III. AUDITION DU GÉNÉRAL PIERRE DE VILLIERS, CHEF D'ÉTAT-MAJOR DES ARMÉES
Mercredi 18 novembre 2015, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président, a auditionné le Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées, sur le projet de loi de finances pour 2016 (mission « Défense »).
M. Jean-Pierre Raffarin, président . - Mon Général, bienvenue. C'est un plaisir de vous retrouver, à l'occasion de notre examen du projet de budget 2016 de la défense.
Le contexte des terribles attentats de vendredi dernier et les annonces du Président de la République devant le Congrès, lundi, nous imposeront naturellement de sortir un peu de ce cadre.
Je vous propose de faire d'abord le point sur la remontée en puissance depuis vendredi à la fois de l'armée sur le territoire et du rythme accéléré donné à l'opération Chammal et en particulier de nos frappes en Syrie.
Un renforcement des moyens de la défense se profile -et nous nous en félicitons-. Le Président de la République a annoncé lundi qu'il n'y aurait aucune réduction d'effectifs de la défense d'ici à 2019, au bénéfice des unités opérationnelles, de la cyberdéfense et du renseignement ; par ailleurs, il a mis l'accent sur les réservistes. Sur la nouvelle planification des effectifs et l'effort budgétaire supplémentaire ainsi requis, avez-vous, Mon Général, des précisions ?
La France, hier, lors de la réunion des ministres de la défense de l'Union européenne, a demandé la mise en oeuvre de la clause de défense mutuelle (article 42 point 7 du traité). Quelles conséquences concrètes attendez-vous ?
Je n'oublie pas les questions budgétaires, ce n'est pas tant la prévision pour l'année prochaine qui nous préoccupe - le PLF - que la fin de l'exercice en cours : la conversion en crédits budgétaires des « REX », la couverture des surcoûts des opérations extérieures (plus de 620 millions d'euros) et celui des opérations intérieures, principalement l'opération Sentinelle, soit 200 millions d'euros environ. Le projet de collectif comprend, avec un décret d'avance à venir, des crédits nécessaires, à hauteur de 800 millions - ce qui paraît suffisant à 20 ou 25 millions près, y compris la couverture des 57 millions d'euros qui ont été soustraits au programme 146, cet été, dans le règlement de l'annulation de la vente des Mistral à la Russie, et qui devaient donc être restitués. Mais des tensions existent liées à l'annulation de la baisse des effectifs et aux dysfonctionnements du logiciel Louvois, non financés. Le projet de collectif ne prévoit en effet rien en ce domaine.
Par ailleurs, ce projet de collectif annonce, au titre des régulations interministérielles de fin de gestion, une annulation de 298 millions d'euros de crédits au sein du budget de la défense. Sur ces points et sur d'autres, nous sommes très heureux de vous écouter.
Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées.- Je voudrais vous remercier très sincèrement de m'accueillir une nouvelle fois au sein de votre commission. J'attache la plus grande importance à ces échanges directs avec la représentation nationale. C'est pour moi un rendez-vous majeur et les moments que nous vivons actuellement renforcent encore cette exigence.
Vous le savez, les armées françaises, directement aux ordres du chef des armées, le Président de la République, ont une raison d'être, celle d'assurer la sécurité de la Nation ; elles ont une vocation, celle de protéger la France et les Français. Le contexte de mon intervention est sur ce plan singulier, vous le comprendrez.
La dernière fois que je suis venu ici, c'était en juin dernier à l'occasion de l'actualisation de la Loi de programmation militaire qui a été décidée par le Président de la République, sous l'impulsion de notre ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian. Aujourd'hui, vous avez souhaité m'entendre sur le projet de loi de finances pour 2016, première annuité de cette LPM actualisée.
Lundi, devant le congrès rassemblé à Versailles, le Président de la République a annoncé l'annulation de toutes les déflations d'effectifs qui étaient encore prévues, d'ici 2019, dans le cadre de l'actuelle LPM. Cette décision, devant être intégrée dans le projet de loi de finances qui nous concerne, modifie le texte tel qu'il a été initialement préparé. Il m'est donc difficile de parler dans le détail d'un projet qui est en cours d'évolution.
Pour autant, la décision du Président de la République conserve - et même consacre - le principe qui a guidé l'actualisation de la LPM, puis la construction du PLF 2016. Ce principe est celui de l'adéquation entre la menace, telle qu'elle est évaluée, les missions qui sont confiées aux armées et les moyens qui leur sont donnés. Aujourd'hui, face à la situation d'une extrême gravité, nos missions sont de nouveau augmentées ; les moyens doivent être ajustés en conséquence.
Avant de répondre spécifiquement sur le sujet du PLF pour 2016, je voudrais faire un point d'actualité suite aux terribles évènements de ce week-end. Si vous le permettez, monsieur le président, je dépasserai donc les vingt minutes qui m'étaient octroyés pour ce propos introductif. Je crois que la situation le permet...
J'articulerai mon discours en 3 parties :
1 ère partie, au lendemain des attentats, quelle est mon évaluation de la situation ?
2 ème partie : nos missions et nos moyens : c'est notre modèle d'armée qui doit répondre aux enjeux d'un contexte sécuritaire qui se durcit sous nos yeux.
3 ème partie : mes préoccupations, en toute transparence et vérité.
Pour commencer donc, mon appréciation de la situation actuelle. Je veux me limiter à trois constats.
Premier constat : le terrorisme international, incarné par Daech et ses affiliés, a désigné notre pays comme cible. En frappant aveuglement au coeur de Paris, c'est la France dans son ensemble qui est visée ; c'est chacun de nos concitoyens. Ce phénomène, d'une violence inouïe, renvoie à la radicalisation djihadiste et manifeste la réalisation d'un plan délibéré de rupture par une surenchère de terreur ; il s'appuie sur une propagande agressive, véhiculée sur internet et les réseaux sociaux. Il menace notre société et place la violence au coeur de notre démocratie.
