Avis n° 405 (2014-2015) de M. Philippe BAS , fait au nom de la commission des lois, déposé le 10 avril 2015
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N° 405
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015
Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 avril 2015 |
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de résolution de M. Jacques MÉZARD et les membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen tendant à créer une commission d' enquête sur le bilan et le contrôle de la création , de l' organisation , de l' activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes ,
Par M. Philippe BAS,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; Mme Catherine Troendlé, MM. Jean-Pierre Sueur, Jean-René Lecerf, Alain Richard, Jean-Patrick Courtois, Alain Anziani, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Pierre-Yves Collombat, Mme Esther Benbassa , vice-présidents ; MM. François-Noël Buffet, Michel Delebarre, Christophe-André Frassa, Thani Mohamed Soilihi , secrétaires ; MM. Christophe Béchu, Jacques Bigot, François Bonhomme, Luc Carvounas, Gérard Collomb, Mme Cécile Cukierman, M. Mathieu Darnaud, Mme Jacky Deromedi, M. Félix Desplan, Mme Catherine di Folco, MM. Christian Favier, Pierre Frogier, Mme Jacqueline Gourault, MM. François Grosdidier, Jean-Jacques Hyest, Mme Sophie Joissains, MM. Philippe Kaltenbach, Jean-Yves Leconte, Roger Madec, Alain Marc, Didier Marie, Jean Louis Masson, Michel Mercier, Jacques Mézard, François Pillet, Hugues Portelli, André Reichardt, Bernard Saugey, Simon Sutour, Mme Catherine Tasca, MM. René Vandierendonck, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto . |
Voir le(s) numéro(s) :
Sénat : |
381 (2014-2015) |
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOISRéunie mercredi 8 avril 2015 sous la présidence de M. Philippe Bas, président, la commission des lois a examiné, sur le rapport pour avis de M. Philippe Bas , la recevabilité de la proposition de résolution n° 381 (2014-2015), présentée par M. Jacques Mézard et les membres du groupe RDSE, tendant à la création d'une commission d'enquête sur le bilan et le contrôle de la création, de l'organisation, de l'activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes . Le groupe RDSE a fait savoir qu'il demanderait la création de cette commission d'enquête au titre de la procédure du « droit de tirage », prévue à l'article 6 bis du règlement du Sénat, de sorte que la commission des lois a uniquement à se prononcer sur sa recevabilité. Constatant que l'objet de la commission d'enquête envisagée portait sur la gestion de services publics , en l'espèce les autorités administratives indépendantes, démembrements de l'administration centrale ne disposant pas généralement de la personnalité juridique, et non sur des faits déterminés, M. Philippe Bas, rapporteur, a indiqué que la proposition de résolution entrait bien dans le champ défini par l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, sans qu'il soit nécessaire d'interroger le garde des sceaux sur l'existence d'éventuelles poursuites judiciaires en cours. En conséquence, la commission des lois a estimé que la proposition de résolution était recevable . |
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le 1 er avril 2015, notre collègue Jacques Mézard et les membres du groupe RDSE ont déposé sur le bureau du Sénat une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête « sur le bilan et le contrôle de la création, de l'organisation, de l'activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes » (n° 381, 2014-2015) 1 ( * ) .
Compte tenu de son objet, la proposition de résolution a été envoyée au fond à votre commission des lois.
Le groupe RDSE a fait connaître qu'il demanderait la création de cette commission d'enquête, pour l'année 2014-2015, au titre du « droit de tirage » qui permet à chaque groupe d'obtenir une fois par année parlementaire, de droit, la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information. Sous réserve de sa recevabilité, il doit être pris acte de cette demande de constitution d'une commission d'enquête par la conférence des présidents lors de sa prochaine réunion, pour l'année 2014-2015.
Dans ces conditions, votre commission des lois n'a pas à se prononcer sur l'opportunité de la création d'une telle commission d'enquête, mais elle est néanmoins chargée d'apprécier la recevabilité de la proposition de résolution au regard des conditions posées par l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
Votre commission a considéré que la proposition de résolution était recevable .
