Avis n° 170 (2015-2016) de M. Yves DÉTRAIGNE , fait au nom de la commission des lois, déposé le 19 novembre 2015

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N° 170

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2015

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances pour 2016 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,

TOME IX

JUSTICE JUDICIAIRE ET ACCÈS AU DROIT

Par M. Yves DÉTRAIGNE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; Mme Catherine Troendlé, MM. Jean-Pierre Sueur, François Pillet, Alain Richard, François-Noël Buffet, Alain Anziani, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Pierre-Yves Collombat, Mme Esther Benbassa , vice-présidents ; MM. André Reichardt, Michel Delebarre, Christophe-André Frassa, Thani Mohamed Soilihi , secrétaires ; MM. Christophe Béchu, Jacques Bigot, François Bonhomme, Luc Carvounas, Gérard Collomb, Mme Cécile Cukierman, M. Mathieu Darnaud, Mme Jacky Deromedi, M. Félix Desplan, Mme Catherine Di Folco, MM. Christian Favier, Pierre Frogier, Mme Jacqueline Gourault, M. François Grosdidier, Mme Sophie Joissains, MM. Philippe Kaltenbach, Jean-Yves Leconte, Roger Madec, Alain Marc, Didier Marie, Patrick Masclet, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Michel Mercier, Jacques Mézard, Hugues Portelli, Bernard Saugey, Simon Sutour, Mmes Catherine Tasca, Lana Tetuanui, MM. René Vandierendonck, Alain Vasselle, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : 3096, 3110 à 3117 et T.A. 602

Sénat : 163 et 164 à 169 (2015-2016)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Après avoir entendu Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, le 24 novembre, la commission des lois du Sénat, réunie le 25 novembre 1 ( * ) sous la présidence de M. Philippe Bas, a examiné, sur le rapport pour avis de M. Yves Détraigne , les crédits alloués par le projet de loi de finances pour 2016 à la justice judiciaire et à l'accès au droit.

Le rapporteur a tout d'abord constaté que la légère progression en volume, par rapport à l'an passé, des crédits des quatre programmes étudiés dans le présent avis, se limitait à un retour au niveau du budget de 2014. Les crédits de la mission « justice » sont toutefois préservés de la baisse qui frappe la plupart des autres missions budgétaires.

Examinant les moyens dévolus aux juridictions judiciaires, M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis , a relevé que les difficultés des années précédentes continuaient de se poser : l'enveloppe des frais de justice paraît sous-évaluée, ce qui annonce des dépassements budgétaires ou d'importants retards de paiement pour les juridictions ; le taux de vacance de poste pour les magistrats et les greffiers est toujours très élevé puisqu'en moyenne il manque un greffier par juridiction et un magistrat pour deux juridictions. Il a toutefois salué la décision du Gouvernement de corriger la sous-consommation du plafond d'emplois voté chaque année, en réajustant ce dernier.

S'attachant plus particulièrement au programme relatif à l'accès au droit et à la justice, M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis , a observé que la réforme de l'aide juridictionnelle proposée à l'article 15 du projet de loi de finances n'était que partielle et que son financement ne serait pas assuré, faute pour le Gouvernement d'avoir substitué une recette nouvelle à celle qu'il a supprimée pour tenir compte de l'opposition de la profession d'avocats à être associée, par le biais d'un prélèvement, au financement de l'aide juridictionnelle.

Le rapporteur pour avis a aussi regretté que le projet de loi de finances ne prévoie pas d'augmenter le budget relatif au développement de la médiation familiale alors que cette dernière constitue une piste d'économies importantes puisqu'elle permet aux parties de s'entendre avant de saisir le juge. Pour y remédier, la commission des lois a adopté, à son initiative, un amendement LOIS.1 , qui augmente de 300 000 euros les crédits dédiés à l'action correspondante dudit programme budgétaire.

Au bénéfice de ces observations et sous réserve de l'adoption de son amendement, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits examinés dans le présent rapport.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le présent avis porte sur les crédits dévolus, dans le projet de loi de finances pour 2016, à quatre programmes de la mission « justice » (le programme 166 « Justice judiciaire », le programme 101 « Accès au droit et à la justice », le programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et le programme 335 « Conseil supérieur de la magistrature ») dont le responsable est la ministre de la justice, garde des sceaux.

À travers ces quatre programmes, votre commission étudie ainsi l'ensemble des moyens consacrés au fonctionnement de l'institution judiciaire et à l'accès au droit. Deux autres programmes de la mission « Justice » font l'objet d'avis spécifiques, l'un sur l'« Administration pénitentiaire » (programme 107) et l'autre sur la « Protection judiciaire de la jeunesse » (programme 182) 2 ( * ) .

L'année 2016 devrait être celle de la mise en oeuvre des mesures relatives à la justice du XXI ème siècle contenues dans le projet de loi organique 3 ( * ) et le projet de loi ordinaire 4 ( * ) discutés par votre assemblée les 3, 4 et 5 novembre derniers : création du service d'accès unique du justiciable (SAUJ), transferts de compétences du tribunal d'instance vers le tribunal de grande instance, allégement de certaines charges procédurales pesant sur les greffes, hausse du recours aux magistrats honoraires, ouverture du recrutement judiciaire... D'autres mesures de niveau réglementaire devraient les accompagner, en particulier la rénovation du statut de personnels de greffe ou le développement de la communication électronique.

L'impact budgétaire de cette réforme est difficile à évaluer puisqu'il dépendra, entre autres, de l'ampleur que le Parlement lui donnera.

Cette incertitude budgétaire, en dépit des prévisions présentées, est redoublée par deux annonces récentes de l'exécutif.

Le Gouvernement a tout d'abord renoncé, en raison de l'opposition très vive des avocats, à l'un des volets de la réforme de l'aide juridictionnelle qu'il proposait, la mise à contribution de la profession d'avocats. La garde des sceaux n'a pas encore présenté à ce stade de nouvelles propositions de recettes 5 ( * ) pour remplacer celle ainsi supprimée.

Par ailleurs, en réponse aux évènements dramatiques que notre pays a connus le 13 novembre dernier, le Président de la République a annoncé, devant le Parlement réuni en Congrès le 16 novembre, la création de 2 500 postes supplémentaires pour l'administration pénitentiaire et les services judiciaires. La ventilation de ces créations entre les différents programmes de la mission « justice » n'est pas encore connue.

*

* *

I. UN BUDGET STABILISÉ AU NIVEAU DE CELUI DE 2014

La mission « justice » n'échappe pas à la rigueur budgétaire, même si elle fait partie des missions relativement préservées dans le cadre du projet de loi de finances.

Ses crédits de paiement augmentent de 1% par rapport au budget précédent. Une fois encore, l'essentiel de la hausse profite au programme relatif à l'administration pénitentiaire, les crédits de paiement des services judiciaires et de l'accès au droit étudiés dans le cadre du présent avis ne progressant, eux, que de 0,7 %.

Votre rapporteur note toutefois que cette augmentation par rapport à l'année en cours ne compense pas encore la baisse intervenue entre 2014 et 2015, puisque le présent budget est inférieur de 0,6 % à ce qu'il était en 2014 .

Plutôt qu'une progression des crédits de la mission, il faut donc évoquer une stabilisation de ces crédits à leur niveau de 2014.

Évolution des crédits des programmes
de la mission « justice
» examinés dans le présent avis
(en millions d'euros)

Numéro et intitulé
du programme
et de l'action

Autorisations d'engagement en M€

Crédits de paiement en M€

LFI 2014

LFI 2015

PLF 2016

2016/2015 (en %)

2016/2014 (en %)

LFI 2014

LFI 2015

PLF 2016

2016/2015 (en %)

2016/2014 (en %)

166 - Justice judiciaire

3 182

2 995

3 119

4,1%

-2%

3 110

3 065

3 087

0,7%

-0,8%

101 - Accès au droit et à la justice

368

359

366

2%

-0,4%

368

358

367

2,6%

-0,3%

310 - Conduite et pilotage de la politique de la justice

404

354

375

5,8%

-7,3%

311

315

311

-1,5%

-0,1%

335 - Conseil supérieur de la magistrature

3,8

3,62

3,48

-3,8%

-8,4%

4,2

4,34

4,44

2,5%

5,8%

Total des programmes suivis dans cet avis

3 958

3 711

3 863

4,1%

-2,4%

3 793

3 742

3 769

0,7%

-0,6%

Total des crédits de la mission « justice »

7 578

9 196

8 262

-10,1%

9%

7 806

7 894

7 973

1%

2,1%

Part des crédits du présent avis dans la mission « justice »

52,2%

40,4%

46,8%

-

-

48,6%

47,4%

47,3%

-

-

Source : PLF et projet annuel de performances pour 2016 et 2015.