Deuxième constat : le caractère transfrontalier de la menace. Nos adversaires ne sont pas des individus isolés ou désorganisés ; ce sont des groupes armés terroristes, islamistes radicaux, structurés, entraînés et déterminés. Ils ont leurs foyers au Levant, au Sahel et en Libye ; leurs relais se déploient dans toute l'Europe ; leurs ramifications s'étendent à l'intérieur de nos frontières. Ils savent donc utiliser une forme de profondeur stratégique. La révolution des communications et de la mobilité permet une circulation de leur propagande, de leurs commandos et de leurs armes. Ce constat marque avec force le lien de plus en plus étroit entre sécurité extérieure et sécurité intérieure. Les menaces de la force et de la faiblesse décrites dans le Livre blanc de 2013 sont toujours présentes, mais la menace du non-droit est là ; non plus à nos portes, mais déjà au coeur de notre territoire ; à Saint Denis, ce matin !
Troisième constat : les modes d'action des terroristes, sont jusqu'auboutistes, fanatisés. L'emploi de « suicide bomber » témoigne d'un idéal de mort et d'une radicalisation extrême. Nos ennemis d'aujourd'hui sont similaires à ceux que nous avons combattus en Afghanistan et au Mali et à ceux que nous combattons aujourd'hui dans la bande sahélo-saharienne. C'est une rupture, non seulement d'échelle, mais aussi de nature de la menace, qui atteint sur notre territoire un niveau inédit. Ce sont des actes de guerre.
Face à ce triple constat : quelles actions pour nos armées ? Ce sont d'abord les actions immédiates, décidées par le Président de la République, et qui ont été mises en oeuvre sans délai :
Pour la sécurité du territoire national, le dispositif Sentinelle a été renforcé ; 1 000 hommes supplémentaires dès dimanche soir, puis 2 000 autres, dans les deux jours qui ont suivi. Au total, ce sont donc à nouveau 10 000 soldats qui arment la seule opération Sentinelle.
Pour la défense de l'avant, notre aviation de combat a détruit, depuis la nuit du dimanche 15 novembre, six objectifs importants de Daech : pour l'essentiel des centres de commandement et des centres d'entraînement terroristes situés à Raqqa en Syrie. Des actions terroristes étaient planifiées et préparées à partir de chacun de ces centres. Ces six raids massifs, dont les deux derniers hier soir, ont donné lieu à des frappes robustes - entre 15 et 20 bombes chaque soir - et ont obtenu des résultats probants. On leur a fait mal.
J'ajoute que l'envoi du porte-avions, qui appareille en ce moment de Toulon, nous procurera en Méditerranée orientale, puis dans le golfe arabo-persique, une capacité supplémentaire de frappe et une plateforme de renseignement totalement interopérable avec nos alliés américains.
Par ces actions, à l'intérieur et à l'extérieur de nos frontières, nos armées ont, une nouvelle fois, fait la preuve de leur réactivité, de leur professionnalisme et de leur efficacité. Mais, au-delà de ces réactions immédiates, nous devons nous adapter en conséquence. Pour cela, je m'appuierai sur trois principes, que vous reconnaîtrez : « l'économie des forces », « la concentration des efforts » et « la liberté d'action ». Ces trois principes, chers au maréchal Foch, ont fait leurs preuves. En ces circonstances exceptionnelles, il faut puiser dans les bonnes références.
1 er principe : l'économie des forces. Parce que nos moyens sont comptés, ils doivent être valorisés au mieux. Sur le territoire national, nous ne pouvons pas nous payer le luxe de sous-employer ni de surconsommer nos soldats dans les seuls dispositifs statiques. En d'autres termes, les forces armées n'ont pas vocation à agir « à la place », mais bien en complémentarité des forces de sécurité intérieure. Face à des groupes armés qui utilisent des modes d'action guerriers, mettons à profit nos capacités militaires en termes de planification, d'autonomie, de réactivité. Nos armées possèdent des moyens d'observation, de surveillance, de contrôle de zone, ou d'intervention qu'elles sont parfois les seules à mettre en oeuvre et dont l'expérience sur les théâtres d'opérations extérieures leur a donné la maîtrise.
2 ème principe : la concentration des efforts. Non pas la concentration géographique, mais celle qui s'applique à l'ennemi qui est désormais clairement désigné, à savoir les djihadistes islamistes radicaux, en agissant sur l'ensemble de leurs moyens. Face à cet ennemi qui multiplie les lignes de front, il faut une défense - et aussi des actions offensives - dans la profondeur. N'attendons pas que ces groupes armés terroristes viennent jusqu'à nous pour les combattre. Nos opérations extérieures, nos missions intérieures, la surveillance et le contrôle de l'espace aérien et des approches maritimes, le renseignement, la cyberdéfense : ce sont toutes ces actions que nous devons combiner pour agir dans la profondeur.
Pour être efficace, parce que nous ne pouvons pas tout faire, il faut fixer des priorités, faire des choix. Il faut ensuite - avec calme, détermination et sang-froid - fixer un cap, élaborer une stratégie. Et cette stratégie doit être globale, car gagner la guerre ne suffit pas à gagner la paix. La force militaire n'agit pas sur les racines des crises qui s'ancrent, le plus souvent, dans des problèmes d'identité, de culture, d'éducation... Seule une approche globale, qui intègre tous ces paramètres peut espérer venir à bout de la violence. La concentration des efforts, c'est donc aussi l'addition des efforts sur chacun de ces champs. J'en suis un ardent partisan.
3 ème principe : la liberté d'action. Elle passe d'abord par la préservation permanente d'une capacité de réaction ; par le souci du « coup d'avance » ; par une réserve stratégique.