I. LA CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE PAR « DROIT DE TIRAGE » D'UN GROUPE POLITIQUE
Introduit par la résolution tendant à modifier le règlement du Sénat pour mettre en oeuvre la révision constitutionnelle, conforter le pluralisme sénatorial et rénover les méthodes de travail du Sénat, adoptée le 2 juin 2009 à la suite de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la V e République, l'article 6 bis du règlement du Sénat prévoit que chaque groupe politique a droit à la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information par année parlementaire.
Article 6 bis du règlement du Sénat « 1. - Chaque groupe a droit à la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information par année parlementaire. « 2. - Dans le cas de création d'une commission d'enquête, les dispositions de l'article 11 sont applicables, sous réserve de l'alinéa suivant. « 3. - La demande de création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information doit être formulée au plus tard une semaine avant la réunion de la conférence des présidents qui doit prendre acte de cette demande. « 4. - Les fonctions de président et de rapporteur d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information sont partagées entre la majorité et l'opposition. » |
Communément appelé « droit de tirage », ce droit attribué à tous les groupes du Sénat, qu'ils se soient ou non déclarés d'opposition ou minoritaire, a donné une réelle consistance au nouvel article 51-1 de la Constitution, issu de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Celui-ci prévoit en effet que « le règlement de chaque assemblée détermine les droits des groupes parlementaires constitués en son sein » et « reconnaît des droits spécifiques aux groupes d'opposition de l'assemblée intéressée ainsi qu'aux groupes minoritaires ». En tout état de cause, s'il n'était pas nécessaire qu'une telle disposition figurât dans la Constitution pour que les règlements fussent en mesure de déterminer les droits des groupes - ce qu'ils font depuis le début du XX ème siècle -, cette disposition assure au niveau constitutionnel la reconnaissance des groupes politiques et de leur rôle au sein des assemblées.
Lorsqu'un groupe demande la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information et fait connaître son intention d'utiliser à cette fin son « droit de tirage » annuel, la conférence des présidents prend acte de la demande, cette prise d'acte valant création. Dans le cas d'une commission d'enquête, comme le prévoit l'article 11 du règlement, une proposition de résolution tendant à la création de cette commission d'enquête doit avoir été préalablement déposée, dans les conditions réglementaires normales, mais elle n'a pas à être adoptée en séance, comme le prescrit la première phrase de l'alinéa 1 de l'article 11 2 ( * ) : la proposition de résolution est considérée comme adoptée du fait de la prise d'acte par la conférence des présidents. Dès lors, il n'y a pas lieu, pour la commission saisie au fond de la proposition de résolution, d'examiner la question de l'opportunité de la création de la commission d'enquête.
Depuis juin 2009, onze commissions d'enquête ont été créées sur le fondement du « droit de tirage », aucune n'ayant été créée selon la procédure normale :
- commission d'enquête sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le Gouvernement de la grippe A (H1N1v), créée en 2010 ;
- commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, créée en 2012 ;
- commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques, créée en 2012 ;
- commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé, créée en 2012 ;
- commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage, créée en 2013 ;
- commission d'enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l'évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l'efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre, créée en 2013 ;
- commission d'enquête sur les modalités du montage juridique et financier et l'environnement du contrat retenu in fine pour la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds, créée en 2013 ;
- commission d'enquête sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, créée en 2014 ;
- commission d'enquête sur la réalité du détournement du crédit d'impôt recherche de son objet et de ses incidences sur la situation de l'emploi et de la recherche dans notre pays, créée en 2014 ;
- commission d'enquête sur le fonctionnement du service public de l'éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l'exercice de leur profession, créée en 2015 ;
- commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air, créée en 2015.