A. LE PROGRAMME « JUSTICE JUDICIAIRE »

Le programme « justice judiciaire » progresse dans les mêmes proportions (0,7 %) que la moyenne des programmes suivis dans cet avis. Ses crédits de paiement (CP) augmentent ainsi de 22 millions d'euros , à 3,087 milliards dans le projet de loi de finances pour 2016, contre 3,065 milliards d'euros votés dans la loi de finances pour 2015.

L'essentiel de la hausse profite aux dépenses de personnel, puisque le Gouvernement prévoit la création de 157 emplois ainsi que la mise en oeuvre de mesures catégorielles, destinées à traduire la réforme du statut des greffiers et des greffiers en chef, à hauteur de 8,7 millions d'euros.

Les crédits d'investissement baissent quant à eux fortement, de près d'un tiers, passant de 155 millions d'euros à 118 millions d'euros. Ceci traduit le fait que, dans un contexte budgétaire contraint, le ministère de la justice ajuste la programmation des investissements immobiliers.

Évolution des crédits du programme « justice judiciaire »
(en millions d'euros)

Numéro et intitulé de l'action

Autorisations d'engagement
en M€

Crédits de paiement
en M€

LFI 2015

PLF 2016

Évolution
2016/2015

LFI 2015

PLF 2016

Évolution
2016/2015

1 - Traitement et jugement des contentieux civils

927,02

946,67

2,1%

927,02

946,67

2,1%

2 - Conduite de la politique pénale et jugement des affaires pénales

956,83

1 003,64

4,9%

956,83

1 003,64

4,9%

3 - Cassation

58,55

48,06

-17,9%

58,55

48,06

-17,9%

5 - Enregistrement des décisions judiciaires

12,15

10,63

-12,6%

12,15

10,63

-12,6%

6 - Soutien

900,82

970,26

7,7%

970,91

938,02

-3,4%

7 - Formation

110,67

112,78

1,9%

110,67

112,78

1,9%

8 - Support à l'accès au droit et à la justice

28,63

26,87

-6,2%

28,63

26,87

-6,2%

Total

2 994,67

3 118,91

4,1%

3 064,76

3 086,67

0,7%

Source : projet annuel de performances pour 2016.

Votre rapporteur pour avis constate que la plupart des juridictions civiles ou pénales voit le délai moyen de traitement des affaires dont elles sont saisies se dégrader.

Ainsi, ce délai moyen a augmenté de 0,3 mois, entre 2013 et 2014, pour les cours d'appel, de 0,2 mois, pour les tribunaux de grande en instance (TGI) sur la même période, de 1,8 mois, entre 2012 et 2014, pour les cours d'assises et de 0,2 mois, entre 2012 et 2013, pour les tribunaux correctionnels.

Ce constat est aggravé, pour les tribunaux de grande instance, par le fait que de plus en plus de juridictions dépassent de plus de 15 % ce délai moyen de traitement, ce qui traduit une grande inégalité entre les territoires : en 2014 près d'un tiers des TGI étaient dans ce cas, contre seulement 13 % en 2013.

La première cause de cette dégradation des délais de traitement est l'augmentation sensible du nombre d'affaires nouvelles portées devant ces juridictions. Ainsi, les cours d'appel ont été saisies en 2014 de 251 000 nouvelles affaires civiles, ce qui représente 6 000 affaires de plus qu'en 2013 ; les tribunaux de grande instance ont enregistré en 2014 960 000 affaires nouvelles, soit plus de 40 000 affaires supplémentaires par rapport à 2013.

À l'inverse, les juridictions qui ont connu une baisse de leur contentieux ont amélioré leurs délais de traitement. Il en va ainsi, notamment, des tribunaux d'instance qui ont enregistré, en 2014, 48 000 affaires en moins. Cette baisse était exclusivement due à la fin de la période de renouvellement des mesures de tutelles qui les avait précédemment fortement mobilisées.

Votre rapporteur s'interroge, au vu de cette évolution, sur les conséquences de la réforme de l'organisation judiciaire proposée par la garde des sceaux dans son projet de loi précité, qui porte application des mesures relatives à la justice du XXI ème siècle. En effet, plusieurs dispositions du texte prévoient de basculer sur les TGI des contentieux aujourd'hui dévolus aux tribunaux d'instance. Il en va ainsi du contentieux des tribunaux de police et de celui du dommage corporel inférieur à 10 000 euros. Dans le même temps, la juridiction de proximité devrait être supprimée au 1 er janvier 2017 et les juges de proximité reversés auprès du tribunal de grande instance en qualité d'assesseurs du tribunal correctionnel.

D'un côté, les tribunaux d'instance perdront une partie de leur contentieux, mais se trouveront investis de celui qui échoit, jusqu'à présent aux juridictions de proximité. De l'autre, les tribunaux de grande instance récupéreront ce premier contentieux, mais ils recevront le renfort des juges de proximité. L'opération sera-t-elle neutre pour chaque juridiction ? Il appartiendra au Gouvernement d'être vigilant sur ce point.

B. LE PROGRAMME « ACCÈS AU DROIT ET À LA JUSTICE »

Le programme « Accès au droit et à la justice » voit sa dotation budgétaire progresser sensiblement, de 2 % en AE et de 2,6 % en CP, soit un peu plus de 9 millions d'euros.

Cette augmentation se décompose en trois parties.

Les crédits dévolus à l'aide juridictionnelle sont abondés de 4 millions d'euros. L'essentiel des dépenses nouvelles est toutefois couvert, comme on le verra 6 ( * ) , par la hausse ou la création de recettes affectées, à hauteur de 25 millions d'euros.

Quoiqu'inférieures en valeur absolue, les deux augmentations qui touchent l'action 2, « Développement de l'accès au droit et du réseau judiciaire de proximité » (+ 2 millions d'euros) et l'action 3, « Aide aux victimes » (+ 3 millions d'euros), sont importantes pour ces dernières, puisqu'elles représentent respectivement 35,5 % et 18 % des crédits qui leur sont attribués.

L'abondement de crédits relatif au développement de l'accès au droit vise à développer, au sein des maisons de la justice et du droit, les consultations juridiques conduites par des professionnels du droit ou des associations. Le but du Gouvernement est de favoriser, par ce biais, l'information du justiciable et de faciliter, le cas échéant, la résolution non contentieuse du litige.

La dotation consacrée à l'action relative à l'aide aux victimes augmente une nouvelle fois, jusqu'à atteindre le double de ce qu'elle était en 2012. Cette action correspond essentiellement à des subventions versées aux associations d'aide aux victimes, pour les différentes missions qu'elles prennent en charge : permanences au sein des bureaux d'aide aux victimes, service d'assistance téléphonique, participation au dispositif de télé-protection des personnes en grave danger...

L'action 5, créée l'an passé pour assurer l'indemnisation des avoués, a été supprimée. En effet, les mesures adoptées dans la précédente loi de finances 7 ( * ) en faveur du fonds d'indemnisation des avoués (FIDA) et la renégociation de l'échéancier des remboursements d'avances accordées par la Caisse des dépôts et consignation ont permis un retour de ce fonds à l'équilibre. Une nouvelle subvention de l'État n'apparaît donc plus nécessaire.

Évolution des crédits du programme « Accès au droit et à la justice »

(en millions d'euros)

Numéro et intitulé de l'action

Autorisations d'engagement
en M€

Crédits de paiement
en M€

LFI 2015

PLF 2016

Évolution
2016/2015

LFI 2015

PLF 2016

Évolution
2016/2015

1 - Aide juridictionnelle

332,36

336,73

1,3%

332,36

336,73

1,3%

2 - Développement de l'accès au droit et du réseau judiciaire de proximité

5,17

7,00

35,5%

5,17

7,00

35,5%

3 - Aide aux victimes

18,36

19,38

5,6%

16,94

20,00

18,0%

4 - Médiation familiale et espaces de rencontre

3,26

3,25

-0,4%

3,26

3,25

-0,4%

Total

359,15

366,36

2,0%

357,73

366,98

2,6%

Source : projet annuel de performances pour 2016.