Elle passe aussi par la prise en compte du facteur temps. La gestion du temps court ne doit pas occulter la préparation du temps long. Il faut gérer les évènements tout en ayant le souci du temps d'après. En effet, face à ces menaces, sachons garder le juste recul pour appréhender l'avenir incertain et toujours « penser l'impensable ». L'histoire est en effet parfois cruelle sur ce plan. Méfions-nous donc des perceptions biaisées qui pourraient conduire à des décisions hâtives, telle que l'abandon de telle ou telle de nos capacités militaires sous prétexte qu'elle serait mal adaptée à la menace la plus proche, dans l'espace et dans le temps.
« Economie des forces », « concentration des efforts », « liberté d'action » : tels sont les trois principes qui doivent guider l'action et le long combat qui est devant nous. La volonté de combattre les terroristes demandera en effet de l'endurance, de la constance et de la persévérance.
La volonté de combattre l'adversaire doit aussi prendre corps dans les moyens d'action, dans un effort financier qui doit, lui-aussi, s'inscrire dans le temps et être à la hauteur des enjeux :
- le temps long, c'est l'objectif, rappelé lors du sommet de Newport, des 2 % du PIB consacré à notre défense à horizon de 2025 (contre 1,7 % actuellement) ;
- le temps court, c'est le projet de loi de finances pour 2016, ce qui me conduit naturellement à ma seconde partie.
Comme je vous l'ai indiqué en introduction, vous comprendrez que je ne rentrerai pas dans les détails chiffrés qui sont probablement appelés à évoluer dans les jours qui viennent. Je me limiterai à rappeler les principes qui structurent la cohérence du projet. Ces principes reposent sur la complétude de notre spectre des capacités et sur un bon équilibre entre les fonctions stratégiques, telles qu'elles sont inscrites dans notre Livre blanc, telles qu'elles sont traduites dans la LPM actualisée et telles qu'elles doivent le rester dans ce PLF 2016.
Pour la fonction dissuasion, c'est son maintien dans son niveau actuel. Le budget qui y est consacré doit garantir l'indispensable disponibilité et la performance de la dissuasion nucléaire, dans ses deux composantes, océanique et aérienne. Gardons-nous des effets de mode !
Pour la fonction protection, c'est une obligation ; elle doit être renforcée. La défense opérationnelle du territoire exige la rapide montée en puissance de la force opérationnelle terrestre vers un effectif de 77 000 soldats. Cet effort en effectif, caractéristique forte de l'année 2016, est plus qu'un objectif, c'est un impératif !
C'est aussi l'optimisation, voire le renouvellement dans certains cas, des moyens militaires contribuant à l'action de l'État en mer, à la défense maritime du territoire et à la posture permanente de sûreté aérienne. L'arrêt des déflations d'effectifs va naturellement aider à ces nécessaires consolidations.
Pour revenir à l'action des armées sur le territoire national, pour résumer ce que je vous ai déjà dit : il faut une valorisation, pas une banalisation en recherchant au maximum la coopération avec les forces de sécurité intérieure, pour lesquelles j'ai la plus grande admiration et le plus grand respect. Les jours passés ont montré l'étendue de leurs compétences et de leurs qualités. Et les heures récentes avec cette intervention du RAID à Saint Denis me renforcent dans cette conviction : nous avons des forces de sécurité intérieure remarquables.
Pour la fonction connaissance/anticipation, c'est un effort supplémentaire, avec un plan de recrutement, donc des postes nouveaux consacrés au renseignement et à la cyberdéfense ; et avec la poursuite des grands programmes qui continueront à garantir à la France une capacité autonome d'appréciation des situations. Plus que jamais, nous avons besoin de savoir, de comprendre, pour ensuite agir avant que nos ennemis ne passent à l'action. Il faut revenir à la devise du maréchal de Lattre : « ne pas subir ».
Pour la fonction intervention, toujours centrale, c'est à la fois une régénération et une adaptation, avec deux axes d'effort :
- Premier axe d'effort : dans un contexte de fort engagement de nos armées, l'entretien programmé des matériels et leur régénération pour les plus sollicités d'entre eux en opérations. Il s'agit de reconstituer au plus tôt, durablement et en permanence le potentiel des matériels - terrestres, maritimes et aériens - les plus affectés par un emploi intensif. Nous voyons juste en faisant cela.
- Deuxième axe d'effort : des acquisitions supplémentaires pour adapter notre dispositif aux conditions de nos engagements actuels dans les domaines de la mobilité, de l'initiative, de l'endurance et de l'anticipation, avec, par exemple, l'achat de 4 C130, 6 NH90, 7 Tigre, 1 BSAH, 1 B2M ; tous ces équipements ayant été ajoutés dans le cadre de l'actualisation de la LPM.
C'est enfin un maintien de la fonction prévention, essentielle, car elle permet de prévenir les crises et d'agir au plus tôt. C'est, entre autre, le rôle joué par nos forces prépositionnées en Afrique qui sont un atout majeur pour notre pays, pour notre capacité d'anticipation des menaces par la connaissance du milieu ; pour nos capacités d'action et de réaction. C'est aussi, par exemple, le déploiement de navires dans les espaces maritimes sensibles, notamment pour le contrôle des flux.
Pour conclure cette deuxième partie, je dirai que la cohérence de notre modèle complet d'armée sera assurée dans le PLF2016 par cet équilibre entre les fonctions stratégiques.
Mais, vous le savez, le costume reste taillé au plus juste. C'est pour cela que les armées directions et services poursuivent leur transformation ; elle est portée par notre projet commun Cap 2020, qui, autour de l'équipe des chefs d'état-major d'armée, est mis en oeuvre résolument. Ce projet global nous évitera le syndrome du maillon faible, qui peut conduire à la défaite. Car c'est bien cette adéquation entre nos moyens et nos missions qui me préoccupe. Avec quatre points d'application qui constituent ma troisième partie.