À titre de comparaison, l'Assemblée nationale a repris le mécanisme sénatorial du « droit de tirage », dans le cadre d'une résolution du 28 novembre 2014 tendant à modifier son règlement 3 ( * ) , en instaurant un nouveau mécanisme similaire de création d'une commission d'enquête : chaque président de groupe d'opposition ou minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, à l'exception de celle qui précède le renouvellement de l'Assemblée, la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information, la conférence des présidents prenant acte de cette création, sous réserve des règles de recevabilité applicables à la création d'une commission d'enquête (articles 141 et 145 du règlement de l'Assemblée nationale). Contrairement au système retenu au Sénat, le groupe majoritaire ne dispose toutefois pas d'un tel droit.
Auparavant, le dispositif équivalent au « droit de tirage » permettait simplement à chaque président de groupe d'opposition ou minoritaire de demander, une fois par an, la mise d'office à l'ordre du jour d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête, à condition qu'elle soit recevable, celle-ci pouvant être modifiée par la commission saisie au fond de la proposition et rejetée en séance à la majorité des trois cinquièmes des membres de l'Assemblée.
II. L'EXAMEN DE LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION DANS LE CADRE DU « DROIT DE TIRAGE »
L'exercice du « droit de tirage » pour la création d'une commission d'enquête ne dispense pas du contrôle de la recevabilité de la proposition de résolution tendant à cette création. Cette obligation de contrôle de recevabilité résulte de la procédure de droit commun de création de ces commissions, fixée par l'article 11 du règlement.
L'article 11 du règlement du Sénat, applicable à la création de toute commission d'enquête en vertu de l'article 6 bis du règlement, hormis ses dispositions relatives à la procédure de création proprement dite, dispose que la proposition de résolution « doit déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission d'enquête doit examiner la gestion ». Il ajoute que, lorsqu'elle n'est pas saisie au fond de la proposition de résolution, « la commission des lois (...) est appelée à émettre un avis sur la conformité de cette proposition avec les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, modifiée, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ». Il prévoit en outre que la commission « ne peut comporter plus de vingt et un membres ».
Article 11 du règlement du Sénat « 1. - La création d'une commission d'enquête par le Sénat résulte du vote d'une proposition de résolution, déposée, renvoyée à la commission permanente compétente, examinée et discutée dans les conditions fixées par le présent règlement. Cette proposition doit déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission d'enquête doit examiner la gestion. Lorsqu'elle n'est pas saisie au fond d'une proposition tendant à la création d'une commission d'enquête, la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale est appelée à émettre un avis sur la conformité de cette proposition avec les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, modifiée, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. La proposition de résolution fixe le nombre des membres de la commission d'enquête, qui ne peut comporter plus de vingt et un membres. « 2. - Pour la nomination des membres des commissions d'enquête dont la création est décidée par le Sénat, une liste des candidats est établie par les présidents des groupes et le délégué des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, conformément à la règle de la proportionnalité. Il est ensuite procédé selon les modalités prévues à l'article 8, alinéas 3 à 11. » |
Dans son rapport 4 ( * ) sur la proposition de résolution tendant à modifier le règlement adoptée par le Sénat le 2 juin 2009, notre ancien collègue Patrice Gélard, après avoir constaté que « la création de la commission d'enquête ne ferait pas l'objet d'un vote du Sénat », indiquait que « la création de l'organe de contrôle serait donc automatique, sous réserve, pour les demandes de création d'une commission d'enquête, d'un contrôle de recevabilité minimal ».
Cette obligation de contrôle de recevabilité a d'ailleurs été clairement rappelée par le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2009-582 DC du 25 juin 2009 sur la résolution du Sénat du 2 juin 2009. Il est de jurisprudence constante, en effet, que les règlements des assemblées doivent respecter les dispositions de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 précitée et singulièrement, pour la création des commissions d'enquête, celles de son article 6 qui fixent des conditions de recevabilité de cette création.