Le fait que l'action 4 « Médiation familiale et espaces de rencontre » soit la seule à ne pas progresser et qu'elle enregistre, au contraire, une légère baisse, a retenu l'attention de votre rapporteur.

En effet, un tel choix n'est pas conforme à la volonté affichée par le Gouvernement, en particulier dans le projet de loi précité portant application des mesures relatives à la justice du XXI ème siècle, de favoriser le développement des modes alternatifs de règlement des litiges.

En outre, il n'est pas forcément non plus de bonne gestion budgétaire. Le bilan très favorable des expérimentations conduites jusqu'au 31 décembre 2014, en matière de médiation familiale préalable obligatoire, montre à cet égard que la médiation familiale peut être une source d'économies budgétaires, puisqu'elle évite que la juridiction soit saisie d'un contentieux que les parties ont su régler ensemble, à leur avantage ( cf . encadré).

Certes, le présent budget n'est pas dépourvu de toute promotion de la médiation : l'extension des missions d'aide juridictionnelle aux médiations ordonnées par le juge participe de cette promotion. Toutefois, elle ne concernera que les justiciables les moins fortunés. Or, il est opportun de favoriser plus largement l'essor de la médiation.

Pour cette raison, votre commission a adopté un amendement LOIS.1 de son rapporteur prélevant 300 000 euros sur l'action « Évaluation, contrôle, études et recherche » du programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice », à hauteur d'un peu de moins de 2 %, au profit  de l'action « Médiation familiale et espace de rencontre " du présent programme 101. Ceci représenterait une hausse d'un peu moins de 10 % des crédits dédiés à cette dernière action.

Le bilan des expérimentations relatives à la médiation familiale

Le ministère de la justice a conduit récemment deux expérimentations sur la médiation familiale, closes le 31 décembre 2014.

La première trouve son origine à l'article 15 de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles , qui a prévu que la saisine du juge aux affaires familiales par les parents aux fins de modification d'une décision fixant les modalités de l'exercice de l'autorité parentale ou la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, devrait être précédée, sous peine d'irrecevabilité, d'une tentative de médiation familiale.

Une seconde expérimentation a été conduite parallèlement à cette première expérimentation. Prévue à l'article 1 er du décret n° 2010-1395 du 12 novembre 2010 relatif à la médiation et à l'activité judiciaire en matière familiale , elle autorise le juge aux affaires familiales saisi d'une affaire qui lui paraît pouvoir faire l'objet d'une médiation à enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur familial. Ainsi, une double convocation est adressée aux parties : la première est une convocation à une médiation ordonnée par le juge, la seconde une convocation à l'audience ultérieure d'examen de l'affaire.

Les deux expérimentations ont été mises en oeuvre au sein des tribunaux de grande instance d'Arras et de Bordeaux. Leur coût total annuel a été d'un peu plus de 400 000 euros pour le ministère de la justice et de 350 000 euros pour les caisses d'allocations familiales d'Arras et de Bordeaux.

Les résultats observés sont très positifs. En effet, plus de la moitié des parties se rendent effectivement à la première réunion d'information sur la médiation. Le taux de celles qui s'engagent ensuite dans un processus de médiation est de 23,65 % dans le cadre de la première expérimentation (médiation préalable obligatoire) et de 17,09 % dans le cadre de la seconde (double convocation). Surtout, la proportion d'accords issus de ces médiations est importante : les trois-quarts pour la première expérimentation, les deux-tiers pour la seconde, alors qu'en général, lorsque les parties sollicitent d'elles-mêmes une médiation, le taux de succès est à peine de 60 %.

Source : ministère de la justice - réponses au questionnaire budgétaire

C. LE PROGRAMME « CONDUITE ET PILOTAGE DE LA POLITIQUE DE LA JUSTICE »

Les crédits de ce programme baissent de 1,5 % en CP (de 315 à 310 millions d'euros) et augmentent de 5,8 % en AE (de 354 à 374 millions d'euros).

La baisse enregistrée pour les crédits de paiement trouve principalement son origine dans l'opération de regroupement des services de l'administration centrale au sein d'un site unique, l'immeuble « Millénaire 3 », situé dans le 19 e arrondissement de Paris, porte d'Aubervilliers.

Cette opération immobilière, négociée dans des conditions favorables, permet à l'État d'acquérir un immeuble par crédit-bail, en lissant le coût d'acquisition sur plusieurs années, jusqu'en 2031. Elle met fin à la dispersion des sites de l'administration centrale et à la multiplicité des loyers correspondants, puisque les différents services seront réunis soit place Vendôme (pour le cabinet de la garde des sceaux, la direction des affaires civiles et du sceau et la direction des affaires criminelles et des grâces), soit dans le 19 e arrondissement de Paris.

La hausse des autorisations d'engagement traduit la volonté du Gouvernement de prévoir dès à présent les engagements de dépenses nécessaires au lancement ou à la poursuite des grands projets informatiques transversaux. Il en va particulièrement ainsi du projet « Portalis », qui doit être à la justice civile ce que l'application « Cassiopée » est à la justice pénale, c'est-à-dire une application complète, accessible dans chaque juridiction, permettant de suivre et d'enregistrer la totalité des procédures civiles.

Une telle application constitue la condition sine qua non du succès du service d'accès unique du justiciable créé par le projet de loi ordinaire précité, destiné à mettre en oeuvre les mesures relatives à la justice du XXI ème siècle.

Pour l'heure, le ministère de la justice se tient toujours au calendrier de développement de l'application fixé l'an passé.

La première étape serait la création d'un portail internet du justiciable, lui donnant la possibilité, à partir du numéro d'ordre de sa procédure, de consulter à tout moment les informations essentielles sur son état d'avancement, comme la date de l'audience, celle du renvoi éventuel ou celle du délibéré. Elle devrait être effective à la fin de l'année pour les tribunaux de grande instance et les cours d'appel et deux ans plus tard pour les tribunaux d'instance et les conseils de prud'hommes en 2017.

L'application serait complétée, en 2018, par un portail dédié aux auxiliaires de justice, afin de leur permettre de saisir leurs procédures en ligne.

À partir de 2020, l'application comprendrait, au bénéfice des magistrats et des services judiciaires, un bureau virtuel leur permettant d'accéder par internet aux procédures qu'ils suivent et aux applications qu'ils utilisent.

Dans la dernière étape de son développement, en 2021, l'application Portalis devrait remplacer l'ensemble des applications civiles existantes et mettre ainsi fin à leur morcellement. Seule cette dernière phase de développement permettra de tenir effectivement les promesses du service d'accueil unique du justiciable, puisqu'elle garantira la complète unité du système, autorisant une saisie unique des procédures et leur consultation ou leur modification à partir de n'importe quelle juridiction.

Le coût total de développement de l'application est évalué à 44 millions d'euros, seuls 1,5 million d'euros ayant été dépensés jusqu'à présent.

Évolution des crédits du programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice »
(en millions d'euros)

Numéro et intitulé de l'action

Autorisations d'engagement
en M€

Crédits de paiement
en M€

LFI 2015

PLF 2016

Évolution
2016/2015

LFI 2015

PLF 2016

Évolution
2016/2015

1 - État-major

9,77

10,26

5,0%

9,77

10,26

5,0%

2 - Activité normative

22,50

23,33

3,7%

22,50

23,33

3,7%

3 - Évaluation, contrôle, études et recherche

16,05

16,48

2,7%

16,05

16,49

2,7%

4 - Gestion de l'administration centrale

156,22

95,47

-38,9%

118,46

113,72

-4,0%

9 - Action informatique ministérielle

113,76

194,05

70,6%

112,86

111,94

-0,8%

10 - Action sociale ministérielle

35,80

35,03

-2,1%

35,80

35,03

-2,1%

Total

354,10

374,63

5,8%

315,44

310,78

-1,5%

Source : projet annuel de performances pour 2016.

D. LE PROGRAMME « CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE »

Le projet de loi de finances pour 2015 dote le programme 335 de 3,48 millions d'euros d'AE et 4,4 millions d'euros de CP, contre précédemment, respectivement 3,62 millions d'euros en AE et 4,34 millions d'euros en CP.