Mes préoccupations : elles sont au nombre de 4 : le budget, la protection de nos installations militaires, notre modèle de ressources humaines et le moral. Là encore, je ne rentrerai pas dans les chiffres.
Premier point de vigilance : le budget. Je vous le répète régulièrement : quelle que soit la programmation budgétaire initiale, quelles que soient les déclarations d'intention, je crains toujours le grignotage progressif en gestion de nos ressources financières. Il nous faut ces ressources selon le calendrier prévu. Il faut que la réalisation soit conforme à l'intention. Dans le contexte actuel, cela nous est plus que jamais indispensable pour cette bonne combinaison entre les moyens et les missions. Pour cela trois points en particulier méritent l'attention :
Premièrement, la fin de gestion 2015 : elle conditionne la bonne « mise sur les rails » de l'année 2016. L'ensemble des crédits de la mission Défense doit être au rendez-vous en fin de gestion 2015. Mais, au-delà de ces crédits, pour ne pas hypothéquer l'avenir, les charges nouvelles doivent également être couvertes tout en exonérant la défense des abattements désormais traditionnels de fin d'année. Cela correspond - à ce stade - à environ 950 millions d'euros comprenant notamment les surcoûts OPEX, Sentinelle et la révision de la trajectoire des effectifs avec l'indispensable montée en puissance de la force opérationnelle terrestre.
A titre d'illustration, la décision de non remboursement sur la durée de la LPM de l'opération Sentinelle reviendrait à annuler la totalité des ressources dédiées à la régénération des équipements, ainsi qu'une partie de celles dédiées à l'achat de matériels. Cela n'est ni raisonnable, ni concevable, sauf à accepter de dégrader encore le report de charge ; sauf à remettre immédiatement en question l'actualisation de la LPM que vous venez de voter ; sauf à remettre en question nos capacités d'engagement opérationnel ; sauf à remettre en cause l'effort qui vient d'être décidé pour la protection de notre pays et de nos concitoyens. Je reste donc confiant, mais particulièrement vigilant.
Deuxièmement, le PLF pour 2016. 2016 est la première annuité de la LPM actualisée. Elle doit marquer le redressement de l'effort de défense.
Quelles que soient les décisions à venir, l'annuité 2016 restera, à mes yeux, soumise à plusieurs risques :
- d'abord ceux dont je viens de parler pour 2015, et en particulier le remboursement de Sentinelle ;
- ensuite, la réalisation des 250 millions d'euros de cessions, essentiellement immobilières ;
- et enfin la réalité des gains liés à l'évolution du coût des facteurs. Ce point constitue mon troisième point de préoccupation pour le budget.
Troisièmement donc : le coût des facteurs : je rappelle que les gains liés à l'évolution favorable des indices économiques doivent permettre de financer, sur la période 2016-2019, un milliard d'euros d'équipements dont nous avons absolument besoin. Nous devons être vigilants sur la réalité des économies réalisées. Nous avons pris des hypothèses de programmation très volontaristes. Dès lors, nous devons être attentifs à ce que les gains de pouvoir d'achat attendus se traduisent dans la vraie vie des unités. Par ailleurs, le ministère doit faire face à des dépenses non prévues au moment du vote de la LPM. L'application de nouvelles lois ou normes, par exemple dans le cadre de la transition énergétique, réduit d'autant l'effet positif du coût des facteurs. C'est ce que l'on appelle les charges additionnelles.
Ce sujet fait l'objet actuellement d'une nouvelle mission conjointe de l'inspection générale des finances et du contrôle général des armées, dont les conclusions sont attendues pour la fin de l'année. Je les attends avec intérêt.
Après le budget, deuxième point de vigilance : la protection des installations militaires. La menace terroriste visant notre pays concerne aussi les militaires pour ce qu'ils représentent. Nous devons prendre toutes les mesures nécessaires pour renforcer la sécurité de nos installations, de nos militaires et de leurs familles.
Nous devons notamment nous interroger sur la pertinence de l'externalisation de certaines fonctions, comme celle du gardiennage. Peut-être sommes-nous parfois allés trop loin. Nous devons impliquer tout le personnel militaire et civil affecté sur chaque emprise dans une défense collective coordonnée.
La coordination interministérielle, au niveau du renseignement doit également encore progresser, notamment au niveau local. Elle est en effet nécessaire pour accroître le niveau des postures de protection au regard de la réalité de la menace.
Troisième point de vigilance : le modèle RH. Ce modèle, c'est l'adéquation de notre ressource humaine à nos besoins ; c'est aussi tous les moyens de recrutement, de formation et de mobilité. La qualité humaine est la vraie richesse de nos armées. C'est pour cela que le modèle RH constitue une partie intégrante du modèle d'armée et que sa rénovation est essentielle.
C'est un chantier majeur, car je crois en la jeunesse : celle de mon pays et celle que nous recrutons pour qu'elle puisse exprimer tout son potentiel. Nous voulons un modèle plus dynamique dans ses flux, mieux pyramidé, plus attractif et toujours mieux adapté aux besoins opérationnels des armées. Nous voulons rétablir l'adéquation entre le grade, les responsabilités et la rémunération. Je vous en ai déjà parlé dans mes précédentes auditions.
Ce modèle RH intègre aussi un volet spécifique pour la réserve, vivier de multiples compétences, pivot du lien armée-nation et précieux renfort pour les unités d'actives, dont le budget devra également être ajusté à l'ambition qui sera fixée, notamment pour la participation des réserves à la protection du territoire national. Nous réfléchissons à ce sujet dans le cadre des réflexions interministérielles pour le déploiement des forces militaires sur le territoire national.
Je vous l'ai dit, l'ambition de la refonte de notre modèle RH n'a qu'un seul but : avoir l'armée de nos besoins, celle dont la France a besoin.