Dans les considérants 5 et 6 de sa décision, le Conseil constitutionnel a en effet rappelé :
« 5. Considérant que, conformément au principe de la séparation des pouvoirs, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 susvisée, d'une part, interdit que soient créées des commissions d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours et, d'autre part, impose que toute commission d'enquête prenne fin dès l'ouverture d'une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d'enquêter ; qu'en outre, il prévoit que les commissions d'enquête ont un caractère temporaire et que leur mission prend fin, au plus tard, à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date de l'adoption de la résolution qui les a créées ;
« 6. Considérant que l'article 2 de la résolution soumise à l'examen du Conseil constitutionnel n'a pas pour effet de restreindre la portée des dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 susvisée qui conditionnent la recevabilité des demandes de création de commissions d'enquête ; que, dans ces conditions, il n'est pas contraire à la Constitution ; »
Ainsi, la demande de création d'une commission d'enquête par recours au « droit de tirage » est bien pleinement soumise à la procédure normale de vérification de la recevabilité de la proposition de résolution déposée en ce sens, c'est-à-dire au contrôle par votre commission des lois de sa conformité à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958.
Ce contrôle porte sur le respect par la proposition de résolution des premier à cinquième alinéas du I de cet article 6, qui prévoient notamment que « les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales », qu'« il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours » et que les commissions d'enquête « ne peuvent être reconstituées avec le même objet avant l'expiration d'un délai de douze mois à compter de la fin de leur mission ».
Par ailleurs, selon ces mêmes dispositions, la mission des commissions d'enquête prend fin avec la remise de leur rapport et, « au plus tard, à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date de l'adoption de la résolution qui les a créées ».
Dans le cadre de la procédure de « droit de tirage », la compétence de votre commission des lois se limite donc strictement, comme lorsqu'elle n'est saisie que pour avis d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête, à l' examen de sa recevabilité .
Pour mémoire, la loi n° 91-698 du 20 juillet 1991 tendant à modifier l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative aux commissions d'enquête et de contrôle parlementaires a regroupé, sous l'unique dénomination globale de commissions d'enquête, les commissions d'enquête et les anciennes commissions de contrôle, lesquelles avaient pour objet de contrôler le fonctionnement d'une entreprise nationale ou d'un service public.
Pour autant, cette unification d'ordre terminologique n'a pas remis en cause la dualité existant entre les commissions d'enquête stricto sensu et les commissions d'enquête chargées de contrôler la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale, dualité qui entraîne une procédure différenciée de vérification de la recevabilité.
En effet, dans la première hypothèse , c'est-à-dire en cas d'enquête sur des faits déterminés, la pratique traditionnellement suivie pour les anciennes commissions d'enquête continue d'être observée : le président de votre commission des lois demande au président du Sénat de bien vouloir interroger le garde des sceaux sur l'existence éventuelle de poursuites judiciaires concernant les faits en cause .
Dans la seconde hypothèse , comme pour les anciennes commissions de contrôle, cette procédure de demande d'information ne s'impose pas en raison même de l'objet de la commission , qui est d'enquêter non sur des faits déterminés, mais sur la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale.
Par conséquent, lorsque votre commission est uniquement chargée d'examiner la recevabilité d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête, sa tâche consiste à déterminer si cette création entre bien dans le champ de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 et si la consultation du garde des sceaux s'impose ou non .
En outre, il convient de s'assurer que, conformément à l'article 11 du règlement, la proposition de résolution fixe le nombre des membres de la commission d'enquête, qui ne peut comporter plus de vingt et un membres, et que, conformément au dernier alinéa du I de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée, une commission d'enquête n'est pas reconstituée avec le même objet avant l'expiration d'un délai de douze mois à compter de la fin de sa mission.
Dans le cadre du « droit de tirage », ce contrôle de recevabilité doit s'opérer, le cas échéant, dans des conditions compatibles avec le délai, établi par l'alinéa 3 de l'article 6 bis du règlement, d'une semaine au moins avant la réunion de la conférence des présidents qui doit prendre acte de la demande de création de la commission d'enquête.