Lors de son audition par votre rapporteur M. Bertrand Louvel, président de la formation plénière du Conseil supérieur, a exposé les projets de la nouvelle mandature entrée en fonction en février 2015.

Outre la création d'un collège de déontologie de la magistrature, que le précédent rapport pour avis avait déjà évoquée, M. Bertrand Louvel a particulièrement insisté sur la nécessité, pour le Conseil supérieur de la magistrature, de disposer d'un outil informatique qui lui permette d'avoir une connaissance plus fine d'une part, des départs prévisibles des magistrats, ainsi que des voeux exprimés par ceux-ci, et, d'autre part, des besoins ou des caractéristiques spécifiques des juridictions.

Il s'agit ainsi de lui donner les moyens de mieux remplir ces missions relatives à la nomination des magistrats du siège. Ceci met en évidence la grande dépendance des membres du Conseil supérieur aux informations que leur apporte la direction des services judiciaires.

II. UNE AMÉLIORATION FRAGILE DE LA SITUATION DES JURIDICTIONS

A. DES EFFECTIFS TOUJOURS SOUS TENSION, EN DÉPIT DE RECRUTEMENTS PLUS IMPORTANTS

Le plafond d'autorisation d'emplois du programme 166 « Justice judiciaire » pour 2016 serait fixé à 31 743 ETPT.

Ce schéma d'emplois repose sur la création nette de 157 emplois, trois fois plus que l'an passé. Il s'agit principalement d'emplois de magistrats (+ 178) et de greffiers (+ 189). Comme les années précédentes, ces créations sont permises, notamment, par la conversion d'emplois de catégorie C, non remplacés (- 198) en emplois de greffiers.

Schéma d'emplois du programme « Justice judiciaire » pour 2016
(en ETPT)

Catégorie d'emploi

Entrées prévues

Sorties prévues

Solde des emplois du programme

Magistrats de l'ordre judiciaire

482

304

+ 178

Personnels d'encadrement

61

101

- 40

B métiers du greffe, de l'insertion et de l'éducatif

546

357

+ 189

B administratifs et techniques

52

24

+ 28

C administratifs et techniques

390

588

- 198

Total

1 531

1 374

+ 157

Source : PLF 2016 - projet annuel de performance.

1. La correction bienvenue de la sous-consommation du plafond d'emplois

L'an passé, votre rapporteur pour avis avait souligné le problème posé, à chaque exercice budgétaire depuis 2011, par la sous-consommation du plafond d'emplois : tous les ETPT ne sont pas consommés en fin d'année, certains étant reportés l'année suivante et d'autres tout simplement supprimés. Le taux de consommation de ce plafond, pour l'ensemble des emplois judiciaires, était de 97,5 % en 2013 et de 98,1 % en 2014, ce qui représentait, pour cette dernière année, une différence de 600 ETPT.

Ce décalage systématique entre les crédits ouverts et les crédits effectivement dépensés affecte la sincérité de la programmation budgétaire .

Toutes les catégories d'emplois ne sont pas, à cet égard, dans la même situation : le plafond est presque toujours atteint pour les greffiers ou les personnels de catégorie C. Les écarts sont en revanche beaucoup plus importants pour les magistrats ou les directeurs de greffe.

Ainsi, en 2014, seuls 24 emplois de magistrats ont été créés, alors qu'il en était annoncé 63, et seulement 34 en 2015 pour 64 initialement prévus. Les crédits correspondants ne sont pas toujours perdus : ils peuvent être convertis en emplois d'autres catégories de personnels ou de vacataires.

Votre rapporteur constate que la situation s'est encore détériorée en 2014, puisque le taux de consommation du plafond d'emplois relatif aux magistrats est tombé à moins de 95 % en 2014.

Le ministère de la justice semble avoir pris la mesure de ce problème, puisqu'il propose dans le présent budget une correction du plafond, à hauteur de 324 ETPT, pour l'ajuster à la consommation réelle. Combiné avec les créations de postes annoncées, cet ajustement technique devrait permettre de résorber la sous-consommation du plafond d'emplois, ce dont votre rapporteur se félicite.

Cette correction ne lève toutefois pas toutes les questions que pose le présent projet de loi de finances, s'agissant des effectifs de magistrats.

En effet, comme votre rapporteur l'indiquait déjà l'année dernière, le ministère de la justice utilise une partie des crédits de personnel non consommés pour mobiliser la réserve judiciaire ou recruter des vacataires ou des assistants de justice. Cette pratique a concerné, en 2012, 244 des 562 ETPT non consommés.

Or, ainsi que notre collègue François Pillet l'a observé, dans son rapport sur le projet de loi organique relatif à l'indépendance et l'impartialité des magistrats et à l'ouverture de la magistrature sur la société 8 ( * ) , le Gouvernement souhaite, par ce texte, faciliter les recrutements de magistrats non professionnels, moins coûteux puisqu'ils sont rémunérés à la vacation : magistrats exerçant à titre temporaire, juges de proximité, magistrats honoraires ou membres de la réserve judiciaire. Cette volonté n'est pas condamnable en soi. Toutefois, il convient d'observer, en la matière, une juste mesure et éviter que des fonctions de magistrats professionnels soient durablement suppléées par le recours à ces vacataires.

2. Un effort de recrutement à poursuivre

Le Gouvernement poursuit cette année encore les efforts de recrutement engagés depuis trois ans, sans que ceux-ci permettent encore de résorber les importantes vacances de postes observées.

Si le nombre de postes de magistrats créés est important, force est de constater que ces créations ne profiteront pas nécessairement au fonctionnement courant des juridictions.

a) Des vacances de postes toujours importantes

Une nouvelle fois, le constat des années précédentes peut être reconduit à l'identique : les vacances de postes se sont aggravées, en dépit des créations d'emplois intervenues. Ces vacances correspondent à des postes affectés à des juridictions, par la circulaire de localisation des emplois dite circulaire « CLE », qui n'ont pas été pourvus, faute d'un effectif suffisant. Ne sont pas comptées dans ces vacances les absences temporaires, pour raisons médicales ou autres.

Ainsi, le nombre de postes non pourvus à la date du 1 er janvier 2015 s'élève à un peu plus 5 % de l'effectif total des magistrats en juridiction (404 postes pour un effectif théorique de 7 887 magistrats). La situation s'améliore légèrement pour les fonctionnaires, puisque le taux de vacance passe, en un an, de 7,6 % à 7 %. Elle demeure toutefois préoccupante, puisque 1 494 postes sont vacants pour un effectif théorique de 21 105. Le taux de vacance des personnels de greffe est même beaucoup plus important, à 9,2 %, ce qui représente 829 postes pour un effectif localisé de 9 009 greffiers. Rapportés au nombre des juridictions (873 9 ( * ) ), ces chiffres signifient qu'il manque en moyenne 1 greffier par juridiction et 1 magistrat pour deux juridictions.

Comparaison entre l'effectif réel et théorique des magistrats
affectés en juridictions, hors Cour de cassation
(au 1 er janvier de l'année concernée)

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

Effectifs théoriques

7844

7740

7740

7687

7687

7829

7853

7887

Effectifs réels

7630

7710

7708

7594

7521

7489

7458

7483

Solde

-214

-30

-32

-93

-166

-340

-395

-404

Taux de vacance d'emploi

2,73 %

0,39 %

0,41 %

1,21 %

2,16 %

4,34 %

5,03 %

5,12 %

Source : ministère de la justice et commission des lois.

Comparaison entre l'effectif réel et théorique des fonctionnaires affectés
en juridictions ou en service administratif régional
(au 1 er janvier de l'année concernée)

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

Effectifs théoriques

21274

21189

20902

20778

20929

21025

21105

21174

Effectifs réels

20247

20076

19997

19837

19509

19419

19502

19680

Solde

-1027

-1113

-905

-941

-1420

-1606

- 1603

-1494

Taux de vacance d'emploi

4,83 %

5,25 %

4,33 %

4,53 %

6,78 %

7,64 %

7,60 %

7,06 %

Source : ministère de la justice et commission des lois.

b) Des créations de postes marquées par l'objectif de lutte contre le terrorisme

Le présent budget rend compte, comme on l'a vu, d'un réel effort de création d'emplois. Au total, 395 nouveaux emplois seraient créés pour les magistrats, les greffiers et les personnels de catégorie B, alors que 228 emplois seraient supprimés pour les greffiers en chef et les personnels de catégorie C. Le chiffre net des créations est donc trois fois supérieur à celui de l'an passé (157 contre 49).