Dernier point de vigilance, le plus important : le moral. Je l'évoque à chacune de mes auditions, car il est une part déterminante de la capacité opérationnelle. On ne gagne pas sans les forces morales.
Comment est le moral de nos armées ? Au plus haut en opération ; il est plus fragile en garnison, dans les états-majors et notamment à Paris. Nous devons donc le surveiller. Oui, les hommes et les femmes de nos armées ont un sens aigu du service. Face aux dangers, face aux terroristes, ils ont pleinement conscience de leurs responsabilités. Leur moral est ainsi excellent dès qu'ils sont directement employés pour la défense de notre pays. Je le constate lorsque je les visite en opération extérieure ou intérieure, là où se concrétise le sens de leur engagement.
Mais je constate aussi ce que note par ailleurs le haut comité à l'évaluation de la condition militaire - le HCECM - dans son dernier rapport. Je cite : « il existe parfois un sentiment d'une insuffisante considération par rapport à celle accordée aux autres catégories sociales ». Ce sentiment est le résultat d'années d'efforts consentis par les militaires. Nous avons aujourd'hui moins de militaires qu'il n'y avait de professionnels avant la professionnalisation !
Nous devons être attentifs à ces femmes et ces hommes qui enchaînent les missions sans se plaindre, qui supportent les dysfonctionnements de Louvois avec courage, qui font passer leur devoir avant leurs droits ; ils ont besoin de notre reconnaissance et de notre soutien.
Nos militaires défendent avec foi les valeurs de notre pays : la liberté, ils combattent pour elle ; l'égalité, ils la vivent sous l'uniforme ; la fraternité, elle est leur quotidien.
Veiller au moral est d'autant plus important que les armées sont, depuis toujours, le creuset d'une jeunesse qui est à l'image de notre nation, dans toute sa diversité et sa richesse. Il en va de la pérennité de notre modèle social militaire.
Pour éviter que le moral ne se dégrade, je suis persuadé que l'on gagnerait à prendre en compte les préconisations du HCECM en matière de condition du militaire pour l'avenir ; c'est un enjeu opérationnel ! C'est un point d'attention majeur pour moi !
Mesdames et messieurs les Sénateurs, quand la force avance, la violence recule.
Le contexte sécuritaire actuel qui se dégrade sous nos yeux renforce la pertinence des choix qui ont été faits lors de l'actualisation de la loi de programmation militaire. Ils doivent être renforcés dans le PLF 2016 qui vous sera présenté.
Réévaluons la garde à la hauteur de l'adversaire. Restons debout et fiers des valeurs que nous défendons. Restons vigilants quant aux moyens qui sont donnés à nos armées. Restons unis derrière les hommes et les femmes qui risquent leur vie, sous l'uniforme de nos armées, pour défendre la France et les Français.
Vous pouvez compter sur mon engagement sans faille et sur ma totale loyauté. Je sais pouvoir compter sur votre soutien en ces heures difficiles. Nous gagnerons ce combat contre les terroristes.
M. Jean-Pierre Raffarin, président . - Merci pour ce discours clair et charpenté.
M. Jacques Gautier . - Concernant l'exécution du budget 2015, nous espérons que le projet de loi de finances rectificative permettra de couvrir les différents surcoûts, notamment celui de Sentinelle. Pourriez-vous nous dire un mot de la réflexion en cours sur la doctrine d'emploi des forces armées sur le territoire national, dans l'attente de sa présentation au Parlement en janvier prochain ? Concernant Daech, les frappes françaises contre Raqqa sont importantes, car, outre le symbole que cette ville représente, elles visent des centres de commandement et d'entraînement. Mais ne faudrait-il pas également s'attaquer au financement de Daech, en frappant les camions-citernes qui acheminent son pétrole vers la Turquie ? S'agissant de l'annulation des déflations prévues, elle signifierait 4 500 postes maintenus en 2016 et 14 817 d'ici la fin de la programmation. Pouvez-vous nous confirmer ces chiffres ? Enfin, je voulais témoigner à nos forces notre respect et notre reconnaissance.
M. Daniel Reiner . - Notre commission sera très vigilante sur l'exécution budgétaire 2015 et sur celle de la LPM. Faute de recevoir suffisamment d'informations, l'opinion publique s'interroge sur l'efficacité de notre action dans le cadre de l'opération Chammal. Il faudrait communiquer davantage sur nos résultats. En ce qui concerne Sentinelle, nous attendons le rapport du SGDSN. L'opinion considère que l'armée est responsable de la protection du territoire et un élément de la sécurité nationale, à côté des forces de sécurité intérieure, dès lors qu'on a affaire à des actes de guerre. Cela plaide aussi pour une réévaluation de la réserve, en particulier celle de l'armée de terre qui est un vivier dans lequel il faut puiser.
M. Jean-Pierre Raffarin, président . - Je m'interroge pour ma part sur l'utilisation du mot « guerre ». Si nous sommes en guerre, nous ne serions plus supposés nous promener dans la rue, nous installer en terrasses des café comme nous y sommes incités. Ce n'est pas qu'une affaire sémantique. Faut-il employer le mot guerre ?