III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION
L'article unique de la proposition de résolution présentée par notre collègue Jacques Mézard et les membres du groupe RDSE tend à créer « une commission d'enquête sur le bilan et le contrôle de la création, de l'organisation, de l'activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes ».
En premier lieu, votre commission a constaté que cette proposition de résolution ne prévoyait pas un nombre de membres supérieur à vingt et un pour la commission d'enquête qu'elle tend à créer.
En deuxième lieu, votre commission a constaté qu'elle n'avait pas pour effet de reconstituer avec le même objet une commission d'enquête ayant achevé ses travaux depuis moins de douze mois.
En dernier lieu, votre commission a étudié le champ d'investigation que propose la proposition de résolution pour la commission d'enquête, afin de vérifier s'il conduit à enquêter sur des faits déterminés ou bien sur la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale.
La commission d'enquête devant porter sur la création, l'organisation, l'activité et la gestion des autorités administratives indépendantes (AAI), il apparaît clairement à votre rapporteur qu'elle concerne la gestion de services publics . Il ne s'agirait donc pas d'enquêter sur des faits déterminés. En effet, les AAI - et, dans le cas où elle dispose de la personnalité morale, les autorités publiques indépendantes - sont des démembrements des administrations centrales , auxquelles le législateur a reconnu une indépendance à l'égard du Gouvernement en vue de leur confier une mission particulière de protection des droits et libertés publiques, de contrôle ou encore de régulation de certains secteurs économiques, certaines disposant à cet effet d'un pouvoir de sanction. On évalue aujourd'hui à 42 le nombre de ces autorités indépendantes.
L'exposé des motifs de la proposition de résolution précise que le nombre des AAI « n'a cessé de croître au point qu'il est aujourd'hui difficile à déterminer avec précision compte tenu du caractère aléatoire de leurs modalités de dénomination ». Il déplore leur disparité statutaire, certaines d'entre elles ayant « été qualifiées d'autorités indépendantes par la loi quand d'autres doivent cette qualité à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, voire aux travaux du Conseil d'État ». Il s'interroge sur la « nécessité d'avoir régulièrement recours à de nouvelles structures de ce type ».
Compte tenu du champ d'intervention très large des AAI, l'exposé des motifs estime que celles-ci occupent « désormais une place importante (et souvent déterminante) au sein de notre dispositif institutionnel si bien qu'on peut s'interroger si elles n'ont pas parfois acquis un pouvoir, allant au-delà même de leurs missions d'origine et au détriment (voire peut-être aussi avec la complicité bienveillante ou l'accord) des pouvoirs exécutif et législatif ». La question du contrôle des AAI, et notamment de leur contrôle démocratique alors que ce sont des instances non élues, est au coeur de l'intention des auteurs de la proposition de résolution. À cet égard, l'exposé des motifs rappelle que « tous les travaux publiés à ce jour sur le sujet insistent en particulier sur la faiblesse du contrôle qui s'exerce actuellement sur ces autorités, et sur les difficultés liées à la façon dont elles sont amenées à rendre compte de leur action devant les instances institutionnelles démocratiques, au premier rang desquelles figure le Parlement ».
Si le constat formulé par les auteurs de la proposition de résolution peut être partagé, votre rapporteur tient néanmoins à insister particulièrement sur le fait que, outre les travaux déjà réalisés sur la question et rappelés par l'exposé des motifs de la proposition de résolution 5 ( * ) , des travaux très récents ont été conduits au Sénat sur la question précisément des AAI et de leur contrôle.
Il faut citer, d'une part, à la suite d'une première mission d'évaluation de notre collègue François Fortassin au nom du Bureau du Sénat, les travaux de contrôle conduits par notre ancien collègue Jean-Pierre Plancade, désigné délégué du Bureau du Sénat aux AAI en juin 2013 et chargé d'assurer un suivi des AAI et de veiller à l'exercice par les commissions permanentes de leur mission de contrôle à l'égard des AAI relevant de leur champ de compétence.