Ces créations d'emplois sont toutefois principalement motivées par le plan de lutte contre le terrorisme.

Ce plan, décidé au cours de l'année 2015, après les évènements dramatiques du mois de janvier, comprend en effet un volet propre au ministère de la justice, qui doit se traduire, pour les services judiciaires, par la création de 283 postes supplémentaires : 114 de magistrats, 114 de greffiers et 15 postes d'assistants spécialisés. Ceci représente les deux tiers des nouveaux postes créés par le présent budget.

Le tiers restant correspond aux autres priorités du programme 166 : il s'agit d'offrir aux réformes précédemment votées ou en cours de l'être les moyens qu'elles requièrent.

Ainsi, 24 emplois supplémentaires de magistrats et 69 emplois supplémentaires de greffiers devraient être consacrés à la mise en oeuvre des réformes relatives à la justice du XXI ème siècle. Il s'agirait, particulièrement, de la création des services d'accueil unique du justiciable au sein des greffes des juridictions et du déploiement des premiers « greffiers assistants des magistrats » (GAM).

Comme l'année dernière, le Gouvernement souhaite renforcer l'effectif des juges d'application des peines, par la création de 27 nouveaux emplois, afin d'assurer la bonne mise en oeuvre de la loi du 15 août 2014 relative à la prévention de la récidive et à l'individualisation des peines .

10 emplois de magistrats seraient consacrés à la poursuite de la mise en oeuvre de réformes plus anciennes, notamment celle sur l'hospitalisation sous contrainte 10 ( * ) . Seulement 3 nouveaux postes de magistrats seraient consacrés à l'activité juridictionnelle générale, ce qui ne semble pas à la mesure des besoins en la matière, compte tenu des dégradations observées en matière de délais de traitement.

Ces propositions de création de postes appellent deux observations.

La première tient à l'importance des moyens dédiés à la lutte contre le terrorisme. Les décisions prises sont légitimes, compte tenu de la menace à laquelle notre pays est confronté . Toutefois une question se pose : sur quelles actions seront prélevés les crédits nécessaires aux recrutements supplémentaires ? Compte tenu de la situation déjà très difficile des juridictions, il serait préoccupant que ces moyens supplémentaires soient principalement obtenus par des redéploiements internes au programme 166.

Cette remarque est d'autant plus nécessaire que le Président de la République a annoncé, le 16 novembre dernier devant le Parlement réuni en Congrès, la création de 2 500 nouveaux postes dans les services judiciaires et l'administration pénitentiaire. Or, ceci représente un effort presque trois fois supérieur à celui du plan de lutte contre le terrorisme actuellement en cours.

La seconde observation de votre rapporteur tient, une nouvelle fois, à la mauvaise prise en compte, par le budget, des réformes en cours. Ainsi, comme l'ont observé les représentants du syndicat de la magistrature lors de leur audition, si l'Assemblée nationale confirme son vote sur le projet de loi relatif au droit des étrangers en France, s'agissant de l'intervention du juge judiciaire en matière de rétention administrative des étrangers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, les juges des libertés et de la détention seront reconnus compétents pour se prononcer dès le début sur la légalité du placement en rétention administrative. Or, compte tenu du nombre important de placements prononcés chaque année sur ce fondement 11 ( * ) , ceci représentera une charge contentieuse très importante pour les juridictions, évaluée, selon les informations communiquées à votre rapporteur par la Chancellerie , à près de 22 ETPT de magistrats et une dizaine d'ETPT de greffiers . Votre rapporteur s'étonne que le Gouvernement, qui s'est déclaré favorable à la position de l'Assemblée nationale et s'est opposé à celle du Sénat, n'ait pas anticipé cet impact dans le budget des services judiciaires.

3. Une réforme statutaire attendue pour les personnels de greffes

Dans le cadre des travaux engagés par la garde des sceaux sur la justice du XXI ème siècle, une réflexion a été conduite sur l'évolution du métier de greffiers. Elle a mis en évidence la nécessité d'une réforme des statuts de greffiers en chef et de greffiers des services judiciaires.

Une négociation a été engagée, sur ce point, en 2014, par la direction des services judiciaires (DSJ) avec l'ensemble des organisations syndicales représentatives des personnels de greffe.

Un protocole d'accord a été conclu, le 15 juillet 2014, avec la majorité des organisations syndicales. Ce protocole a rappelé les principaux objectifs de la réforme :

- le maintien d'un corps de direction spécifique et revalorisé à la DSJ ;

- la valorisation du métier de greffier des services judiciaires, par l'extension de ses missions, notamment à des fonctions de responsabilité ;

- un accès plus aisé au corps des greffiers pour les adjoints administratifs affectés dans les services judiciaires.

Les projets de textes issus de cette concertation ont été soumis au comité technique ministériel les 9 et 10 juillet 2015. Ils ont recueilli un avis favorable de la majorité des organisations syndicales représentatives.

Les nouveaux statuts particuliers confortent le greffier en chef, dénommé « directeur de greffe », dans ses fonctions d'encadrement supérieur au sein des services judiciaires. Ils renforcent par ailleurs les missions dévolues aux greffiers pour l'encadrement, l'assistance au magistrat et l'accueil des justiciables, ce qui est conforme aux objectifs de la réforme relative à la justice du XXI ème siècle.

Cette revalorisation des missions a une traduction indiciaire et organisationnelle.

Le corps des greffiers doit ainsi bénéficier d'une grille indiciaire revalorisée en deux grades, tenant compte du niveau de recrutement, de la qualification et des nouvelles responsabilités des greffiers.

Les directeurs de greffe voient aussi leur grille indiciaire revalorisée. Un troisième grade est créé, qui concerne l'accès à certains emplois fonctionnels. Il s'agit d'offrir aux intéressés un parcours professionnel attractif et de favoriser la mobilité vers des responsabilités supérieures.

La création de deux statuts d'emplois fonctionnels, de catégorie A pour les directeurs de greffe et B pour les greffiers, doit en outre permettre de valoriser les compétences des directeurs de greffe et des greffiers expérimentés accédant à des postes à responsabilités.

À terme, il est prévu que le statut d'emploi de greffier « fonctionnel », c'est-à-dire celui des greffiers de catégorie B exerçant certaines fonctions d'encadrement, concerne un millier d'emplois, dont 200 dès 2016. Les emplois à responsabilité correspondant seraient ceux des actuels chefs de greffe, ainsi que de nouveaux emplois d'encadrement aujourd'hui occupés par des greffiers en chef, de catégorie A.

Le statut d'emploi de directeur de greffe « fonctionnel » concernera, quant à lui 140 emplois, c'est-à-dire 10 % du corps.

Cette réforme statutaire est intervenue au 1 er novembre de cette année. Son coût devrait s'élever, pour le budget triennal 2015-2017, à 11,5 millions d'euros, ce qui inclut, notamment le coût du reclassement des greffiers dans la nouvelle grille indiciaire (8 millions d'euros).

Votre rapporteur constate qu'elle était attendue par les personnels de greffe et qu'elle présente le mérite de mieux correspondre au niveau élevé de qualification des greffiers et des greffiers en chef aujourd'hui en exercice.

B. LE RISQUE D'UNE DÉGRADATION DE LA SITUATION DES JURIDICTIONS VIS-À-VIS DE LEURS FRAIS DE JUSTICE

Après deux années, en 2012 et en 2013, pendant lesquelles d'importants efforts budgétaires ont été réalisés, pour contenir l'inflation des frais de justice et apurer les dettes contractées par les juridictions auprès de leurs prestataires ou des auxiliaires de justice, il semble que les budgets plus récents se caractérisent par une sous-dotation de l'enveloppe budgétaire correspondant à ces dépenses.

En effet, même si le rapport annuel de performance pour 2014 indique que les crédits de paiement dépensés au titre des frais de justice ont atteint 469,6 millions d'euros, c'est-à-dire un montant comparable à celui de 2013, il convient de souligner que le montant des engagements non payés en fin d'année était, quant à lui, bien supérieur à celui de 2013, puisqu'il atteignait 159,3 millions d'euros, soit plus 33 % de la dotation annuelle, contre 143 millions d'euros. Ceci signifie donc qu'avant même que l'année débute, la nouvelle dotation est amputée d'un tiers.