Général Pierre de Villiers. - Je réfléchis beaucoup à ces questions. La sémantique est importante. Nous avons en face de nous des gens qui s'identifient comme des adversaires, comme nos ennemis. En ce sens, nous pouvons parler de « guerre ». Toutefois, nous demandons aux Français de faire comme s'il n'y avait pas de guerre pour ne pas céder à la panique, pour résister. Il me semble juste de dire que nos adversaires - l'islamisme radical - pratiquent des actes de guerre et que nous, nous sommes dans une lutte contre des terroristes. Toutefois, dans mon quotidien de militaire, dans le cadre de nos opérations extérieures, nous sommes en guerre. On parle de Daech, mais nous affrontons d'autres groupes de fanatiques islamistes pratiquant des actes de guerre et des actes terroristes : Mujao, Ansar Dine, Al-Morabitoune, le front de libération du Macina... Le conseil de défense du 29 avril dernier a acté le concept de déploiement pérenne des militaires sur le territoire national. Une réflexion interministérielle a alors été mise en place. Elle doit aboutir à la remise d'un rapport au Parlement entre la fin de l'année et la fin du mois de janvier. Au sujet de cette doctrine d'emploi, je souhaite être clair dans ma vision des choses. Les militaires doivent être utilisés en complément des forces de sécurité intérieure. Dans le cas contraire, il n'y aurait aucune raison de garder ces hommes sous commandement militaire. Notre action doit venir en complément et en addition de l'action des forces de sécurité intérieure, pour lesquelles j'ai le plus grand respect. Elles ont accompli un travail remarquable. Nous pouvons leur apporter, grâce à notre formation et à notre expérience, des compétences dans le domaine de la prévention et de la réaction par rapport à des actes de guerre, ce qui n'est pas leur coeur de métier. Nous savons mettre en place des dispositifs mobiles, contrôler des zones, notamment de nuit, en bonne synchronisation avec le réseau Acropol que nous utilisons tous avec profit.
Dans un autre ordre d'idées, nous pouvons également utiliser les réserves territorialisées : qui connaît mieux son canton qu'un réserviste ? Vous le savez et vous m'avez soutenu dans cette démarche, j'appelle au développement de la réserve, pour ma part, depuis plus de 20 ans. Je constate d'ailleurs qu'il existe une forte demande de la part des Français qui souhaitent participer à des unités de réserve opérationnelle.
M. Jean-Marie Bockel . - Faut-il aller jusqu'à la mise en place d'une garde nationale ?
Général Pierre de Villiers. - Je vous ai déjà parlé du projet de valorisation de la réserve qui a pour horizon 2019. À cette date, selon ce projet, nous aurons formé et territorialisé des unités de réserve opérationnelle. Nous pourrons alors nous demander si une garde nationale peut et doit leur succéder ou non. Ce n'est pas tant le nom qui compte que les efforts que nous ferons pour nous assurer que les personnels civils mobilisés dans ce contexte sont opérants.
Vous en aviez conscience, et les récents événements l'ont confirmé la « sécurité de l'arrière » et la « défense de l'avant » vont de pair. Sont mêlés aux récents attentats des individus qui ont séjourné en Syrie. Nous intensifions nos frappes, en Syrie, non par vengeance mais par détermination. Notre stratégie, d'abord concentrée sur l'Irak, a été réorientée en septembre et s'étend désormais en Syrie. Les vols de reconnaissance ont d'abord permis trois frappes en Syrie, aujourd'hui suivies de frappes massives et efficaces, sur la base des renseignements que les premiers vols nous ont permis d'acquérir puis de confirmer. Nous conservons notre éthique militaire : nos frappes sont ciblées pour réduire au maximum les risques de dégâts collatéraux. C'est d'abord une question d'éthique, mais aussi d'efficacité. Nous avons donc une fine connaissance des cibles avant de frapper, car le doute n'est pas tolérable en la matière. Je vous garantis que l'intensité de la frappe a eu des résultats sévères et certains. Le bombardement intensif et par surprise d'un centre d'entraînement satisfait ces conditions.
S'agissant de notre intervention dans le cadre de l'opération Chammal, je défends ardemment la stratégie basée sur un bombardement aérien par la coalition, relayé par une action au sol menée par les troupes locales. Nous savons que les bombardements ne suffisent pas à gagner une guerre, mais nous sommes également certains qu'une action au sol des troupes alliées occidentales serait une très mauvaise idée. Daech espère nous entraîner sur cette voie pour frapper les opinions publiques en tuant nos troupes au sol. Nous devons au contraire aider et former en Irak et en Syrie les forces modérées luttant contre les fanatiques. Il ne peut s'agir que d'une opération de longue haleine, nous le savons et l'exemple du Kosovo l'a parfaitement illustré. Il faut presque 15 ans pour sortir de ce type de conflit. C'est une durée qu'il est difficile de rendre acceptable dans la société de l'instantané qui est la nôtre. Pour autant je ne cacherai pas qu'il n'y a pas de solution militaire à court terme. Les frappes sont indispensables et efficientes, mais la solution, au final, ne peut être que diplomatique et politique. Et je me réjouis de l'évolution de la situation en Syrie qui voit l'émergence d'une opposition coalisée. La situation reste complexe. Quoi qu'il en soit, la situation est grave. Il faut trouver des solutions politiques et diplomatiques et donner à l'architecture de sécurité locale le temps de se mettre en place, un temps nécessairement long.
Sur les déflations, je ne suis pas en mesure de donner de chiffres à ce stade.
M. Yves Pozzo di Borgo . - Le renchérissement du coût du maintien en condition opérationnelle du fait des opérations nous semble sous-estimé. Lorsque les armées cèdent des frégates ou des Rafale, elles doivent de plus utiliser des matériels vieillissants dont le MCO est plus onéreux.
Mme Michelle Demessine . - Nos concitoyens vivent des moments graves et on sent que quelque chose se passe dans notre pays. Les gens essayent de comprendre ce qui se passe mais il est très difficile de donner des explications. Comme vous l'avez souligné, il n'y a pas de solution militaire à la situation en Syrie, mais l'engagement de notre armée est indispensable pour construire la paix. Par ailleurs, nous avons fait un déplacement à Bordeaux au sujet du MCO aéronautique. Nous avons pu constater la mobilisation et l'engagement très fort des personnels tant civils que militaires. Grâce à cet engagement, une partie du déficit de MCO a été comblé, pour atteindre 80 % de disponibilité des matériels. Mais nous allons passer à la vitesse supérieure en termes d'engagement, notamment avec la projection du Charles de Gaulle ! Comment assurer cette montée en puissance ? Concernant le SIAé, nous avons perçu des inquiétudes quant à son avenir, d'autant que toute une génération est en train de partir à la retraite avec son savoir-faire.