D'autre part, dans la continuité de ses travaux antérieurs de 2006 sur les AAI dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation, notre ancien collègue Patrice Gélard a présenté devant votre commission des lois, en juin 2014, un bilan détaillé des évolutions intervenues depuis 2006 6 ( * ) . À cette occasion, il a formulé plusieurs recommandations, dont certaines seraient sans doute de nature à répondre aux préoccupations exprimées par les auteurs de la présente proposition de résolution.
Notre ancien collègue Patrice Gélard se félicitait, en outre, dans son rapport « de l'amélioration du contrôle parlementaire de l'activité et du budget de ces autorités par les commissions permanentes ainsi que d'une participation accrue du Parlement à la nomination de leurs membres », considérant que les AAI n'étaient pas laissées sans contrôle de la part des assemblées.
Enfin, notre ancien collègue appelait également de ses voeux « une réponse législative afin de régir une catégorie qui n'a cessé de se développer, souvent sans véritable vision d'ensemble ». Aussi a-t-il déposé, avec notre collègue Jean-Pierre Sueur, le 25 septembre 2014, une proposition de loi organique 7 ( * ) et une proposition de loi ordinaire 8 ( * ) traduisant ses recommandations et prévoyant, notamment, que toute autorité administrative ou publique indépendante ne peut être créée que par la loi, étendant sur ce point le domaine de la loi établi par l'article 34 de la Constitution, et fixant les éléments d'un régime commun applicable à toutes ces autorités, fondé sur la qualification expresse d'AAI par le législateur.
Ces initiatives permettent de tempérer l'affirmation contenue dans l'exposé des motifs de la proposition de résolution, selon laquelle « le temps est venu de procéder à un bilan précis de l'activité des autorités administratives ».
De plus, votre commission ne peut que réitérer le souhait, déjà exprimé à l'occasion de l'examen de précédentes résolutions dans le cadre du « droit de tirage », d'une meilleure articulation des travaux conduits par les différentes instances, permanentes ou temporaires, du Sénat.
Pour autant, dans le cadre du « droit de tirage », votre commission ne dispose d'aucun pouvoir d'appréciation de l'opportunité de la création d'une commission d'enquête, son contrôle se bornant à en vérifier la recevabilité.
Or, la présente proposition de résolution entre bien dans le champ défini par l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée, au titre de la gestion des services publics, sans qu'il soit nécessaire d'interroger le garde des sceaux aux fins de connaître l'existence d'éventuelles poursuites judiciaires.
Dès lors, votre commission estime que la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur le bilan et le contrôle de la création, de l'organisation, de l'activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes est recevable .
Par conséquent, il n'existe aucun obstacle à la création de cette commission d'enquête par la procédure du « droit de tirage » .
EXAMEN EN COMMISSION
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MERCREDI 8 AVRIL 2015
M. Philippe Bas , président , rapporteur pour avis . - Nous évoquons maintenant la proposition de résolution présentée par M. Jacques Mézard et les membres du groupe RDSE tendant à créer une commission d'enquête sur le bilan et le contrôle de la création, de l'organisation, de l'activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes.
Nous devons nous prononcer sur la recevabilité de cette proposition au regard de l'ordonnance de 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et de l'article 11 de notre règlement, et non sur son opportunité, car nous sommes dans le cadre du « droit de tirage » du groupe RDSE.
Le Sénat s'intéresse à cette question des autorités administratives depuis longtemps. Le Président Jean-Pierre Bel avait désigné, en 2013, notre ancien collègue Jean-Pierre Plancade comme délégué du Bureau chargé du suivi des autorités administratives indépendantes, à la suite d'une mission de notre collègue François Fortassin sur ce sujet. En juin 2014, notre ancien collègue Patrice Gélard a fait devant notre commission une communication sur ce même thème, puis a déposé en septembre 2014 deux propositions de loi cosignées par le président Jean-Pierre Sueur.