La prévision d'exécution pour 2015 s'élève, quant à elle, à 480 millions d'euros, ce qui représente un écart de 6,5 % par rapport à la dotation initiale de 449,8 millions d'euros.

Pour 2016, le Gouvernement prévoit de consacrer aux frais de justice une enveloppe de 463 millions d'euros. Toutefois, celle-ci inclut 5 millions d'euros correspondant aux opérations supplémentaires rendues nécessaires par le plan de lutte antiterroriste ainsi que 23,1 millions d'euros destinés à garantir le paiement, dans le cadre des frais de justice, d'une dépense nouvelle, celle des cotisations sociales des collaborateurs occasionnels du service public de la justice. À périmètre constant, l'enveloppe budgétaire est donc de 439,1 millions d'euros, ce qui est en retrait par rapport à 2015, de 10 millions d'euros.

Évolution de la dotation initiale des frais de justice
et de la consommation réelle de 2000 à 2016 (en millions d'euros)

Source : ministère de la justice et commission des lois.


NB : en 2012, les dépenses de frais postaux, qui représentaient 55 millions d'euros, ont été transférées du budget des frais de justice à celui des crédits de fonctionnement courant.

Certes, le ministère de la justice attend d'importantes économies, obtenues grâce à la plateforme nationale d'interception judiciaire et à la nouvelle réforme de la médecine légale, à hauteur, respectivement, de 25 et de 17 millions d'euros. Toutefois, l'expérience enseigne que ni l'un ni l'autre de ces deux dispositifs n'ont toujours produit, ces dernières années, les économies escomptées.

La mise en place de l'application Chorus Pro , constitue un progrès notable, puisqu'elle permet aux prestataires de la justice de transmettre par voie dématérialisée les pièces comptables justificatives en vue du paiement de leur prestation. La direction des services judiciaires est ainsi en mesure de connaître en temps réel la masse des dépenses engagées, alors qu'aujourd'hui elle se fonde, pour le pilotage budgétaire des frais de justice, sur des évaluations ex post .

En tout état de cause, votre rapporteur constate que le risque n'est pas seulement celui, avéré, d'une inflation continue des frais de justice : ceux-ci ne cessent de croître depuis 2012. Il est celui d'une sous-dotation importante de l'enveloppe budgétaire correspondante, comme on l'observe depuis 2013.

Or, cette sous-dotation a une conséquence majeure : l'augmentation des charges à payer en fin d'année, qui se traduit, concrètement, par le fait que les juridictions ne règlent que tardivement, parfois plusieurs années après, leurs dettes auprès de leurs prestataires, plaçant ces derniers dans une situation financière fragile.

III. UNE NOUVELLE RÉFORME INCOMPLÈTE DE L'AIDE JURIDICTIONNELLE

En assurant au justiciable qu'en dépit de l'insuffisance de ses moyens un avocat pourra le défendre, l'aide juridictionnelle (AJ) conforte l'une des exigences premières de l'État de droit : la garantie que tout citoyen pourra voir sa cause entendue par un juge indépendant et impartial, dans le cadre d'un procès équitable.

Elle constitue l'aboutissement d'une évolution 12 ( * ) qui trouve ses racines dans la révolution française et, plus particulièrement, dans la loi des 16 et 24 août 1790 qui, en supprimant les charges de magistrats, a permis aux plaideurs de ne plus avoir à payer les juges saisis de leur litige.

La loi du 22 janvier 1851 sur l'assistance judiciaire constitue une seconde étape importante de cette évolution, puisqu'elle emporte reconnaissance par la loi de l'aide gracieuse que certains professionnels du droit apportaient aux justiciables indigents.

La troisième étape fut celle de la loi du 3 janvier 1972 instituant l'aide judiciaire qui a consacré, dans son article 19, le principe selon lequel l'indemnité due à l'avocat chargé de prêter son concours doit être prise en charge par l'État, ainsi que, dans son article 23, l'obligation faite aux avocats ou aux officiers publics ou ministériels désignés par le bâtonnier ou le président de leur ordre, de prêter leur concours au justiciable qui le requiert au titre de l'aide judiciaire. Elle fut complétée par la loi du 31 décembre 1982 relative à l'aide judiciaire, à l'indemnisation des commissions et désignations d'office en matière pénale et en matière civile et à la postulation dans la région parisienne , qui a fixé le régime des avocats commis d'office dans le cadre des procédures pénales.

La dernière étape de cette histoire est celle ouverte par la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique qui distingué l'aide juridictionnelle proprement dite, qui ne concerne que les procédures juridictionnelles ou celles relatives à une transaction judiciaire, l'aide à l'intervention de l'avocat, qui porte sur différentes interventions dans le cadre de procédures pénales ou administratives non juridictionnelles (historiquement, la garde à vue ainsi que, aujourd'hui, l'audition libre) et, enfin, l'aide à l'accès au droit.

Depuis plusieurs années déjà, de nombreux rapports ont dressé le constat que le dispositif d'aide juridictionnelle était à bout de souffle et qu'il était nécessaire, pour le relancer, d'engager une réforme d'ampleur 13 ( * ) .

L'an passé, le Gouvernement a proposé un premier dispositif allant dans ce sens, qui combinait certaines mesures d'économies avec la création de ressources supplémentaires, à hauteur de 43 millions d'euros, ce qui représente un peu plus de 11 % de la dépense d'aide juridictionnelle totale, laquelle s'élevait, en 2015, à 375,3 millions d'euros, dotation budgétaire et recettes nouvelles confondues.

Les recettes supplémentaires pour l'aide juridictionnelle
créées par la loi de finances pour 2015

La précédente loi de finances a prévu trois recettes différentes pour l'aide juridictionnelle :

- une augmentation de la taxe forfaitaire sur les actes d'huissiers de justice. Initialement fixée à 9 euros 15, elle est passée à 11 euros 60, soit une augmentation de 22 %. Cette taxe est acquittée par l'huissier, pour le compte de son client (article 302 bis Y du code général des impôts). Son rendement attendu était de 11 millions d'euros ;

- le presque doublement (+ 41% en moyenne) des droits fixes de procédure dus par chaque condamné à une instance pénale. Ces droits variaient de 22 euros à 375 euros, selon l'importance de l'instance. Ils s'échelonnent, après augmentation, de 31 à 527 euros, pour un rendement escompté de 7 millions d'euros ;

- une augmentation de 2,6 points de la taxe spéciale sur les contrats d'assurance de protection juridique, dont le taux est passé de 9 % à 11,6 %. Le produit attendu serait de 25 millions d'euros.

Le produit de l'ensemble de ces taxes (43 millions d'euros) est directement reversé au conseil national des barreaux, comme l'était la contribution pour l'aide juridique (« le timbre de 35 euros ») supprimée par la loi de finances pour 2014.

Cette année, le Gouvernement a proposé, à l'article 15 du projet de loi de finances, une réforme plus ambitieuse, qui porte, à la fois, sur une refonte partielle des dépenses d'aide juridictionnelle et sur la création de nouvelles recettes ou l'augmentation de recettes déjà existantes.

A. LE PROJET INITIAL DU GOUVERNEMENT

La refonte du dispositif d'aide juridictionnelle s'organisait, s'agissant de la dépense, autour de deux types de mesures.

Les premières concernaient la rétribution de l'avocat.

Le Gouvernement a tout d'abord proposé une revalorisation de l'unité de valeur, qui aurait été fixée à 24,20 euros, au lieu de 22,50 euros actuellement. Cette revalorisation était toutefois partiellement compensée par une modification du barème des prestations d'aide juridictionnelle, qui revenait, dans les faits, à moins rémunérer certaines prestations courantes et à mieux rémunérer d'autres prestations plus rares. Le bilan, pour les avocats, risquait d'être négatif. Pour éviter ce déséquilibre, le Gouvernement proposait de remplacer la modulation géographique de l'unité de valeur, par une contractualisation entre le président du tribunal de grande instance et les barreaux, afin de leur verser une dotation supplémentaire d'aide juridictionnelle en fonction des besoins et des efforts consentis.