M. Christian Cambon . - Les missions de nos armées s'accumulent : OPEX, Sentinelle, etc. Certains experts estiment que les forces françaises seront insuffisantes pour faire face à l'ensemble de ces défis. En ce qui concerne le moral des troupes, vous avez été rassurant mais nous avons parfois des échos plus contrastés. Hier, nous avons demandé à nos partenaires européens de nous soutenir davantage dans notre lutte contre les djihadistes. Recevrons-nous d'eux autre chose qu'un soutien moral et une aide très ponctuelle ? Est-il raisonnable de poursuivre l'ensemble de nos engagements si nous ne sommes pas soutenus par ces pays ?
Mme Hélène Conway-Mouret . - Je voudrais d'abord rendre hommage aux hommes et aux femmes placés sous votre commandement à l'étranger ou sur le territoire national. Que pouvons-nous attendre de nos partenaires européens ? N'est-ce pas le moment de réfléchir à nouveau à la défense européenne ? La menace concerne tous nos partenaires ! Quelles demandes la France a-t-elle formulées dans ce domaine ?
M. Alain Gournac . - Nous sommes fiers de nos armées. Un rapport sur le bilan de Sentinelle va nous être remis à la fin de l'année. Ne serait-il pas possible d'avoir un retour plus rapide ? J'observe d'ailleurs que l'armée est présente à Saint-Denis ce matin pendant l'assaut contre les terroristes, et qu'elle est en position ! Par ailleurs, il serait bon d'informer davantage les Français sur les opérations menées par nos armées. Quant au moral, les militaires se posent tout de même des questions ! Les annonces du Président de la République constituent certes de bonnes nouvelles, mais il faudrait quand même les écouter davantage, car ils sont remarquablement responsables.
Mme Leila Aïchi . - Vous avez raison de dire qu'il ne faut pas perdre de vue les objectifs de long terme ! Je sais que ce n'est pas une hypothèse que vous envisagez mais combien d'hommes seraient nécessaires pour détruire Daech au sol ?
M. Gilbert Roger . - Je ne crois pas avoir entendu les sénateurs de cette commission dire autre chose que leur confiance et leur soutien à nos armées. J'aimerais que la réciproque fût totalement vérifiée : or des militaires retraités critiquent sans cesse la politique menée ! Avez-vous compétence et qualité pour les rappeler à l'ordre ? Je regrette l'absence de relations entre mon département et l'armée : ne pourrait-on pas relancer des opérations de recrutement au niveau départemental ? Enfin, l'actualisation de la programmation militaire est tout de même appréciable si on la compare à une RGPP qui « tirait à vue » sur les effectifs.
Mme Bariza Khiari . - Je souscris à l'hommage qui est rendu à nos forces armées et aux forces de sécurité et je partage vos interrogations et réflexions sur l'importance de la sémantique et du choix des mots. Il faut à l'évidence une adéquation entre l'expression « nous sommes en guerre » et notre mode de vie. Compte tenu de la cible des attentats (le sport, la jeunesse, les loisirs, les restaurants, le Bataclan, la convivialité), observez-vous depuis vendredi un surcroît d'intérêt pour l'armée chez les jeunes ? Cela pourrait être intéressant pour une jeunesse qui, souvent, voudrait vivre une citoyenneté plus active.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Je vous avais déjà interrogé sur la réserve au mois de Juin, et en particulier sur l'utilisation des réserves citoyennes. Quand vous parlez de l'horizon 2019, cela me semble trop loin. Nous avions rédigé, mon collègue Michel Boutant et moi-même, un rapport sur la création d'une réserve nationale de sécurité mobilisable en cas de crise majeure. Nous pressentions déjà ce qui allait se passer. Les décrets d'application de la loi du 28 juillet 2011 sont toujours en cours d'élaboration ; je crois qu'il est à présent nécessaire d'accélérer : nous avons besoin de cette réserve, notamment en matière de cybersécurité. La réserve citoyenne serait certes un peu plus facile à mettre en place parce que la question de la relation avec les employeurs ne se pose pas.
Général Pierre de Villiers. - Sur le sujet du maintien en condition opérationnelle, je pense qu'a été rétablie une forme de cohérence grâce aux 500 millions d'euros que nous avons obtenus, dans le cadre de l'actualisation de la loi de programmation militaire, en faveur de l'entretien programmé des matériels. S'il advenait que l'emploi des matériels augmente, ce format ne serait bien sûr plus adapté. Si les missions augmentent, les moyens doivent augmenter aussi, c'est mécanique, je ne ferai pas croire, je ne sais pas faire croire, à mes soldats et aux armées, qu'on fera plus avec moins. En revanche, si le format des missions tel qu'il a été décrit dans le cadre de l'adoption de la LPM actualisée est respecté, nos armées ont les moyens de leurs missions. Cela dit, nous sommes en tension permanente et, si vous voulez bien me passer l'expression « le costume est taillé au plus juste ». Bien sûr, il faut faire la part entre ce qui est la réaction du Français « gaulois » qui est rarement content - c'est quand même une de nos caractéristiques, et le génie français passe aussi par là - et la réalité de l'acuité du problème. Oui, le costume est taillé au plus juste. Nous ne devons pas être en deçà de la limite acceptable, pour que les militaires puissent s'entraîner, voler, naviguer et faire leurs heures sur le terrain. Reconsidérer les moyens à hauteur de nos missions, c'est précisément ce que nous devons faire dans le PLF 2016.