Sur la recevabilité d'une proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête, deux cas de figure sont possibles. Si elle porte sur des faits déterminés, il convient de s'assurer auprès du garde des sceaux de l'absence de procédure judiciaire en cours, mais nous ne sommes pas dans cette hypothèse. Nous sommes en présence d'une commission d'enquête portant sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales et nous pouvons donc, je pense, donner un avis favorable sur la recevabilité de la proposition, les autres règles de recevabilité étant également respectées.
La commission déclare recevable la proposition de résolution.
M. Jean-Pierre Sueur . - Patrice Gélard m'a demandé, avant de quitter le Sénat, de cosigner ces deux propositions de loi qu'il avait rédigées afin que son travail ne soit pas anéanti. Je l'ai fait dans cet esprit républicain. Si, à la suite du rapport de la commission d'enquête, nous parvenons à un texte de loi largement partagé, ce serait une bonne chose.
J'ajoute qu'il est bon que les groupes politiques puissent chaque année solliciter des commissions d'enquête, mais j'espère que les nouvelles dispositions envisagées dans la réforme de notre règlement en matière d'emploi du temps permettront aux sénateurs membres de ces commissions de mener à bien ce travail.
M. Philippe Bas, président . - Je vous remercie de votre intervention sur ce point. Je vous informe que la commission des lois sera très sollicitée dans les semaines à venir puisque seront examinés les projets de loi sur le droit d'asile, sur la nouvelle organisation territoriale de la République et sur le renseignement, ainsi que cinq propositions de loi demandées par les groupes.
M. Jacques Mézard . - Je tiens à rassurer M. Sueur : nous tiendrons compte des travaux antérieurs à cette commission d'enquête. Notre groupe a souhaité la création de cette commission d'enquête car la multiplication des autorités administratives indépendantes pose un problème démocratique. Selon nous, la démocratie réside dans l'expression du suffrage et dans la représentation démocratique. Nous ne ciblons aucune autorité administrative indépendante, mais nous nous inquiétons de la multiplication des autorités administratives indépendantes par respect pour le suffrage de nos citoyens. Le pouvoir échappe au Parlement.
M. Philippe Bas, président . - Je vous remercie de cette profession de foi démocratique. Je porterai votre avis à la conférence des présidents ce soir même.
* 1 Le texte de la proposition de résolution est consultable à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/leg/ppr14-381.html .
* 2 Cette phrase indique : « La création d'une commission d'enquête par le Sénat résulte du vote d'une proposition de résolution, déposée, renvoyée à la commission permanente compétente, examinée et discutée dans les conditions fixées par le présent règlement. »
* 3 Dans sa décision n° 2014-705 DC du 11 décembre 2014, le Conseil constitutionnel a considéré que ce nouveau mécanisme n'était pas contraire à la Constitution.
* 4 Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/rap/l08-427/l08-427.html.
* 5 Rapport n° 404 (2005-2006) de M. Patrice Gélard, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation, sur les autorités administratives indépendantes. Il est consultable à l'adresse suivante :
http://www2.senat.fr/rap/r05-404-1/r05-404-1.html.
Rapport d'information n° 4020 du 1 er décembre 2011 de MM. René Dosière et Christian Vanneste, au nom du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale. Il est consultable à l'adresse suivante : http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i4020.asp.
* 6 Ce rapport d'information n° 616 (2013-2014) est consultable à l'adresse suivante :
http://www2.senat.fr/rap/r13-616/r13-616.html.
* 7 Cette proposition de loi organique n° 811 (2013-2014) est consultable à l'adresse suivante :
http://www2.senat.fr/dossier-legislatif/ppl13-811.html.
* 8 Cette proposition de loi n° 812 (2013-2014) est consultable à l'adresse suivante :
http://www2.senat.fr/dossier-legislatif/ppl13-812.html.