Le second type de dépenses supplémentaires concernait le périmètre de l'aide juridictionnelle, qui était doublement étendu.

En premier lieu, le plafond de l'aide juridictionnelle totale était porté de 941 euros à 1 000 euros, celui de l'aide juridictionnelle partielle étant relevé dans les mêmes proportions. Ceci devait ouvrir le bénéfice de l'aide juridictionnelle à près de 100 000 nouveaux justiciables. En second lieu, les médiations judiciaires devenaient éligibles à l'aide juridictionnelle.

Au total, ces dépenses supplémentaires représentaient 25 millions d'euros en 2016, 50 millions en 2011.

Pour les financer, le Gouvernement proposait, d'une part, d'augmenter deux des trois ressources déjà accrues en 2015 ( cf . encadré) et, d'autre part, de créer une recette supplémentaire.

La première augmentation correspondait à une hausse supplémentaire des assurances de protection juridique (+ 10 millions d'euros en 2016 et + 20 millions d'euros en 2017). La seconde correspondait, quant à elle, à une hausse, dans les mêmes volumes, de la taxe prélevée sur les actes d'huissier.

La nouvelle recette créée devait être une affectation au conseil national des barreaux (CNB) d'une partie des produits financiers perçus par les avocats sur les fonds de leurs clients déposés sur les comptes qu'ils détiennent, à cet effet, auprès des caisses des règlements pécuniaires entre avocats (CARPA) constituées, en principe, auprès de chaque barreau. La ressource escomptée devait être de 5 millions d'euros en 2016 et de 10 millions d'euros en 2017.

B. UNE RÉFORME VIVEMENT CONTESTÉE QUE LE GOUVERNEMENT A FORTEMENT AMENDÉE

Tous les barreaux se sont vivement opposés à ce dernier prélèvement, qu'ils ont assimilé à une taxe sur leur profession.

En effet, même si, à proprement parler, les fonds CARPA n'appartiennent pas aux avocats, puisqu'il s'agit des fonds de leurs clients, les importants produits financiers perçus sur ces fonds 14 ( * ) sont actuellement affectés au financement des barreaux, qu'il s'agisse des dépenses liées à la gestion de l'AJ, ou de celles liées à la formation professionnelle des avocats ou à l'action sociale entre avocats.

En outre, les avocats ont contesté la refonte du barème des prestations soumises à l'aide juridictionnelle, estimant qu'en dépit de la revalorisation de l'unité de valeur, elle aboutissait à diminuer la rétribution de l'avocat. Ils ont aussi marqué leur désaccord avec le dispositif de contractualisation censé compenser, pour certains barreaux, le manque à gagner provoqué par la suppression de la modulation géographique et la refonte précitée du barème.

L'ampleur du mouvement de protestation des avocats a conduit la garde des sceaux, Mme Christiane Taubira, à renoncer à plusieurs des éléments de la réforme, ce qu'un protocole d'accord signé le 28 octobre entre son directeur de cabinet et les représentants du CNB a formalisé. Le Gouvernement a ensuite déposé un amendement à l'article 15 que le Sénat a adopté.

Cet amendement emporte tout d'abord suppression du prélèvement sur le produit des fonds placés auprès des CARPA, comme le préconisait d'ailleurs un amendement du rapporteur général de votre commission des finances, notre collègue Albéric de Montgolfier. Il entérine aussi la suppression de toute référence à un quelconque dispositif de contractualisation. La garde des sceaux a toutefois précisé en séance publique que la discussion avec la profession d'avocat se poursuivait sur ce point. Enfin, l'amendement supprime la référence à l'unité de valeur pour les aides à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles.

Par ailleurs, cet amendement emporte revalorisation de l'unité de valeur à 26,50 euros. Un décret devrait ensuite fixer dans quelles zones géographiques cette unité de valeur est majorée, à 27,50 euros ou à 28,50 euros. Ceci annonce une réduction de 10 à 3 du nombre de zones géographiques dans lesquelles l'unité de valeur est susceptible de varier.

L'amendement prévoit aussi la rétribution de l'avocat assistant une personne entendue en audition libre dans le cadre d'une procédure fiscale.

Enfin, outre quelques dispositions d'application outre-mer, l'amendement prévoit, par anticipation, que les décrets pris pour l'application de l'article 15 pourront s'appliquer de manière rétroactive. Le Gouvernement a motivé cette disposition exorbitante du droit commun par le souci d'éviter le surcoût que causerait l'augmentation immédiate de l'unité de valeur, faute de l'application de la nouvelle modulation géographique, qui ne pourra intervenir qu'après la prise des décrets d'application.

C. UNE RÉFORME DONT LE FINANCEMENT N'EST PLUS ASSURÉ

Votre rapporteur constate que la réforme proposée par le Gouvernement n'est pas équilibrée financièrement. En effet, non seulement l'amendement adopté augmente les dépenses, mais il supprime l'une des recettes prévues, qui devait apporter 10 millions d'euros en 2017.

La question de financements complémentaires, susceptibles de garantir un financement pérenne de l'aide juridictionnelle, continue donc de se poser.

La voie d'une participation financière des avocats est ainsi abandonnée. L'argument le plus solide contre une telle participation est qu'une profession ne doit pas être taxée pour financer la prestation qu'elle accomplit. Votre rapporteur souligne toutefois que cet argument est toutefois fragilisé par le fait que moins de la moitié des avocats (41 %) accomplit effectivement des prestations d'AJ et que seulement 16 % accomplissent 84 % de l'ensemble des missions.

Faut-il en revanche mettre à contribution les autres professions du droit ?

Le Gouvernement semble s'être orienté dans cette direction lorsqu'il a proposé la mise en place, dans le cadre de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques 15 ( * ) , d'un fonds interprofessionnel d'accès au droit et à la justice, financé par une taxe acquittée par les officiers publics ou ministériels sur certains actes. Cette taxe a toutefois été censurée par le Conseil constitutionnel 16 ( * ) . Pour autant, le fonds continue d'exister et le Gouvernement devrait proposer prochainement un nouveau dispositif financier pour l'alimenter. Ce dispositif pourrait avoir pour le Gouvernement vocation à assurer, de manière pérenne, le financement d'une partie de l'aide juridictionnelle.

Cette contribution des autres professions du droit au financement de l'aide juridictionnelle pose cependant inévitablement la question de la participation des avocats, qui ne pratiquent pas l'aide juridictionnelle, à ce même financement. Pour l'heure, seuls les avocats qui sont rémunérés par la voie d'un tarif proportionnel, c'est-à-dire ceux qui réalisent des ventes judiciaires et des adjudications d'immeubles, seraient concernés.

Une autre piste est celle d'une taxe perçue sur certains actes juridiques. Le Gouvernement s'est engagé à étudier cette piste, proposée par le CNB et reprise par nos collègues Jacques Mézard et Sophie Joissains. Il s'agirait de faire payer les clients des professionnels du droit. La question est actuellement débattue entre les professions qui s'interrogent sur l'assiette à retenir : les avocats sont moins concernés que les notaires par les actes soumis à droit d'enregistrement. Faut-il retenir un périmètre plus étendu, comme celui des actes rédigés ou contresignés par un professionnel du droit ?

Enfin, la dernière piste est le retour à la contribution pour l'aide juridique, de 35 euros, versée par le justiciable qui saisit le juge. Cette taxe, supprimée par la garde des sceaux dès le budget pour 2013, présentait toutefois le mérite d'assurer un financement pérenne de l'aide juridictionnelle. Elle jouait aussi le rôle d'un ticket modérateur, même s'il aurait été peut-être nécessaire d'ajuster cet effet modérateur.

D. UNE RÉFLEXION PLUS LARGE EST NÉCESSAIRE SUR LE RÔLE ET LA PARTICIPATION DES AVOCATS AUX MISSIONS D'AIDE JURIDIQUE

Votre rapporteur constate que la réforme attendue de l'aide juridictionnelle n'a toujours pas eu lieu, et qu'une nouvelle fois, un gouvernement propose une solution transitoire qui n'assure pas la pérennité d'un dispositif pourtant absolument nécessaire dans le cadre de l'État de droit.

La réflexion à conduire dépasse bien évidemment le cadre d'un avis budgétaire et elle a été fortement enrichie par plusieurs rapports successifs.

