d'améliorer la sélectivité de ceux-ci.

b) Le poisson prisé des consommateurs européens.

La consommation de poissons en Europe connaît elle aussi une progression . Dans son dernier rapport 2 ( * ) , l'observatoire européen des marchés des produits de la pêche et de l'aquaculture (EUMOFA) montre que celle-ci est passée de moins de 20 kilos par habitant au début des années 2000 à 25,5 kilos aujourd'hui .

Les dépenses des européens en produits de la pêche et de l'aquaculture atteignent désormais 54 milliards d'euros et ne cessent de progresser, malgré la hausse des prix des poissons et fruits de mer, qui s'élève à 13 % sur la période 2010-2015.

Les européens ne se détournent donc pas de la consommation de poissons et fruits de mer, bien au contraire. Cette consommation est d'ailleurs assez diversifiée : si saumon, cabillaud, merlu et maquereaux représentent un tiers de la consommation totale de poissons frais dans l'Union européenne, mais de nombreuses autres espèces sont commercialisées, en fonction de leur disponibilité dans les zones proches de pêche.

Le succès de la consommation de poissons en Europe pèse sur la balance commerciale de l'Union européenne , car les producteurs sont très loin d'être capables de fournir à eux seuls le marché intérieur. La production européenne a atteint 6,15 millions de tonnes , dont 4,87 millions de tonnes pour la pêche et 1,28 million de tonnes pour l'aquaculture, alors que la consommation atteint presque 13 millions de tonnes. L'Europe importe donc presque 9 millions de tonnes par an , tout en exportant 2 millions de tonnes. L'autosuffisance européenne est au final en valeur d'à peine 47,5 % , si bien que la consommation intérieure de l'Union européenne est majoritairement assurée par les importations, en particulier en provenance de Norvège pour un montant de 4,83 milliards d'euros . Les produits sont principalement importés sous forme de produits congelés ou préparés : crevette, thons, poissons blancs et farines de poisson.

Au total, les importations dans l'Union européenne représentent 22,3 milliards d'euros (un cinquième de l'ensemble des importations alimentaires de l'Union) et le déficit de la balance commerciale de l'Union européenne sur les produits alimentaires halieutiques et de l'aquaculture est de 17,8 milliards d'euros en 2015.

2. La situation en France : une consommation dynamique, nécessitant des fournisseurs extérieurs.
a) Une consommation soutenue en France.

De 30 kilos par habitants en l'an 2000, la France est passée à une consommation de produits aquatiques de 34,5 kilos environ par personne et par an . Les prix des poissons et crustacés se sont maintenus dans la période au-dessus de l'inflation : le poisson est aujourd'hui mieux valorisé qu'il y a une quinzaine d'années en valeur réelle.

La structure de la consommation a cependant évolué avec une érosion de la consommation de poisson frais au profit des produits surgelés et des produits traiteur réfrigérés, qui représentent aujourd'hui un chiffre d'affaires aussi important que le poisson frais, soit environ 2,3 milliards d'euros par an.

D'après les derniers chiffres de FranceAgrimer 3 ( * ) , Les achats par les ménages de produits aquatiques représentent un peu plus de 7 milliards d'euros, auxquels s'ajoute 1 milliard d'euros d'achats de la restauration hors foyer.

Plus de la moitié de la consommation de poissons frais s'effectue sous forme de filets, les poissons entiers ne représentant plus que 15 % des achats. A lui seul, le saumon représente un chiffre d'affaires de près d'un milliards d'euros, dont 377 millions d'euros et 565 millions d'euros en frais.

b) Une balance commerciale déséquilibrée.

L'appétit des français pour les poissons et fruits de mer génère d'importantes importations, la production intérieure ne couvrant qu'une très faible part de l'approvisionnement. Le bilan d'approvisionnement français est d'ailleurs l'un des plus déséquilibré de l'Union européenne : en 2015, la France importait pour 4,8 milliards d'euros et exportait pour 1,5 milliard d'euros, soit une balance commerciale déficitaire de plus de 3,3 milliards d'euros.

Si la France consommait toute sa production, elle ne couvrirait qu'un tiers à peine de sa consommation intérieure. Les importations massives de saumons, crevettes et, dans une moindre mesure de cabillauds expliquent pour beaucoup de déséquilibre, qui se creuse depuis une dizaine d'années.

Les perspectives d'évolution sont inexistantes, dans la mesure où la PCP, mettant en place des mécanismes stricts de gestion des ressources halieutiques, ne permet pas d'augmenter les débarquements afin de préserver les stocks. Dans le même temps, l'aquaculture, et en particulier la pisciculture ne se développe pas à un rythme permettant de répondre à la demande croissante.

La tendance à long terme est même à la baisse de l'auto-approvisionnement français : notre pays ne représente que 10 % de la production halieutique européenne et en une décennie, les volumes de production ont baissé de 25 % (bien que la production soit désormais relativement stable depuis cinq ans).


* 1 Situation mondiale des pêches et de l'aquaculture, FAO, édition 2016.

* 2 Le marché européen du poisson, EUMOFA, édition 2016.

* 3 Les filières pêche et aquaculture en France, FranceAgrimer, avril 2016

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