Dans cette problématique d'augmentation des crédits, se pose la question de ceux dédiés au MCO-aéronautique dont le SIAé est un acteur essentiel, sur lequel a été appelée votre attention. Je connais les évolutions démographiques que vous annoncez et qui vont caractériser le SIAé. Nous vivons dans une société anxiogène et c'est souvent l'aspect inquiétant des évolutions qui est mis en avant. Je m'attache à lutter contre cela et tente d'apporter aux gens une espérance, des certitudes, un cap auquel ils peuvent se raccrocher.
Vous avez raison d'évoquer ici le personnel civil. Je suis toutes les semaines en déplacement, en homme de terrain. Mon métier de chef d'état-major des armées n'est pas une tâche bureaucratique et je me dois de connaître nos armées. Je sais quelle force nous apporte le personnel civil. Ils n'ont pas le même statut que les militaires, ni le même métier. Cela n'empêche pas que leur disponibilité est exceptionnelle dans ces crises. J'en ai de multiples exemples. Pour nos armées, les effectifs civils sont capitaux et je l'ai toujours souligné, il n'y a pas les personnels civils d'un côté et les militaires de l'autre, il y a une communauté soudée qui sert au sein des armées, directions et services. Le dévouement pour la France est commun aux civils et aux militaires, il est remarquable, et c'est un formidable vecteur d'espérance.
Concernant la réunion des ministres de la défense européens, je n'ai encore d'éléments de réponse. Ce que je peux vous dire, c'est que le modèle d'armée que je vous ai présenté implique une coopération internationale, et a fortiori européenne. Je déplore la baisse des dépenses militaires de défense dans la plupart des pays européens. Pour l'heure, très peu de pays participent aux frappes en Syrie contre Daesh : principalement les États-Unis et la France. J'espère que l'élan suscité par les récents attentats va favoriser une prise de conscience et que d'autres pays européens vont venir combattre sur les mêmes fronts que nous. Concernant Sentinelle, je fais preuve de pragmatisme. Ainsi, les 3 000 soldats supplémentaires récemment mobilisés sont orientés prioritairement vers des actions mobiles et de surveillance de zone, en concertation avec le ministère de l'intérieur. Dès la mise en place du dispositif après les attentats de janvier 2015, nous avions pressenti que Sentinelle ne pouvait être le simple prolongement de Vigipirate, qu'un dispositif figé ne convenait pas au regard des circonstances actuelles. Nous avons déjà adapté notre dispositif à Paris, où se concentrent 50 % des effectifs de Sentinelle, en réduisant d'une vingtaine à trois le nombre de commandements. Trois chefs de corps commandent chacun un groupement tactique interarmes (GTIA), comme en OPEX, et ça fonctionne ! Avant-hier je suis allé rendre visite au chef de corps de Vincennes, qui commande 2 200 hommes. Certes, on peut regretter que la doctrine ne soit pas encore prête. Le volet juridique est complexe parce que ce n'est pas le droit de la guerre qui s'applique mais la légitime défense. Il faut du temps pour examiner toutes les questions juridiques qui se posent. Mais la démarche conduite, qui réunit les différents acteurs interministériels et fait émerger entre eux une vraie synergie, est très positive.
S'agissant du chiffrage des troupes au sol qui seraient nécessaires en Syrie, je ne peux pas vous en donner d'estimation. L'important est de savoir que les bombardements ne peuvent être efficaces sans une action au sol et que celle-ci ne peut être coordonnée sans un effort diplomatique et politique permettant de rassembler tous les acteurs autour de la table. Ça se fait plus ou moins bien en Irak où un nombre croissant de milices sunnites se joignent aux chiites pour combattre aux côtés de l'armée irakienne. Mais ce n'est pas très facile.
Résoudre le problème en Syrie prendra des années en l'absence d'un accord politique fort. On ne forme pas des soldats comme ça, surtout face à Daesh. Nous avons en face de nous des gens complètement fanatisés, capables d'actes d'une barbarie inconcevable et qui cherchent à inspirer la peur.
Le lien armée-nation est fondamental. J'ai confiance en nos soldats qui sont exceptionnels. Je suis fier du modèle social militaire. Je ne sais pas s'il y a beaucoup d'institutions qui autorisent la promotion d'un deuxième classe jusqu'au grade de général, qui autorisent une ascension sociale aussi exceptionnelle, qui placent le souci de l'autre au centre de leur action et qui font de l'humanité dans le style de commandement un élément essentiel. Tout n'est certes pas parfait mais j'essaie modestement de garder ce cap. Nous avons des soldats extraordinaires. Il faut les écouter, il faut les entendre. N'ayant ni syndicats ni aucun contre-pouvoir de ce type, le commandement doit être parfaitement en prise avec les soldats. J'ai la faiblesse de penser que les trois chefs d'état-major et que les cinq directeurs des services le sont. Au sommet, nous essayons modestement d'entretenir une synergie profonde entre ceux qui donnent les ordres et ceux qui les exécutent, avec entre les deux un corps des sous-officiers absolument exceptionnel. Je termine sur une note optimiste en disant que nous avons de belles armées. Je suis fier de cette jeunesse, je suis fier de ce qu'elle fait. Nous gagnerons ce combat contre les groupes armés terroristes. Je vous l'ai dit et j'en suis persuadé. Nous le gagnerons parce que nous avons une nation derrière nous, un peuple debout. Et je le sens aujourd'hui vraiment. Pas seulement au travers de la représentation parlementaire mais aussi au travers de mes déplacements, de ce que je lis et de ce que j'entends. Et cela c'est peut-être ce qu'il y a de plus beau. De toute difficulté peut surgir un bien. La France peut en sortir grandie.
M. Jean-Pierre Raffarin, président . - Comme tous les Français, nous allons applaudir nos soldats.
Applaudissements.