Toutefois, il a soumis à votre commission les deux observations suivantes.

En premier lieu, il semble qu'on ne peut pas dissocier la crise du financement de l'aide juridictionnelle de la crise économique de la profession d'avocat. En effet, même si elles n'y prennent qu'une part limitée, deux autres professions, les huissiers et les notaires, délivrent des prestations d'aide juridictionnelle sans que se posent des questions de rétribution de leur mission. La raison en est que ces missions restent minoritaires dans leur chiffre d'affaires et que le manque à gagner éventuel est compensé par les autres actes accomplis. Pour les 16 % d'avocats qui accomplissent 84 % de l'aide juridictionnelle, la variation de l'unité de valeur est cruciale.

À ceci s'ajoute le fait, qu'en vingt ans, le nombre d'avocats a doublé, puisqu'il est passé de 30 000 en 1995 à un peu plus de 60 000 en 2014. Cette explosion démographique n'est pas sans conséquence sur la paupérisation d'une partie de la profession et sa dépendance aujourd'hui très forte à l'aide juridictionnelle .

En second lieu, votre rapporteur a soumis à votre commission pour avis une observation formulée par le président du conseil national de l'aide juridique. Il n'existe pas, pour les avocats, une obligation d'aide juridictionnelle, comme il existe, pour les médecins exerçant à titre libéral, une obligation de garde 17 ( * ) . La conséquence en est, dans certains territoires, une absence d'assistance juridique pour les justiciables les moins fortunés, et, dans d'autres, des professionnels qui n'accomplissent jamais aucune prestation d'aide juridictionnelle.

Interrogée sur ce point en séance publique par votre rapporteur, la garde des sceaux, Mme Christiane Taubira, a indiqué qu'une telle disposition se heurterait au fait que de nombreux avocats se spécialisent dans des domaines d'activité (droit des affaires, droit fiscal, fiducie ou droit des sociétés...) qui ne sont pas susceptibles de relever de l'aide juridictionnelle. Toutefois cette objection concerne moins le principe de cette obligation que la nécessité de déterminer, pour les intéressés, une modalité de participation plus adaptée à la politique d'aide juridictionnelle.

*

* *

Au bénéfice de l'ensemble de ces observations et sous réserve de l'adoption de son amendement, la commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à la justice judiciaire et à l'accès au droit dans le projet de loi de finances pour 2016.

AMENDEMENT ADOPTÉ PAR LA COMMISSION

Amendement LOI.1

Article 24

ÉTAT B

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(en euros)

Programmes

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

+

-

+

-

Justice judiciaire

dont titre 2

Administration pénitentiaire

dont titre 2

Protection judiciaire de la jeunesse

dont titre 2

Accès au droit et à la justice

300000

0

300000

0

Conduite et pilotage de la politique de la justice

dont titre 2

0

300000

0

300000

Conseil supérieur de la magistrature

dont titre 2

TOTAL

300000

300000

300000

300000

SOLDE

0

0

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Ministère de la justice

Cabinet

M. Benjamin Danlos , conseiller services judiciaires

Mme Delphine Humbert , conseillère droit civil et économique et professions judiciaire

Mme Diana Ngomsik , chargée de mission

Direction des services judiciaires

M. Thomas Lesueur , directeur adjoint

Mme Francine Albert , adjointe au sous-directeur SDFIP

Mme Véronique Juillard , chef de bureau FIP3

Conseil supérieur de la magistrature

M. Bertrand Louvel , premier président de la cour de Cassation

M. Daniel Barlow , secrétaire général

Conseil national de l'aide juridique

M. Olivier Rousselle , président

Conseil national des barreaux

M. William Feugère , membre du bureau

Mme Maria Bonon , vice-présidente de la commission Accès au droit et à la justice

M. Jacques-Édouard Briand , conseiller pour les relations institutionnelles

Barreau de Paris

M. Nicolas Corato , directeur des Affaires publiques

Mme Amélie Guiraud , chargée de mission auprès de la direction des affaires publiques

Conseil supérieur du notariat

Me Damien Brac de la Perrière , notaire, directeur des affaires juridiques

Mme Christine Mandelli , administrateur en charge des relations avec les institutions

Conseil national des huissiers de justice

M. Pascal Thuet , trésorier adjoint

M. Gabriel Mecarelli , directeur des affaires juridiques

FO - Magistrats

M. Emmanuel Poinas , délégué général

Syndicat de la magistrature

Mme Françoise Martres , présidente

Mme Mathilde Zylberberg , secrétaire nationale

Union syndicale des magistrats

Mme Véronique Léger , secrétaire nationale

Mme Marie-Jane Ody , vice-présidente

Représentants des greffiers

Syndicat des greffiers de France

Mme Claude Gigoi , greffière au TGI de Paris

CGT Chancellerie et services judiciaires

Mme Émilie Dumay , secrétaire nationale

M. Henri-Férreol Billy , secrétaire national

UNSA services judiciaires

Mme Brigitte Bruneau-Berchère , secrétaire général adjoint

M. Arnaud Faure , greffier

Représentants des sociétés d'assurances et des mutuelles

Groupement des entreprises mutuelles d'assurance ( GEMA)

Mme Catherine Traca , secrétaire général adjoint

Mme Barbara Bessermann , responsable adjointe du service assurances dommages

Fédération française des sociétés d' assurances (FFSA)

M. Philippe Poiget , directeur juridique

M. Alexis Merkling , sous-directeur

M. Fabrice Perrier , responsable d'études

Mme Viviana Mitrache , attachée parlementaire


* 1 Le compte rendu de l'audition de la ministre est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/lois.html.

* 2 Ces deux derniers programmes sont respectivement étudiés au nom de la commission des lois par les avis budgétaires de M. Hugues Portelli et Mme Cécile Cukierman.

* 3 Projet de loi organique n°  31 (2015-2016), relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature , adopté par le Sénat le 4 novembre 2015

* 4 Projet de loi n° 35 (2015-2016), relatif à l'action de groupe et à l'organisation judiciaire , adopté par le Sénat le 5 novembre 2015.

* 5 Sur ce point, cf ., infra , partie III.

* 6 Cf. infra , partie III.

* 7 Il s'agit, en particulier de l'augmentation de 150 à 225 euros du droit de timbre en appel, qui constitue l'unique ressource du FIDA et de l'allongement de sa durée de perception à 2026.

* 8 Rapport n° 119 (2015-2016) de M. François Pillet, fait au nom de la commission des lois, déposé le 28 octobre 2015, disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl14-660.html.

* 9 Les juridictions judiciaires comptent en effet une Cour de cassation, 36 cours d'appel et 836 juridictions de premier degré  dont, notamment, 168 tribunaux de grande instance et 304 tribunaux d'instance.

* 10 Loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge .

* 11 Ainsi, on comptait, en 2014, 25 018 placements de majeurs en rétention administrative.

* 12 Sur ce point, cf. Yvon Desdevises, entrée « Accès au droit, accès à la justice », in Loïc Cadiet (dir.), Dictionnaire de la justice , PUF, 2004.

* 13 Les deux plus récents sont ceux du groupe de travail de votre commission des lois, présentés par nos collègues Mme Sophie Joissains et M. Jacques Mézard (« Aide juridictionnelle : le temps de la décision », rapport d'information n° 680 (2013-2014), fait au nom de la commission des lois déposé le 2 juillet 2014. Ce rapport est disponible à l'adresse suivante : www.senat.fr/notice-rapport/2013/r13-680-notice.html) et celui commandé par la garde des sceaux, Mme Christiane Taubira, à notre collègue député, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, « Financement et gouvernance de l'aide juridictionnelle. À la croisée des fondamentaux. Analyse et propositions d'aboutissement », septembre 2014.

* 14 Les représentants du barreau de Paris entendus par votre rapporteur ont ainsi indiqué que la recette tirée de ces fonds s'élevait à 25 millions d'euros

* 15 Article 50 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques .

* 16 CC, n° 2015-715 DC du 5 août 2015, cons. 48 à 52.

* 17 Cette obligation de garde est fondée sur l'article 77 du code de déontologie médicale (R. 4127-77 du code de la santé publique) qui dispose qu'« il est du devoir du médecin de participer à la permanence des soins dans le cadre des lois et des règlements qui l'organisent ».

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